Après le baby-boom, vient le géronto-boom

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Après le baby-boom, vient le géronto-boom
Opinions
| par Rémi Grenier |

Tout d’abord, qu’est-ce que le géronto-boom ?

En décortiquant ce terme, nous trouvons le préfix « géronto » qui renvoie au vieillissement. Le mot « boom » quant à lui fait référence à un événement d’augmentation de courte durée. Dans le cas de notre terme, il agit considérablement sur la répartition de la population. En bref, le terme géronto-boom nous amène à décrire une forte augmentation démographique de la population des personnes âgées dans notre société. Pour rappel, nous vivons actuellement le vieillissement de population de la génération du baby-boom qui touche la tranche d’âge des 65 ans et plus. Donc, des gérontos-booms apparaissent dans plusieurs pays. Toutefois, les conséquences de cette situation ne sont pas universelles. En bref, nous ne subissons pas tous de la même manière les conséquences d’un géronto-boom en fonction de plusieurs facteurs. Par exemple, la solidité du système de santé ou les politiques pour les personnes âgées seraient des facteurs exerçant une grande influence sur les conséquences du géronto-boom.

 

Quelles sont les conséquences de ce géronto-boom ?

Il est important de comprendre que ce boom ne concerne pas seulement les personnes âgées, mais toute la population ainsi qu’une grande partie des institutions gouvernementales. En effet, qui dit population vieillissante dit aussi augmentation de la perte d’autonomie[1] de cette population donc, augmentation des demandes de soins liée à cette perte d’autonomie ou de problèmes de santé plus généraux qui apparaissent avec l’âge. Par conséquent, un phénomène de fragilisation du système de santé peut se faire sentir en fonction des situations du pays. Il a aussi été observé « que partout en occident, diverses formules de résidences adaptées se sont développées au cours des dernières décennies »[2] pour se prémunir contre ces phénomènes.

La fragilisation du système de santé n’est pas la seule conséquence de ce boom. En effet, on voit aussi naître une instabilité économique étant donné que cette partie de la population prend sa retraite et donc, laisse un gros déficit de main-d’œuvre disponible, et ce, dans tous les domaines, autant privé que public. Si nous prenons le Québec pour exemple, «les jeunes diplômés ne seront pas assez nombreux pour occuper les postes laissés vacants par les baby-boomers, de telle sorte qu’ils n’occuperont que 54 % des postes à pourvoir »[3] et donc, une restructuration de l’économie ou la fermeture définitive de certains postes, services et entreprises dans le pire des cas semble inévitable. Le géronto-boom remet en question aussi plusieurs politiques gouvernementales, notamment l’âge de départ à la retraite, l’augmentation des aides financières aux personnes âgées, mais également les politiques sociales. Effectivement, l’âge de départ à la retraite est un sujet qui s’inscrit de plus en plus dans l’agenda politique des pays à travers le monde à cause de la pénurie de main-d’œuvre laissée par le géronto-boom. Plusieurs politiciens et politiciennes espèrent qu’en diminuant l’âge éligible la retraite aiderait à la rétention du personnel et donc atténuerait les effets de la pénurie de main-d’œuvre.    

De plus, ce type de réforme aurait pour objectif que les personnes contribuant à des régimes de retraite continuent d’y participer sur une plus longue période. D’autant plus que la cotisation au régime de retraite permet d’assurer une retraite décente à toute la population. Cependant, les cotisations subissent une certaine irrégularité due aux politiques ou aux changements démographiques, ce qui met en péril certaines retraites. Effectivement, « les évolutions démographiques [tels que le baby-boom] ont un impact […], modifiant ainsi la situation financière des régimes »[4] et implique « une nécessaire adaptation des paramètres du système de retraite, notamment un allongement de la durée de cotisation »[5].

