Réflexions concernant les revendications des autochtones au Canada

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Réflexions concernant les revendications des autochtones au Canada
Idées
| par Sarah Daoust-Braun |

« What does Quebec want ? », se demandait-on dans les années 1970. La fameuse question faisait écho à la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme mise sur pied en 1963 et qui devait évaluer le gouffre entre les deux solitudes et les façons d’y remédier. Avec la montée du nationalisme québécois à l’époque, le plus grand enjeu de la Commission Laurendeau-Dunton reposait sur le principe d’égalité entre les deux peuples fondateurs de la Constitution canadienne. Après un rapport final en six volumes et l’adoption en 1969 de la Loi sur les langues officielles, les Canadien-ne-s anglais-es s’interrogeaient toujours sur ce que voulait le Québec, avouant leur incompréhension face au mouvement souverainiste. Une incompréhension qui se transpose aujourd’hui face à une troisième solitude qui rebute les deux premières, celle des Premières Nations, le peuple invisible. « What do Aboriginal People want ? », se demande-t-on en 2015.

Selon les chiffres du Secrétariat aux affaires autochtones, il y avait 98 731 Autochtones en 2012 au Québec, dont 69 900 résidents et 26 667 non-résidents qui vivent à l’extérieur des réserves, réparti-e-s entre les 10 nations amérindiennes et la nation inuite et formant ainsi 55 communautés (1). Ce nombre monte à environ 141 000 personnes lorsqu'on inclue les Métis. À l’échelle du Canada, on compte 1,4 million d’Autochtones, ce qui représente 4,3 % de la population selon Statistique Canada (2). Par ailleurs, l’histoire des Premières Nations est riche et complexe, marquée par des politiques d’assimilation qui ont laissé des blessures profondes. Écarté-e-s petit à petit de leur territoire durant la colonisation en dépit d’alliances conclues avec les Français-es et les Britanniques, puis mis-es sous tutelle et confiné-e-s dans des réserves, les Autochtones veulent aujourd’hui retrouver leur autonomie, et plus particulièrement leur autonomie politique. « Les Premières Nations sont regroupées dans des villages, la grande majorité a moins de 1000 habitant[-e-]s. Donc, est-ce que l’autonomie politique c’est une gouvernance qu’un village se donne, ou c’est une gouvernance à l’échelle de plusieurs villages qui forment une nation ? Il y a certaines populations qui ont des structures politiques à l’échelle de la nation, comme les Cri[-e-]s et les Inuit[-e-]s, mais il y en a beaucoup d’autres [pour qui ces structures sont] strictement à l’échelle du village. Il y a un débat présentement, à savoir s’ils [et elles] doivent faire partie d’un plus vaste ensemble », explique Pierre Trudel, anthropologue et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Depuis plusieurs années, le gouvernement fédéral s’ingère moins dans les conseils de bande des réserves, qui relèvent de la loi sur les Indiens. En effet, Trudel nous explique qu’après la tentative d’abolir la Loi sur les Indiens en 1969 et l’abolition de « l’agent des Affaires indiennes », un agent de l’ancien ministère des Affaires indiennes présent dans les réserves jusque dans les années 1960, les bandes ont graduellement occupé des responsabilités administratives. Cela permet aux Premières Nations d’administrer davantage de fonds, par exemple. Cependant, les Autochtones ne revendiquent pas seulement l’autonomie administrative, mais la pleine autonomie politique. Sa forme idéale ne fait toutefois pas l’unanimité ni chez les Premières Nations ni du côté des instances gouvernementales. « La reconnaissance d’une gouvernance autochtone est au centre de toutes les revendications des Premières Nations. Cela a un avantage énorme pour [elles et] eux parce qu’avec ce type de revendication là, ça peut couvrir à peu près n’importe quelle revendication particulière, n’importe quel grief, parce que la gouvernance autochtone est un concept abstrait, un concept qui est savamment entretenu par les dirigeant[-e-]s. C’est une utopie », déclare sans détour Réjean Morissette, auteur du livre Les Autochtones ne sont pas des pandas, paru en 2012. Responsable des liaisons gouvernementales auprès des diverses nations autochtones du Québec au Secrétariat des affaires autochtones de 2002 à 2010, ce dernier plaide que la diversité d’intérêts des différentes communautés ne fait que renforcer l’incompréhension des allochtones et même des Autochtones envers ces revendications gouvernementales.

