Une communauté autochtone conteste les fondements du régime minier québécois

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Une communauté autochtone conteste les fondements du régime minier québécois
Analyses
| par Thomas Deshaies |

Avec la collaboration de Catherine Paquette

La communauté algonquine de Lac Barrière (nation algonquine de Mitchikanibikok Inik) tente de forcer le gouvernement du Québec à réformer la Loi sur les mines pour que toute activité d’exploration minière sur son territoire soit précédée d’une consultation en bonne et due forme. Cette contestation juridique est une première au Québec et plusieurs jugent qu’elle pourrait avoir des impacts majeurs sur le régime minier québécois.

La communauté de Lac Barrière a intenté une poursuite en janvier 2020 contre le gouvernement du Québec pour que la Loi sur les mines soit modifiée. « C’est vraiment le régime juridique au complet, dans son essence même, qui pose problème », résume l’avocat de la communauté, Marc Bishai.

Ce qui est en cause : le mode d’attribution des titres miniers (plus communément appelés les claims). Les claims permettent à une entreprise d’effectuer des travaux d’exploration minière afin de trouver un gisement économiquement rentable et, éventuellement, d’ouvrir une mine. Les entreprises et individus achètent des titres miniers en ligne, via l’interface GESTIM du gouvernement, pour ensuite obtenir l’autorisation d’effectuer des travaux sur le territoire visé.

Pour expliquer ce qu’est un « titre minier », le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) mentionne sur son site qu’il procure « le droit exclusif d’y chercher les substances minérales » et que le « mode d’acquisition est un procédé simple et rapide » . Le régime « s’appuie sur un accès le plus large possible au territoire, un droit de recherche ouvert à tous, sans égard aux moyens des demandeurs », mentionne également le MERN.


« Le principe, c’est la liberté de prospection, ou le free mining, qui permet à quiconque d’enregistrer automatiquement, quasiment, des claims miniers et ce, sans consultation préalable de la communauté autochtone qui occupe déjà le territoire, déplore Me Bishai. C’est, selon nous, inconstitutionnel. »

« Il est dans l’intérêt de tous [et toutes], à mon avis, incluant les acteurs de l’industrie, que le régime minier soit constitutionnel parce que ça accorde une plus grande prévisibilité » — Marc Bishai, avocat 

La loi constitutionnelle de 1982 oblige l’État à consulter les communautés autochtones sur les projets d’exploitation des ressources naturelles qui pourraient se développer sur leur territoire, souligne Me Bishai. C’est sur cette base que la communauté de Lac Barrière a intenté sa poursuite.

Un conflit avec une entreprise d’exploration minière

La récente contestation juridique trouve plus précisément racine dans un conflit qui a opposé, il y a quelques années, la communauté de Lac Barrière au gouvernement du Québec et à l’entreprise d’exploration minière Copper One.

La communauté protestait contre les travaux d’exploration minière aux abords de son territoire. En fait, elle s’opposait surtout à tout possible projet minier puisqu’il serait incompatible avec sa vision de l’occupation du territoire.

Un conflit qui s’est conclu en 2017 par le versement, de la part du gouvernement du Québec, d’une somme de 8 M $ à Copper One pour qu’elle délaisse ses titres miniers. « [La communauté] a alors constaté qu’il y a absence de consultation avant que des transactions aient lieu concernant des claims sur son territoire », explique Me Bishai.

Par voie de communiqué, le chef de la nation algonquine de Mitchikanibikok Inik, Casey Ratt, a déclaré en janvier dernier que la loi est, selon lui, « dépassée ». « Notre territoire comprend plusieurs sites importants d’un point de vue écologique et culturel qui sont essentiels pour assurer notre survie. Nous ferons tout en notre pouvoir pour le protéger des projets miniers risqués », a-t-il souligné.

Un dossier suivi par l’industrie

Au moment d’écrire ces lignes, la position du gouvernement dans cette affaire n’était pas connue. Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles a décliné notre demande d’entrevue « puisqu’il s’agit d’un dossier judiciarisé ».