Donc, comme nous pouvons le constater avec le graphique sur le ratio de dépendance démographique, bien que les baby-boomers aient contribué pendant des années à un équilibre des régimes de retraite, le géronto-boom accentue le ratio de dépendance démographique pour la génération des baby-boomers. Il est important de mentionner que plus le ratio est élevé, plus une pression sur les travailleurs actifs qui soutiennent les personnes dépendantes (les jeunes enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées) se fait sentir. Ce qui a des impacts sur la sécurité financière à long terme des systèmes de sécurité sociale et des régimes de retraite, ainsi que pour l’ensemble de l’économie. Il est donc possible que les générations de travailleurs et travailleuses actives d’aujourd’hui doivent payer pour la retraite des baby-boomers ou entreprendre une réforme des politiques sur la retraite. Dans les deux cas, ces options ne font pas l’unanimité et suscitent la polémique.

De plus, il faudrait revoir certaines politiques sociales. En effet, les personnes âgées subissent des oppressions à cause de l’âgisme. Pour rappel, l’âgisme est une forme de discrimination basée sur l’âge et touche les personnes âgées notamment par de la maltraitance, de l’abus, du paternalisme, des abus économiques, sexuels, psychologiques, des bafouements des droits et bien d’autres. Étant donné ce boom et le manque de main-d’œuvre au Québec, on constate de plus en plus d’abus et de maltraitance[6]. Bien qu’il y ait déjà plusieurs politiques pour prévenir les violences et abus envers les personnes âgées, il semblerait qu’une restructuration soit nécessaire dans le contexte actuel.

Il est aussi intéressant de constater que le Québec se place dans une situation particulière en matière de vieillissement. En effet, « à la fin des années 70 et au début des années 80, le Québec connaîtra l’un des vieillissements les plus rapides et deviendra dans quarante ans l’une des deux ou trois populations les plus vieilles au monde »[7] et « les 75 ans et plus enregistreront un bond de 102,3 % entre 1981 et l’an 2001, alors que la population du Québec marquera une hausse de 9,7 % pour la même période »[8].

En résumé, les conséquences de ce géronto-boom impactent considérablement nos sociétés sur quasiment tous les aspects de notre vie. De plus, il entraîne de multiples crises comme on peut déjà l'observer au Québec avec la crise de la qualité et de l’accessibilité au réseau de santé et celle de la pénurie de main-d’œuvre. C’est pourquoi il nous faut trouver des solutions à ces problèmes.   

 

Quelles sont nos solutions ?

Il y aurait l’hypothèse d’effectuer un virage dans les méthodes de soins actuelles.      

Pour bien saisir la notion de virage, il faut comprendre qu’au travers des années, le gouvernement du Québec a beaucoup misé sur des soins de type hébergement. Par exemple, en investissant grandement dans la construction de centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Bien entendu, les gouvernements de l’époque n’avaient pas anticipé que la demande pour ces types de soins exploserait avec le géronto-boom et que la facture de ces politiques misant sur l’hébergement collectif au détriment des autres types de soins s'avérerait beaucoup plus coûteuse que prévu. Ce qui a créé la crise dans notre réseau de santé québécois de ces dernières années et des prochaines décennies. Par autre type de soins, on entend le maintien ou le soutien à domicile.

En effet, bien que ces autres types de soins aient toujours été présents, l’offre et les structures la facilitant ont rarement été suffisantes par rapport à la demande toujours grandissante. Nous pourrions considérer le soutien à domicile comme étant une bonne alternative puisque nous cherchons à éviter ainsi qu’à diminuer la surcharge du système de santé. De plus, le maintien à domicile aurait de grands avantages pour les individus, car ces derniers demeurent dans leur milieu de vie et qu'il est ainsi plus facile pour eux de conserver une vie sociale comparativement à la vie en résidence. Dans cette même visée, en adoptant des politiques telle qu’une meilleure reconnaissance du statut de proche aidant, nous pourrions libérer des lits en hébergement collectif et en quelque sorte résorber en partie le problème de main-d’œuvre dans le système de santé.

