Pénurie de main-d’œuvre dans les hôpitaux : conditions de travail difficiles

Québec
Pénurie de main-d’œuvre dans les hôpitaux : conditions de travail difficiles
Analyses
| par Shanned Morales |

La pénurie de main-d’œuvre s’accentue dans le secteur de la santé, le manque de personnel entraîne des répercussions graves sur le milieu hospitalier et la surcharge de travail affecte la santé physique et mentale des employé·e·s. En même temps, on essaie de combler ce manque en recrutant des travailleur·e·s immigrant·e·s, mais les délais nécessaires pour entreprendre de telles démarches découragent certain·e·s candidat·e·s étranger·e·s qui finissent par abandonner.

La COVID-19 fait un retour prématuré

C’est l’été et la plupart des gens veulent profiter du soleil et faire des barbecues sur le balcon avec leur famille. Toutefois, à cause de l’arrivée de la 7e vague de COVID-19, les travailleur·euse·s de la santé ne peuvent pas se le permettre. Le nombre de cas ne cesse d’augmenter, l’arc-en-ciel disparaît, la surcharge de travail et l’épuisement professionnel arrivent en force. Jusqu’à présent, le nombre d’éclosions chutait en été et le virus faisait son retour en automne. Toutefois, cette année, cela n’a pas été le cas. Pour cette dernière vague seulement, on dénombre 2027 cas en Estrie (1), ce qui fait augmenter la pression sur les travailleur·euse·s, qui effectuent déjà de longues heures sans avoir le temps de bien se reposer. Tout cela est difficile à accepter pour les travailleur·euse·s en milieu hospitalier, qui éprouvent une fatigue accumulée et montrent une insatisfaction face à la gestion des dirigeant·e·s du CIUSSS de l’Estrie.

La Fédération de la santé et des services sociaux fait le point

L’Esprit libre a communiqué avec monsieur Régin Leclair, porte-parole de la Fédération de la santé et des services sociaux (2) pour lui demander son avis sur les conditions de travail en milieu hospitalier. Il souligne que ces dernières sont difficiles : « C’est une situation périlleuse. Il faut protéger les employé·e·s », déclare-t-il. De plus, M. Leclair affirme qu’il faut donner le droit aux employé·e·s d’être consulté·e·s sur les décisions prises dans leur milieu de travail, « il faut que le[ou la] travailleur[·euse] ait son mot à dire », ajoute-t-il. Les travailleur·euse·s de la santé veulent travailler dans un milieu où ielles sont en mesure de concilier la vie au travail et la vie en famille. Selon les affirmations du porte-parole, les employé·e·s cherchent à améliorer leur horaire, leur salaire et leur milieu de travail. Dans un monde idéal, en recrutant plus de personnel, on pourrait bien s’occuper des patient·e·s et passer plus de temps en famille. Nous avons posé à M. Leclair la question de savoir quel serait le milieu de travail idéal pour les employés du secteur hospitalier. Il a répondu que, afin de soigner les patient·e·s humainement, de prévenir la fatigue et les blessures au travail, il faudrait un·e employé·e pour 10 patient·e·s.

Par ailleurs, la Fédération de la santé de services sociaux continue de déployer des efforts pour améliorer les conditions de travail du milieu de la santé. Un article sur le site Web de la Fédération nous informe que les délégué·e·s de la Fédération se sont rassemblé·e·s en mai et en juin pour discuter des revendications des travailleur·euse·s du secteur public. Le syndicat cherche à négocier de meilleures conditions de travail, un meilleur salaire et défendre les droits des employé·e·s.

Le guide « Qualité de vie au travail » une solution proposée

En mai dernier, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, a proposé un nouveau programme de conciliation entre la vie personnelle et le travail (3), qui a pour but de générer un climat de travail plus agréable. Ce guide s’adresse aux entreprises québécoises et vise à les conscientiser aux bienfaits d’une bonne qualité de vie au travail. Le programme de qualité de vie au travail consiste à créer des incitatifs pour le personnel de travail pour réduire le présentéisme et l’absentéisme dans les secteurs plus ciblés par la pénurie de travailleur·euse·s. Selon le guide, les entreprises devraient installer des distributrices de collations santé et mettre en place des programmes pour inviter à des bonnes habitudes de vie et leurs répercussions sur la vie du personnel soignant. Toutefois, selon les affirmations du porte-parole de la Fédération de la santé et des services sociaux, le plan d’action proposé dans le guide semble irréaliste, puisque la cause principale de mauvaises conditions dans le milieu hospitalier est la surcharge de travail et non l’absence de salles d’entraînement ou d’un menu santé.  