L’Association d’exploration minière du Québec (AEMQ), qui représente des entrepreneurs et des minières, a quant à elle accepté de répondre aux questions de L’Esprit libre, en se gardant toutefois de commenter en détail cette affaire.

Le directeur de projet pour l’AEMQ, Alain Poirier, précise que l’obligation de consulter les communautés autochtones est une responsabilité qui incombe au gouvernement et non à l’industrie. Il martèle que cette poursuite concerne donc davantage l’État que l’industrie. « On ne peut pas se substituer au rôle du gouvernement (de consulter). C’est lui le gestionnaire du territoire », explique-t-il.

M. Poirier concède toutefois que la poursuite sera suivie de près par les membres de l’association. « On veut savoir ce qui va en sortir comme jugement, affirme-t-il. Ce sont souvent des causes qui sont portées jusqu’en Cour suprême et les jugements viennent modifier l’approche que les gouvernements vont avoir. »

La Loi sur les mines est peu critiquée, selon l’AEMQ

Les entreprises qui souhaitent procéder à des travaux d’exploration minière aux abords des communautés autochtones recueillent toutefois les préoccupations de celles-ci avant de procéder, assure M. Poirier. « Normalement, tu vas rencontrer la communauté, tu veux les informer, parce que tu veux savoir quelles sont leurs préoccupations et s’il y a des secteurs où il ne faut pas aller », souligne-t-il. Le chargé de projet explique, à titre d’exemple, qu’il n’est pas rare qu’après discussions, des entreprises consentent à paver certaines routes ou à arrêter leurs opérations en période de chasse.

« L’industrie a évolué. L’industrie parle beaucoup plus aux gens des communautés qu’elle ne le faisait il y a 10 ans, 15 ans ou 20 ans, parce que c’est comme cela que ça fonctionne aujourd’hui. » — Alain Poirier, directeur de projet pour l’AEMQ

De son point de vue, les contestations de la Loi sur les mines sont rares au Québec. « La Loi sur les mines a été modifiée à plusieurs reprises et on n’entend pas beaucoup de contestations ni de commentaires négatifs, juge M. Poirier. Il y a [le processus] d’octroi des claims qui est contesté, mais par une seule communauté pour le moment. »

Seulement 4 % du territoire est claimé, selon l’AEMQ

En ce qui concerne le système d’attribution des claims, M. Poirier ne pense pas que l’industrie a une marge de manoeuvre inappropriée. « Ce n’est pas vrai que parce tu as un claim, tu peux tout faire. Tu ne peux pas exproprier les gens ou faire des travaux qui ont des impacts sur la forêt sans demander de permis », cite-t-il en exemple.

Il mentionne également que 33 % du territoire québécois est visé par une interdiction de travaux d’exploration minière ou sous contrainte. Par contrainte, il cite en exemple la présence d’aires protégées.

Il reconnait cependant que le fonctionnement actuel n’implique pas de consultation préalable avant l’obtention de claim. « À l’heure actuelle, ça ne se fait pas », constate-t-il. « La demande de claim déclenche un processus de validation du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, qui [va] valider avant de donner le droit », avance-t-il. C’est pourquoi, à ses yeux, la contestation de la procédure actuelle concerne d’abord le gouvernement, et non l’industrie.

Il précise cependant qu’il y a « une immense différence entre avoir un claim et une mine ». Seulement 4 % du territoire québécois est actuellement claimé, selon M. Poirier. « Les mines qui ouvrent aujourd’hui ont été découvertes il y a 10, 15, 20 ans, ce qui fait que c’est un processus extrêmement long », ajoute-t-il. Des travaux d’exploration peuvent s’effectuer sur de vastes territoires alors qu’un éventuel projet minier n’est développé que sur une fraction de cette superficie.  

Malgré les réformes de la loi, les problèmes demeurent, selon une chercheuse

La professeure de droit à l’Université d’Ottawa, Sophie Thériault, est spécialiste des droits des peuples autochtones dans le contexte de l’extraction des ressources naturelles. Elle estime que le régime minier québécois « est structuré de telle manière à rendre impossible la consultation préalable des peuples autochtones avant l’enregistrement du claim. [...] L’entrepreneur minier peut obtenir de manière unilatérale un claim, sans que l’État exerce un pouvoir discrétionnaire », précise-t-elle.

