En Montérégie, une mobilisation villageoise inédite / Partie 3

Michel Ménard annonçant à la foule la décision de la CPTAQ de clore de dossier de l’usine, jugé irrecevable en raison de sa non-conformité au règlement de zonage municipal de Havelock. (Adèle Surprenant)
Québec
Société
En Montérégie, une mobilisation villageoise inédite / Partie 3
Analyses
| par Arthur Calonne |

Depuis fin juin, les citoyen.ne.s de Havelock, un village montérégien peuplé d’un peu moins de 750 habitant·e·s, se mobilisent contre l’implantation d’une usine d’asphalte mobile sur le chemin de Covey-Hill, une route étroite réputée et appréciée des cyclotouristes. Appuyé·e·s par leurs voisin·e·s des villages de Hemmingford ou de Franklin, les Havelockois·e·s sont monté·e·s au front pour repousser l’offensive du Groupe Chenail inc., un promoteur bien connu dans la région pour sa forte activité dans la région. Conservé·e·s dans l’ignorance et alerté·e·s seulement par une fuite au début de l’été, ces résident·e·s se sont organisé·e·s dans l’urgence afin d’entamer un combat périlleux contre un projet qu’ils et elles jugent menaçant pour l’environnement, leur qualité de vie, et l’attractivité de la région.

Le 7 novembre 2021, les Havelockois·e·s sont appelés aux urnes à l’occasion d’élections municipales. Pour la première fois depuis son arrivée à la mairie d’Havelock en 2005, Denis Henderson fait face à un concurrent, Stéphane Gingras[1], géographe et environnementaliste, issu de la mobilisation citoyenne contre le projet d’usine d’asphalte du Groupe Chenail.

Après quelques jours de flou et un recomptage, l’opposant du maire sortant remporte la mise sur le fil, avec une avance de moins de dix votes sur celui-ci. La moitié du conseil municipal est en même temps renouvelé à la suite de ce scrutin ayant mobilisé 67,7 % de la population du village[2] ; une participation qui contraste avec la moyenne provinciale de 38,7 %[3].

Pour Pascale Bourguignon, citoyenne engagée contre le projet d’usine d’asphalte, ce changement de garde ne doit rien au hasard. « Je pense que s’il n’y avait pas eu le projet d’usine, on n’en serait pas arrivé là », explique-t-elle, lors d’une rencontre avec l’Esprit libre, à Havelock, le 16 novembre 2021. En face d’elle, Michel Ménard, autre citoyen largement mobilisé, abonde dans le même sens : « Il s’est enfargé avec sa propre corde ! […] C’est ça qui a mené aux résultats de l’élection ».

Les deux résident·e·s du village montérégien ne cachent pas leur joie à la suite de la défaite de M. Henderson. Comme plusieurs autres, il et elle se sont largement mobilisé·e·s au cours de la campagne électorale ; distribuant des tracts afin de faire tomber un maire vivement critiqué depuis juillet et le début de la polémique entourant le projet du Groupe Chenail.

Pascale Bourguignon déclare d’ailleurs avoir découvert que le sort de cette affaire aurait pu être bien différent si la population ne s’était pas mobilisée en urgence. « On a la preuve que le 5 juillet, Henderson devait voter la résolution qui aurait permis à Chenail de s’installer et qu’il s’est retourné quand il a vu la foule devant la Mairie. Ça s’est joué à un jour près. Heureusement qu’on l’a su une semaine précédente ».

L’attitude de M. Henderson vis-à-vis de sa population et sa façon d’interagir avec celle-ci avait maintes fois été décriée ces derniers mois. On a notamment reproché à la Ville de ne jamais avoir mis sur pied de site internet, ce qui a finalement été fait par la nouvelle administration. « On était obligé[·e·]s de se relayer tous les jours pour passer voir s’il y avait des papiers affichés sur la porte de l’hôtel de ville, sinon on n’en avait aucune idée », déplore Pascale Bourguignon.

C’est en tout cas une page que veut tourner le nouveau maire, Stéphane Gingras, qui affirme à l’Esprit libre au mois de mars que l’imputabilité et la transparence sont les deux axes sur lesquels il veut bâtir sa politique municipale : « On publie un bulletin chaque mois ou toutes les décisions du conseil sont imprimées noir sur blanc. On a un nouveau site internet, une page Facebook, etc. ».

