Multinationales et dictatures dans les Amériques

International
Multinationales et dictatures dans les Amériques
Opinions
| par La Rédaction |

Par Alfonso Insuasty[1] et José Fernando Valencia[2]

Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile

Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando. 

Cet article fournit quelques éléments d’analyse des relations officieuses entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine, de la manière dont les entreprises en ont tiré profit, des faits mis en lumière par les commissions de vérité, des répercussions sur les populations et l’environnement et de ce qui subsiste de nos jours de ces alliances. Depuis des décennies, l’Amérique latine est le théâtre d’interactions complexes entre multinationales et régimes dictatoriaux. Ces relations mutuellement bénéfiques ont suscité nombre de controverses et ont laissé des plaies encore ouvertes dans la région. Cet article fournit quelques éléments d’analyse des relations officieuses entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine, de la manière dont ces dernières dont elles en ont profité, les faits mis en lumière par les commissions de vérité à ce sujet, les répercussions sur les populations et l’environnement et ce qui subsiste de nos jours des alliances entre États et multinationales. L’étude du rôle des multinationales dans les dictatures d’Amérique latine n’est pas une question de second ordre. Elle nécessite une analyse approfondie et un débat public de grande ampleur.

Les multinationales sont présentes dans la région depuis des décennies. Leur influence économique et politique est considérable et elle a fait l’objet de bon nombre de controverses. Certain·e·s affirment qu’elles ont contribué à la stabilité et au développement économique. D’autres disent qu’elles ont plutôt exacerbé les inégalités et se sont rendues complices de violations des droits de la personne. Pour comprendre ce phénomène, il est important de se pencher sur le rôle que les multinationales ont joué auprès des dictatures latino-américaines et ce qui subsiste de ces relations.

Les multinationales sont des entreprises qui mènent des activités dans plusieurs pays et qui disposent d’un grand pouvoir économique et politique. En plus de ce pouvoir, elles disposent d’un vaste réseau de filiales et d'un grand nombre d’employé·e·s. Leurs secteurs d’activités vont de l’extraction de ressources naturelles à la production et à la distribution de biens et de services. Leur présence et leurs activités dans des pays latino-américains gouvernés par des régimes dictatoriaux ont sans aucun doute eu des répercussions significatives sur l’économie et les sociétés de la région[3].

Pendant une grande partie du XXe siècle, plusieurs pays de la région ont connu des régimes dictatoriaux, caractérisés par la répression politique, l’absence de libertés civiles et la violation systématique des droits de la personne[4]. Nous savons aujourd’hui qu’il s’agit d’un plan élaboré par les États-Unis dans le but d’imposer un modèle économique : le néolibéralisme.

Le tableau suivant montre le poids actuel des multinationales et établit que la valeur des entreprises dépasse les actifs des pays d’Amérique latine. Nous illustrons ainsi leur puissance économique et les raisons pour lesquelles les États orientent leurs politiques publiques en faveur de leur protection, dans le but apparent de garantir l’emploi, le développement et l’accès aux marchés internationaux. Cela dit, nous pouvons également constater les pressions hégémoniques exercées à l’échelle internationale, que ce soit par des entreprises arabes, nord-américaines ou chinoises.

 

Position

Entreprise

Valeur (Milliards de dollars)

Position

Pays

PIB/PPA 2023 (Milliards de dollars)

