L’arbre : outil inespéré des villes face aux changements climatiques

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Environnement
Québec
L’arbre : outil inespéré des villes face aux changements climatiques
Analyses
| par Félix Beauchemin |

Alors que des vagues de chaleur touchent sévèrement des habitant‧e‧s de l’Ouest canadien et étatsunien, les villes du monde entier effectuent un exercice d’introspection sur leur rôle dans la lutte au réchauffement climatique. Un moyen naturel, pouvant être pris pour acquis, semble prendre la défense de cette chaleur insoutenable : l’arbre.

 

Le bilan humain causé par les vagues de chaleur au Québec entre 2015 et 2020 grimpe à 166 décès, un constat illustré par une enquête choquante publiée le 10 juillet 2021 par le Journal de Montréal[i]. Parmi ceux-ci, ce serait près de la moitié (52%) qui avaient des conditions de santé les mettant à risque, notamment des troubles mentaux, des maladies cardiaques ou pulmonaires, et des dépendances à des substances psychotropes. Pourtant, c’est la vague de chaleur de 2018 qui a causé le plus de décès, soit 125 personnes. Ces conséquences humaines sont visibles partout dans le monde : Entre 2000 et 2018, le journal médical Lancet déclarait que les mortalités des personnes de plus de 65 ans liées aux chaleurs extrêmes avaient atteint un total de 296 000 dans le monde, soit une augmentation de 54% par rapport aux années précédentes[ii]. Mélanie Beaudoin,  conseillère scientifique et coordonnatrice de l’équipe en changements climatiques à l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ) y voit aussi un danger dans le futur : « On pourrait facilement dire que les journées de très forte chaleur, donc de plus de 30ºC, pour Montréal, soient 4 fois le nombre qu’on a actuellement ». Ces chiffres, basés sur une étude de l’organisme Ouranos, confirment bel et bien que les journées de plus de 30ºC à Montréal passeront de 10,4 aujourd’hui à 41,9 en 2041, et ce, considérant une augmentation des émissions globales coordonnées à la hausse de la population. [iii].

 

Le rôle des villes

Voyant ces situations alarmantes se reproduire plus fréquemment, les villes du monde entier commencent à réfléchir à leur propre impact sur le réchauffement climatique, mais également aux manières de s’adapter à ses augmentations de température. Montréal, quant à elle, mise sur le Plan climat 2020-2030, une initiative qui comporte, entre autres, l’objectif de planter 500 000 arbres sur le territoire montréalais d’ici 2030[iv].

Laurence Lavigne Lalonde, élue dans Mercier-Hochelaga-Maisonneuve et responsable au comité exécutif de la transition écologique, de l’agriculture urbaine et de l’Espace pour la Vie, précise que « cet objectif-là, de 500 000 arbres, on ne l’a pas mis pour répondre à [la réduction directe de CO2 qu’offre les arbres], […] mais plutôt comme un objectif d’adaptation aux changements climatiques » notamment puisque « même si on réduit nos émissions de GES, les changements sont déjà là ». Les canicules qui deviennent de plus en plus fréquentes, ou encore les inondations dans plusieurs régions du Québec en sont des exemples concrets.

 

L’adaptation avant la lutte

Comme le mentionne Mme Lavigne Lalonde, la plantation d’arbres se veut avant tout un moyen de s’adapter aux conséquences des changements climatiques.

Parmi ces conséquences importantes, on trouve le phénomène des ilots de chaleur, soit « la différence de température entre un milieu urbain et un milieu rural », voire même entre deux milieux urbains à proximité, tel que l’explique Nilson Zepeda, coordonnateur de la campagne ILEAU au Conseil général de l’environnement de Montréal. « Les différences de température entre un ilot de chaleur et un ilot de fraicheur peuvent aller entre 7 à 10 degrés. C’est quand même considérable » ajoute-t-il. La campagne ILEAU, ou Interventions Locales en Environnement et Aménagement Urbain, cherche avant tout à la réduction des ilots de chaleur dans une perspective d’adaptation aux changements climatiques.

