Une hausse prohibitive des frais de scolarité pour les étudiants-es français-es : un risque économique et social pour le Québec

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Une hausse prohibitive des frais de scolarité pour les étudiants-es français-es : un risque économique et social pour le Québec
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| par Étienne Caron |

La visite de François Hollande du 2 au 4 novembre sur le territoire canadien l’a amené, le mardi 4 novembre, à l’Assemblée Nationale du Québec. Ce fut l’occasion pour le Président français d’évoquer avec le Premier ministre Philippe Couillard une promesse mise de l'avant lors de la campagne de ce dernier : la hausse des frais de scolarités pour les étudiant-e-s français-es au Québec.

Un accord en place depuis 1978 à première vue déséquilibré dans son application

Un accord entre la France et le Québec datant de 1978, également nommé  « Échange de lettres entre le Ministre de l’Éducation du Québec et le Consul Général de France à Québec (1) » est à l’origine de cette divergence de vues entre les deux dirigeants. Il permet aux étudiant-e-s des deux pays d’acquitter des frais de scolarité similaires à ceux des étudiant-e-s nationaux. Depuis cet accord, les étudiant-e-s français-es paient environ $2 600 par an de frais de scolarité pour un premier cycle au Québec. En contrepartie, les Québécois-es qui étudient en France paient le tarif français soit 250 dollars (2) par an pour la licence, équivalent français du baccalauréat, et 350 dollars pour un master à l’université, pendant de la maîtrise. Cependant, ces frais « privilégiés » ne bénéficient pas uniquement aux étudiant-e-s québécois-es mais à l’ensemble des étudiant-e-s étrangers-ères venant suivre des cours au sein des universités françaises. De plus cet accord n’inclut pas les institutions universitaires privées ou semi-privées comme peuvent l’être certaines “Grandes Écoles“ françaises telles que HEC (Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Paris) ou Sciences po Paris. Alors que le gouvernement de Philippe Couillard annonce à nouveau des coupes dans les budgets des universités de plus de 172 millions de dollars (3), la remise en question de cet accord pourrait sembler constituer une manne financière alléchante. Néanmoins, il est essentiel de s’interroger sur l’impact réel de cet accord et sur les conséquences de sa non-reconduction.

 « 12 000 étudiant-e-s français-es au Québec contre 1500 Québécois-es en France » mais des retombées économiques plus grandes pour le Québec ?

En premier lieu cet accord a pour objet d’encourager l’arrivée de francophones au Québec alors que la population étudiante française y représente plus de 12000 étudiants (4) soit 33% de l’ensemble des étudiant-e-s étrangers-ères de la province. Devant cela, l’on estime à 1500 le nombre d’étudiant-e-s québécois-es en France (5). Derrière ces chiffres, l’on discerne la volonté de promouvoir un échange culturel entre deux pays ayant une culture et une histoire liées bien que se situant sur deux continents différents. De plus, si l’impact de cet accord a un coût pour le gouvernement québécois que l’on estime à 50 millions de dollars, il est nécessaire de prendre aussi en compte les retombées économiques apportées par cette jeune population comme l’affirme François Lubrina, conseiller à l’Assemblée des Français de l’étranger. Les journalistes de France 24 estiment les retombées directes à plus de 300 millions de dollars par année (6). Ces dernières sont bien plus importantes que les dépenses que la « présence française » fait supporter aux contribuables québécois.

