Québec, sans frontières : un modèle de solidarité internationale ?

Affiche : Ajuster le sud ou nos solidarités
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Québec, sans frontières : un modèle de solidarité internationale ?
Analyses
| par Christopher John Chanco |

 

 « La crise de Covid-19 a illustré et exacerbé les inégalités et les injustices à travers le monde » martèle Nancy Burrows, membre de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI).[i] À titre d’exemple, dit-elle, l’accès aux vaccins qui se déploient à deux vitesses entre les pays riches et ceux en voie de développement.[ii] Alors que le Québec se déconfine, il y aurait largement de quoi faire pour répondre aux besoins criants des populations du Sud. Burrows souhaite voir une volonté renouvelée, de la part de la société québécoise, de redresser les inégalités mondiales que la crise sanitaire a mises en relief.

Son association regroupe une soixantaine d’organismes de coopération internationale (OCI) dont Oxfam Québec, Terre sans frontières et le Carrefour de solidarité internationale. Que ce soit en Amérique latine, en Afrique, à Sherbrooke ou à Trois-Rivières, ces organismes dirigent un éventail de projets sous le signe de la solidarité internationale : l’aide humanitaire, les microprojets d’entrepreneuriat, la démocratisation et la sensibilisation.

Encourager l’engagement citoyen est un dossier que Burrows a particulièrement à cœur. En tant que chargée de l’Éducation à la citoyenneté mondiale pour l’AQOCI[iii], elle aide les organismes qui cherchent à conscientiser les Québécois face aux enjeux comme le dérèglement climatique et la justice migratoire. Ils le font à travers des visites scolaires et les Journées québécoises de la solidarité internationale[iv], portant une attention particulière aux problèmes politiques et socioéconomiques des pays en développement.

« On souhaite pouvoir continuer à sensibiliser des gens à l’importance de construire ensemble un monde équitable, juste, solidaire et pacifique, » poursuit Burrows. Seulement, au-delà de belles paroles, l’argent est indispensable. La solidarité passe par le portefeuille. À cet égard, le gouvernement québécois n’est pas un partenaire négligeable. Sur le plan de la solidarité internationale, les organismes membres de l’AQOCI sont les principaux acteurs, avec l’appui financier et institutionnel du ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF). Pour le gouvernement québécois, la société civile se trouve ainsi au cœur de son action à l’international. S’ils œuvrent pour venir en aide aux pays vulnérables, ils servent également, d’après la ministre Nadine Girault, à « faire rayonner l’expertise québécoise à l’étranger. »[v] 

Un tel partenariat entre un gouvernement provincial et la société civile n’existe nulle part ailleurs au Canada. Le contexte de la pandémie semble avoir renforcé cette collaboration étroite. Quel rôle ce modèle singulièrement québécois peut-il jouer dans l’avenir?

Programmes de solidarité internationale

Jusqu’au mois dernier, trois mécanismes constituaient les principaux dispositifs de solidarité internationale du gouvernement québécois : Québec sans frontières (QSF), le Programme québécois de développement international et le Programme d’éducation à la citoyenneté mondiale. Ils ont permis la réalisation d’une grande diversité d’actions adaptées aux compétences des organismes qui les mettent en œuvre au Québec et dans les pays du Sud. Le QSF, par exemple, avait pour but d’encourager le bénévolat dans les pays en développement. Les deux autres, quant à eux, finançaient des projets de développement, d’éducation populaire et d’aide humanitaire.

Sur le site web du MRIF sont listés des milliers de projets qui ont reçu son appui financier par l’intermédiaire de ces programmes depuis 1995.[vi] Une vingtaine de projets sont en cours dans 16 pays de l’Afrique francophone, en Amérique latine et en Haïti, selon Sylvie Leclerc, chargée de communications du MRIF. Ils œuvrent dans de nombreux domaines tels que la santé, la sécurité alimentaire et les droits de la personne.