1

Walmart

611 289

1

Brésil

4 101 022

2

Saudi Aramco

603 651,4

2

Mexique

3 277 601

3

State Grid

530 008,8

3

Argentine

1 239 515

4

Amazon

513 983

4

Colombie

1 016 124

5

China National Petroleum

483 019,2

5

Chili

597 520

6

Sinopec Group

471 154,2

6

Pérou

548 465

7

Exxon Mobil

413 680

7

République dominicaine

273 703

8

Apple

394 328

8

Équateur

242 579

9

Shell

386 201

9

Venezuela

211 926

10

UnitedHealth Group

324 162

10

Guatemala

201 365

11

CVS Health

322 467

11

Panama

190 306

12

Trafigura Group

318 476,4

12

Costa Rica

141 527

13

China State Contruction Engineering

305 884,5

13

Bolivie

125 428

14

Berkshire Hathaway

302 089

14

Paraguay

117 349

15

Volkswagen

293 684,7

15

Uruguay

103 372

16

Uniper

288 309, 2

16

Honduras

75 030

17

Alphabet

282 836

17

El Salvador

74 505

18

McKesson

276 711

18

Nicaragua

51 022

19

Toyota Motor

274 491,4

19

Haiti

38 952

20

TotalEnergies

263 310

20

Cuba

Inconnu

21

Glencore

255 984

 

 

 

22

BP

248 891

 

 

 

Après la Seconde Guerre mondiale, de grandes entreprises américaines ont commencé à investir en Europe et au Japon, contribuant ainsi à la reconstruction de leurs économies et à l’établissement de relations commerciales internationales. Dans les années 1960 et 1970, de nombreuses entreprises multinationales se sont implantées dans des pays sous-développés ou en voie de développement. Avec l’accélération de la mondialisation au cours des dernières décennies du XXe siècle, ces entreprises ont pris d’autant plus d’expansion, diversifiant leurs activités dans un plus grand nombre de secteurs et de pays.

Depuis des décennies, l’Amérique latine est le théâtre d’interactions complexes entre multinationales et régimes dictatoriaux. Ces relations mutuellement bénéfiques ont suscité nombre de controverses et ont laissé des plaies encore ouvertes dans la région. Le tableau ci-dessus nous donne un aperçu des intérêts qui ont poussé des multinationales  à participer directement, par exemple, aux actions menées par les dictatures au Brésil (1964-1985), au conflit armé supposément interne au Pérou, au conflit armé interne au Guatemala (1960-1996), à la répression menée par la dictature d’Augusto Pinochet au Chili, par celle de l’Argentine, au coup d’État au Honduras (2009), au conflit armé, aux actions du front national et à la violence politique en Colombie[5].

Mais quelle est la nature de la relation entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine, et quelles en sont les conséquences?

Les dictatures d’Amérique latine ont été soutenues par les entreprises et les multinationales, qui ont trouvé dans ces régimes un environnement favorable à leurs activités économiques et politiques, établissant des relations étroites avec les élites politiques et économiques locales et les multinationales, dans une logique de bénéfice mutuel[6]. Grâce à ces relations mutuellement bénéfiques, les multinationales ont, d’une part, renforcé leur puissance économique et politique, ce qui leur a permis de maintenir leur pouvoir et leur contrôle sur la société et, d’autre part, elles ont exercé une influence significative sur la prise de décision politique, en veillant à ce que ces décisions favorisent leurs intérêts et assurent des conditions favorables à leurs activités commerciales. Dans le cadre de cette collaboration, des violations flagrantes des droits de la personne ont été perpétrées et la répression s’est imposée comme pratique politique[7].

Que disent à ce sujet les commissions de la vérité et les rapports alternatifs en Amérique latine?

Les commissions de vérité, établies dans plusieurs pays d’Amérique latine au lendemain de la tombée des dictatures, ont mis en lumière les relations entre les multinationales et les régimes autoritaires. Ces commissions ont documenté des cas de complicité d’entreprises dans des cas de violation des droits de la personne, de corruption et d’exploitation des ressources naturelles. Vous trouverez ci-bas quelques exemples[8].

Commission

Description

Commission de la vérité au Brésil

Créée en 2011 par la présidente Dilma Rousseff, cette commission a enquêté sur les crimes commis pendant la dictature militaire brésilienne (1964-1985). Même si le rapport final ne traite pas exclusivement des relations entre les multinationales et les dictatures, il souligne l’implication des entreprises dans le financement et le soutien de la répression.