Mélanie Beaudoin de l’INSPQ perçoit également les ilots de chaleur comme un problème important de santé publique, entre autres puisque « la majeure partie des décès qu’on peut constater lors de périodes de canicules, ou hospitalisations, ce sont des gens qui habitent dans des ilots de chaleur, donc des endroits où la végétation est complètement inexistante ». Elle réitère du même coup l’importance de l’arbre dans la lutte à ses ilots, celle-ci auto-citant une phrase qu’elle aime bien répéter : « Les arbres qu’on plante maintenant, ça va être les climatiseurs de demain ».

 

L’arbre en ville : à quoi ça sert au fond?

En réponse à la question « à quoi ça sert l’arbre en milieu urbain », Nilson Zepeda, grand passionné de la plantation urbaine, s’est vu donner la tâche difficile de résumer son champ d’expertise en quelques minutes. « Ça permet d’améliorer la résilience urbaine face aux changements climatiques parce que ça crée une canopée qui protège le territoire contre les effets d’une chaleur qui est très intense » explique-t-il. Plus globalement, « les arbres, ça permet d’améliorer plusieurs bilans : la pollution atmosphérique, la qualité de l’air, le bruit, le bilan de lutte contre les ilots de chaleur en soit, capturer le carbone ».  Ces affirmations sont d’ailleurs corrélées avec des résultats de plusieurs études sur le sujet. Entre autres, la revue Environnemental Pollution prédisait qu’en date de 2010, la présence d’arbres aux États-Unis avait retiré près de 17,4 millions de tonnes de matières polluantes, permettant de sauver près 6,8 milliards $US en dépenses de santé publique[v]. Il en va de même pour une étude du département de l’Énergie étatsunien, qui concluait que la présence d’arbres en milieu urbain pouvait couper approximativement 50% du bruit ambiant à l’oreille humaine[vi].

Kathleen Dumont, architecte paysagiste et chargée de projets à la Soverdi, organisme dédié à la plantation d’arbres en milieu urbain, explique quant à elle l’avantage d’une canopée imposante : « L’arbre va créer un couvert, donc ça va faire en sorte que le rayon du soleil ne va pas se rendre à l’asphalte. L’asphalte va capter l’énergie du soleil, et va le rediffuser durant toute la nuit. Ça ne crée pas de temps de répit et de repos pour la fraicheur. »

Les organismes ILEAU et Soverdi travaillent également à éviter la minéralisation des villes, ces espaces asphaltés et sans végétation qui deviennent de véritables pièges à chaleur. Parmi ces zones, plusieurs stationnements, et même des cours d’école.

« La température naturelle de la végétation, ça permet d’atténuer l’effet de la chaleur sur les gens, mentionne Nilson Zepeda. Si vous passez d’une rue fortement minéralisée à une rue plus verte, avec beaucoup d’arbres, on voit immédiatement l’effet, non seulement au niveau de la température, mais aussi au niveau de la fraicheur et de l’humidité. »

Pourtant, bien au-delà des avantages sur la réduction des chaleurs par la canopée urbaine, les arbres possèdent des bénéfices qui vont bien au-delà des changements climatiques : diminution du bruit, augmentation des valeurs immobilières, réduction des couts en climatisation, des conditions de marche favorables, la création d’un sentiment de sécurité et même un abaissement des taux de criminalité, tel que l’explique Nilson Zepeda. Dans cette longue liste d’effets bénéfiques, M. Zepeda rappelle également que les arbres et végétaux près des berges créent une « éponge » et réduisent les effets des inondations.

 

Une collaboration étroite entre municipalités et organismes

« Ah c’est génial ! », « absolument ! » répondent en cœur Jessyca Farrugia, responsable des communications à la Soverdi et Kathleen Dumont, en réponse à la question concernant leur appréciation des liens entre la ville de Montréal et les organismes de verdissement comme la leur. Un partenariat qu’ils qualifient même « d’unique ».

Afin d’arriver à leurs objectifs, tels les 300 000 arbres pour 2025 dans le cadre de leur Plan d’Action 2012-2021 (la date butoir ayant été repoussé), en plus des 500 000 arbres du Plan Climat 2020-2030 tel que susmentionné, la Ville de Montréal utilise un plan de plantation en deux volets. En premier lieu, la ville, ayant contrôle sur ses espaces publics, tels les rues et les parcs, plantera la moitié de l’effectif arboricole à ces endroits. En deuxième lieu, elle accorde des subventions, à hauteur de 2,9 millions $, à des organismes par le biais de l’Alliance Forêt Urbaine, un regroupement de 50 organismes sous la supervision de la Soverdi[vii].  « C’est unique comme façon de travailler. [La ville] octroie un budget en fonction du nombre d’arbres qui vont être plantés et nous laisse complètement libres d’utiliser ce budget » expliquent les deux membres de la Soverdi, « c’est gagnant-gagnant! ». Ceux-ci sont donc responsables des plantations en milieu privé, industriel et institutionnel, zones où la ville n’a pas préséance. « On a discuté en Belgique, en France, on a aussi discuté avec la ville de Québec. Il y a plusieurs endroits qui ont été assez surpris de savoir comment fonctionne cette alliance » mentionnent Kathleen Dumont et Jessyca Farrugia.

