Femmes et politique

Société
Femmes et politique
Analyses
| par Caroline Chéhadé |

La sous-représentation des femmes en politique n’est pas chose nouvelle. Au Canada comme ailleurs, le domaine de la politique demeure nettement dominé par les hommes.

Quelques chiffres

Pour faciliter la comparaison entre les Parlements mondiaux, nous nous concentrerons seulement sur les Chambres basses et uniques, étant donné que la Chambre haute ne fait pas partie de tous les systèmes parlementaires. La Chambre basse du système du bicaméralisme (parlement divisé en deux chambres) et la Chambre unique du système du monocamérisme (parlement à une seule chambre) sont constituées d’élus représentant les citoyens et votant les lois.

Aux États-Unis, le pourcentage de femme à la Chambre basse se situe à 19.4 %, derrière le Pakistan (20.6 %), le Bengladesh (20 %) et le Kenya (19.7 %), entre autres. En France, les femmes représentent 26.2 % de la Chambre basse tandis qu’au Royaume-Uni, ce chiffre se situe à 29.4 %. Aux dernières élections fédérales canadiennes, les femmes ont remporté 88 des 338 sièges à la Chambre des communes, soit une représentation de 26 %, un record pour le Canada (1). Or, nous sommes encore très loin d’une parité des sexes dans l’arène parlementaire. Selon les données de l’Union interparlementaires (2) de 2015, la moyenne mondiale des femmes à la Chambre basse\unique est de 22.9 %, une proportion encore en deçà du seuil minimal de 30 % établi par l’ONU afin d’assurer une masse critique de femmes dans les parlements (3). Pendant ce temps, au Rwanda, les femmes représentent 63.8 % de la Chambre basse, occupant 51 sièges sur 80. Au deuxième rang, la Bolivie, avec 53.1 % de femmes à la Chambre basse, détenant 69 des 130 sièges. Un peu plus d’une trentaine de pays dépassent le seuil de 30 %, et une douzaine dépasse les 40 %, entre autres la Finlande, la Suède, l’Islande, l’Espagne, le Sénégal, le Mexique et la Namibie. (4)

Par région, la moyenne de femmes en Chambre basse\unique se situe à 41.1 % pour les pays nordiques, 27.4 % pour les Amériques, 24.4 % pour l’Europe (excluant les pays nordiques), 23.4 % pour l’Afrique subsaharienne, 19 % pour l’Asie, 19 % pour les États arabes et 13.1 % pour le Pacifique (5).

Le Canada en retard

Le Canada, qui traîne au 48e rang du classement mondial de la représentation des femmes dans les parlements (4), a du pain sur la planche. Plus d’une cinquantaine de pays ont déjà adopté des lois et mis en place des dispositions législatives dans l’objectif d’accroître la présence des femmes dans la sphère politique et de leur assurer une masse critique minimale de 20, 30 ou 40 % selon les pays. Parmi les nations qui ont légiféré sur la question, on note entre autres le Rwanda, la Bolivie, le Sénégal, le Mexique, l’Angola, le Nicaragua, l’Espagne, la Slovénie et la Belgique. Tous font partie des 20 pays en tête de liste du classement mondial de la représentation des femmes dans les parlements (6).

Parmi les différentes mesures qui sont prises, plusieurs pays instaurent des quotas que les partis politiques doivent respecter sous peine d’être sanctionnés. Au Burkina Faso, par exemple, les listes de candidats doivent comprendre au moins 30 % de membres de chaque sexe; si un parti politique ne parvient pas à répondre aux exigences, le financement public de sa campagne électorale sera réduit de 50 %, et s’il atteint ou dépasse le quota de 30 %, il recevra du financement supplémentaire. Au Portugal, les listes de candidats pour les élections à l'Assemblée nationale doivent être minimalement composées de 33 % de membres de chaque sexe et le même type de sanction s’applique en cas de défaut. En Espagne et au Mexique, la liste de candidats des partis politiques doit présenter un minimum de 40 % de femmes tandis qu’au Nicaragua, une loi électorale oblige les partis politiques à présenter 50 % d'hommes et 50 % de femmes dans leurs listes électorales. Le Sénégal, lui aussi, exige la parité dans les listes de candidats pour les élections générales;  les listes qui ne sont pas conforme à la loi ne seront tout simplement pas admises (6).