Bien que le financement vienne du gouvernement québécois, celui-ci mise sur les organismes de la société civile pour agir sur le terrain. Au Burkina Faso, Oxfam-Québec compte sur les subventions des programmes de solidarité internationale depuis plusieurs années. L’un de ses projets vise à inculquer les valeurs démocratiques et la transparence politique à la jeunesse. « On accompagne les jeunes burkinabés et facilite le dialogue avec les parlementaires pour qu’ils tiennent compte de leurs revendications et besoins, » dit Catherine Bui, directrice principale des programmes d’Oxfam. « L’idée est vraiment de favoriser la participation citoyenne. » 

La mise en œuvre de tels projets se conforme aux cadres normatifs des trois programmes,[vii] chacun duquel s’inscrit dans une vision de bonne gouvernance, de droits humains ou de l’égalité entre les sexes : les valeurs de la société québécoise telles que formulées par le gouvernement québécois et les OCI. La plupart des projets ayant reçu les subventions du Québec se concentrent également sur certaines régions qui sont prioritaires pour la province, dont les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest et du Moyen-Orient.

Pour L’Humanité et Inclusion-Canada, le Québec est un partenaire de longue date, selon Gabriel Perriau. Son organisme intervient dans plusieurs pays afin d’améliorer les services de soins aux personnes en situation de handicap et pour faciliter leur insertion professionnelle. Au Liban, le ministère avait soutenu une réponse d’urgence pour les besoins psychosociaux des personnes déplacées par le conflit syrien. « Suivant les explosions ayant eu lieu à Beyrouth », poursuit Perriau, il « apporte un soutien actuellement afin qu’on accompagne des partenaires locaux dans l’adoption de pratiques inclusives dans les secteurs de l’éducation et de la protection des enfants. »

Québec sans frontières 2.0

À la suite des consultations menées avec les OCI depuis 2019, le gouvernement québécois a lancé, en mai, une refonte des trois anciens programmes en un. Le nouveau programme vise à faciliter l’accès des OCI au soutien financier et à simplifier les démarches pour y accéder. Reprenant le nom de l’ancien QSF, il augmente les subventions accordées aux organismes de la société civile.

Par rapport au budget fédéral de l’aide internationale, les sommes sont modestes, mais assez remarquables pour une province canadienne. Dans son ensemble, le nouveau QSF sera doté d’un financement de plus 6 millions dollars, soit une hausse de 33 % de l’aide maximale allouée aux projets des organismes par rapport aux années passées[viii]

Depuis l’été dernier, ce nouveau dispositif a permis d’élargir l’appui financier aux OCI agissant dans le cadre d’un plan de soutien lancé dans le contexte de la pandémie[ix]. Selon le ministère, cela a donné un coup de pouce à un secteur qui génère des centaines d’emplois dans la province. Le gouvernement québécois avait également « assoupli certaines exigences pour permettre la poursuite des projets en cours et les adapter au contexte de la pandémie, » dit Leclerc. Oxfam-Québec a pu ainsi recevoir de l’aide pour sa réponse humanitaire en Inde où la pandémie poursuit ses ravages.

C’est la crise sanitaire, justement, qui aurait incité les réformes des programmes de solidarité internationale. Jusque-là, les OCI se bornaient aux projets déjà approuvés avec des mandats très précis en fonction des exigences des anciens programmes. Certains avaient alors les mains liées, faute de souplesse nécessaire pour pouvoir répondre rapidement à l’urgence de la situation émergente.

Le nouveau programme rectifie ces problèmes soulevés depuis longtemps par les OCI, soutient la Direction de la Francophonie et de la solidarité internationale du ministère. Entre autres, à travers « une plus grande prévisibilité en matière de planification et de financement. »   

L’AQOCI, qui agit comme porte-parole et intermédiaire entre ses membres et le ministère, a vivement salué l’annonce.[x] « Les organismes ont constaté une certaine lourdeur administrative, » qui pesait sur leurs épaules, poursuit Burrows. Les réformes, explique-t-elle, réduisent considérablement la paperasse. Les OCI étaient censés soumettre plusieurs demandes de financement aux trois programmes. Désormais ils ne seront obligés de se présenter qu’à un seul guichet. Plus important, les subventions seront axées davantage sur « la mission globale » des OCI. Étalées sur trois ans, elles couvriront un plus large champ de dépenses dont les frais salariaux et coûts de loyer, l’encadrement des bénévoles et l’aide humanitaire, en plus des projets ponctuels.

