Élections françaises : Et si le changement, c’était vraiment maintenant?

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Élections françaises : Et si le changement, c’était vraiment maintenant?
Analyses
| par Emma Nottu |

Au lendemain d’une élection présidentielle mouvementée, avec un résultat qui, pour la plupart, est aussi dérangeant que soulageant, la France devient le parfait modèle pour illustrer les conséquences d’un changement dans les valeurs politiques traditionnelles. Il ne faut pas se voiler la face, la distinction conventionnelle gauche/droite[i] n’est plus d’actualité. Aujourd’hui, il est donc plus que nécessaire de s’interroger sur les raisons qui ont mené vers l’émergence de cette rupture, mais aussi sur les conséquences que peut avoir ce nouvel ordre, dépassant les conceptions traditionnelles de la politique pour s’harmoniser avec une société mondialisée.  

Le dégagisme, et après?

Voilà donc le néologisme, remis au goût du jour par Jean-Luc Mélenchon après la primaire de gauche[ii], qui peut caractériser l’esprit électoral de cette présidentielle. S’il fallait le définir, on dirait qu’il « ne s’agit pas de prendre le pouvoir, mais de déloger celui qui le détient, de vider la place qu’il occupe[iii] ». Il est vrai que le résultat de la primaire de gauche a eu quelque chose de surprenant, ayant laissé un lourd impact sur les présidentielles, puisqu’il traduit l’écrasement du Parti socialiste (PS), qui pourtant régnait à l’Élysée. Or, en janvier, pour les électeurs et électrices socialistes, choisir Benoît Hamon, qui a représenté le parti lors de cette présidentielle, c’était écarter Manuel Valls, ancien premier ministre du gouvernement Hollande duquel il fallait absolument se séparer. En effet, l’ancien député frondeur incarnait des valeurs socialistes auxquelles les électeurs et électrices croyaient. Des valeurs qui ont été bafouées lors du dernier quinquennat, constituant ainsi une grosse déception pour beaucoup de Français·es). Cependant, ce comportement dégagiste a davantage fragilisé le parti, qui avait déjà subi les séquelles douloureuses de son quinquennat. Il était nécessaire de couper les ponts avec ce qui s’était passé dans l’ère de François Hollande, qui, pour Philippe Bilger par exemple, a constitué l’un des plus grands désastres de la Ve République[iv]. Il allait donc de soi pour celles et ceux de l’avis de Bilger qu’il fallait écarter la gauche, en lien direct avec cette vision négative du système, pour ces élections. De plus, malgré la divergence entre les idées de Hamon et de Hollande, le PS a été mis à mal.

Une fois l’un des acteurs éliminés, qui donc restait dans la course? Le choix le plus évident semblait celui du candidat des Républicains formant la droite traditionnelle française. À l’origine, si le parti de gauche était défavorisé, c’était celui de droite qui passait, et inversement. Or, ce dernier a vu sa campagne ternie par ses scandales financiers[v],  ce qui l’a également empêché d’accéder au second tour[vi]. Ainsi, les deux partis traditionnels se sont retrouvés évincés de cette élection par ce qui apparaît être un malheureux concours de circonstances. Ce hasard a joué en faveur des autres candidat·e·s favori·te·s de cette campagne qui se sont vite retrouvé·e·s en tête des sondages sans pourtant suivre le chemin politique ordinaire.

Une issue de secours?

Cette évolution a tout de même conduit un homme quasiment inconnu au bataillon sur la route de l’Élysée. Grâce à des idées ni trop à gauche, ni trop à droite, des talents d’orateurs liés à une formation qualifiée pour ce métier, ainsi que la chance de s’être retrouvé au bon endroit au bon moment, Emmanuel Macron est devenu président. Et ce, à peine un an après avoir lancé son mouvement En Marche![vii]

À l’opposé, le parti d’extrême droite, dirigé par Marine Le Pen, a connu son meilleur score aux élections présidentielles. Il est intéressant de noter que la montée du populisme est un phénomène présent dans plusieurs pays en Europe[viii], comme l’ont notamment montré les élections aux Pays-Bas[ix]. Le contexte européen actuel joue un rôle clé dans cette évolution politique. Beaucoup de pays ne croient plus en l’Union Européenne (UE) et à son pouvoir d’unité, et ce, surtout depuis la crise grecque[x] dont les lourdes conséquences se font encore sentir au sein de l’Union. Ce contexte a même conduit le Royaume-Uni vers la porte de sortie de l’Europe[xi]. Mais la politique n’est pas la seule responsable de cette déviation.

