Un an de crise, un an de contestation

Parastoo Maleki, Unsplash.
Québec
Un an de crise, un an de contestation
| par Adèle Surprenant |

 

Le 23 mars 2020, le gouvernement caquiste annonçait l’imposition d’un confinement d’au moins trois semaines, premier pas d’une série de mesures sanitaires qui ponctuent depuis l’actualité – et le quotidieni. Au Québec et ailleurs, de nombreuses voix se sont élevées contre une réponse politique jugée, entre autres, « liberticide ». Alors que les feux sont braqués sur les antimasques, antivaccins ou carrément coronasceptiques, d’autres formes de contestation se mettent en place.  

« Plus l’état d’urgence avance, plus la légitimité du gouvernement doit être questionnée », prévenait le juriste et professeur Louis-Philippe Lampron durant un webinaire organisé par la Ligue des droits et libertés (LDL) du Québec, le 24 février 2021ii 

Au Québec, l’état d’urgence est reconduit depuis le 13 mars 2020, en vertu des articles 118 et suivants de la Loi sur la santé publiqueiii. Aux dix jours, décrets et arrêtés ministériels se succèdent pour prolonger l’état d’urgence sanitaire, sans consultation du parlement.  

« Un très petit nombre de personnes exerce le pouvoir exécutif actuellement. Ce nombre restreint de personnes prend des décisions majeures relatives aux droits fondamentaux des gens, sans qu’il y ait délibération ou discussion sur le bien-fondé de ces décisions », écrivait Christian Nadeau, professeur de philosophie politique à l'Université de Montréal, dans un communiqué de la LDL paru le 28 avril 2020iv. Près d'un an plus tard, le gouvernement de François Legault maintient une gestion de la pandémie sur le mode de la « crise », une gestion de plus en plus critiquée. Le couvre-feu, en vigueur depuis le 6 janvier dernierv, compte parmi les mesures pointées du doigt, à droite comme à gauche.  

« Financer la santé, pas les policiers »vi  

Alors que le premier ministre affirmait sur les réseaux sociaux qu’« avec le couvre-feu, on a réduit le nombre de cas », il n’existe aucune preuve du lien entre cette mesure et la diminution des tests positifs, constatée depuis sa mise en vigueurvii. Le manque d’appui sur des conclusions scientifiques est une des choses que reproche Pascalviii au gouvernement : « le couvre-feu n’est pas seulement inutile, mais il est aussi dangereux », soutient le militant du collectif Pas de solution policière à la crise sanitaire, qui a préféré témoigner anonymement.  

Il rappelle le cas de Raphaël André, 51 ans, décédé à la mi-janvier à Montréal après avoir passé la nuit à quelques mètres d'un refuge ferméix. Sa mort avait suscité de nombreuses critiques sur l’application du couvre-feu aux personnes en situation d’itinérancex, finalement exemptées temporairementxi. 

« On s’oppose au couvre-feu, mais aussi à l'ensemble des mesures autoritaires et policières à la crise sanitaire », poursuit Pascal, citant à titre d'exemple la distribution de contraventions, ou encore l'augmentation du budget de la police. En date du 18 février 2021, 6 557 constats d’infractions à la Loi sur la santé publique avaient été distribués au Québec, le montant des amendes récoltées totalisant plus de 9,7 millions de dollarsxii 

Le collectif, qui a organisé deux manifestations les 16 janvier et 7 février dernier dans les rues de la métropole, s’inscrit dans une mouvance de gauche extraparlementaire. Il se distingue fortement des opposants aux mesures sanitaires d’inspiration conspirationniste. Les antimasques et les antivaccins n’étaient d’ailleurs pas les bienvenu·e·s dans les rassemblements qu’a organisés le collectif, où on a invité les quelques centaines de participant·e·s à respecter les gestes barrières.  

Pour les militant·e·s du collectif, qui est suivi par près d’un millier de personnes sur Facebook, la pandémie est avant tout un problème sanitaire, qui doit se résoudre à l'échelle sanitaire.  

Pascal dénonce le manque d’investissement dans le système de santé public : « une des raisons pour lesquelles la Covid-19 est mortelle, c’est parce que depuis trente ans les gouvernements caquiste, libéraux et péquistes ont coupé dans le système de santé, ce qui fait qu'il va beaucoup plus vite qu’autrefois et nous rend très vulnérables à une pandémie », explique-t-il à L'Esprit libre 

Parmi les revendications du collectif, on trouve le désinvestissement dans les services de police, dans la foulée du mouvement Defund the police. Le militant croit que la crise sanitaire est plutôt une occasion de « mettre de l’avant des solutions d’entraide et de solidarité, des alternatives qui mettraient de l’avant un réinvestissement massif dans le filet social et les services sociaux ». Il se désole de constater une réponse inverse du gouvernement, qui adopte selon lui une approche individualiste de l’endiguement de la crise, tout en favorisant l’économie au détriment de l’intégrité physique et psychologique d’une partie de la population.   

Il n’y aura pas d’avant pour les arts vivants 

Avec la réouverture des écoles et des commerces, les rues de Montréal ont retrouvé un semblant de normalité. Mais certains secteurs d’activités sont encore profondément affectés par les restrictions sanitaires. C’est le cas des arts vivants comme le théâtre ou la danse, privés quasi intégralement de leurs lieux d’exercice depuis le début de la pandémie.  