Commission Vérité et Réconciliation, Pérou

Créée en 2001 après la fin du conflit armé interne au Pérou, cette commission a enquêté sur les violations des droits de la personne survenues pendant cette période. Il a mentionné l’implication des entreprises dans le financement des groupes armés et l’exploitation des ressources naturelles dans les zones touchées par les conflits.

Commission pour la clarification historique (CEH), Guatemala

Créée en 1994 après la signature des accords de paix au Guatemala, la CEH a enquêté sur les crimes commis pendant le conflit armé interne (1960-1996). L’implication des entreprises a été signalée, en particulier dans le contexte de l’exploitation des ressources naturelles et du déplacement des communautés autochtones.

Commission Vérité et Réconciliation Chili  

Créée en 1990 après la fin du régime d’Augusto Pinochet, elle a enquêté sur les violations des droits de la personne commises pendant la dictature. Le rapport final fait état de la complicité de certaines entreprises, notamment dans le secteur minier, avec le régime militaire.

Commission nationale sur la disparition de personnes (CONADEP), Argentine

Créée en 1983 après la fin du régime militaire en Argentine, elle a enquêté sur les disparitions forcées, la torture et d’autres crimes commis pendant la dictature. Son rapport fournit des renseignements sur la complicité indirecte des entreprises en ce qui a trait aux politiques économiques du régime et aux relations avec l’armée.

Commission de vérité, Colombie

Créée dans le cadre de l’Accord de paix entre les FARC-EP et l’État colombien (2016), cette commission a présenté ses conclusions le 28 juin 2022 dans un contexte particulier, puisque, même s’il met fin à une confrontation armée de plus de 50 ans, d’autres conflits de nature politique et de la violence armée persistent sur le territoire national. Ce rapport révèle le rôle joué par les multinationales et les grandes entreprises, en association avec le pouvoir politique et militaire, dans le soutien de groupes paramilitaires responsables de violations des droits de la personne et de dommages causés à l’environnement, entre autres conséquences néfastes, et ce, dans le cadre de l’accaparement des terres et de l’expansion des mégaentreprises extractivistes.

 

Ce ne sont là que quelques-unes des commissions de la vérité en Amérique latine et dans les Caraïbes qui se sont penchées sur les relations entre les multinationales et les dictatures dans la région. Leur travail a permis de documenter et de visibiliser cet aspect important de l’histoire récente de la région.

 

Et les rapports indépendants?

Les rapports indépendants seront particulièrement intéressants dans la mesure où certains d’entre eux fournissent une analyse plus approfondie de la question et révèlent un problème structurel récurrent qui nous permet d’identifier cette alliance étroite entre les multinationales, l’État, l’élite politico-économique, le soutien et la promotion des régimes autoritaires dans une alliance étroite et perverse d’avantages mutuels.

Ces rapports indépendants examinent les relations entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine et dans les Caraïbes. Ils sont produits par des organisations de la société civile, des groupes de défense des droits de l’homme ou d’autres instances indépendantes. En voici quelques exemples[9].

Rapport

Brève description

Rapport du groupe de travail sur les entreprises et les droits de la personne en Colombie

Ce rapport, produit par le groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, examine la situation des droits de la personne en Colombie, y compris la relation entre les entreprises multinationales et les violations des droits de la personne pendant le conflit armé interne. Même s’il ne s’agit pas exactement d’une commission de vérité, elle fournit des renseignements pertinents sur le rôle des entreprises dans le contexte de la violence politique dans le pays.

Rapport de la commission pour la vérité et les biens détournés en Équateur

Cette commission, créée en Équateur en 2007, a enquêté sur des cas de corruption et de violations des droits de la personne commis sous les gouvernements précédents. Même si elle ne s’est pas concentrée exclusivement sur les relations entre les multinationales et les dictatures, son rapport final aborde les questions liées à l’implication des entreprises dans les violations des droits de la personne et la corruption des régimes autoritaires.  