Avant d’arriver à un consensus, Viviane Michel, présidente depuis 2012 de l’organisme Femmes autochtones du Québec (FAQ), croit qu’il faut d’abord reconnaître aux Premières Nations la capacité de s’autodéterminer, c’est-à-dire la capacité d’un peuple à déterminer librement son statut politique, économique et administratif. « On doit s’asseoir, se parler et trouver des solutions ensemble. Il faut une meilleure coopération, une meilleure collaboration des deux côtés, chez nous comme du côté du gouvernement. Si on peut éviter justement le maternalisme ou le paternalisme, et dire qu’on est capables de se gérer, de s’autodéterminer », affirme-t-elle en ajoutant que de nombreuses luttes demeurent vaines. Cette dernière est originaire de la communauté innue d’Uashat mak Mani-Utenam située sur la Côte-Nord, tout près de la ville de Sept-Îles. Elle est impliquée depuis plus de dix ans au sein de FAQ et a œuvré longtemps comme intervenante auprès des femmes violentées. Le droit à l’autodétermination est par ailleurs garanti dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée à majorité en 2007. Le Canada est toutefois l’un des quatre pays, avec les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, a avoir voté contre son adoption.

Les droits ancestraux

L’autonomie revendiquée par les Premières Nations est également de nature économique, et pour gérer, exploiter et mettre en valeur les ressources naturelles du territoire qu’elles et ils occupent et ainsi favoriser le développement économique, les Autochtones font valoir depuis des décennies les droits ancestraux qu’elles et ils possèdent sur le territoire. « L’histoire territoriale est si méconnue qu’à un certain moment, on s’aperçoit que ce que les Autochtones revendiquent est tellement loin dans l’inconscience collective qu’on tombe des nues !, rappelle Pierre Trudel. Depuis 150 ans, on a réduit la superficie des réserves à cause des pressions urbaines, et des fois cela s’est fait illégalement. » Selon l’Encyclopédie canadienne, les droits ancestraux des peuples autochtones réfèrent aux « droits inhérents et collectifs, découlant de l’occupation ancestrale du territoire qui est maintenant le Canada et de l’ordre social antérieur à l’arrivée des Européen[-ne-]s ». Ces droits sont d’ailleurs reconnus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, à l’article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés et dans la résolution de l’Assemblée nationale du 20 mars 1985 sur la reconnaissance des droits des Autochtones.

« Le gouvernement canadien a reconnu depuis les années 1970 qu’il a un litige territorial avec les Autochtones. Sur les 650 bandes indiennes au Canada, il y en a des centaines qui sont présentement en négociation avec le fédéral quant à la superficie des réserves », indique l’anthropologue. Des discussions sont par exemple toujours en cours à Kahnawake, une réserve mohawk située en Montérégie en bordure de l’autoroute 30 près de la ville de Châteauguay, au sud de Montréal. Les Mohawks revendiquent le territoire de l’ancienne Seigneurie de Sault Saint-Louis, qui regroupe les municipalités de Candiac, Delson, Saint-Catherine, Saint-Constant et une partie de Saint-Philippe et de Saint-Mathieu, et une compensation financière s’y rattachant. « Il y a des centaines de milliers de gens qui habitent dans ces municipalités-là. Ils ont de la misère à comprendre qu’il y a des litiges qui ne sont pas réglés et qu’il y a des négociations là-dessus présentement. C’est facile de caricaturer, de développer des préjugés sur les Autochtones lorsqu’ils [et elles] vont faire reconnaître leurs revendications », commente le spécialiste des questions autochtones.