Aux yeux de Perriau, le nouveau programme « apparaît englobant et adapté aux différentes réalités des organisations de coopération internationale du Québec. » Il leur permettra plus de flexibilité pour planifier les projets à mettre en œuvre chaque année, d’autant plus qu’ils peuvent toujours s’appuyer sur le gouvernement canadien et les programmes d’Affaires mondiales Canada. En effet, la concurrence, sinon la complémentarité d’efforts entre le fédéral et le provincial en matière d’aide internationale s’avèrent favorables aux OCI. Les organismes québécois et leurs partenaires dans le Sud, par extension, profitent ainsi de l’appui financier des deux paliers du gouvernement, ce qui leur garantit une certaine durabilité. C’est un dispositif que Bui d’Oxfam Québec juge avantageux pour des organismes comme le sien. Oxfam maintient une présence autonome au Québec par rapport au reste du Canada. « C’est l’une des particularités du contexte québécois, » dit-elle.

Une relation particulière

Depuis sa fondation, l’AQOCI et ses membres ont travaillé en étroite liaison avec le ministère, notamment avec la Direction de la Francophonie et de la Solidarité Internationale. Dans la gestion des programmes de solidarité internationale, les deux partis ont entretenu de bons rapports. La restructuration du programme QSF, rappelle Burrows, était le produit d’au moins deux ans de dialogue entre le gouvernement québécois, l’AQOCI et ses membres pour trouver un consensus qui répondrait au mieux à leurs besoins. 

Par le passé, ils ont pu contribuer à l’élaboration des normes et politiques encadrant les programmes de solidarité internationale. Ils ont travaillé en lien direct avec la Direction de la solidarité internationale. Burrows croit que cette cogestion est unique dans le contexte québécois, surtout par rapport à d’autres ministères dont les liens avec les organismes communautaires ne sont pas toujours aussi chaleureux. Sur le terrain, en plus, les OCI profitent d’une vaste marge de manœuvre même s’il y a « des normes à suivre et des comptes à rendre » dit Bui d’Oxfam Québec. Pour sa part, Gabriel Perriau d’Humanité et Inclusion espère que « la collaboration de confiance et de longue date avec le MRIF se poursuivra dans l’avenir. »

Toutefois, les rapports étroits entre le gouvernement québécois et la société civile soulèvent la question de leur indépendance. Par ailleurs, le soutien accordé aux OCI peut changer en fonction des caprices du parti politique au pouvoir, en l’occurrence la Coalition Avenir Québec.

L’aide internationale aux pays vulnérables se voit souvent reléguée au dernier rang des priorités politiques, quand elle n’est pas en première ligne pour les coupes budgétaires. Au niveau fédéral, les libéraux au pouvoir ont récemment fait l’objet de critiques dans ce sens[xi]. Pendant les années Harper, les rapports entre la société civile et le gouvernement fédéral étaient, pour le moins, difficiles[xii].

Les caquistes, fortement critiqués en raison de leurs positions sur l’immigration, le racisme et les droits des minorités, ont néanmoins suivi l’exemple des gouvernements québécois successifs dans leur appui de la solidarité internationale. Cette continuité peut sembler paradoxale. D’autant plus qu’à l’égard du rôle que le Québec devrait jouer dans le monde, la CAQ, un parti de droite, et la base du milieu associatif québécois ne s’accordent sûrement pas sur tous les points.

Bien que l’AQOCI regroupe des gens avec, sans doute, une grande diversité d’orientations idéologiques, la notion même de solidarité internationale s’apparente à une vision foncièrement de gauche. Pour sa part, l’Association n’a pas hésité à déployer le terme contesté « racisme systémique »[xiii], dont l’existence dans la société québécoise est niée par M. Legault[xiv]. Sous le prisme de la justice migratoire, certains organismes ont critiqué les deux paliers du gouvernement en matière d’accueil des réfugiés[xv]. Ils s’en sont pris d’ailleurs à la mondialisation néolibérale[xvi] qui a exacerbé les inégalités mondiales contre lesquelles l’aide internationale pourrait servir de pansement. Un tel menu gauchiste ne se trouve-t-il pas aux antipodes de la CAQ ?

Certes, les réformes apportées aux programmes de solidarité internationale incarnent une certaine vision caquiste : un soutien accru des OCI en région, un langage d’« optimisation » et d’efficacité inspiré du monde des affaires, et en outre, un virage vers la « diplomatie économique »[xvii] animé par une logique néolibérale à la recherche de nouveaux marchés dans les pays en développement. 