Toutefois, pour permettre un système de proche aidance réellement efficace il faudrait revoir beaucoup d’éléments de notre vie quotidienne. Notamment de revoir l’organisation du travail pour permettre aux personnes proches aidantes une plus grande flexibilité dans les horaires, mais aussi de revoir notre rapport aux personnes âgées. Comme il a été expliqué plus haut, les personnes âgées sont victimes de plusieurs préjugés et suscitent un désintéressement politique, voire social, causé par l’âgisme. Ce qui rend difficile le soulignement des problématiques entourant nos aînés. En reconnaissant l’âgisme et en changeant la façon dont nous interagissons avec les 65 ans et plus, nous pourrions établir des politiques adaptées tout en régulant le mieux possible les conséquences du géronto-boom, d’autant plus qu’un jour ces politiques vont s’appliquer à nous également lorsque nous atteindrons la tranche d'âge des 65 ans et plus. Il est aussi important de se rappeler qu’un géronto-boom peut survenir au fil des années. Bien entendu, cette solution n’est pas sans faille puisque ce ne sont pas toutes les personnes en perte d’autonomie qui ont un entourage ayant les capacités de leur offrir la proche aidance. C’est pourquoi nous devons aussi miser sur le maintenant à domicile offert par le gouvernement pour être certain que personne ne soit laissé derrière. Il ne s’agit pas non plus de complètement délaisser les hébergements collectifs pour le maintien à domicile, car certains cas médicaux graves imposent l’hébergement en raison des équipements médicaux et des soins particuliers que réclame leur état.

Toutefois, un virage s’impose dans la mesure où les hébergements collectifs sont devenus trop coûteux pour les gouvernements et que l’on pourrait grandement alléger le système de santé en favorisant le maintien à domicile ou soins à domicile pour des cas plus légers.

Ce virage pourrait aussi aborder d’autres problématiques sociales telles que le rapport à la mort, à l’aide médicale à mourir ou aux soins palliatifs. Attention, il est important de distinguer ces deux termes. L’aide médicale à mourir est une option légale qui permet de demander à un professionnel de la santé de mettre fin à sa vie de manière médicale. De leur côté, les soins palliatifs visent à améliorer la qualité de vie des patients en fournissant un soulagement de la douleur et d’autres symptômes liés à la maladie, ainsi qu’un soutien émotionnel et spirituel.

En effet, après le géronto-boom, vient immanquablement la surmortalité. Nous pourrions décrire la surmortalité comme étant l’augmentation de décès de façon considérable dans une période précise, en bref, un mortalité-boom. Toutefois, en quoi parler de mortalité et de soins palliatifs est-il pertinent dans un contexte de géronto-boom ? Et bien, la réponse est simple, considérant le manque de main-d’œuvre et l’alourdissement du réseau de santé, revoir certaines politiques concernant l’aide médicale à mourir, mais aussi le tabou sur la mort, semble nécessaire. En effet, la mort est tellement taboue que « les professionnels de la santé [tels que les oncologues] ne discutent pas toujours de la mort ou des soins palliatifs avec les personnes […] avant […] qu’il n’y ait plus de possibilité de guérison. Il a cependant été démontré que l’accès anticipé aux soins palliatifs et le deuil anticipatoire peuvent améliorer la qualité de vie en fin de vie, et même que plusieurs patients voudraient discuter de ces sujets »[9].

Ce tabou entraîne immanquablement une méconnaissance des soins palliatifs et donc un refus d’y avoir recours. En effet, « les intervenants du palliatif évoquent quasiment tous le "déni psychique de la mort" qui frappe notre société. N’étant plus « préparée socialement », sa survenue met les individus en difficulté : "déni", "deuil pathologique" »[10] et plus encore. Cependant, cette méconnaissance et cette peur alourdissent un système de santé déjà faible et parfois peuvent même mener à de l’acharnement thérapeutique. Au-delà du tabou et de la méconnaissance, il y a également un problème d’accessibilité. En effet, dans plusieurs pays, l’accessibilité à l’aide médicale à mourir reste difficile pour des raisons juridiques, politiques et religieuses. Toutefois, contrairement à l’âgisme et au tabou sur la mort, le gouvernement peut plus facilement agir en assouplissant certaines lois ou certains règlements entourant l’aide médicale à mourir.