Pour faire valoir leurs droits ancestraux sur les territoires qu’elles revendiquent, les Premières Nations engagent des négociations avec le gouvernement, mais le processus est parfois très long, laborieux et dispendieux. « Des fois, pour mieux négocier, il faut aller chercher un jugement en cour, donc [elles et] ils [les Autochtones] vont chercher un premier jugement, mais le gouvernement ne veut pas assez négocier. [Elles et] ils sont alors obligé[-e-]s d’aller en Cour suprême et ça prend des années », précise M. Trudel. La signature historique de la Paix des braves en 2002 entre le gouvernement du Québec et les Cri-e-s mettait justement fin à une longue saga juridique qui opposait les deux groupes. La nation crie, qui rassemble neuf communautés situées dans le nord-ouest de la province, était insatisfaite des dispositions de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois de 1975. Elle avait alors intenté des poursuites de plusieurs millions de dollars contre le gouvernement et exigeait réparation. « Une des raisons pour lesquelles les Cri[-e-]s ont signé la Paix des braves, c’était pour mettre leur énergie en dehors du juridique parce que ça prend beaucoup d’énergie, d’argent et d’avocat[-e-]s », ajoute le professeur.

La quête de reconnaissance

Au-delà des diverses revendications politiques et territoriales, les Premières Nations cherchent aussi, et surtout, la guérison de leurs blessures. Pour qu’il y ait guérison, elles veulent reconnaissance de leur identité et réparation des préjudices qu’elles vivent ou ont vécus au cours de l’histoire. « Pour développer une réconciliation, il faut qu’il y ait une reconnaissance des torts qui ont été faits à nos peuples. On va pouvoir ensuite entreprendre un vrai dialogue et travailler ensemble pour la création d’une meilleure société », estime Mélodie Jourdain-Michel, porte-parole depuis trois ans pour le Réseau jeunesse des Premières Nations. La jeune femme d’origine innue, également originaire d’Uashat mak Mani-Utenam, a quitté son coin de pays à l’âge de 17 ans pour entreprendre des études postsecondaires et a complété un baccalauréat en sexologie en 2013. Elle a ensuite travaillé un an dans sa communauté puis a effectué en janvier dernier un retour aux études en gestion de la santé et des services sociaux. Même si elle est une Autochtone vivant en milieu urbain, Mélodie Jourdain-Michel reste très engagée auprès des jeunes de sa communauté et s’implique dans de nombreux événements et comités comme le Conseil national des jeunes de l’Assemblée des Premières Nations.

Les différentes politiques d’assimilation et les pensionnats, où plusieurs enfants ont subi des sévices physiques et psychologiques lors du siècle dernier, ont laissé de lourdes marques qui peinent à se cicatriser dans les communautés autochtones. « Le niveau de violence dans les communautés est vraiment élevé, et c’est important qu’on comprenne d’où vient cette violence-là. Il y a des violences systémiques en arrière de tout ça, les pensionnats et les tentatives d’assimilation des peuples autochtones. Il y a une blessure qui est profonde dans les communautés et cette violence prend beaucoup d’ampleur dans les familles », signale Viviane Michel.

Des événements majeurs comme le scandale des femmes autochtones assassinées ou disparues, ou dernièrement les allégations, révélées à l’émission Enquête, d’agressions physiques et sexuelles envers des femmes autochtones par des policiers de la Sûreté du Québec de Val-d’Or, en Abitibi-Témiscamingue, ont mis de l’avant, aux yeux de tou-te-s, la précarité des conditions de vie et le niveau de violence qui sévit actuellement chez les Amérindien-ne-s et les Inuit-e-s. Pénurie de logements, accès difficile aux soins de santé, malnutrition, mortalité infantile élevée, la liste des enjeux est longue, et tout semble prioritaire. « Le Chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador [Ghislain Picard] s’était fait poser la question justement par un journaliste et il répondait que tout était prioritaire, qu’il y avait tellement de choses qu’il ne savait pas où mettre la priorité. Probablement que la priorité est d’investir dans de meilleurs programmes qui visent à réduire la misère sociale, et de faire en sorte que l’éducation progresse », soutient Pierre Trudel.

