Vivre éloigné, mais en proximité : discussion avec des habitant·e·s du Témiscamingue

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Vivre éloigné, mais en proximité : discussion avec des habitant·e·s du Témiscamingue
Entrevues
| par Félix Beauchemin |

Huit heures de route séparent Montréal du Témiscamingue, vaste région de l’ouest du Québec. Généralement associé à son voisin au nord, l’Abitibi, le Témiscamingue a pourtant des particularités propres qui le démarque des autres régions. L’Esprit libre est allé à la rencontre de fier‧ère‧s Témiscamien‧e‧s pour comprendre les aspects positifs et négatifs de la vie loin des grands centres urbains.

Même si je ne suis pas né dans une grande ville du Québec, j’ai toujours eu la chance d’être à proximité de certains grands centres urbains, tels Montréal et Sherbrooke. Ceci m’a permis de profiter des avantages de ces villes : restaurants, centres commerciaux, festivals, et j’en passe. Pourtant, en parcourant les routes sinueuses de la traverse de Mattawa, où j’ai dû avaler quelques Gravol au gingembre pour m’assurer de conserver mon sang-froid, une question me revenait constamment à l’esprit : comment et pourquoi vivre aussi loin des grands centres urbains? 

J’ai posé la question à cinq habitant‧e‧s du Témiscamingue impliqué‧e‧s dans leur communauté, et surtout, amoureux de leur région. 

« Quand tu arrives ici, il faut que tu repenses ton mode de vie »

Le Carrefour jeunesse emploi du Témiscamingue (CJET), situé au cœur de la ville de Ville-Marie, ville la plus populeuse de la région, est responsable de l’aide à l’emploi, mais également de l’accueil des nouveaux arrivant‧e‧s au Témiscamingue. Cherchant à faire prospérer leur région natale, ceux-ci misent sur des programmes de promotion de la région, mais également de rétention des habitant‧e‧s. J’ai pu discuter avec deux membres de cette organisation, Guillaume, agent de projet multiculturel et Marion, agente du programme Place aux Jeunes. 

« Moi, je suis arrivé au Québec de la France à 27 ans, j’ai fait 2 ans à Montréal, et là ça va faire 10 ans bientôt que je suis au Témiscamingue, m’explique Guillaume. Ma situation à Montréal, c’était un peu compliqué pour le travail, et là mon amie qui travaillait ici m’a dit "si tu veux, j’ai un emploi pour toi". J’ai dit go je vais essayer, ça va changer de la dynamique de la ville, je vais essayer de vivre un autre Québec. Et bon, ça fera 10 ans dans deux semaines. » Il ne parle rien de moins qu’une « piqure » pour la région. 

Pourtant, celui-ci n’hésite pas à évoquer le changement de mentalité qu’il a dû faire face en arrivant dans la région :« Quand tu arrives ici, il faut que tu repenses ton mode de vie. » 

De son côté, Marion, originaire du Témiscamingue, le Témis comme disent les locaux, y a vécu toute sa vie et elle ne voit pas cet éloignement des centres urbains comme un obstacle. « On dirait que ça a comme toujours été mon mode de vie, que je n’ai jamais remis ça en question. », explique-t-elle. Quand un‧e nouvel‧le arrivant‧e arrive en ville, le CJET ne fait pas passer sous silence les défis de vivre à une telle distance. « Les gens commencent de plus en plus à réaliser qu’on est une région éloignée des grands centres. On les avertit, on n’a pas un Walmart à cinq minutes de chez nous, il faut voyager pour avoir accès à de grands centres, à de plus grands services. En même temps, on a tout ce qu’il faut pour bien vivre ici », mentionne Marion. 

Les huit heures de distance avec Montréal, les trois heures de Sudbury en Ontario, ou l’heure et demie qui les séparent de Rouyn-Noranda en Abitibi, n’est pas un frein pour les Témiscamien‧ne‧s à profiter des qualités des grandes villes. 

« C’est une sortie! Souvent on va y aller avec des amis, on va se jumeler avec d’autres personnes, finalement on va souper au restaurant. Ça nous fait une belle journée », avance Marion. 

Josée, chef d’équipe au lieu historique national d’Obadjiwan–Fort-Témiscamingue, abonde dans le même sens. « N’importe quand on peut prendre notre auto et aller à Montréal ou à Sherbrooke, rien ne nous en empêche. Tu as le meilleur des deux mondes, explique-t-elle. Parfois ça me pogne, quand il me manque de spectacles, qu’il me manque de restaurants, qu’il me manque de toutes sortes d’affaires. Alors, on va passer quelques jours à Montréal et après ça on revient. » À ce niveau, il faut simplement une plus grande planification, et quelques jours de libre. 

« On vit autrement, et vraiment plus simplement »

Hormis l’accessibilité aux services de commandes en ligne comme Amazon, qui facilitent l’achat de biens précis dans les régions éloignées, cette distance avec les centres commerciaux change également le rapport face à la consommation. Émilise, actuelle députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, remarque que les régions éloignées comme le Témiscamingue, sa région natale, sont moins soumis à la présence publicitaire et commerciale. 