Le recours aux quotas

Au Canada, les quotas n’existent pas; les partis politiques ne sont donc pas tenus de présenter un minimum de candidates dans leur liste électorale. Ils sont toutefois libres de fixer leur propre quota : c’est le cas du Nouveau Parti démocratique (NPD), qui vise à atteindre la parité et dont la liste de candidats aux dernières élections était composée de 43 % de femmes environ. À titre de comparaison, ce rapport était d’environ 31 % pour le Parti libéral, de 27 % pour le Bloc québécois et de 18.5 % pour le Parti conservateur (7). Même constat au niveau du Québec : seul Québec solidaire s’est engagé à respecter la parité hommes-femmes en s’imposant des quotas par rapport au nombre de candidates à présenter. En date du 7 mars 2014, à quelques semaines du vote, le Parti libéral a présenté 27 % de femmes parmi ses candidats. Ce chiffre monte à 39 % pour le Parti québécois et descend à 23 % pour la Coalition Avenir Québec (8).

Pascale Navarro, journaliste et auteure du livre Les femmes en politique changent-elles le monde ?, dans lequel elle a interviewé une vingtaine de politiciennes sur les scènes québécoise et canadienne, pense qu’il faut indispensablement légiférer sur la question pour atteindre un équilibre durable. « Je pense que d‘abord il faudrait réformer le mode de scrutin. On pourrait présenter  des candidats par liste et sur les listes, on pourrait mettre une alternance homme-femme. Les partis pourraient se donner des objectifs, comme présenter de 40 à 60 % autant de femmes que d’hommes, ce qui  agrandirait le bassin de femmes candidates. Donc on en retrouverait plus parmi les députés, parmi les ministres, et donc parmi le personnel politique », affirme-t-elle dans une entrevue téléphonique.

Au Québec, l’organisme Groupe Femmes, Politique et Démocratie (GFPD) qui vise entre autres à promouvoir une plus grande participation des femmes à la vie politique, propose lui aussi comme mesure une réforme du mode de scrutin pour le mode proportionnel mixte et l’inscription dans la Loi électorale du principe de zone de mixité égalitaire (40-60 %) pour favoriser la représentation paritaire des femmes et des hommes dans les lieux de pouvoir. Car non, le Québec ne fait pas tellementt mieux que le Canada en matière d’égalité hommes-femmes au sein de ses instances démocratiques. L’Assemblé nationale du Québec est composée de 22 femmes sur 121 membres (27 %). Si le Québec était un pays, il se situerait au 44e rang mondial selon le pourcentage de femmes élues (9). Le Conseil du statut de la femme, un organisme gouvernemental de consultation et d’études qui veille à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts des Québécoises, suggère lui aussi de fixer à un minimum de 40 % la proportion de candidatures féminines affichées par les différents partis politiques. Dans un communiqué publié en octobre, l’organisme recommande « que la Loi électorale du Québec soit modifiée pour obliger tous les partis politiques québécois à présenter entre 40 % et 60 % de candidates aux élections. Une période transitoire serait prévue : une cible de 35 % serait fixée pour le premier scrutin suivant l’adoption de la politique. Les partis ne respectant pas cette “zone paritaire” s’exposeraient à des pénalités financières importantes. » (10).

L’instauration de quotas a également été proposée par plusieurs élues au niveau municipal comme mesure pour pallier à la sous-représentation des femmes en politique. Lorraine Pagé, conseillère municipale dans le district du Sault-au-Récollet, au Conseil de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville et au Conseil de la Ville de Montréal, croit que le gouvernement du Québec doit modifier la loi afin d’obliger les partis politiques à recruter davantage de candidatures féminines. « Il y a un travail à faire du côté des partis. Il faut leur donner des obligations de résultats en termes de recrutement de femmes », a-t-elle soutenu lors d’une conférence organisée par des conseils de la Ville de Montréal sur les femmes en politique municipale le 11 novembre dernier.