À notre époque, la mondialisation est omniprésente. Et l’Europe qui, après la guerre, a tenté de s’unir pour devenir une puissance pouvant concurrencer le reste du monde, peine à s’adapter à ce contexte. De plus, l’Euro, monnaie utilisée par la plupart des pays de l’UE, coûte beaucoup à ses pays membres, surtout depuis la crise. L’intérêt de la monnaie unique tend alors à s’effacer peu à peu. Alors, le doute s’installe, autant chez les politicien·ne·s que chez les citoyen·ne·s. La population ne sait plus si elle a réellement son mot à dire et ne se reconnait plus dans ses représentant·e·s politiques. C’est de là que vient la popularité du dégagisme. N’adhérant plus à ces valeurs traditionnelles, les électeurs et électrices se sont tourné·e·s vers quelque chose de nouveau, un message porteur d’espoir pour les élections françaises.

Il est difficile de faire une comparaison avec les différents pays européens pour cet aspect de la problématique, puisque chacun d’entre eux entretient un rapport unique vis-à-vis de l’UE, et que chacun a ses raisons de faire les choix qu’il fait.

Et ailleurs?

Ce phénomène n’est pas propre à l’Europe. La mondialisation apparaît comme une des causes primaires probables de ce changement. Ensuite, c'est le rapport de chaque pays face à ce phénomène économique et culturel qui a une réelle influence. Certains vont accueillir les différents flux de biens et de personnes à bras ouverts pendant une période de temps, ce qui ensuite entraînera des conséquences imprévisibles : par exemple, des divisions ethniques favorisant certains groupes au détriment des autres. Ces conséquences vont par la suite guider les politiques, ce qui peut mener à des tendances plus ou moins isolationnistes. Prenons comme exemple l’élection de Donald Trump, aux États-Unis. Malgré la couverture médiatique positive des deux mandats de Barack Obama et l’opinion publique favorable à la candidate démocrate Hillary Clinton, le candidat du parti d’opposition, qui, il faut dire, sortait lui aussi des sentiers battus, s’est retrouvé contre toute attente à la tête du pays[xii]. Cette élection peut être considérée comme une réaction contre l’afflux de migrant·e·s venant des pays du Moyen-Orient, pays connus pour abriter des minorités d’islamistes radicaux, responsables des attaques terroristes du tristement célèbre 11 septembre, ainsi que les organisations terroristes de l’État Islamique, ayant recruté les terroristes qui ont agi un peu partout en Europe ces dernières années. Si l’on continue dans cette réflexion, la peur est donc créée par association d’idée.  Afin de mettre cette idée en perspective, il est important de rappeler que « pour Marine Le Pen, présidente et candidate à la présidence française du Front national, la crise des migrant[·e·]s est un argument de plus pour amorcer à son tour la sortie de la France de l’Union européenne[xiii] ». De fait, la campagne de Donald Trump était axée en grande partie sur l’islamophobie. Dans le même ordre d’idées, l’élection de la chef du Front National (FN) était à craindre, puisque les récentes attaques ayant eu lieu en France auraient pu donner lieu à de lourdes tendances isolationnistes, voire xénophobes.

Cela serait donc une inclination à s’éloigner de ce que l’on craint. Faut-il donc conclure qu’à l’heure actuelle, le peuple est guidé par ce dont il a peur? Peut-être préfère-t-on le confort, plutôt que d’aller vers ce que l’on connaît mal. Élire Emmanuel Macron en France, c’était élire quelqu’un qui restait dans la continuité de Hollande, mais qui s’en distancie suffisamment pour gagner la confiance de ses électeurs et électrices, et qu’elles et ils puissent avoir le sentiment de sécurité nécessaire.

Mais encore, la question de la pertinence de la distinction gauche/droite à notre époque est importante à poser. En effet, cette distinction est née avec la Révolution française[xiv], qui a inspiré les changements politiques dans d’autres pays européens à cette époque. Cette révolution a ensuite mené à différentes interprétations du libéralisme, selon les contextes des différents pays. Or, cette doctrine ne peut plus tenir dans le contexte actuel de mondialisation, puisque cette distinction est avant tout historique, et moins idéologique[xv]. Cela ouvre donc la voie aux partis contestataires, tel le FN de Jean-Marie Le Pen, dont la fille a pris les rennes, puisque ses idées entrent dans une certaine mesure en conflit avec l’opposition binaire historique[xvi]. Il devient donc indispensable de refonder les principes du vivre-ensemble, pour empêcher le peuple de tomber dans une telle dérive idéologique.