« Je trouve que c’est un lieu qui est formidable parce qu’on n’est pas soumis à des trucs vraiment agressants comme la publicité. Quand on se promène au Témiscamingue, il n’y a pas de panneaux publicitaires, explique-t-elle. On n’est pas confrontés aux grandes chaines des multinationales. Nous, on a un Subway et puis un Hart, c’est pas mal tout ce qu’on a comme bannières. » 

Quand elle n’est pas à l’Assemblée nationale à Québec, Émilise profite de cette simplicité que lui offre la région, notamment en travaillant sur son jardin et ses projets agricoles. 

Guillaume, ayant vécu à Montréal, voit également ce changement de mentalité s’opérer : « Notre rapport à la consommation change dans le sens où maintenant si je vais consommer, c’est avec un but, un objectif. Avant quand j’habitais Montréal, je pouvais aller à toutes les semaines dans les centres d’achat juste pour aller flâner. » Marion explique que cette réduction de la consommation se perçoit par une transformation des intérêts. « On est plus centrés sur autre chose, et cette autre chose-là? La nature. On change la consommation pour un autre bénéfice qui est différent. Au lieu de passer notre temps dans les centres d’achats, on va plutôt faire des balades », illustre-t-elle.  

« La nature et la grosse paix! »

Avec ses 16 000 habitant‧e‧s[i] et son territoire de 16 400 km2, la région du Témiscamingue est l’endroit parfait pour les amoureux de grands espaces et de tranquillité. Ses grandes forêts mixtes, avec la présence de nombreux pins, le différencie la région de l’Abitibi voisine, reconnue pour ses forêts boréales d’épinettes. Dans l’optique de mettre en valeur ses grands espaces, la SÉPAQ a inauguré en 2019 son tout dernier parc, le Parc national d'Opémican[ii]. En plus, la région abrite le lieu historique national d’Obadjiwan–Fort-Témiscamingue, vestige historique d’un poste de traite de pelleteries[iii]. J’ai pu discuter avec deux employées de ce lieu historique, ceux-ci travaillant au cœur de cette nature débordante. 

Josée, grande sportive et voyageuse, est une personne débordante d’énergie. Pour elle, le Témiscamingue est donc l’endroit parfait pour se relâcher : « Pour moi, ça ne va jamais assez vite. Ici, les gens disent qu’on est cool. On n’est pas toutes cools, moi je suis assez active. Mais ici ça me permet d’être comme ça : à mon beat. » En raison de la nature saisonnière de son poste de chef d’équipe, celle-ci profite des mois hivernaux pour voyager à travers le monde. Pourtant, elle finit toujours par revenir chez elle, au Témis.  

« La nature, moi c’est ça qui m’attire ici, la tranquillité, mentionne-t-elle. J’ai une place sur le bord de l’eau, c’est tranquille. » 

Sylvain, coordonnateur et préposé à l’entretien, a vécu dans de nombreuses villes au Québec avant de revenir dans sa région natale. Depuis son retour dans la région, celui-ci a mis sur pied une ferme maraichère dans la municipalité de Lorrainville, là où il vend légumes et pains aux locaux[iv]. Pour lui, les raisons de rester en région éloignée reviennent à une tranquillité, mais également un sentiment de sécurité et de confort. « La nature et la grosse paix! », dit-il en riant. 

« C’est le sujet de l’heure, c’est une catastrophe »

La distance vient toutefois avec ses enjeux. 

Josée ne mâche pas ses mots lorsqu’elle parle de la fermeture de la piscine de Ville-Marie, qui a fait beaucoup jaser au niveau local, une situation qu’elle qualifie de « catastrophe ». « Ce qu’il me manque, ces temps-ci, ce sont des infrastructures pour aller faire du sport! Par exemple, ici, on n’a plus de piscine. Ça, c’est assez pour que je déménage. »

Il y a également le sujet des services d’obstétriques de l’hôpital de Ville-Marie[v]. Depuis le mois d’avril 2021, les femmes enceintes du Témiscamingue n’ont pas d’autre option que d’accoucher dans la ville de Rouyn-Noranda, à une heure et demie de Ville-Marie. « Il y a clairement un déficit de compréhension de nos réalités locales, de nos réalités régionales à Québec, dans les hauts lieux décisionnels », explique Émilise, qui revendique constamment cette situation à l’Assemblée nationale. 

« On a tellement centralisé les décisions dans les dernières années que les décisions se prennent de manière tellement déconnectée avec les réalités du territoire. L’obstétrique c’est un bon exemple. » 

Toutefois, selon Marion et Guillaume du CJET, la résilience des Témiscamien‧ne‧s s’est fait sentir dans ses deux situations. « Quand il y a des coupures de service, les régions sont comme tout de suite pointées du doigt en disant "regardez ce qu’ils n’ont pas". Mais, en même temps, ce que les gens ne savent pas, c’est toutes les actions qui sont prises pour remédier à la situation. » Au final, ceux-ci me font comprendre que les enjeux d’accessibilité de services au Témiscamingue sont des situations que vivent presque toutes les régions éloignées du Québec. 

