Une contre-numisphère : un véhicule autonome pour les médias anti-hégémoniques 2/3

Société
Une contre-numisphère : un véhicule autonome pour les médias anti-hégémoniques 2/3
Idées
| par Alexandre Dubé-Belzile |

 

Les médias hypertextuels et leurs implications sociales

 

Notre article s’inscrit en quelque sorte dans la foulée des questionnements lancés par Noam Chomsky dans les années 1980 avec Manufacturing Consenti, ouvrage méritant une mise à jour importante. Dans ce deuxième texte, nous aborderons les implications de la « révolution numérique » et de l’hypertexte dans les médias. Dans quelle mesure pourrions-nous libérer l’hypertexte, et les médias qui en dépendent, des contraintes imposées par le système capitaliste international? D’ailleurs, la question des médias hypertextuels eux-mêmes sera traitée plus précisément dans cet article. Dans un troisième texte, nous chercherons également à émettre des pistes de réflexion pour poursuivre la lutte grâce, entre autres, au média même qui permet la diffusion de ces textes, c’est-à-dire la revue L’Esprit libre.

 

« Si Carl von Clausewitz avait écrit De la guerre au XXIe siècle, il en serait venu à la constatation suivante : les médias ne sont que la continuation de la guerre par d’autres moyensii. »

« Le spectacle est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient imageiii. »

 

L’historien Jacques Ellul a retracé les origines de la propagande, terme qu’on peut utiliser pour décrire le « spectacle », jusqu’au tyran Pisistrate (600-527). Ce dernier en aurait raffiné l’art pour atteindre des sommets inégalés, non seulement en faisant preuve d’une éloquence exceptionnelle et en donnant des fêtes orgiaques, mais surtout en dénonçant constamment l’ennemi public, soient des Eupatrides dans son cas. Selon ses dires, ces derniers voulaient attenter à sa vieiv. Nul besoin de gymnastique intellectuelle pour voir qui serait, dans les médias, les Eupatrides du présent millénaire. Le linguiste américain Noam Chomsky et plus tard le sociologue syrien Yasser Munif se sont intéressés au « modèle de propagande » moderne qui étouffe toutes les formes d’expression en marge des grands empires médiatiques. Ceux-ci, par le maintien d’une culture de divertissement, font la promotion des intérêts et de la vision du monde d’une élite internationale. Selon Chomsky et Munif, le levier des médias de masse a servi à dépolitiser les populations et à exacerber ce que nous connaissons comme la société de consommation et de « spectacle ». D’après Chomsky, cette orientation vers le divertissement et la surconsommation est « une érosion de la sphère publique sous un système de médias commerciaux ». Ce système cherche à vendre des biens, des services, mais aussi une idéologie : ce serait l’« équivalent contemporain du cirque romain ». Il mène les populations au large de tout processus décisionnel politique et permet à la classe dirigeante de se maintenir au pouvoirv. Nous assistons donc à un foisonnement de canaux d’expression d’une part et, d’autre part, d’une puissance qui, au milieu de ce foisonnement, se fait de plus en plus impitoyable dans l’affirmation de sa suprématie, comme si cette croissance exponentielle de l’abondance d’information n’était qu’une source de confusion, de la poudre aux yeux.

 

Georges Landow, malgré son enthousiasme débordant, ne manque pas de faire état du strict contrôle de l’Internet exercé de nos jours par certains États, à l’aide de systèmes de filtrage. Dans certains cas, lorsque l’accès est limité à quelques établissements publics, certains vont même jusqu’à utiliser des patrouilles et des caméras de surveillance, comme c’est le cas en Chine.vi D’ailleurs, Walter Benjamin soulignait déjà, dans l’entre-deux-guerres, l’émergence de phénomènes nouveaux et inséparables de l’art des massesvii, parmi lesquels un nouveau culte de la personnalité, un vedettariat devenant le visage d'un ensemble de dynamiques mercantiles en pleine expansion. Ce culte stimulera chez un auditoire passif une identification aux vedettes, justifiant un pernicieux individualisme et donnant forme à une aliénation qui entrave toute forme de conscientisation à la lutte des classes en cours. Guy Debord disait dans un même ordre d’idée :


 

« De l’automobile à la télévision, tous les biens sélectionnés par le système spectaculaire sont aussi ses armes pour le renforcement constant des conditions d’isolement des "foules solitaires". […] Là, c’est le pouvoir gouvernemental qui se personnalise en pseudo-vedette; ici, c’est la vedette de la consommation qui se fait plébisciter en tant que pseudo-pouvoir sur le vécuviii. »