« Une hausse de 180% des frais de scolarités » entraînerait une sélection sociale préjudiciable à la diversité et au dynamisme économique du Québec

Cependant, au-delà des simples comparaisons comptables que suscitent cette réforme, c’est  sur le plan social que la remise en cause de cet accord apparaît la plus dangereuse. En effet, si le plafonnement des frais pour les Français-es permet  actuellement une diversité dans l’origine socio-économique des étudiant-e-s et une réelle mixité dans leurs profils qui se caractérise par une part importante d’étudiant-e-s issus de classe moyenne. Une hausse de 180% des frais de scolarité, qui constitue le projet initial du parti libéral, limiterait grandement l’accessibilité des universités québécoises, particulièrement aux étudiant-e-s français-es provenant des milieux sociaux les moins privilégiés. Cette réforme aurait alors pour conséquence de rationner l’éducation supérieure au bénéfice des étudiant-e-s issu-e-s des milieux les plus aisés. Elle fonderait l’accès aux universités québécoises sur un critère économique bien plus que méritocratique privant ainsi l’économie québécoise de talents prometteurs. De plus, ce sont ces étudiant-e-s venant des milieux les moins favorisés  qui par la suite sont les plus enclins à poursuive leurs projets universitaires ou professionnels au Québec et à s’implanter durablement au bénéfice de leur province d’accueil, effet que l’on peut constater par le nombre important de permis de travail « post diplôme » délivré chaque année (7). Car pour ces derniers-ères, leur immigration au Québec n’est pas un simple « tourisme universitaire » mais représente un investissement sur l’avenir qu’ils pourront par lui suite exprimer à travers  leurs projets professionnels.

 Un meilleur accès aux grandes écoles françaises pour les Québécois-es contre un prolongement du « traitement spécifique » pour les Français-es au Québec

Néanmoins, selon la Presse (8), le premier ministre Philippe Couillard souhaiterait obtenir en contrepartie du maintien de cet accord, un accès plus facile et à plus faible coût aux grandes écoles françaises pour les étudiant-e-s québécois-es. Lors des négociations, les journalistes de la Presse ont rapportés que Philippe Couillard souhaite que : « les étudiants français puissent continuer de venir ici en bénéficiant d'un traitement spécifique ». Les négociations sont donc toujours en cours mais l’accord pencherait plutôt vers un maintien du « traitement spécifique » des étudiant-e-s français-es et impliquerait donc le prolongement de l’accord. François Hollande a de son côté rappelé son souhait « qu'il y ait des échanges plus nombreux, c'est-à-dire que nous puissions nous, Français, accueillir davantage d'étudiants québécois dans nos universités et dans nos grandes écoles (9) ».

 «Une hausse mesurée est envisageable mais elle ne doit en aucun cas devenir prohibitive »

Si l’on peut reconnaître un déséquilibre entre le nombre de Français-es qui viennent étudier au Québec par rapport aux Québécois-es en France, il pourrait s’expliquer aussi par une disproportion entre la population de la France et du Québec. Cependant la solution est-elle de mettre en place une politique stricte des quotas ? C’est l’idée d’ouverture à l’échange et non le contraire qui doit prévaloir dans cette négociation. Si une hausse des contributions des étudiant-e-s français-es est envisageable dans une logique de bonne gestion budgétaire de la province du Québec, cette dernière ne doit pas  pour autant devenir prohibitive pour les étudiant-e-s français-es les moins favorisé-e-s. Dans l’état actuel des choses, la proposition de Monsieur Couillard ferait perdre le cœur même de l’apport de cette population jeune et motivée : la diversité et l’envie d’apporter à l’économie québécoise.  

[1] http://www.consulfrance-montreal.org/Organisation-de-l-enseignement,1806 [2] http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20202/les-frais-d-etude-... [3] http://www.lapresse.ca/actualites/education/201410/14/01-4809203-quebec-... [4] http://www.france24.com/fr/20141104-quebec-frais-scolarite-etudiants-fra... [5] http://www.consulfrance-quebec.org/Histoire-des-relations-bilaterales [6] http://www.france24.com/fr/20141104-quebec-frais-scolarite-etudiants-fra... [7] http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/ResearchPublications/2013-11-f.htm [8] http://www.lapresse.ca/actualites/201411/04/01-4815699-hollande-veut-le-... [9] http://www.lapresse.ca/actualites/201411/04/01-4815699-hollande-veut-le-...  

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