«Why Indigenous cinema matters»

Culture
«Why Indigenous cinema matters»
Analyses
| par Julia Dubé |

Le 10 août dernier, des cinéastes de communautés autochtones du Canada et d’ailleurs dans le monde se sont réuni-e-s dans le cadre d’un panel interactif sur leurs coopérations mutuelles d’art audiovisuel. Le public, muni de casques d’écoute pour la traduction simultanée de la discussion trilingue, fut témoin du récent déploiement d’alliances transnationales entre communautés autochtones des quatre coins du globe, notamment entre artistes d’origines  samie, maorie, quechua, mapuche, kuna, innue, anishnabe, attikamekw et bien d’autres. Curieuse à propos de ces projets émergents, j’ai assisté à la conférence afin de mieux comprendre cette réorganisation du territoire visuel par l’usage de stratégies cinématographiques.

Marquant la fin de la 26e édition du festival Présence autochtone ainsi que le début du Forum social mondial à Montréal, la conférence internationale « Les cinémas autochtones : affirmation culturelle et réconciliation » portait principalement sur les récentes contributions du Réseau international de création audiovisuelle autochtone (RICAA), une initiative fondée en 2014 et signée Wapikoni mobile. Inscrit dans un processus plus large de revalorisation culturelle et de reconnexion avec des connaissances et identités spécifiques, le RICAA travaille en collaboration avec plusieurs organismes partenaires de divers pays en participant à l’appropriation des médias par les autochtones, dans le but « d’échanger sur différentes méthodologies de formation audiovisuelle, de développer des projets de films en cocréation et d’accroître la diffusion et la visibilité des œuvres réalisées » (1). Jusqu’à maintenant, la formule principale consiste à enchaîner des fragments et images de courts-métrages de multiples auteur-e-s sous le fil conducteur de la résurgence autochtone par la (ré)appropriation d’outils cinématographiques tout en reconnaissant la riche diversité culturelle et artistique propre à chaque communauté et géographie.

D’entrée de jeu, Tarcila Rivera Zea – membre du RICAA et invitée d’honneur – ouvre la conférence en expliquant qu’un des défis d’aujourd’hui est de renforcer les connexions entre les savoirs autochtones et d’unir les différentes voix pour partager, par l’usage d’esthétismes particuliers, des valeurs et discours politiques. En effet, pendant les discussions, la plupart des panellistes insistent sur la pertinence des cinémas autochtones dans le cadre de luttes communes aux Autochtones de partout dans le monde. Jeannette Paillan, réalisatrice mapuche et directrice du festival autochtone FICWALLMAPU, explique que l’audiovisuel est en synergie avec les luttes des peuples autochtones et que cette technologie permet de collecter les expériences de chacun-e afin d’amplifier ces voix vers l’articulation de solutions aux enjeux actuels de dépossession, d’invisibilisation ou de perte des langues autochtones. Répondant au besoin de participer à la diffusion de la culture samie dans le milieu du cinéma, Odd Levi Paulsen, d’origine samie (Norvège) et producteur de NuorajTV, s’active pour sa part à la réappropriation de la langue autochtone de sa nation par la création d’émissions Web dédiées à la jeunesse samie. Dépassant le cadre strictement esthétique ou culturel, le cinéma autochtone génère donc des propositions politiques ancrées dans un acte de résistance, un acte de collaboration mais aussi un acte de vie; car c’est un travail infusé d’un désir de construire un futur, un futur en rupture avec les images hollywoodiennes du bon sauvage ou du violent guerrier (2) célébrées depuis maintenant plus d’un siècle dans la culture populaire.

Les cinéastes présent-e-s au panel partagent certaines motivations tout en étant porté-e-s par différents objectifs : « Les multiples formes artistiques me permettent de repousser les frontières de cette boîte dans laquelle on essaie de nous mettre », m'explique l’artiste multidisciplinaire anishnabe Caroline Monnet : « Je sens que j’ai une responsabilité due à mes origines, et cela influence énormément mon travail, c’est pourquoi j’ai décidé de communiquer mes idées avec l’usage de l’art». En 2014, Monnet a notamment participé à la transformation de la Place des Arts dans le cadre du festival Présence autochtone en intégrant des dispositifs lumineux sur les lieux, réinscrivant dans l’espace urbain des œuvres artistiques témoignant de l’existence de nombreuses nations autochtones dans la ville, un lieu à tort considéré comme non-autochtone (3). Pour sa part, la réalisatrice kuna Analicia Lopez voit le cinéma comme une façon de mettre en relief les particularités de chaque communauté autochtone. Ayant séjourné dans la communauté anishnabe de Kiticisakik pour la réalisation d’un court-métrage, Lopez remarque que « leurs traditions sont différentes : nous ne mangeons pas du tout les mêmes choses, et eux ne parlent plus autant leur langue. Pour moi c’est triste de constater cela, et c’est très important pour moi de continuer à parler ma langue car c’est la mienne. » (4) Bien que les deux artistes choisissent de mettre en lumière des thèmes qui leur sont propres, toutes deux se rejoignent dans la méthode de travail permettant une autodéfinition, ce que Monnet qualifie « d’auto-expression » c’est-à-dire l’action de créer, de générer un art qui performe une vision du monde, une idée ou un désir.

Est-il possible de situer cette méthodologie d’auto-expression, comme l'a expliqué Monnet, dans un travail plus large de « souveraineté visuelle » (5) ? Ce concept originairement proposé par l’auteure seneca Michelle Raheja décrit une stratégie cinématographique visant d’une part à corriger la lentille coloniale à travers laquelle les cultures autochtones sont observées, d’autre part à considérer l’auto-représentation comme un acte de souveraineté offrant le potentiel de déconstruire les stéréotypes néfastes et contribuant à une santé intellectuelle autochtone (6). En s’ancrant dans des esthétismes spécifiques, le cinéma autochtone donne donc la possibilité au public autochtone ou allochtone de remettre en question les images des médias de masse qui ont l’habitude de célébrer des représentations du passé pour parler des autochtones, sous-tendant l’idée que ces derniers n’existent que dans une temporalité lointaine, isolée, voire effacée. Bien au contraire, les panellistes et membres du RICAA semblent témoigner que les cinémas autochtones se déploient à travers des réseaux complexes vers l’articulation de représentations contemporaines, vivantes et au-delà des frontières géographiques ou linguistiques, des représentations nées d’alliances réciproques et nourries par des imaginaires riches et infusés de vécus partagés. Reste à souhaiter que ces projets émergents prennent de plus en plus d’ampleur et de place dans les cinémas et festivals d’ici et d’ailleurs, afin de reconnaître la présence grandissante d’artistes et cinéastes autochtones.

 

PHOTO: Ariane Arbour (crédit) / Jeannette Paillan , directrice du festival FICWALLMAPU (Chili) et Ivan Sanjines, directeur du CEFREC (Bolivie)

(1) Description de la mission fournie par le Wapikoni mobile

(2) À ce sujet, voir le documentaire du réalisateur cri : Diamond, Neil (2009). The Reel Injun, Rezolution Pictures & National Film Board of Canada, [1:08:12].

(3) Razack, Sherene (2002). Race, Space and the Law : Unmapping a White Settler Society, Toronto, p.131.

(4) Traduit de l’espagnol

(5) Raheja, Michelle (2011). Redfacing, Reservation Reelism, Visual Sovereignty, and Representations of Native Americans in Film, University of Nebraska Press, 360p.

(6) Raheja, Michelle (2007). « Visual Sovereignty, Indigenous Revisions of Ethnography, and Atanarjuat », American Quarterly, Vol.59, No.4, p.1161.

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