Ristigouche et GASTEM : Un conflit pour évaluer le pouls de la population québécoise vis-à-vis l'exploration pétrolière?

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Ristigouche et GASTEM : Un conflit pour évaluer le pouls de la population québécoise vis-à-vis l'exploration pétrolière?
Analyses
| par Thomas Deshaies |

La municipalité de Ristigouche Sud-Est a récemment lancé une campagne de financement afin de l’aider à se défendre face à une poursuite de la pétrolière GASTEM qui lui réclame 1 494 676,95$ suite à l’adoption d’un règlement municipal pour la protection de l’eau potable. Nous avons rencontré le maire François Boulay et obtenu un entretien téléphonique avec le PDG de Gastem, Raymond Savoie, pour faire le point sur cet événement.

Le projet d’exploration à Ristigiouche Sud-Est a débuté en 2009 et la plate-forme fut construite en 2012. Le 4 mars 2013, la municipalité adopte un règlement municipal afin de délimiter une zone de protection de deux kilomètres à l’intérieur de laquelle toute activité de forage est interdite près des puits artésiens, ce qui inclut le projet de GASTEM. Le maire François Boulay, qui n’était pas encore élu à l’époque, justifie l’adoption d’un tel règlement comme une mesure nécessaire afin de protéger les sources d’eau potable. Il n’y avait en effet aucun règlement provincial légiférant en la matière avant juillet 2014, au moment où le ministre a présenté son nouveau règlement à Gaspé. En août 2013, la ville reçoit une mise en demeure de GASTEM puisque cette dernière affirme avoir dépensé  non loin de 1,5 millions de dollars pour le projet,  qu’ils ont alors dû avorter suite à l’adoption du règlement. Raymond Savoie, le PDG de la pétrolière, estime qu’il s’agissait d’un règlement injustifié puisqu’il avait obtenu un permis du Ministère de l’environnement et que la ville n’avait jusqu’à présent exprimé « aucune objection ». La pétrolière affirme d’ailleurs avoir cherché à obtenir le consentement des citoyennes et citoyens en organisant une rencontre afin de leur expliquer les développements du projet. Aussi, monsieur Savoie s’explique mal pourquoi la ville ne l’a jamais contacté avant l’adoption du règlement. En entretien téléphonique, il semblait par ailleurs fortement irrité par les agissements du maire Boulay et a même affirmé que « La porte a toujours été ouverte chez nous et [qu’on] aurait sans doute pu s’entendre sur quelque chose ».  Le maire Boulay pense quant à lui ne rien devoir à GASTEM, et agit selon la volonté des 168 résident-es de Ristigouche Sud-Est . « Je n’ai rien à dire à monsieur Savoie. » s’est-il exclamé. Pour faire face à cette poursuite, la municipalité de Ristigouche Sud-Est a fait appel aux citoyennes et citoyens afin de récolter 225 000 $ pour assurer les frais juridiques. Il est également à noter que la demande en irrecevabilité a été rejetée en mars dernier par la cours, forçant ainsi la tenue d’un procès et obligeant la ville à trouver des « solutions ».

L’accord du conseil municipal ?

Afin de justifier cette poursuite, Raymond Savoie affirme que : « La municipalité avait donné son accord et [que] le ministère vérifie toujours avant de délivrer un certificat autorisant l’exploration s’il y a une objection de la part de la ville. » Il considère ainsi que c’est une forme de bris de contrat puisqu’ils sont  « revenus sur leur position » et que des dépenses avaient déjà été engendrées. François Boulay affirme quant à lui n’avoir vu aucune trace d’un « accord » dans les résolutions du conseil municipal. Il comprend par ailleurs mal le point de vue de GASTEM puisque selon lui la ville n’a pas le pouvoir d’autoriser ou interdire une exploration pétrolière sur son territoire. Également, plusieurs citoyennes et citoyens étaient inquiets face au projet pétrolier et le maire affirme que c’est suite à la pression populaire que le conseil municipal a adopté le règlement sur la protection de l’eau potable. Afin de déterminer dans quelle mesure les citoyens-nes et la municipalité peuvent influencer le ministère dans l’octroi ou non d’un certificat d’exploration, nous avons contacté le ministère du développement durable, de l’environnement et de la lutte contre les changements climatiques. Il nous apparaît que le consentement municipal est un élément important dans l’argumentaire de GASTEM pour justifier sa demande de dédommagement. Le ministère nous a, dans un premier temps, affirmé que le nouveau règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection : « (…) ne comprend pas de dispositions particulières qui obligent le ministère à consulter les municipalités ou les villes. (Avant de délivrer le certificat) » Cependant, comme le stipule la Loi sur la qualité de l’environnement, celui qui demande un certificat d’autorisation au ministère doit préalablement informer et consulter le public. Il s’agit donc d’organiser une réunion d’information qui sera préalablement publicisée dans un journal « papier » distribué dans la localité. Un rapport de cette réunion de consultation est ensuite produit par l’instigateur du projet et transmis au ministère tout comme à la municipalité. Il faut donc comprendre que la ville n’a aucun pouvoir légal afin de décider si un projet aura lieu ou non. Dans un second temps, même si il y avait une forte opposition face à un projet lors d’une consultation, le ministère pourrait toujours délivrer le permis. La seule obligation qu’avait GASTEM était donc de consulter et d’informer, ce qu’ils ont par ailleurs fait. Le ministère se doit d’exiger la tenue d’une telle consultation, mais rien ne les oblige à prendre en considération, légalement du moins, le rapport produit. La  « non-objection » de la municipalité telle que prétendu par Raymond Savoie est-elle donc réellement significative et importante dans ces circonstances?