Plan « conciliation vie personnelle-vie professionnelle » du CIUSSS

De son côté, Marc-Antoine Rouillard, directeur adjoint des ressources humaines, communications et affaires juridiques du CIUSSS de l’Estrie (4), affirme que la direction a adopté un plan de conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour améliorer la satisfaction des employé·e·s au travail. Entre autres, le programme d’aide aux employés (PAE) (5) offre du soutien aux membres du personnel qui éprouvent de l’anxiété en raison de la pandémie et deux programmes d’activités de santé physique et psychologique annuels, gratuites et qui se déroulent chaque année à midi et en fin de journée et pendant lesquelles les employé·e·s peuvent s’entraîner en plein air, faire du yoga ou danser la Zumba.

M. Rouillard souligne aussi que, selon un sondage récent, le niveau de satisfaction du personnel a augmenté de 30 %. De plus, le CIUSSS a recruté 160 adjoint·e·s administratifs de plus pour soutenir le personnel soignant. Il existe également un sondage sur l’expérience des employé·e·s qui permet à la direction de connaître les motifs de départ des employé·e·s et, selon le directeur adjoint de ressources humaines, les employé·e·s quittent le milieu parce qu’ielles se sentent épuisé·e·s et parce qu’ielles ne s’entendent pas bien avec leurs collègues de travail. 

Les conséquences de la difficulté de concilier vie familiale et travail

Le fait de travailler des heures supplémentaires peut avoir des incidences négatives sur la vie physique et mentale des travailleur·euse·s. Selon un document publié le 3 juin 2022 par Statistique Canada (6), le manque de conciliation entre la vie familiale et le travail peuvent avoir des répercussions sur la santé : « ressentir davantage de stress au travail (86,5 %), avoir une charge de travail plus lourde (74,6 %) ainsi que devoir accomplir des tâches différentes de celles qu’ils font en temps normal (55,5 %) ». Les données citées dans ce paragraphe expliqueraient les motifs de départs des travailleur·euse·s de la santé du CIUSSS de l’Estrie, qui doivent travailler un surplus d’heures pour combler le manque de personnel. Par rapport aux relations avec leurs collègues, on peut dire que le personnel soignant croit que leurs dirigeants ne gèrent pas bien la distribution de tâches et que cela peut accroître les tensions au sein du milieu de travail. Par conséquent, la pénurie de travailleur·euse·s s’accentue et il faut avoir recours aux professionnel·le·s de l’étranger, qui seraient censé·e·s prêter main-forte en milieu hospitalier.

Recrutement des travailleur·euse·s immigrant·e·s pour pallier la pénurie de main-d’œuvre 

La pénurie de main-d’œuvre n’est pas un enjeu social récent. On commençait déjà à en parler dans les années 2000, quand les chef·fe·s d’entreprises ont commencé à constater le vieillissement de la population active. Le gouvernement du Québec a alors proposé l’immigration comme solution à la pénurie de main-d’œuvre au Québec. Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration est responsable de la sélection des travailleur·euses immigrant·e·s qui viennent s’installer au Québec. Selon l’étude intitulée Travailleurs immigrants et SST au Québec (7), le système de sélection des immigrant·e·s se fait par un système de pointage qui tient en compte de leur profession, de leur niveau de scolarité, de leur expérience professionnelle et de leur niveau de français. Des données d’Immigration Québec montrent que, en 2021, entre 19 400 et 22 400 immigrants·e·s de la catégorie des travailleur·euse·s qualifié·e·s ont été admis·e·s au Canada. Alors, force est de se demander où sont tous ces travailleur·euses en pleine pénurie de main-d’œuvre? Si on accepte des candidat· e·s potentiel·e·s pour travailler au Canada, pourquoi continue-t-on de manquer de personnel? La réponse est simple : le secteur public veut embaucher des candidat·e·s ayant obtenu leurs diplômes d’études professionnelles au Québec. Si un·e postulant·e n’a pas fait ses études secondaires et supérieures au Québec, ielle doit soumettre une demande d’évaluation comparative des études effectuées au Québec. Cela dit, même les postulant·e·s qui reçoivent le document qui atteste l’équivalence ne sont pas au bout de leur peine. Afin d’effectuer un travail qui relève d’un ordre professionnel, ielles doivent obtenir un permis. Par exemple, un·e infirmier·ère qui a obtenu son diplôme hors du Québec doit, en premier lieu, envoyer une demande d’équivalence et, par la suite, se procurer un permis d’exercice auprès de l’Ordre des infirmières et infirmières du Québec. Le fait de devoir entreprendre une telle démarche si chronophage pour faire reconnaître ses études font en sorte que plusieurs candidat·e·s se découragent et abandonnent avant de pouvoir mener à bien les démarches nécessaires, et ce, dans le secteur de la santé, l’un des plus touchés par la pénurie de main-d’œuvre.