 

Cette tyrannie organise, par ses manipulations de l’information, les systèmes de représentation et de diffusion d’idées, et ce, pour protéger la propriété privée qui aurait dû perdre son importance grâce à la reproduction mécanisée et la diffusion massive d’écrits. En principe, l’hypertexte aurait dû être le dernier clou dans le cercueil de la propriété intellectuelle. Cependant, l’emprise de cette dernière sur la culture et l’information a plutôt été consolidée, l’hypertexte de résistance ayant été subordonné aux fins de l’expansion du capital ix. Enfin, l’identification au vedettariat est peut-être encore plus forte sur les médias sociaux émergeant de la deuxième étape de développement de la numisphère, celle du « Web 2.0 ». Cette identification contribue à l’érection d’une muraille encore plus haute et, en apparence, infranchissable, qui assure l’étanchéité entre une société d’individualismes et l’émergence d’un mouvement révolutionnaire.

Enfin, ce populisme numisphérique pose certains risques non négligeables. Walter Benjamin parlait des dangers de l’esthétisation du politique par la reproduction mécanique et le cinémax. La passivité devant le cinéma serait d’ailleurs semblable à celle de l’internaute, ce que souligne aussi Dominique Cardonxi.Les traces laissées sur le Web par les utilisateurs et utilisatrices, les « j’aime » sur Facebook, les gazouillis sur Twitter, sont, comme des votes, une participation symbolique, qui n’a que peu de répercussions sur celles et ceux détenant le pouvoir. Enfin, le philosophe anarchiste Peter Lamborn Wilsonxii parlait de l’Internet comme d’un phénomène religieux. Cela rejoint le propos de Doueihi : « Le numérique ne cesse de convertir tout ce qui est hérité, tout ce qui est prénumérique, car il est, de par sa nature, voué à ce travail continu de conversionxiii », une conversion qui ne se ferait pas, selon nous, en notre faveur. Comme le disait encore une fois Guy Debord, « [l]e spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images. […] Le spectacle ne peut être compris comme l’abus d’un monde de la vision, le produit des techniques de diffusion massive des imagesxiv ».

Le prosélytisme de la numisphère n’est plus celui de l’expansion de nos consciences, telle que se voulait la révolution psychédéliquexv, mais bien l’appropriation de nos facultés d’analyse. Les propriétés privée et intellectuelle contribuent à l’aliénation. L’écriture et l’imprimé permettaient de figer la parole, moyennant des efforts et un coût considérable alors que la numisphère permet de générer une infinité de copies en quelques secondes, à des coûts bien moindres. Cela a contribué à une multiplication des profits pour les éditeurs et l’expansion du capital vers l’immatérialité plutôt qu’une plus vaste diffusion. Cela annoncerait que, sous peu, des « capacités » données à la naissance, ou du moins réputées comme telles, seront des commodités vendues à celles et ceux en ayant les moyens plutôt que comme des « béquilles » servant à favoriser l’égalité. Cela rejoint le concept du biopouvoir mis de l’avant par Michel Foucault, c’est-à-dire un pouvoir exercé sur le vivant mêmexvi. C’est ce qui se produit aussi avec l’information qui se retrouve aux mains des médias hégémoniques. Au sujet de cette marchandisation, nous ne pouvons que revenir à Debord :

« C’est dans cette lutte aveugle que chaque marchandise, en suivant sa passion, réalise en fait dans l’inconscience quelque chose de plus élevé : le devenir-monde de la marchandise, qui est aussi bien le devenir-marchandise du mondexvii. »

Qui plus est, l’information et ses discours sont intimement liés aux éventuelles justifications idéologiques de ces marchandisations ou commodifications. Nous préférons d’ailleurs le terme de commodité, que nous distinguons de la marchandise. Pour ce qui est du sens précis de commodité, Slavoj Žižek la définit de la manière suivante :

« Une commodité n’est jamais qu’un simple objet que nous achetons et que nous consommons. Une commodité est un objet chargé d’attraits théologiques et même métaphysiques. […] Dans nos sociétés post-modernes […] le plaisir devient une sorte de devoir pervers. […] Le désir n’est jamais simplement le désir pour une chose en particulier. Il s’agit aussi d’un désir pour le désir lui-même, un désir de continuer de désirerxviii. »