À la source des histoires

Même s’il existe une relation entre les tendances électorales et les différents types d'électeurs et électrices, il est tout de même nécessaire que l’électorat ait une image claire de ses possibles choix de vote. Pour ce faire, lire les programmes est essentiel, mais les médias jouent aussi un rôle stratégique, parfois plus important que les acteurs et actrices politiques. Cependant, il est difficile de comprendre le rôle des réseaux d’informations dans l’élection française, puisque malgré la forte inclination à la diabolisation de la candidate du FN, cette dernière est parvenue à accéder au second tour. La peur serait-elle donc plus forte que l’opinion publique?

Pour finir, on peut considérer la plus récente présidentielle française comme marquant une rupture avec les distinctions conventionnelles, pour s’en aller vers quelque chose reflétant la société telle qu’elle est à l’heure actuelle. Elle implique avant tout une forte victoire contre le populisme, ce qui vient redonner de l’espoir à l’UE, encore affaiblie par le Brexit. Beaucoup de pays se retrouveront confrontés aux mêmes difficultés. Ça sera par exemple le cas de l’Allemagne, lors des élections de cet automne, pour lesquelles l’ombre du populisme est également présente. La population aura également le choix entre la continuité ou un renouveau radical. Chose certaine, une page importante de l’histoire est en train de se tourner.

 

Aussi dans ce dossier sur les élections françaises 2017 :

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CRÉDIT PHOTO: vfutscher

[i]               http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2014/04/11/31001-20140411ARTFIG0024..., consulté le 2017/04/29.

[ii]              http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/01/30/qu-est-ce-que-le-..., consulté le 2017/04/29.

[iii]             Ibid.

[iv]             http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/09/05/31001-20160905ARTFIG0009..., consulté le 2017/05/18.

[v]              À la fin du mois de janvier, un journal satirique français révélait que la femme de François Fillon, candidat à la présidentielle pour les Républicains, avait été rémunérée depuis une dizaine d’année pour un emploi supposément fictif, à hauteur de 500 000 euros. Plus d’informations ici :  http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/04/12/tout-comprendre-a..., consulté le 2017/05/18.

[vi]             Dans le système français, les élections se font en deux tours. Le premier oppose tous les candidats en lice, et seuls les deux ayant le score le plus élevé accèdent au second tour (à moins que l’un d’entre eux n’obtienne une majorité absolue, c’est à dire 50% des voies plus une).

[vii]            https://en-marche.fr/, consulté le 2017/05/18.

[viii]           https://www.lesechos.fr/06/02/2017/lesechos.fr/0211778077342_le-populism..., consultée le 2017/06/20.

[ix]             http://www.telegraph.co.uk/news/2017/03/16/won-dutch-election-does-mean-..., consulté le 2017/05/19.

[x]              Ayant débuté suite à la crise financière mondiale de 2008, la crise Grecque, a plongé le pays dans des dettes énormes. Le gouvernement a répondu en imposant des mesures d’austérité, ce qui a eu un impact sur tous les pays membres de l’UE. Plus d’infos ici : http://www.lemonde.fr/europe/video/2015/09/23/comprendre-la-crise-grecqu..., consulté le 2017/05/24.

[xi]             En juin 2016, le Royaume-Uni a organisé un referendum pour savoir si ses ressortissants désiraient sortir de l’Union Européenne. Le “oui” l’a emporté à 51,9%. Plus d’informations ici : http://www.bbc.com/news/uk-politics-32810887, consulté le 2017/05/21.

[xii]            Défiant tous les sondages, Donald Trump est élu 45e président des États-Unis le 9 novembre 2016. Plus d’informations ici : https://www.theguardian.com/us-news/2016/nov/09/donald-trump-wins-us-ele..., consulté le 2017/05/21.

[xiii]           http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/special/2017/03/extreme-droite/euro..., consulté ;le 2017/06/20.

[xiv]           « La gauche et la droite n’ont d’existence que par rapport au phénomène révolutionnaire » affirme François Huguenin. Plus d’explications ici :  http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2014/04/11/31001-20140411ARTFIG0024..., consulté le 2017/04/29.

[xv]            Ibid.

[xvi]           Ibid. 

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