Les quotas –et les sanctions qui les accompagnent– permettraient d’établir et de maintenir un équilibre hommes-femmes tout en visant à mettre un terme à la domination masculine en politique, en terme de représentativité. Ils compenseraient les barrières sociales pouvant défavoriser les femmes et les handicaps des systèmes politiques tels que la surreprésentation des hommes, la culture de certains partis, le manque de moyens financiers et le poids des préjugés et des perceptions culturelles concernant le rôle de la femme. Dans plusieurs cas, l’utilisation de quotas a fait bondir le nombre de femmes élues. C’est le cas du Sénégal, où la représentation des femmes est passée de 22 % à 43 % dès la première élection suivant l’adoption de quotas dans sa Constitution (11). L’Espagne, qui a adopté une loi sur la parité en 2007 obligeant les partis politiques à présenter au moins 40 % de candidatures de l’un des deux sexes, et au plus 60 % de candidatures de l’autre sexe, a vu le nombre candidatures féminines augmenter de 32 % par rapport au scrutin précédent, en 2003 (12). En Argentine, premier pays à avoir adopté en 1991 des quotas légaux pour promouvoir les candidatures féminines sur les listes des partis et assurer ainsi une plus grande représentation politique des femmes, le nombre de femmes élues est passé de 5 % en 1991 à 21 % en 1993. Le pourcentage de femmes députées n’a fait qu’augmenter pour finalement atteindre 40 % en 2007 (13).  

Le recours aux quotas pourrait donc être une solution envisageable pour augmenter le nombre de femmes dans les instances parlementaires. Légiférés et accompagnés de sanction, ceux-ci forceraient les partis politiques à recruter davantage de femmes. Sans dispositions législatives et sans pénalités, chaque parti est libre d’adopter les politiques qu’il veut, et cela peut entrainer une grande disparité hommes-femmes. Aux dernières élections fédérales, par exemple, les femmes représentaient 31 % des candidatures, tandis qu’aux dernières élections provinciales, elles représentaient 29.6 % des candidatures.

Parité d’apparence?

La représentation hommes-femmes au gouvernement du Canada a elle aussi toujours été inégale avant l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, qui a renversé cette tendance en présentant le premier gouvernement fédéral paritaire (14). Quinze femmes et quinze hommes ont ainsi été nommés au Conseil des ministres. On note, cependant, que le tiers de ces femmes sont en fait des ministres déléguées (15). Le rôle de ces ministres est de seconder un ministre en exerçant certaines fonctions sous sa direction. C’est le cas de Kirsty Duncan, ministre des Sciences auprès du ministre de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Singh Bains, ou encore de Marie-Claude Bibeau, ministre du Développement international et de la Francophonie, exerçant ses fonctions sous la direction du ministre des Affaires étrangères, Stéphanie Dion (16). Le Parti libéral a réagi à cette remarque en assurant que les cinq femmes qui ont été assermentées comme ministres d'État seront considérées comme des ministres et que leur salaire sera ajusté en conséquence (17). Or, certains avancent que la plupart des femmes ont hérité des postes dits « moins importants », des « petits ministères » qui ont moins de poids. D’autres affirment que cette décision fut davantage prise pour les apparences plutôt que par conviction profonde (18). Pascale Navarro croit que  l’important est qu’elles soient là : «  elles vont faire leurs preuves ou pas, elles vont se démener ou pas, elles vont travailler fort ou pas, on n’a pas à juger avant qu’elles commencent à travailler. Et puis, des ministères moins importants, qu’est-ce que ça veut dire au juste ? Un ministère délégué pourrait très bien faire quelque chose de très grand et de durable. On juge leur travail avant même qu’elles commencent! Je pense qu’on présume de l’importance des ministères à cause de leur portefeuille », affirme-t-elle. « Un ministère n’est pas nécessairement plus fort parce qu’il est plus financé que les autres. Il y a des décisions émanant d’un ministère dit moins important qui peuvent avoir des conséquences bien plus décisives sur la vie des citoyens », ajoute-t-elle.

Au-delà des discrédits qui peuvent être faits sur la décision du Premier ministre, un gouvernement paritaire permettrait « d’amener des sujets d’intérêt traditionnellement associés aux femmes dans des assemblés mixtes où on peut débattre de façon égale de ces enjeux-là », pense l’auteure. « C’est ce que ça fait lorsque les femmes sont arrivées en politique; elles ont fait des enjeux dit féminins des enjeux mixtes, comme par exemple le congé parental, la Loi sur le patrimoine familial, la Loi sur le viol conjugal et la Loi sur les agressions sexuelles. Tout cela a été débattu parce que des femmes ont fait partie de la politique », souligne-t-elle.

Elle insiste cependant qu’une telle résolution doit aller plus loin : « c’est bien beau d’avoir fait la parité pour quatre ans, mais rien ne dit qu’un prochain gouvernement va le faire. C’est sûr que c’est très bien vu et très bien accueilli, mais ça ne sert pas à grand-chose si ça ne fait pas l’objet d’une règle ou d’une loi durable », pense-t-elle.