« La chaleur des gens, leur accueil, l’espèce de solidarité qu’il y a, la fraternité »

Charles, étudiant à la maitrise en ergothérapie à l’Université de Montréal, est un petit nouveau de la région, celui-ci ayant décidé de s’installer officiellement dans la ville natale de sa copine il y a maintenant un an. Originaire de Valleyfield, il n’a jamais été bien loin de Montréal. Toutefois, quand on lui demande s’il se sent chez lui au Témiscamingue, il n’hésite pas à répondre à l’affirmative. « Moi, ce qui était vraiment important, c’était que je me trouve un cercle d’amis à la place où j’habite. Maintenant, c’est vraiment ça. J’ai une gang d’amis, qui eux, sont vraiment des Témiscamien‧ne‧s. » 

C’est d’ailleurs lui-même qui a fondé un club de balle molle dans la région afin de se créer un cercle d’amis. Il s’est senti accueilli « comme un des leurs », et ce, malgré sa peur de ne pas se conformer aux intérêts de certain‧e‧s Témiscamien‧ne‧s : « Je ne suis pas vraiment manuel dans la vie, et il y en a beaucoup qui parlent de skidoo, de quatre roues, de mécanique, je trouve ça intéressant, mais ça clash trop. Ça m’attire moins. » Il préfère toutefois en rire puisque ce n’était pas un frein à son intégration dans la région. Il affirme même aimer de plus en plus la chasse, ce qu’il avoue aurait joué sur ses nerfs lorsqu’il habitait à Valleyfield. 

Pour Guillaume, la présence d’une chaleur humaine a été le point décisif pour lequel il a voulu rester au Témiscamingue plutôt que de retourner à Montréal. « Ce sont les gens qui m’ont fait rester ici. Il y a un genre de chaleur humaine au Témiscamingue. Les gens sont accueillants partout au Québec, mais ici il y a un petit truc en plus qui est difficile à décrire. Il faut le vivre », décrit-il. Or, il associe l’attitude des Témiscamien‧ne‧s à « des personnes vivant sur une île. »

« Les Témiscamien‧ne‧s, ils ont un peu un caractère insulaire, comme s’ils avaient toujours été sur une île à part du reste du Québec. C’est toujours un territoire qui a été méconnu, et c’est toujours oublié. On parle de l’Abitibi [mais pas du Témiscamingue]. C’est comme si le Témiscamingue s’était toujours développé sans jamais attendre Montréal, Québec et tout le reste. »

Ainsi, la faible population et la solidarité qui s’installe entre les habitant‧e‧s font du Témiscamingue un endroit unique. Marion se permet de résumer le tout : « C’est plus petit, on est tissés serré, on est solidaires. » 

 

***

 

En reprenant le chemin inverse vers Montréal – refaire la traverse de Mattawa, reprendre mes Gravol au gingembre, repasser par les routes de l’Ontario – j’ai constaté que de vivre aussi loin, ça s’apprend, et ça a ses avantages. Moins de stress, moins de trafic, moins de distractions, et au final, plus de temps pour profiter de sa vie quotidienne. Les valeurs d’un‧e Témiscamien‧ne sont profondément incrustées dans ce constat. 

Pour les Témiscamien‧ne‧s, la distance n’a jamais été un frein à leur épanouissement personnel : Josée se permet de voyager pendant ses temps libres; Émilise fréquente les plus hautes instances du Québec; Sylvain présente l’exemple de son fils, celui-ci ayant fondé une entreprise de vente de plantes grasses et de cactus, lui permettant de se faire des contacts partout au monde; Charles complète sa maitrise et a pourra éventuellement travailler à Ville-Marie en ergothérapie. Au final, cela ne leur empêche pas de profiter des avantages des grandes villes; simplement un peu de route et de temps, et le tour est joué.  

crédit photo : Félix Beauchemin

[i] Ministre des Affaires municipales et de l’habitation du Québec, Région Administrative 08 : Abitibi-Témiscamingue, Québec : Affaires municipales et habitation, 2021, 6 p. 

https://www.mamh.gouv.qc.ca/fileadmin/cartes/region/08.pdf

[ii] Pierre-Marc Durivage, «  Opémican : un nouveau parc national plein de promesses », La Presse, 3 août 2019, https://www.lapresse.ca/voyage/quebec-et-canada/2019-08-03/opemican-un-nouveau-parc-national-plein-de-promesses.  

[iii] Parcs Canada, « Lieu historique national d’Obadjiwan–Fort-Témiscamingue », 23 juin 2020, https://www.pc.gc.ca/fr/lhn-nhs/qc/obadjiwan-temiscamingue/culture.  

[iv] « Bienvenue à la Ferme chez Lyne et Sylvain », 2021, https://www.chezlyneetsylvain.com/accueil-ferme.  

[v] Emily Blais, « La rupture du service en obstétrique est prolongée jusqu’au 30 août à Ville-Marie », Radio-Canada.ca, 30 juillet 2021,https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1813068/penurie-infirmieres-obstetrique-hopital-enceintes.