  « Parce que je considère que la porte est fermée au gouvernement, nous devions agir » - François Boulay

En juin, la ville de Ristigouche a demandé un entretien avec le ministre de l’environnement afin de trouver des pistes de solution concernant la poursuite. Après avoir eu plusieurs discussions avec des attachés politiques et avoir été transféré au Ministre des affaires municipales, sans recevoir de réponse concrète, le maire Boulay a estimé devoir faire connaître la cause au grand public pour que les choses bougent. Le sujet n’avait alors été abordé que par quelques quotidiens de la région. Avec le lancement de la campagne de solidarité, les médias nationaux ont finalement abordé la question et le ministre a réagi en affirmant qu’un entretien aurait lieu à la fin du mois d’août. Le bureau du ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques nous a toutefois fait savoir que : « le ministère ne peut commenter un dossier judiciarisé. » C’est ce sentiment d’abandon ressenti par le maire Boulay qui l’a convaincu de la nécessité de mettre sur pied une telle campagne de financement. De plus, la Mutuelle des municipalités, qui est une sorte d’assurance pour les villes, refuse d’aider financièrement Ristigouche Sud-Est puisque celle-ci aurait été accusée d’agir de « mauvaise foi » dans le dossier.

Menaces pour l’environnement ?

Pour GASTEM, le règlement pour la protection des eaux de Ristigouche Sud-est « bidon et ne tient pas la route » puisque son projet ne présentait aucune menace pour l’environnement. Il faut savoir que plus de 70 municipalités ont adopté des règlements similaires, basés sur le modèle du règlement de Saint-Bonaventure, et monsieur Savoie affirme que celui-ci fut écrit par « 2-3 personnes à Montréal… », laissant sous-entendre qu’ils n’avaient peut-être pas l’expertise nécessaire pour rédiger un tel règlement. Selon lui,  « c’est à Québec qu’est l’expertise » et lors de la délivrance du certificat, ils ont considéré qu’il n’y avait aucun risque environnemental. Autre son de cloche à Ristigouche, où l’on affirme que de nombreux universitaires et experts en la matière croient plutôt qu’on ne peut réellement prévoir comment va réagir l’environnement devant ces explorations et qu’il y a donc bel et bien des risques. La question pour le maire de Ristigouche est de savoir si sa municipalité souhaite réellement prendre un tel risque.

Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection  (RPEP) 

En réponse au conflit opposant Pétrolia et Gaspé, Québec a finalement lancé son nouveau règlement sur la protection des eaux. Celui-ci rend  caducs les règlements municipaux et impose certaines normes que devront respecter les entreprises. La localisation d’un site de forage devra se faire à plus de 500 mètres d’un site de prélèvement d’eau potable et il sera également interdit de faire de la fracturation à une distance de moins de 600 mètres de profondeur. Il faut savoir que les nappes phréatiques se trouvent généralement à moins de 200 mètres de la surface du sol. Une étude hydrogéologique sera également exigée. La fédération des municipalités du Québec (FQM) a réagi favorablement à l’annonce d’un tel règlement tout comme plusieurs autres acteurs du milieu. Il vient répondre à une demande d’avoir des normes provinciales claires en la matière. C’est aussi le cas chez GASTEM qui considère qu’il s’agit là de normes très sévères, mais que la population pourra ainsi être rassurée et les compagnies sauront « clairement à quoi s’attendre et pourront s’ajuster ». Pour François Boulay, c’est un petit pas dans la bonne direction mais il affirme que plusieurs recommandations scientifiques démontrent qu’on ne peut pas prévoir comment se comporteront les fissures : « On ne peut pas savoir si avec le temps, cela aura des répercussions sur la nappe phréatique ». En demeurant prudent, il se demande si un tel règlement n’aurait pas un autre objectif sous-jacent, soit celui de légitimer l’exploration pétrolière en rassurant les québécoises et les québécois. Un moyen de laisser croire qu’il n’y a maintenant peu de risques environnementaux grâce à la surveillance de l’État pour calmer la contestation et permettre aux pétrolières de continuer l’exploration?

Une exploration à « Haut risque (financier) »

Comme nous l’affirmait en entrevue Raymond Savoie, l’exploration à Ristigouche Sud-Est était à « haut risque ». C’est-à-dire qu’il n’était vraiment pas certain de trouver quoi que ce soit dans le sol. Sa compagnie avait des raisons de croire que des réserves pétrolières se trouvaient enfouies à cet emplacement, mais il n’avait aucune certitude sur la question. Cela revient également à dire que même si le règlement municipal n’avait pas nui aux opérations de GASTEM, la compagnie courait le risque de dépenser 1,5 millions de dollars sans extraire quoi que ce soit. Certain-es se demandent donc pourquoi GASTEM souhaite être dédommagé ; même si le règlement n’avait pas été adopté, ils n’auraient peut-être jamais pu rentabiliser leur projet.

Un choix de société

De son côté, monsieur Boulay croit que ce qui se passe à Ristigouche Sud-Est concerne l’ensemble du Québec. Selon lui, il s’agira d’un bon indicateur de ce que les citoyennes et citoyens veulent vraiment. Il se demande si le gouvernement actuel est à l’écoute de la population, et pourquoi il veut à tout prix aller vers l’exploitation du pétrole et des hydrocarbures. Après tout, n’est-ce pas la question de fond derrière cet événement? Il n’exclut pas la possibilité de faire front commun avec d’autres municipalités si un tel projet (contre l'exploration pétrolière) voyait le jour.  

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