 

Cela dit, la « conversion », dont faisait état l’historien des religions et titulaire de la chaire d'humanisme numérique à l'université de Paris-Sorbonne Milad Doueihi, a donné naissance à de nouvelles idéologies qu’on pourrait rapprocher de différentes formes de totalitarisme et qui, plutôt que de démocratiser le savoir, engendrent des rapports de pouvoir d’autant plus sinistres. Jean-Claude Ravet, éditeur de la revue Relations, décrit le transhumanisme comme une forme de totalitarisme émergente, une idéologie proche du libertarianisme, du post-hippie et du capitaliste et qui « prône l’augmentation de nos capacités physiques et mentales et l’amélioration de l’espèce humaine grâce à son hybridation étroite avec la technique par le biais de différentes technologies de pointexix ». Ce sont là les Google, les Airbnb et les Facebook de ce monde. Alors que la numisphère promettait d’abord un retour en arrière quasi néoluddite par rapport aux superstructures répressives et aux institutions de l’imprimé, de nouvelles superstructures ont émergé au sein de celle-ci. Elles sont transnationales, plus fluides et pourraient éventuellement mener à d’autres formes de tyrannies qui, nous l’imaginons, pourraient ressembler aux réalités post-apocalyptiques représentées dans la culture populaire et dans les écrits cyberpunks. Les multinationales profitent déjà du soutien des États qui, par des lois, protègent la propriété privée et intellectuelle contre le reste du monde. D’ailleurs, il est en principe illégal de mémoriser un livre, puisque cela consiste en une reproduction. Ainsi, notre propre capacité à apprendre et à absorber des renseignements, notre matière grise, et toutes les prothèses connexes, entreraient en conflit avec la « souveraineté » du capital. L’évolution des technologies sera toujours au service des autocrates, malgré leur constante évolution et la multiplication de leurs pôles de gravitation et de leurs ramifications; à moins que les moyens de production de ces dernières soient socialisés, ce qui semble nécessiter un grand bond vers l’arrière, une décroissance, comme le souligne Murray Bookchin, qui aura influencé Abdullah Ocalan et la révolution au Rojava. D’ailleurs, Bookchin affirmait que l’État assurait sa survie en maintenant la rareté de manière artificielle. C’est ce qu’il définit comme la « sainteté de la propriétéxx ». Nous estimons que ces agissements de l’État qui se font par l’entremise de ses institutions et de ses mécanismes de répression touchent également la numisphère au sein de laquelle, paradoxalement, la rareté devrait être pratiquement impossible.


 

Un retour en arrière par rapport à ces structures est également défendu par le professeur Salah Basalamah, de l’Université d’Ottawa, en ce qui concerne le droit d’auteur dans son ouvrage Le droit de traduire d’une manière tout à fait pertinente pour l’hypertexte. Il y affirme que

« [e]n somme, la révolution traductive, s’il en est, c’est l’effort constant de susciter la libre "discussion" des langues et des cultures qui nous traversent en vue de développer notre capacité de nous déprendre de tout ce qui nous retient de nous concilier avec l’universel. […]  L’espace révolutionnaire ainsi théâtralisé ouvre à la généralisation du processus traductif : […] tout est traduction ou rien n’est signexxi. »


 

C’est non seulement que tout texte se trouve à traduire d’autres textes préexistants, c’est d’ailleurs là la définition même de l’hypertexte, mais que tout texte, dont les articles d’information, traduit des réalités et que même leurs reproductions sont aussi des traductions, ne serait-ce qu’en langage binaire de programmation (des octets encodés de 1 et de 0). Qui plus est, lors d’un bref entretien téléphonique, monsieur Basamalah a confirmé ce que nous pensions, c’est-à-dire que « [l]a traduction est critique par essence ». Tout est traduction et tout est critique. Toute tentative de freiner la multiplication infinie des discours est idéologique et tend au maintien de la « suprématie du statu quo », comme l’affirme Žižekxxii. Ainsi, tous les articles des médias indépendants devraient traduire et critiquer tous les discours existants, en évitant de se fondre dans les dynamiques de la « société du spectacle », cet écran de projection dont se vêt le capital pour se déterritorialiser.