Rapport de la Commission de
la vérité au Honduras

Cette commission, créée au Honduras en 2010, a enquêté sur les violations des droits de la personne commises lors du coup d’État de 2009 et de ses conséquences. Son rapport final fournit des renseignements sur l’implication des entreprises dans la violence politique et la répression au cours de cette période.

Rapport du groupe de travail sur les entreprises et les droits de la personne en Amérique latine et dans les Caraïbes

Ce rapport, produit par le groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de la personne, examine la situation des droits de la personne dans la région, y compris les relations entre les multinationales et les dictatures dans plusieurs pays. Il fournit une analyse et des recommandations sur la manière de remédier aux effets négatifs des entreprises sur le respect des droits de la personne pendant les périodes de régimes autoritaires.

Sociétés transnationales et droits des peuples en Colombie

L’audience du Tribunal permanent des peuples tenue en Colombie portait sur le thème des entreprises transnationales et des droits des peuples pour la période qui s’étendait de 2006 à 2008. Plus de 40 entreprises transnationales qui ont profité des conflits persistants et des régimes autoritaires dans le pays ont été poursuivies en justice.

 

Ce ne sont là que quelques exemples de rapports indépendants qui traitent de la relation entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine et dans les Caraïbes. Ces enquêtes offrent souvent un aperçu critique et approfondi du rôle des entreprises dans les violations des droits de la personne et des abus commis par les régimes autoritaires de la région.

Résultats.

Ci-bas, vous trouverez quelques-unes des conclusions que nous pouvons tirer à partir des sources susmentionnées :

  • Répercussions sur les droits de la personne, persécution, démobilisation.

Ces rapports officiels et indépendants soulignent, sur le plan politique, la collaboration des multinationales avec les dictatures en Amérique latine, ainsi que la répression et les violations des droits de l’homme. Ces entreprises ont souvent utilisé leur pouvoir et leurs ressources pour soutenir et tirer profit de la violence et de la répression exercées par les régimes dictatoriaux.

Ces rapports établissent également l’incidence de ces relations officieuses sur la répression, la démobilisation de syndicats, l’utilisation des forces de sécurité de l’État pour protéger les intérêts des multinationales, l’embauche de groupes paramilitaires et l’exécution extrajudiciaire de militants sociaux, de défenseurs des droits de la personne, de défenseurs des droits des peuples et des droits de l’environnement qui s’opposent à leurs pratiques préjudiciables.

Ces relations ont consolidé le système de persécution et de criminalisation des dirigeant·e·s syndicaux, des militant·e·s sociaux et de défenseur·e·s des droits de la personne qui s’opposaient à leurs intérêts. De plus, ces entreprises ont été complices de la violence et de la répression des communautés autochtones et paysannes qui résistaient à l’exploitation de leurs terres et de leurs ressources naturelles. Cette collaboration a donné lieu à de graves violations des droits de la personne qui ont mis la région à feu et à sang[10].

Ces rapports soulignent également les graves conséquences sur l’environnement, en l’absence de toute restriction ou de toute forme de contrôle. Ces dommages touchent les peuples et se traduisent en des effets transgénérationnels. Tous ces dégâts sociaux ont été facilités par un vide juridique qui favorise la liberté des entreprises, voire par des statuts conçus par ces mêmes entreprises et convertis en droit national, comme c’est le cas du code minier. Ces rapports soulignent également comment ces sociétés ont utilisé divers mécanismes pour échapper à leur responsabilité, comme le changement fréquent de leur raison sociale et le transfert constant de capitaux pour éviter les impôts et, enfin, le remaniement de lois en leur faveur.

  • Effets sur les économies des pays.