Le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, paru en 1996, sonnait déjà l’alarme quant aux conditions socio-économiques difficiles dans les communautés autochtones, signalant les besoins criants entre autres en santé, en éducation et dans le domaine de l’emploi. « Je pense que la pauvreté et l’isolement sont des enjeux importants. Il y a beaucoup de problématiques dans les communautés autochtones, mais en même temps, je pense que je fais partie de la nouvelle génération de jeunes qui veulent changer les choses et faire entendre leur voix, et qui veulent apporter du développement dans leur communauté », assure Mélanie Jourdain-Michel. Le défi passera certainement par l’éducation et la formation. « Il est essentiel de donner aux jeunes la volonté de terminer leurs études si l’on veut améliorer la situation économique des collectivités autochtones. Les jeunes ont besoin d’une solide formation traditionnelle et des aptitudes utiles à la société contemporaine. [Celles et] ceux qui possèdent ces aptitudes et contribuent au progrès de leurs collectivités et de leurs nations doivent être considéré[-e-]s comme les équivalents modernes des grands chasseurs et chefs d’autrefois », écrit-on dans le rapport de la Commission (3). Or, le sous-financement du système d’éducation et le manque de ressources dans les communautés posent problème. « L’éducation est quelque chose qui me touche beaucoup parce que je suis moi-même étudiante et je trouve cela dommage qu’on ne nous donne pas les mêmes outils, les mêmes ressources pour que les jeunes puissent s’instruire et réussir », dénonce la jeune femme de 27 ans. Selon l’Enquête nationale auprès des ménages de Statistique Canada, 48,4 % des Autochtones de 25 à 64 ans détenaient un titre d’études postsecondaires en 2011, comparativement à 64,7 % de la population non autochtone du même groupe d’âge. Toutefois, ce chiffre augmente chez les plus jeunes. Parmi les 35 à 44 ans, 68 % des Autochtones possèdent un diplôme d’études secondaires, contre 88,7 % chez les non-Autochtones (4).

Les espoirs se tournent alors vers le nouveau gouvernement de Justin Trudeau, qui s’est engagé à verser 2,6 milliards de dollars sur quatre ans pour garantir un meilleur accès à l’éducation pour les Premières Nations, entre autres dans l’aide à l’apprentissage. Une somme supplémentaire de 500 millions sur trois ans est promise pour la construction et la réfection des écoles dans les communautés. La question de l’éducation populaire, autant chez les Autochtones que chez les non-Autochtones, doit aussi être considérée. « Je pense que c’est important de rééduquer les populations, dans le sens de raconter la vraie histoire. L’histoire du Canada qu’on apprend dans les livres, c’est vraiment autre chose. Raconter l’histoire qui est vraie, raconter les impacts. Raconter, sans être dans la victimisation, c’est aussi comment maintenant on peut cohabiter, comment maintenant on peut avoir de meilleures relations, tout en faisant tomber la barrière des préjugés », lance avec conviction Viviane Michel. C’est cela qu’ils [et elles] veulent, les « Aboriginal People ». Être compris, tout simplement. 

(1) SECRÉTARIAT AUX AFFAIRES AUTOCHTONES. Statistiques des populations autochtones du Québec 2012, [en ligne], http://www.autochtones.gouv.qc.ca/nations/population.htm (page consultée le 3 décembre 2015).

(2) CANADA, ENQUÊTE NATIONALE AUPRÈS DES MÉNAGES. Les peuples autochtones au Canada : Premières Nations, Métis et Inuits, Statistique Canada, 2011, [en ligne], http://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/as-sa/99-011-x/99-011-x2011001-fra.cfm (page consultée le 3 décembre 2015).

(3) CANADA, COMMISSION ROYALE SUR LES PEUPLES AUTOCHTONES. À l’aube d’un rapprochement : Points saillants du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, [en ligne], http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100014597/1100100014637 (page consultée le 21 novembre 2015).

(4) CANADA, ENQUÊTE NATIONALE AUPRÈS DES MÉNAGES. Le niveau de scolarité des peuples autochtones au Canada, Statistique Canada, 2011, [en ligne], http://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/as-sa/99-012-x/99-012-x2011003_3-fra.cfm (page consultée le 3 décembre 2015).

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Cela fait un moment déjà que je vis au Canada, et ce qui m'as frappé dès les premières semaines; c'est l'absence quasi absolue de la communauté amérindienne dans la vie quotidienne, publique et médiatique du Canada en général et du Québec en particulier. Cet article répond à certaines de mes interrogations, et je comprends que les gouvernants canadiens et provinciaux ont raté complètement la cohésion sociale et nationale de tout un pays. La culture et la politique de l'exclusion ont conduit à une situation de pourrissement.