Une protection qui ne coule pas de source ou le dur combat des divulgateurs

Québec
Une protection qui ne coule pas de source ou le dur combat des divulgateurs
Opinions
| par Lise Millette |

Concept théorique pour certains, véritable fondement pour plusieurs autres : la protection des sources d’information et des sonneurs d’alarme est tout sauf acquise. 

Lever le voile sur des pratiques non éthiques, dénoncer des actes répréhensibles, braquer les projecteurs sur des réalités gênantes font partie de ces gestes nobles pour lesquels, à ce jour, la reconnaissance méritée tarde toujours à se manifester. Le gouvernement du Québec a déposé un projet de loi présenté comme « Facilitant la divulgation d’actes répréhensibles dans les organismes publics». 

Ce projet de loi 87 pourrait répondre à la recommandation 8 de la Commission sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, la commission Charbonneau, qui suggère la création d’un «régime général de protection des lanceurs d’alerte», autant au public qu’au privé. Ce projet de loi 87 pourrait, au conditionnel, encourager la libre circulation de l’information. Il en porte l’esprit, à défaut des moyens. 

Un projet de loi à la défense des institutions

Pour incarner véritablement cette volonté de facilitation de la divulgation, il aurait fallu que l’intérêt public ait préséance sur une volonté de protéger les institutions. 

C’est en effet la trame qui émane du projet de loi : un système interne de gestion de la divulgation plutôt qu’un véritable mécanisme de transparence. La mouture proposée détaille le cheminement des éventuelles divulgations. Il en balise la démarche, mais il ne permettra à aucun sonneur d’alarme de se sentir vraiment mieux protégé. C’est un peu un mirage. Il ouvre la porte à déterminer la pertinence d’une divulgation, en laissant place à l’arbitraire. Il permet de soustraire à toute étude une plainte portant sur «le bien fondé d’une politique ou d’un objectif de programme du gouvernement ou d’un organisme public». Aucune critique possible, aucune remise en question non plus, même si des preuves existent. 

Il est aussi prévu, à l’article 6 du projet de loi 87, qu’avant de se tourner vers le public, le divulgateur devra contacter la police ou le Commissaire à la lutte contre la corruption. Et il devra également prouver que l’acte répréhensible en cause représente un risque pour l’environnement ou pour la santé. Un postulat qui réduit considérablement le nombre de situations considérées comme étant «d’intérêt public». 

Ajoutons également que cette judiciarisation, avec l’ouverture d’une enquête, revient à mettre une chape de plomb sur ces divulgations puisque lorsqu’une enquête est en cours, aucun commentaire n’est donné, pour ne pas nuire à ladite enquête. Doit-on donc s’étonner que tant de personnes hésitent à sortir de l’ombre? Les représailles ne sont pas qu’une vue de l’esprit : elles existent. Parfois subtiles, parfois très directes, comme au Centre de détention de Sherbrooke, en février, où après la diffusion d’un reportage sur de possibles cas d’harcèlement chez des agentes correctionnelles, la direction a rappelé aux fonctionnaires qu’ils devaient garder le silence, à défaut de quoi, ils pourraient être congédiés. Nous sommes ici à l’antithèse de la transparence promise et que la population est en droit d’espérer de ses institutions. 

Or, la transparence a un poids. Et il est lourd à porter. En graphisme, la transparence s’exprime en termes de degrés, de pourcentage, de nuances. On joue avec les teintes pour faire passer une image devant une autre, ramener un plan à l’avant. L’outil permet de jouer avec les textures, de camoufler certains éléments, de fondre du contenu, d’enrichir par la superposition, de manier des ensembles pour créer quelque chose de plus beau, plus complexe, plus riche. 

Le parallèle avec le politique, avec les organisations, avec l’entreprise privée est facile à faire : tout dire, mais à quel prix ? Le débat sur les données ouvertes de la part des gouvernements conclut que la démocratie serait forcément mieux servie si tous les faits étaient connus et accessibles, mais il reste qu’un tel accès est encore passablement utopiste dans une société où l’on compte désormais plus d’experts en relations publiques qu’en journalisme. 

Ainsi, même avec une volonté de transparence, une partie de l’information sera nécessairement absorbée. Transparence? Au point de tout montrer et tout voir? Des zones d’ombres existent, ne serait-ce qu’au chapitre de la vie privée, mais pas au détriment de ce qui doit être dénoncé sans hésitation. Plutôt que de menacer de congédiement, pourquoi ne pas inviter les potentiels témoins à se manifester? Mettre en place un mécanisme pour que les coupables répondent de leurs actes plutôt qu’à chercher à trouver la source qui a coulé l’information. Il est temps d’affirmer que l’inacceptable n’a plus à être toléré et que la clémence de l’aveuglement ne sert personne et pénalise les victimes. 

En matière de transparence, il y a une obligation de résultats. 

Cet appétit pour plus de transparence a été nourri pendant trois ans des révélations de la commission Charbonneau qui a cristallisé un mouvement de rejet des manigances qui dépouillent impunément les contribuables. La docilité des consommateurs et des électeurs n’est peut-être pas prête de se traduire par un refus global, mais un point de non retour a été franchi dans la tête de plusieurs citoyens qui refusent désormais d’être pris pour des valises. Les audiences publiques de la CEIC se sont traduites par des coûts de plus de 45 millions $ et 1741 pages de rapport. 

Outre les dérives institutionnelles, c’est la santé démocratique qui a été mise à mal avec un vent de méfiance et de scepticisme ambiant. 

Pour redonner du lustre et convaincre que la culture de la malversation est chose du passé, il importe de donner des résultats et d’envoyer un message fort. Si les actes répréhensibles ne doivent pas être dissimulés, si les abus de confiance, la collusion et la corruption ne sont pas tolérés ni tolérables, alors il faut affirmer qu’ils seront réprimandés et punis. Il importe aussi de valoriser le rôle de ceux qui permettront d’assainir tout le système, de valoriser ceux qui dénonceront ces accrocs à la confiance et aux fondements de la vie en société, où l’on place des ressources en commun pour le bien-être de tous. 

Tant que l’on aura l’impression de vouloir garder l’information à l’interne, entre les murs et à l’abri des regards afin que le public n’en sache rien, il ne sera pas possible de rétablir une confiance sévèrement affaiblie. 

 

 

Crédit Photo: Leo Li

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