Pendant les dictatures en Amérique latine, les multinationales ont exercé une forte influence économique. L’exploitation des ressources naturelles a été l’un des principaux moyens par lesquels ces entreprises étrangères ont profité des dictatures et de l’absence de réglementation et de mesures de protection de l’environnement. Ainsi, elles ont procédé à l’extraction massive de minerais, de pétrole et d’autres ressources, sans tenir compte des conséquences pour l’environnement et les communautés locales.

De même, les actions des multinationales ont  contribué au contrôle de l’économie locale, en établissant des contrats et des accords commerciaux défavorables aux pays et à leurs populations, générant une dépendance économique et minant la souveraineté nationale. Cette situation a également favorisé les inégalités sociales, les multinationales réalisant d’énormes profits alors que les communautés locales étaient marginalisées et n’avaient pas accès aux ressources essentielles[11]. Ces entreprises étrangères ont profité de l’absence de réglementation environnementale et de la corruption des régimes autoritaires pour extraire massivement des minerais, du pétrole et d’autres ressources.

Cette exploitation a eu de graves conséquences sur l’environnement : la déforestation, la pollution des rivières et la destruction des écosystèmes. En outre, les communautés locales qui dépendaient de ces ressources ont été contraintes de migrer. Elles ont été marginalisées. Elles ont perdu leurs moyens de subsistance et leur qualité de vie s’est grandement détériorée[12].

  • Capture de l’État

Grâce à leur pouvoir économique et à leur position privilégiée, ces entreprises ont pu influencer les politiques gouvernementales, en veillant à ce que ces politiques favorisent leurs intérêts et protègent leurs investissements. Elles ont fait pression pour la mise en œuvre de lois favorables à leurs activités commerciales, telles que l’assouplissement des réglementations en matière d’environnement et de travail, la privatisation des entreprises d’État et la suppression des barrières commerciales. Elles ont même réussi à modifier et à adapter les constitutions des pays en faveur des politiques néolibérales et du libre marché.

Ce contrôle sur les décisions politiques a eu un effet négatif sur la capacité des pays à promouvoir le bien-être social et économique de leurs citoyen·ne·s, tout en perpétuant les inégalités et en faisant obstacle au développement durable. Ces entreprises ont acquis une influence considérable sur les politiques économiques des régimes autoritaires, favorisant une mainmise des entreprises sur l’État, favorisant ainsi, sans en mesurer les coûts humains et environnementaux, l’ouverture économique, la libéralisation des marchés, et, en fin de compte, leurs intérêts.

Ces entreprises ont réalisé d’énormes profits grâce à leurs activités dans des pays gouvernés par des régimes dictatoriaux, alors que les communautés locales n’avaient pas accès aux ressources et aux services essentiels, que ce soit l’eau potable, l’éducation ou la santé. Cette situation inégalitaire a contribué à la fragmentation et aux tensions sociales qui persistent encore aujourd’hui dans certains pays de la région.

Conséquences de cette alliance officieuse

Parmi les principales conséquences sociales et économiques, citons le déplacement des communautés autochtones et paysannes, les répercussions sur l’environnement et la dégradation des écosystèmes, ainsi que la dépendance économique et l’absence de développement durable. Ces communautés ont été chassées de leurs terres ancestrales pour faire place à des projets de développement menés par des multinationales. La non-reconnaissance des droits de ces communautés et l’imposition de décisions injustes ont conduit à des conflits et à de graves violations des droits de la personne. En outre, ces déplacements ont entraîné la perte de l’identité culturelle et la marginalisation de ces communautés, qui sont privées de leurs moyens de subsistance traditionnels[13]. Il en résulte une plus grande concentration des richesses et un accroissement des inégalités sociales. Les multinationales réalisant d’énormes profits alors que les communautés locales peinent à satisfaire leurs besoins fondamentaux[14].