Aux lendemains de l’annonce du premier confinement, en mars 2020, l’auteur et metteur en scène Hugo Fréjabise et certain·e·s de ses collègues ont tout de suite cherché à s’organiser pour continuer à créer, confiné·e·s. Il se souvient avoir rapidement pris conscience que, pour lui, le théâtre ne pouvait pas exister sur Zoom ou Facebook Live, qu’il lui fallait un public en chair, en os et en masques. S’est alors entamé un processus de réflexion, dont la conclusion est sans équivoque : « le théâtre n'a pas été bouleversé par l’épidémie, mais l’épidémie a révélé ce qu’il y avait de problématique dans les arts vivants », affirme M. Fréjabise, joint par téléphone.  

Même si les artistes en arrêt de travail ont pu toucher les aides financières d'urgence, il s’inquiète que rien n'ait été fait pour assurer la survie des arts vivants en tant que tels. « On s’est vite rendu compte qu’il fallait agir par nous-mêmes et ne pas faire de motions pour le gouvernement, les grands théâtres, le Conseil des Arts et tout ça, qui n’ont rien fait pendant un an », poursuit-il, évoquant une « perte de confiance totale » vis-à-vis des institutions supposées représenter et défendre les intérêts des artistes, et surtout de leurs arts.  

À l'été 2020, M. Fréjabise et ses collègues ont donc pris d’assaut les parcs de Montréal pour y jouer une pièce créée entièrement depuis le début de la pandémie. Aussi, malgré le temps froid, des manifestations-évènements sont organisées ponctuellement dans les lieux publics de la ville par différents collectifs, à défaut d'avoir accès aux salles de théâtres. D’ailleurs, celles-ci demeurent fermées jusqu’à nouvel ordre, malgré l'annonce de la réouverture des cinémas à compter du 26 févrierxiii 

En parallèle, les mesures proposées par le ministère de la Culture et des Communications sont insatisfaisantes pour M. Fréjabise, qui souligne que les bourses offertes pour la création sont désormais fortement orientées vers le théâtre numérique. « On nous propose de devenir des youtubeurs en puissance », commente-t-il, ajoutant qu’il s’oppose à cette injonction du « réinventez-vous en 2.0 ». 

« Pour nous, ce serait une résistance de dire que le théâtre ça se passe en forêt, ça se passe dans la rue, ça ne se passe pas par écran », insiste l’auteur et metteur en scène, se faisant le porte-voix de dizaines d’artistes avec lesquels il travaille d’arrache-pied pour continuer à créer, en dépit des contraintes sanitaires. Sur l'avenir du théâtre postpandémie, il souhaite échapper à un mouvement qu'il qualifie de gauche réactionnaire qui appellerait à un retour au monde d’avant. Pour lui, en ce qui concerne la place accordée aux arts vivants dans la société québécoise, « l’avant, ce n’était déjà pas terrible ».  

i Olivier Bossé, « COVID-19 : le Québec “sur pause” pour au moins trois semaines »Le Soleil, 23 mars 2020. https://www.lesoleil.com/actualite/covid-19-le-quebec-sur-pause-pour-au-moins-trois-semaines-video-01afbdb0751d8b91c6be329c812b1057.  

ii « Webinaires », Ligue des droits et libertés. https://liguedesdroits.ca/webinaires/.  

iii Mesures prises par décrets et arrêtés ministériels en lien avec la pandémie de la COVID-19, Gouvernement du Québec. https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/mesures-prises-decrets-arretes-ministeriels/#:~:text=le%2022%20juillet%202020%2C%20du,pand%C3%A9mie%20de%20la%20COVID%2D19%20 
 
iv « Communiqué : Mesures d’urgence et déconfinement - La crise sanitaire réveille de vieilles urgences déjà bien connues », Ligue des droits et libertés, 28 avril 2020. https://liguedesdroits.ca/communique-deconfinement-dh/
 
v David Rémillard, « “On ne saura jamais” l’impact du couvre-feu sur le nombre de cas de COVID-19 », 24 janvier 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1765499/couvre-feu-efficacite-science-covid19-quebec 
 
vi Slogan entendu lors des manifestations organisées par le collectif Pas de solution policière à la crise sanitaire 
 
vii Ibid.  
 
viii Nom fictif.  
 
ix Thomas Gerbet, « Un itinérant de Montréal est mort après avoir passé la nuit devant un refuge fermé », Radio-Canada, 18 janvier 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1763930/itinerant-montreal-mort-toilettes-nuit-dehors-refuge-ferme 
 
x Maud Cucchi, « L’opposition enjoint au gouvernement Legault d’exempter les itinérants du couvre-feu »Radio-Canada, 25 janvier 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1765712/itinerance-legault-couvre-feu-covid-pandemie-exemption 
 
xi Jérôme Labbé, « Les itinérants exemptés temporairement du couvre-feu au Québec », Radio-Canada, 26 janvier 2021, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1766147/suspension-application-couvre-feu-itinerants-cour-superieure 
 
xii Marco Bélair Cirino, « Bond des constats d’infraction liés aux règles sanitaires », Le Devoir, 18 février 2021. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/595383/non-respect-des-consignes-le-nombre-de-contraventions-a-bondi-sauf-a-montreal 
 
xiii « La majorité des salles de cinéma rouvriront le 26 février au Québec », Radio-Canada, 19 février 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1772115/reouverture-salles-cinema-26-fevrier-quebec-covid-coronavirus?depuisRecherche=true.   

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