Il affirme surtout qu’il lui est cher de rompre avec ce qu’il désigne comme la « culture d’entreprise » en usage à la Mairie d’Havelock : « Plusieurs choses étaient louches dans cette administration, souligne Stéphane Gingras. M. Henderson se baladait avec une carte de crédit de la Municipalité, alors que c’est écrit dans la Loi que le maire n’a pas le droit de dépenser un sou de la Municipalité […] Je pense que ce n’était pas de la malveillance, mais plutôt de la méconnaissance de la loi et des rôles et responsabilités de chacun[·e·]. C’est ça qui est à retravailler au niveau de la Municipalité », confie-t-il.

Dès son arrivée, le successeur de M. Henderson s’est attelé à la tâche d’enrayer définitivement le projet chancelant du groupe Chenail, en faisant voter une modification du règlement de zonage afin de « restreindre les usages au niveau de la carrière », rachetée en février dernier par le groupe Atwill-Morin, une entreprise spécialisée dans la restauration d’immeubles patrimoniaux.[4]

Le Groupe Chenail, de son côté, a déposé un pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure du Québec en septembre dernier afin d’établir la conformité définitive du projet au règlement de zonage de la Municipalité[5].

Il estime être dans son bon droit et ne baisse pas les bras, malgré l’élection d’un nouveau maire sur la base de l’opposition à son projet. Lors d’un entretien avec l’Esprit libre au mois d’avril, Marie-Josée Surprenant, porte-parole du Groupe Chenail, s’est dite surprise et personnellement touchée à la suite du revers accusé fin juillet 2021 et la fermeture du dossier de l’usine par la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) : « C’est moi qui avais monté le dossier de A à Z ».

« On n’a rien à cacher, poursuit-elle. Rien n’a été fait de façon illégale. On a demandé si le zonage était conforme et on nous a répondu que oui […] L’inspectrice était quand même venue voir l’usine. Ils [la Municipalité] ont pris les mesures, etc. ». Mme Surprenant affirme que les nouveaux propriétaires de la carrière sont favorables au projet d’usine et précise que le Groupe Chenail n’est pas « contre » la Municipalité de Havelock : « On demande juste à savoir la vérité dans ce projet-là ».

De son côté, le nouveau maire de Havelock, qui a exercé le métier d’inspecteur municipal dans le passé, affiche un certain optimisme quant à l’issue du processus judiciaire : « M. Chenail amène la Municipalité en Cour supérieure du Québec sur la base qu’il y avait un mémo d’une inspectrice municipale qui lui disait que c’était correct d’aller de l’avant. Sauf qu’[un mémo], ce n’est pas un permis ou quoique ce soit du genre. Ce n’est pas suffisant en Cour. Je ne crois pas que M. Chenail aura l’oreille du juge dans ce dossier-là ».

Chacune sûres de leurs forces, les deux parties demeurent dans l’attente du jugement de la Cour Supérieure du Québec, qui selon Mme Surprenant, n’arrivera sûrement pas avant l’automne. Témoin lointain de cette procédure, la population locale qui s’est mobilisée comme rarement auparavant, devra encore patienter un peu avant de récolter, ou pas, les fruits de son activisme.

Pascale Bourguignon, villageoise engagée contre le projet du groupe Chenail, s’adressant à ses concitoyen·ne·s, le 12 juillet 2021. Michel Ménard, autre figure centrale de la mobilisation, enregistrant l’évènement. (Arthur Calonne)

 

CRÉDIT PHOTO: Arthur Calonne

[1]«  Stéphane Gingras vise la mairie de Havelock », INFOSuroit.com, 1er octobre 2021, https://www.infosuroit.com/stephane-gingras-vise-la-mairie-de-havelock/

[3] Éric-Pierre Champagne, « Le faible taux de participation inquiète Élection Québec », La Presse, 12 novembre 2021, https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2021-11-12/elections-municipales/le-faible-taux-de-participation-inquiete-election-quebec.php

[4] Mario Pitre, « Havelock : Les Carrières Ducharme changent de mains », Journal Saint-François, 2 septembre 2021, https://www.journalsaint-francois.ca/havelock-les-carrieres-ducharme-changent-de-mains/

[5] Mario Pitre, « Havelock: Groupe Chenail veut connaître la conformité de son projet d’usine d'asphalte », Journal Saint-François, 2 septembre 2021, https://www.journalsaint-francois.ca/Havelock-Groupe-Chenail-veut-connaitre-la-conformite-de-son-projet-dusine-dasphalte/

Ajouter un commentaire