En outre, ces entreprises ont accordé des prêts à des gouvernements dictatoriaux, en plus d’investir dans les pays dirigés par ces régimes, entre autres formes de financement. Ainsi, elles ont pu maintenir un contrôle sur la région en parasitant les États. En échange de leur soutien financier, les multinationales ont obtenu des concessions et des contrats avantageux, consolidant leur domination des secteurs clés de l’économie. Cette collaboration a miné le développement d’institutions démocratiques et a contribué à la consolidation des régimes répressifs de la région[15].

Elle a également eu des répercussions significatives sur l’environnement et a contribué à la dégradation de l’écosystème. L’exploitation débridée des ressources naturelles, comme l’abattage massif ou l’extraction intensive de minerais, a conduit à la déforestation, à la perte de biodiversité et à la pollution des écosystèmes aquatiques. Ces activités d’extraction irresponsables ont laissé une empreinte environnementale profonde et durable, affectant la qualité de vie des communautés locales et mettant en péril l’équilibre écologique de la région[16].

L’une des conséquences les plus graves de cette situation est peut-être l’instauration d’une culture d’impunité et l’absence d’imputabilité. De nombreux rapports soulignent l’impunité qui entoure ces relations entre les multinationales et les dictatures, avec un manque de responsabilité à la fois pour les entreprises impliquées et pour les fonctionnaires responsables des violations des droits de la personne. Ces dynamiques contribuent à perpétuer un cycle d’injustice, permettent aux mêmes schémas de se répéter continuellement, en plus de favoriser toute une culture de corruption. Ces multinationales s’emparent aussi de l’argent et des contrats publics et s’immiscent dans la prise de mesures législatives. Ils ont aussi progressivement pris le contrôle des médias, qu’ils ont transformés en leur appareil idéologique politique par excellence.

Conclusion

Même si de nombreuses dictatures en Amérique latine ont pris fin il y a plusieurs décennies, les conséquences des alliances entre les multinationales et les régimes autoritaires se font encore sentir dans la région. Les relations officieuses et mutuellement bénéfiques entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine ont engendré une dépendance économique de ces pays à l’égard des investissements étrangers et entravé le développement durable[17].

Les multinationales ont contrôlé l’économie locale, imposant des conditions défavorables aux pays d’accueil et en créant un fossé d’inégalité économique[18]. Cette dépendance a limité la capacité de diversification économique et encouragé l’exploitation des ressources naturelles sans planification à long terme. En conséquence, les pays touchés ont été pris au piège dans un cycle de dépendance économique et d’absence de politiques favorisant un développement durable et équitable[19].

Nombre de ces entreprises continuent d’opérer en Amérique latine, tout en faisant l’objet de poursuites judiciaires et de critiques pour le rôle qu’elles ont joué pendant les périodes de régimes dictatoriaux. Il est urgent de mettre en œuvre des mesures correctives efficaces et de garantir des réparations adéquates aux victimes de violations des droits de la personne commises dans le cadre de ces alliances entre États et multinationales. Il peut s’agir de procédures judiciaires, d’une compensation financière, d’une réhabilitation psychosociale ou de garanties de non-répétition.

Les rapports attirent souvent l’attention sur la nécessité de réformer les lois et les réglementations aux niveaux national et international afin d’empêcher la complicité des entreprises dans les violations des droits de la personne et de garantir la responsabilité des entreprises. Cela peut inclure l’adoption de normes plus strictes en matière d’obligation de diligence raisonnable, la création de mécanismes de surveillance et de responsabilité, et l’application de sanctions en cas de non-respect des règles. En outre, les communautés touchées par l’exploitation et la répression continuent de lutter pour obtenir justice, réparation et protection des droits de la personne et environnementaux.

La mémoire collective de ces événements perdure dans la région, nous rappelant la nécessité d’une plus grande transparence, d’une plus grande responsabilité et d’un plus grand respect des droits de la personne et de l’environnement dans les relations entre les États et les multinationales. La vérité, la justice, la réparation et, surtout, la non-répétition dans ce cas, sont des valeurs essentielles  pour construire une Amérique latine autonome, unie, diverse, digne, en harmonie avec la Pachamama, portant la proclamation des peuples selon laquelle il s’agit d’un grand territoire de paix et de protection de la vie.