 

La numisphère a également consolidé la commodification des rapports humains. À cet égard, Doueihi affirme que celle-ci offrait « une sorte de promesse de survie et d’éternité qui prépare la transformation de l’humain par la technique et qui incarne le nouveau tournant cognitif associé à la culture numériquexxiii. » Il en parle comme d’une « nouvelle économie affectivexxiv». Cette notion n’est pas sans rappeler la « notion de dépense » de George Bataillexxv. Ce dernier mettait de l’avant la « dépense improductivexxvi » comme une forme de sacrifice servant à contrer les répercussions d’une société dans laquelle les relations sont régies comme des transactions intéresséesxxvii. Encore une fois, l’utilisation hégémonique de la numisphère tend à une commodification des échanges et des données relatives à la vie privée et à ce que Doueihi qualifie de « nouvelles économies numériquesxxviii. » Žižek parlait aussi de l’autocommodification de soi : les relations sociales et amoureuses étaient soumises aux règles du marché, les données devenant aussi monnaie d’échange pour Facebook et Google, en plus des devises plus conventionnellesxxix. Cette nouvelle monnaie d’échange s’est d’ailleurs concrétisée, peut-être, dans les cryptomonnaies.

 

En fait, nous pourrions avancer l’idée d’un marché social au sein duquel les données (apparence physique, appartenance sociale, travail, loisirs) deviendraient monnaie d’échange et où les coûts des relations amicales ou amoureuses répondraient aux lois de l’offre et de la demande, et ce, même hors de la numisphère. Il va sans dire que ce phénomène touche aussi l’éducation et l’information, ainsi que leur surproduction aux profits de la classe capitaliste. Cette dernière aliène le reste du monde avec cette même éducation et cette même information et doit toujours trouver de nouveaux débouchés. L’urbanité est d’ailleurs le lieu par excellence pour écouler cette surproduction. Jonathan Durand Folco, professeur en innovation sociale à l’Université Saint-Paul, affirme d’ailleurs que l’urbanisation serait intimement liée à l’expansion du capitalisme, la ville « étant l’espace idéal pour absorber le surproduit et l’excédent de marchandises créé par le capitalxxx». Cela dit, il affirme aussi que « [l]a différence entre urbanité et ruralité tend à s’effacer, tandis que le rapport direct au territoire (l’espace des lieux) semble disparaître progressivement au profit des relations virtuelles au sein de l’"espace des fluxxxxi" ». Cela rejoint ces propos de Guy Debord :

 

« L’urbanisme est l’accomplissement moderne de la tâche ininterrompue qui sauvegarde le pouvoir de classe : le maintien de l’atomisation des travailleurs que les conditions urbaines de production avaient dangereusement rassemblés. […] L’effort de tous les pouvoirs établis, depuis les expériences de la Révolution française, pour accroître les moyens de maintenir l’ordre dans la rue, culmine finalement dans la suppression de la ruexxxii. »

 

Cependant, comme nous le rappellent Deleuze et Guattari (1972), la reproduction sociale (comme la surproduction, la surconsommation et, logiquement, l’hypersexualisation) résulte d’un désir, comme toute forme de contrôle ou d’hégémonie. Nous pourrions parler longuement de la pornographie largement diffusée sur le Net et ses implications sociales et politiques. Dans l’ouvrage Beyond Speech : Pornography and Analytic Feminist Philosophy, Rae Langton, professeure de philosophie à l’Université de Cambridge, aborde la pornographie comme une loi (et donc se rapportant à un État) qui consolide la subordination de la femme dans les représentations sexuelles et par conséquent, dans le « réelxxxiii ». On soutient même plus loin dans cet ouvrage que la pornographie se définirait par cette hiérarchisation, signifiant que le fait de voir des organes génitaux et des rapports sexuels non simulés n’est pas ce qui constitue la pornographie en son essence, mais bien les rapports de pouvoir établis et sans cesse reproduitsxxxiv. La pornographie reflète également des rapports de pouvoir racistes néocoloniaux, notamment dans le traitement qu’elle réserve aux femmes raciséesxxxv.