Il n’empêche qu’au fond, la société civile québécoise constate une stabilité dans ses rapports avec l’équipe du MRIF et ce, peu importe la couleur des locataires de l’Assemblée nationale. « Évidemment la vision du gouvernement peut changer, mais ce soutien aux OCI demeure constant, » souligne Burrows. « Ce sont de bons alliés qui soutiennent le travail des groupes de coopération internationale sur le terrain. »

 

Cet article est suivi par une deuxième partie : https://revuelespritlibre.org/la-solidarite-internationale-la-quebecoise...

 


[i] Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). « À propos ». Consulté le 25 juin 2021. https://aqoci.qc.ca/a-propos-aqoci/.

 

[ii] Thibodeau, Marc. « Vaccination | Un monde à deux vitesses ». La Presse, 23 mai 2021. https://www.lapresse.ca/covid-19/2021-05-23/vaccination/un-monde-a-deux-vitesses.php.

 

[iii] Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). « Éducation à la citoyenneté mondiale ». Consulté le 17 juin 2021. https://aqoci.qc.ca/education-a-la-citoyennete-mondiale/.

 

[iv] « Ressources ». Consulté le 17 juin 2021. https://jqsi.qc.ca/?ressources.

 

[v] Cabinet de la ministre des Relations internationales et de la Francophonie. « Lancement du Nouveau Québec sans frontières - Le gouvernement du Québec dévoile un nouveau programme en solidarité internationale et lance son premier appel à propositions ». Consulté le 11 mai 2021. https://www.newswire.ca/fr/news-releases/lancement-du-nouveau-quebec-sans-frontieres-le-gouvernement-du-quebec-devoile-un-nouveau-programme-en-solidarite-internationale-et-lance-son-premier-appel-a-propositions-894568547.html.

 

[vi] MRIF - Ministère des Relations internationales et de la Francophonie. « Recherche de projets de solidarité ». Consulté le 17 juin 2021. https://www.mrif.gouv.qc.ca/fr/solidarite-internationale/projets/recherche?periodeId=&programmeId=&organismeId=&territoireId=&secteurId=.

 

[vii] Ex. MRIF, Cadre normatif, Programme d’éducation à la citoyenneté mondiale (URL)

[viii] Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). « Lancement du Nouveau Québec sans frontières », 6 mai 2021. https://aqoci.qc.ca/lancement-du-nouveau-quebec-sans-frontieres/.

 

[ix] Ministère des Relations internationales et de la Francophonie. « Plan de soutien aux organismes de coopération internationale ». Consulté le 21 mai 2021. https://www.mrif.gouv.qc.ca/fr/appels-a-projets/plan-de-relance/actions-solidarite-internationale.

 

[x] Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). « L’AQOCI se réjouit du lancement du nouveau programme en solidarité internationale », 6 mai 2021. https://aqoci.qc.ca/laqoci-se-rejouit-du-lancement-du-nouveau-programme-en-solidarite-internationale/.

 

[xi] Brown, Stephen. « Budget fédéral 2021 : aide au développement ». Open Canada, 29 avril 2021. https://opencanada.org/fr/budget-federal-2021-aide-au-developpement/.

 

[xii] « Harper Lite? The Trudeau Government on Foreign Aid – Centre for International Policy Studies ». Consulté le 17 juin 2021. https://www.cips-cepi.ca/2017/04/02/harper-lite-the-trudeau-government-on-foreign-aid/.

 

[xiii] Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). « L’AQOCI tient à exprimer toute sa solidarité avec les groupes et les personnes qui subissent et dénoncent le racisme systémique », 14 juillet 2020. https://aqoci.qc.ca/l-aqoci-tient-a-exprimer-toute-sa-solidarite-avec-les-groupes-et-les-personnes/.

 

[xiv] Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). « Combattre le racisme systémique? Oui … mais comment? », 5 février 2021. https://aqoci.qc.ca/combattre-le-racisme-systemique-oui-mais-comment/.

 

[xv] Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). « Femmes, filles et justice migratoire », 8 mars 2021. https://aqoci.qc.ca/femmes-filles-et-justice-migratoire/.

 

[xvi] Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). « Déclaration du Québec - Responsables aussi du monde », 18 juillet 2011. https://aqoci.qc.ca/declaration-du-quebec/.

 

[xvii] Ministère des Relations internationales et de la Francophonie. « Vision internationale du Québec ». Consulté le 17 juin 2021. https://www.quebec.ca/gouv/politiques-orientations/vision-internationale-quebec.

 

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