Au Québec, par exemple, le gouvernement de Jean Charest avait annoncé en 2007 le premier gouvernement provincial paritaire, décision très bien accueillie par la population, mais cette situation n’aura finalement pas duré avec l’entrée du gouvernement Marois puis du gouvernement Couillard (19). Pour Pascale Navarro, « il faut que ça devienne un enjeu social et une règle démocratique. Il faut que ça fasse partie des institutions. Si c’est institutionnalisé, ça va durer bien plus longtemps, ça va être intégré et ça va avoir des conséquences sur toutes les décisions de tous les ministères et de tous les échelons du pouvoir. C’est ça qu’il faut », soutient-elle.

Pourquoi retrouve-t-on moins de femmes en politique?

Il y plusieurs raisons, mais ce que disent souvent les partis ou les hommes qui essaient de recruter des femmes politiques, c’est qu’elles sont moins tentées par la vie politique à cause des sacrifices qu’elles doivent faire pour leur famille, affirme l’auteure. D’autre part, il y a la vie politique en tant que joute électorale, souligne-t-elle, « [qui] ne les intéresse pas trop parce qu’elles ne veulent pas être devant la scène, elles ne veulent pas être associées à une profession qui manque de crédibilité, elles ne veulent pas être critiquées. Mais c’est de moins en moins vrai », constate-t-elle. Dans le même ordre d’idées, Lorraine Pagé a affirmé lors d’un colloque organisé par le Conseil interculturel de Montréal, le Conseil jeunesse de Montréal et le Conseil des Montréalaises que « les femmes ne sont pas socialisées pour être impliquées politiquement. Elles ont été éduquées à chercher la conciliation et à fuir l’affrontement. Alors que, lorsqu’on fait de la politique active, on est souvent sur le terrain de l’affrontement ». Parmi les multiples obstacles que les femmes doivent affronter pour entrer en politique, on compte également les préjugés sur leur capacité à gagner la confiance du public ou à occuper des responsabilités politiques; le poids de la perception culturelle du rôle de la femme; la socialisation différenciée; la culture des partis et des institutions politiques (le mode de recrutement, la culture de l’exclusion, les « boys club » en politique); et le partage inégal des responsabilités familiales entre femmes et hommes. À cet égard, le Conseil du statut de la femme adresse plusieurs recommandations aux autorités politiques, entre autres la modification de la Loi électorale pour l’imposition de quotas et le respect du gouvernement des normes de l’Organisation internationale du travail en matière de congé de maternité, de paternité et parental, soit au moins 14 semaines de congé, congés qui devraient aussi s’appliquer au palier municipal. Enfin, l’Assemblée nationale devrait être dotée d’une politique d’articulation travail-famille, qui pourrait inclure une salle familiale, le vote par procuration et des services de garde.

(1) http://notesdelacolline.ca/2015/11/04/les-femmes-au-parlement-du-canada-...

(2) L’Union interparlementaire est l'organisation internationale des Parlements. Elle oeuvre en étroite collaboration avec l'Organisation des Nations Unies. http://www.ipu.org/french/whatipu.htm

(3) http://www.un.org/womenwatch/daw/beijing/pdf/BDPfA%20F.pdf

(4) http://www.ipu.org/wmn-f/classif.htm

(5) http://www.ipu.org/wmn-f/world.htm

(6) http://www.quotaproject.org/uid/search.cfm# 

(7) http://ici.radio-canada.ca/sujet/elections-canada-2015/2015/08/28/004-np...

(8) http://ici.radio-canada.ca/sujet/elections-quebec-2014/2014/03/08/001-ca...

(9) https://www.csf.gouv.qc.ca/femmes-en-politique/

(10) https://www.csf.gouv.qc.ca/article/2015/10/04/communique-parite-en-polit...

(11) http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/vu-dailleurs/201405/17/01-47...

(12) http://www.lactualite.com/actualites/politique/des-quotas-de-femmes-en-p...

(13) http://www.ruor.uottawa.ca/bitstream/10393/26067/1/BOURQUE%2c%20Andréanne%2020135.pdf

(14) http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2015/11/04/001-assermenta...

(15) http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201511/...

(16) http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/politique/2015/11/04/015-nomination...

(17) http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201511/...

(18) http://revuelespritlibre.org/apres-les-liberaux

(19) http://ici.radio-canada.ca/sujet/elections-quebec-2014/2014/03/08/004-ph...

http://apf.francophonie.org/IMG/pdf/2014_07_femmes_rapporfemmesrepresent...

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