 

Quoi qu’il en soit, Deleuze et Guattari posent la question que Reich avait empruntée à Spinoza : « Pourquoi les hommes [et les femmes! Notre propre élément de critique idéologique] combattent-ils [et elles!] pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salutxxxvi? »En autres mots, le désir engendre la reproduction sociale comme la communication produit du sens. C’est le point de départ des postulats Žižekiens sur l’idéologiexxxvii. Deleuze et Guattari poursuivent un peu plus loin : « L’existence massive d’une répression sociale portant sur la production désirante n’affecte en rien notre principe : le désir produit du réel, ou la production désirante n’est pas autre chose que la production socialexxxviii». Et enfin, ils affirment encore un peu plus loin que « l’immortalité conférée à l’ordre social existant entraîne dans le moi tous les investissements de répression, les phénomènes d’identification, de "surmoiisation" et de castration, toutes les résignations-désirsxxxix ». La position révolutionnaire serait, quant à elle, la « critique idéologique » dont parlait Žižekxl qui remet en question cette pérennité attribuée à l’ordre établixli. La révolution nécessite d’abord que l’on comprenne le caractère éphémère et fragile des institutions, comme les médias, et l’importance de notre créativité, dont les médias hégémoniques cherchent à miner l’influence, comme moyen d’agir sur les réalités en les traduisant et en maintenant une tension par rapport aux « évènements », au sens où l’entend Slavoj Žižekxlii. Encore une fois, nous nous permettons de citer Debord :

 

« La conscience du désir et le désir de la conscience sont identiquement ce projet qui, sous sa forme négative, veut l’abolition des classes, c’est-à-dire la possession directe des travailleurs sur tous les moments de leur activité. Son contraire est la société du spectacle, où la marchandise se contemple elle-même dans un monde qu’elle a crééxliii. »

 

Durand Folco parle de « socialiser » les vérités, une idée elle-même empruntée au philosophe marxiste Antonio Gramsci, pour engendrer de « nouvelles solidaritésxliv. » Ainsi, la révolution permettant l’épanouissement total des médias anti-hégémoniques nécessite de croire à la possibilité pour les médias hégémoniques de s’éteindre. Aussi, Durand Folco mentionne, dans son Traité de municipalisme, que l’État a remplacé l’Églisexlv, ce qui sous-entend que les médecins, les enseignant·e·s et peut-être même les politicien·ne·s et les généraux et générales ont remplacé les curés et les évêques. À nous d’abattre ces dogmes pour que la société remplace l’État, les médias hégémoniques, les médecins, les enseignant·e·s, les politicien·ne·s, les généraux et les générales. Dans cet ordre qui s’alimente de nos propres désirs, ces derniers, ainsi que les pôles d’identification autour desquels ils gravitent, sont entérinés beaucoup plus fréquemment et sont d’autant plus amplifiés par les médias sociaux, rendant ainsi démesurée la production d’aliénation, dont les moyens restent entre les mains d’une minorité. Peter Lamborn Wilson affirmait à propos d’Internet :


 

« Les médias comme technologies (de machines) sont de parfaits miroirs-représentations de la totalité qui les produit (ou vice-versa). L’Internet, par exemple, ne reflète pas seulement ses origines militaires, mais également ses affinités avec le Capital. Comme la mondialisation, il fait tomber les frontièresxlvi. »


 

Les démocraties libérales actuelles (l’ordre établi pour beaucoup) tentent désespérément de conserver les apparences de la légitimité tout en s’adonnant à une privatisation croissante et en entretenant un populisme et une démagogie, ses meilleurs alliés. Derrière cette façade se consolident des tendances libertariennes, défenseuses d’un retour à une hiérarchie dite « naturelle ». Le néolibéralisme effrite l’État de social-démocratie pour laisser entrevoir, à travers les lézardes parcourant ses parois, le noyau de l’État, inchangé depuis les Premiers Empires : répression, armée, police, hiérarchie. Comme nous le disions antérieurement, ce populisme s’appuie grandement sur les possibilités de la numisphère et se trouve ainsi à contrer toute forme de conscientisation, conférant des lunettes aveuglantes à ce qui peut être aperçu par ces « lézardes » causées par le néolibéralisme. Dans un troisième texte, nous chercherons à émettre des pistes de réflexion pour poursuivre la lutte grâce, entre autres, au média même qui permet la diffusion de ces textes, c’est-à-dire la revue L’Esprit libre.