CRÉDIT PHOTO: JRAMIREZSFS / pixabay 

[1] Professeur et chercheur universitaire. Maîtrise en science, technologie, société et innovation (IMT). Membre du réseau interuniversitaire pour la paix REDIPAZ y du groupe autonome Kavilando. Éditeur de la revue El Agora USB.

[2] Professeur et chercheur, Université autonome latino-américaine (UNAULA), avocat, Université d’Antioquia, politologue, Université nationale de Colombie, campus de Medellín, spécialiste en culture politique, en pédagogie des droits de la personne, Université autonome latino-américaine (UNAULA), maîtrise en études urbaines régionales de l’Université nationale de Colombie, campus Medellín, doctorant en connaissance et culture d’Amérique Latine, Ipecal (Instituto Pensamiento y Cultura en América Latina, A.C.), co-éditeur des revues Kavilando et Ratio Juris.

[3] Carmen Amelia Coral Guerrero, Silvia Noroña, María Elena Pulgar Salazar, « La Comunidad Andina de Naciones, una apuesta por la innovación y la diversificación comercial en Ecuador », Comillas : Journal of International Relations, 2023, (27), 85-100. Récupéré sur : https://revistas.comillas.edu/index.php/internationalrelations/article/download/19391/18217 (consulté le 11 mai 2024).

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[4] Camillo Robertini, « Fiat en América Latina durante la Guerra Fría. El entramado del poder entre negocios, represión y la construcción del “Peón Latino Fiat” », Confluenze : Rivista di Studi Iberoamericani, 2023.Récupéré sur https://confluenze.unibo.it/article/view/15292 (consulté le 11 mai 2024).

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[5] Alfonso Insuasty Rodriguez & José Fernando Valencia Grajales, « Solos no podemos », Kavilando, 2011, 2(2), 113-115. Récupéré sur https:// nbn-resolving.org/urn :nbn:de :0168-ssoar-429642 (consulté le 11 mai 2024).

 

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[7] José Gabriel Palma & Jonathan Pincus, « América Latina y el Sudeste Asiático. Dos modelos de desarrollo, pero la misma “trampa del ingreso medio”: rentas fáciles crean élites indolentes », El trimestre económico, 2022. Récupéré sur https://www.scielo.org.mx/scielo.php?pid=S2448-718X2022000200613&script=sci_arttext (consulté le 11 mai 2024).

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[8] Lina Patricia Colorado Marin & Juan David Villa Gómez, El papel de las comisiones de la verdad en los procesos de transición: aproximación a un estado de la cuestión. El Ágora USB, 2020, 20(2), 306-331. Récupéré sur https://revistas.usb.edu.co/index.php/Agora/article/view/5146 (consulté le 11 mai 2024).

[9] Élaboré par les auteurs à partir de diverses sources officielles.

[10] Norela Mesa Duque & Alfonso Insuasty Rodríguez, « Criminalidad corporativa y reordenamiento territorial en Urabá (Antioquia, Colombia) », Ratio Juris, UNAULA, 2021, 16(33), 595–622. Récupéré sur https://publicaciones.unaula.edu.co/index.php/ratiojuris/article/view/1243 (consulté le 11 mai 2024).

[11] Andrea Lluch, « Historia empresarial en América Latina: debates, perspectivas y agendas en el siglo XXI », Revista Historia Económica de América Latina. Récupéré sur https://www.audhe.org.uy/publicaciones/index.php/RHEAL/article/view/95 (consulté le 11 mai 2024).

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[18] Ana Luisa Guerrero Guerrero, Op. Cit., note 12.

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Andrea Lluch, Op. Cit., note 11.

Andrés Felipe Jiménez Gaviria, Op. Cit., note 13.

Maristella Svampa & Enrique Viale, Op. Cit., note 16.

 

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