Cette situation est, selon elle, un enjeu de taille notamment pour les territoires des communautés autochtones non conventionnées et qui n’ont donc jamais été cédés. Les Algonquin·e·s de Lac Barrière font partie de ce cas de figure. « Ils [et elles] peuvent toujours revendiquer l’existence de titres ancestraux, explique Mme Thériault. Un titre ancestral en droit canadien est défini comme le droit exclusif d’occuper un territoire, de l’utiliser et de bénéficier de l’exploitation de ses ressources. »

« Il y a une collision frontale entre le régime de claim minier et le titre ancestral » — Sophie Thériault, professeure de droit à l’Université d’Ottawa

Puisque le territoire n’a jamais été cédé, l’État est dans l’obligation de consulter les communautés lorsqu’une mesure étatique est susceptible d’être préjudiciable aux droits des peuples autochtones, précise Mme Thériault. Plusieurs communautés anishinabées ont tenté par le passé de négocier un traité avec les gouvernements, mais le processus n’a jamais abouti.

« À mon avis, l’enregistrement d’un claim minier sur un territoire potentiellement détenu en vertu d’un titre ancestral devrait donner lieu à une obligation de consultation », tranche Mme Thériault, qui se dit convaincue que certaines dispositions de la Loi sur les mines ne respectent pas les droits constitutionnels des Autochtones.

« L’État au service de l’industrie minière »

Mme Thériault soutient que ces enjeux de non-respect des droits ancestraux sont connus depuis longtemps. Elle émet l’hypothèse que la logique de free mining datant du XIXe siècle a survécu aux différentes réformes de la Loi sur les mines – dont la dernière remonte à 2013 — parce que cette approche est « favorable aux investisseurs miniers ». « Les entrepreneurs [et entrepreneuses] miniers réclament haut et fort l’accès le plus libre possible au territoire pour pouvoir mener des activités d’exploration et augmenter les chances de trouver un gisement rentable », constate-t-elle.

Selon elle, le système minier est à ce point favorable à l’industrie qu’il est reconnu internationalement comme tel par les grandes entreprises minières. « L’enjeu de l’économie politique ici est de dire que l’État est au service de l’industrie minière qu’il promeut également », affirme-t-elle.

Les entrepreneurs qui investissent pour effectuer des travaux d’exploration minière s’attendent d’ailleurs à pouvoir démarrer une mine s’ils trouvent un gisement intéressant. « On s’attend à ce que, s’il y a découverte d’un gisement rentable, on ait le droit de pouvoir exploiter le gisement en question », mentionne-t-elle.

Les fondements de la loi

Les fondements du free mining proviennent des ruées vers l’or du XIXe siècle et des codes miniers qui ont été développés par les prospecteurs eux-mêmes, selon la professeure. « Ils ont fait une pression importante sur les législateurs pour que ces codes miniers servent de base pour les législations étatiques, parce que les mineurs savaient que ces codes étaient favorables à l’expansion de l’industrie minière », explique-t-elle.

Le free mining est devenu une « forme de système de pensée qui est très ancrée dans les cultures minières et dont il est très difficile de faire abstraction », ajoute Mme Thériault, pour expliquer sa non-remise en question par les gouvernements.

Un enjeu aussi pour les allochtones

Selon Mme Thériault, la décision dans l’affaire opposant Lac Barrière au gouvernement du Québec pourrait devenir un « précédent très important et susceptible d’influencer le développement du droit dans d’autres juridictions ».

Elle croit également que cette contestation pourrait être bénéfique pour les communautés non autochtones. « Dans l’éventualité où l’État est forcé de restructurer son régime minier de manière à obliger la consultation avec les communautés autochtones, on va être mieux en mesure d’intégrer des processus décisionnels beaucoup plus ouverts, puis de laisser une place beaucoup plus grande aux démocraties locales », conclut-elle.

Le traitement de cette contestation judiciaire sera retardé en raison de la pandémie.