CRÉDIT PHOTO: Mohamed Hassa, Pxhere

i Edward S. Herman et Noam Chomsky, Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media, New York, Pantheon Books, 1988.

ii Yasser Munif. “Media is the continuation of War with Other Means: The New York Times’ coverage of the Israeli War in Lebanon ”. The MIT Electronic Journal of Middle East Studies, 2006, p. 126. Disponible à : http://www.mafhoum.com/press10/292P6.pdf. [consulté le 30 septembre 2018].

iii Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Les Éditions Buchet Chastel, 1967, p. 21.

iv Jacques Ellul, Histoire de la propagande, Paris, Presses universitaires de France, 1976, p. 9.

v Edward S. Herman et Noam Chomsky, Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media, New York, Pantheon Books, 1988, p. XVIII.

vi George Landow, Hypertext 3.0, Baltimore, John Hopkins University Press, 2006, pp. 322.

vii Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Paris, Payot, 1939, p. 70.

viii Op. cit., note 3, p. 20, 34-35.

ix Op. cit., note 7, pp. 47-48.

x Op. cit., note 7, p. 60.

xi Dominique Cardon, « L’ordre du Web ». Médium 4, n29, 2001, p. 191‑202.

xii Peter Lamborn Wilson, “Cybernetics & Entheogenics: From Cyberspace to Neurospace ”, Hermetic Library, 19 janvier 1996. Disponible à : <https://hermetic.com/bey/pw-neurospc> [consulté le 30 septembre 2018]

xiii Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, 2011, p. 92.

xiv Op. cit., note 3, p. 10-11.

xv Martin Lee et Bruce Shlain, Acid Dreams: The Complete Social History of LSD: The CIA, the Sixties, and Beyond, New York, Grove Press, 1985.

xvi Michel Foucault, « La naissance de la médecine sociale » et « L'incorporation de l'hôpital dans la technologie moderne », dans Dits et écrits, vol. 2, 1994, pp.2017-280, 508‑521.

xvii Op. cit., note 3, p. 38.

xviii Sophie Fiennes, The Pervert’s guide to Ideology, 2012, notre traduction.

xix Jean-Claude Ravet, « Le corps obsolète? L’idéologie transhumaniste en question ». Relations, 792, octobre 2017, p. 14.

xx Murray Bookchin, Post-scarcity Anarchism. Montreal : Black Rose Books, 1986, pp.287-288.

xxi Salah Basalamah, Le droit de traduire : Une politique culturelle pour la mondialisation, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2009, pp. 94-95 et 109–10.

xxii George I. García et Carlos Guillermo Aguilar Sánchez, “Psychoanalysis and Politics: The Theory of Ideology in Slavoj Žižek ”, International Journal of Žižek Studies, 2, 3, 2008, pp. 125-141.

xxiii Op. cit., note 13, p. 98.

xxiv Op. cit., note 13, p. 127.

xxv Georges Bataille, La part maudite, précédé de La notion de dépense, Paris, Les Éditions de Minuit, 1967, p.23.

xxvi Ibid., p. 27.

xxvii Ibid., p. 25-28.

xxviii Op. cit., note 13, p. 100.

xxix Collin Marshall. “Slavoj Zizek​ Explains What’s Wrong With Online Dating & What Unconventional Technology Can Actually Improve Your Love Life ”, The Zizek Times, sans date. Disponible à : http://www.zizektimes.com/2017/05/slavoj-zizek-explains-whats-wrong-with.... [consulté le 30 septembre 2018]. Slavoj Zizek, « UMBR(a), From ‘Passionate Attachments’ to Dis-Identification », 1998. Disponible à : http://www.lacan.com/zizekpassionate.htm. [consulté le 30 septembre 2018].


 

xxx Jonathan Durand Folco, À nous la ville! Traité de municipalisme, Écosociété, Montréal, 2017, p.22.

xxxi Op. cit., note 30, p.8.

xxxii Op. cit., note 3, p. 103

xxxiii Mari Mikkola, Beyond Speech: Pornography and Analytic Feminist Philosophy, Studies in Feminist Philosophy, Oxford University Press, 2017, p. 23.

xxxiv Ibid., p. 92

xxxv Ibid., p. 177-185

xxxvi Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie 1 : L’Anti-Œdipe, Paris, Les Éditions de Minuit, 1972.

xxxvii Op. cit., note 13, p. 98.

xxxviii Op. cit., note 36, pp. 36-37.

xxxix Op. cit., note 36, p. 74.

xl Op. cit., note 22.

xli Op. cit., note 22.

xlii Slavoj Žižek, Event: A Philosophical Journey Through A Concept, New York, Melville House, 2014.

xliii Op. cit., note 3, p. 30.

xliv Op. cit., note 30, pp. 84-85.

xlv Op. cit., note 30, p. 11.

xlvi Peter Lamborn Wilson, « A Network of Castles . » Hermetic Library, 5 décembre 1997, notre traduction. Disponible à : <https://hermetic.com/bey/network-castles> [consulté le 30 septembre 2018]

 

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