 

La canopée, une histoire de classes sociales

« Dans les quartiers plus vulnérables au niveau socioéconomique, malheureusement, on constate que c’est des endroits où, au fil du temps, il y a moins d’investissements en termes d’infrastructure », explique la conseillère municipale Laurence Lavigne Lalonde, « mais aussi des endroits où il y a moins de canopée ». Celle-ci réitère donc l’intérêt de la ville à faire une transition à fois climatique et socioécologique.

Mélanie Beaudoin n’y voit rien d’autre qu’une « inégalité sociale de santé ».

« Ce sont des gens qui ont généralement plus d’ennuis de santé, donc les populations qui sont les plus vulnérables à la chaleur, ce sont les personnes les plus âgées, ce sont les personnes qui ont déjà des problèmes de maladies chroniques. La chaleur va venir exacerber les symptômes qu’ils ont en temps de canicule. »

Selon M. Zepeda, « la majorité des quartiers défavorisés à Montréal, quand on pense aux terrains qui sont disponibles pour les logements sociaux, se situent proche des grands ilots de chaleur. » À ça vient se rajouter l'éco-embourgeoisement, phénomène qui amène les populations plus démunies à se déplacer vers des quartiers plus minéralisés en raison de la hausse des valeurs immobilières des quartiers nouvellement végétalisés[viii]. Quoique peu étudié encore, ceci pourrait devenir un enjeu social important dans les années à venir.

 

***

 

Bien que la plantation d’arbres en milieu urbain ait été prouvée efficace dans la lutte aux changements climatiques et ne comporte que très peu d’insatisfaction au sein de la population, Nilson Zepeda signale toutefois qu’il ne faut pas oublier les autres moyens de s’adapter aux changements climatiques dans les villes : « tout est absolument relié », faisant référence aux autres projets d’urbanisme comme les ruelles vertes et les toits végétalisés. En d’autres termes, « tout projet du 21e siècle doit comporter une vision architecturale qui tient compte de la résilience climatique ».

crédit photo : flickr/napafloma-photographe

 


[i] Annabelle Blais, Charles Mathieu, Nicolas Lachance et Élizabeth Ménard, « La chaleur a coûté la vie à des dizaines de Québécois », Le Journal de Montréal, 10 juillet 2021. https://www.journaldemontreal.com/2021/07/10/la-chaleur-a-coute-la-vie-a-des-dizaines-de-quebecois.

[ii] The Lancet Countdown, « The 2020 Report », 2020,  https://www.lancetcountdown.org/2020-report/.

[iii] Ouranos, Province du Québec : Nombre annuel de jours > 30 °C (jours) (2041-2070) (consulté le 16 juillet 2021).

https://www.ouranos.ca/portraits-climatiques/#/regions/0

[iv] Ville de Montréal, Plan Climat 2020-2030, Montréal : Ville de Montréal, service de l’environnement, 2020,

 https://res.cloudinary.com/villemontreal/image/upload/v1607536657/portail/ktpxrxvj5qxggayecchd.pdf

[v] David J. Nowak et al, « Tree and forest effects on air quality and human health in the United States », Environmental Pollution, vol. 193, Octobre 2014: 119-129. doi.org/10.1016/j.envpol.2014.05.028

[vii] Ville de Montréal, «  Plan climat 2020-2030 : Montréal amorce la plantation de 500 000 arbres », 7 juin 2021,

https://montreal.ca/actualites/plan-climat-2020-2030-montreal-amorce-la-plantation-de-500-000-arbres-14848.

[viii] Guillaume Béliveau-Côté, « L’éco-gentrification », 3 avril 2018, http://www.vrm.ca/leco-gentrification/.

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