C’est pourquoi les conséquences démographiques[11], sociales, politiques et économiques du géronto-boom deviendront probablement un des enjeux les plus importants dans nos sociétés pour les prochaines décennies.    

 

CRÉDIT PHOTO: / Flickr 

[1] La perte d’autonomie se définit comme étant l'incapacité d’accomplir des tâches quotidiennes par soi-même.

[2] Reindeau, Yvon. « La qualité des soins offerts aux personnes âgées en CHSLD. L’opinion des préposé(e)s aux bénéficiares », Université du Québec à Montréal, Montréal, 2006, p. 2. Récupéré sur : https://archipel.uqam.ca/2100/1/M9214.pdf (consulté le 15 mars 2023)

[3] Homsy, Mia. « Pénurie de main-d’œuvre au Québec : faut-il blâmer la PCRE ? », Gestion, vol. 46, no. 4, 2021. Récupéré sur : https://www.cairn.info/revue-gestion-2021-4-page-14.htm?casa_token=4sGgdfri5JoAAAAA:HuPwZo-ZBmzgE4pDJXncfFMiyNhKISSVt6UfUqXDXLLkvtM_9PYGuf9ovVr2zlYCkkD4QcKbTA (consulté le 15 mars 2023)

[4] Fall, Falilou, et Nicolas Ferrari. « Perspectives d'évolution des dépenses de retraite et rôle d'un fonds de réserve », Économie & prévision, vol. 187, no. 1, 2009, p. 64. Récupéré sur :  https://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-1-2009-1-page-163.htm (consulté le 15 mars 2023)

[5] Ibid., p. 67.

[6] Rouiller, Murielle (2022). De la maltraitance à la bientraitance envers les personnes âgées : analyse thématique de la pratique infirmière en établissements de soins infirmiers. Mémoire. Gatineau, Université du Québec en Outaouais, Département des sciences infirmières, p. 3. Récupéré sur :  https://di.uqo.ca/id/eprint/1431/1/Rouiller_Murielle_2022_memoire.pdf (consulté le 15 mars 2023)

[7] Roy, Jacques. « L’histoire du maintien à domicile ou les nouveaux apôtres de l’État », Service social, vol. 43, no 1,1994, p. 12. Récupéré sur : https://www.erudit.org/en/journals/ss/1994-v43-n1-ss3515/706640ar.pdf  (consulté le 15 mars 2023)

[8] Ibid., p.12.

[9] Lamothe, Kelly. « Discuter de la mort et des soins palliatifs en oncologie–expériences de personnes ayant eu un cancer et de professionnels de la santé », Diss. Laurentian University of Sudbury, 2020, p. 3. Récupéré sur : https://zone.biblio.laurentian.ca/bitstream/10219/3576/3/lamothe_kelly_mss.pdf (consulté le 15 mars 2023)

[10] Launay, Pauline. « Du “tabou de la mort” à l’accompagnement de fin de vie. La mise en scène du mourir dans une Unité de Soins Palliatifs française », Anthropologie & Santé. Revue internationale francophone d'anthropologie de la santé, 2016. Récupéré sur : https://journals.openedition.org/anthropologiesante/2094 (consulté le 15 mars 2023)

[11] Gouvernement du Canada, « Estimations démographiques annuelles : Canada, provinces et territoires, 2022 », Statistique Canada, No 91-215-X au catalogue ISSN 1911-2416, 2022, 71 pages. Récupéré sur : https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/91-215-x/91-215-x2022001-fra.pdf?st=nr4PpISW (consulté le 15 mars 2023)

 

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