Par ailleurs, le 17 juillet dernier, le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants a organisé une marche pacifique contre le racisme systémique envers les immigrants, qui travaillent ou non et qui ont un statut irrégulier au Canada. Selon un article intitulé « Un statut pour tous et toutes… EN FIN » (8), publié sur le site Web de l’organisme, les travailleur·euse·s immigrant·e·s devraient obtenir un statut légal, car ielles ont, pour la plupart, prêté main-forte aux premières lignes d’intervention pendant la pandémie. Néanmoins, plusieurs ont été expulsé·e·s du Canada sans justification. En posant tant d’obstacles aux travailleur·euses, la bureaucratie laisse le réseau de la santé se précariser petit à petit.

La bureaucratie et le recrutement du personnel

Même si les ordres professionnel·e·s ont le devoir de remettre des permis d’exercice aux travailleur·e·s québécois·e·s et aux travailleur·euse·s étrangèr·er·s, les délais de traitement des demandes de permis d’exercice sont beaucoup plus longs pour les candidat·e·s immigrant·e·s qui ont fait leurs études à l’extérieur du Canada. Selon une étude menée par Hélène Dubois, sociologue à l’Université Laval, les travailleur·euse·s immigrant·e·s qualifié·e·s éprouvent des difficultés à accéder au marché de travail québécois. Dans son article « Les enjeux de la reconnaissance professionnelle au Québec », elle énumère les obstacles rencontrés lors de la demande d’un permis auprès d’ordre professionnel : 1) la réticence de l’ordre à reconnaître les études de l’aspirant·e; 2) l’examen de français que les aspirant·e·s doivent réussir afin d’obtenir le permis; 3) le délai de traitement trop long. Madame Dubois explique également ce qui entraîne d’abandon de certains candidat·e·s. « L’accueil de travailleur·e·s qualifié·e·s s’inscrit en fait dans un continuum de démarches auprès de divers ministères, organismes et acteurs du marché de l’emploi », souligne-t-elle. En effet, les travailleur·e·s immigrant·e·s doivent faire preuve de patience pour communiquer avec les institutions concernées pour avoir « plus de chances » d’améliorer leur niveau de français et de trouver un bon emploi. En réalité, la plupart des demandeur·euse·s n’obtiennent pas le permis d’exercice régulier, mais un permis restrictif ou temporaire. 

 De surcroît, madame Dubois fait le bilan de la proportion de candidat·e·s qui passe au travers des démarches. « Pour l’ensemble des ordres, on estime qu’environ 50 % des candidat·e·s soumis à une prescription d’un ordre abandonnent la démarche d’admission, ce qui représente près de 1300 personnes par année », estime-t-elle. C’est là évidemment une cause de la pénurie de main-d’œuvre. Récemment, le ministre Jean Boulet a fait part son intention de recruter 1000 infirmier·ères de l’étranger. Combien de ces personnes vont persévérer jusqu’à l’obtention des équivalences et de leurs permis? Assouplir les restrictions pour l’obtention de permis auprès des divers pourrait donc être une solution pour pallier le manque de main-d’œuvre. 

Enfin, l’inefficacité de la bureaucratie affecte les délais de traitement et on manque de plus en plus de travailleur·euse·s dans le secteur de la santé. Ces travailleur·euse·s sont donc victimes du système au même titre que les citoyen·ne·s qui ne reçoivent les soins auxquels ielles ont droit. Si on veut remédier à la pénurie de main-d’œuvre, il faudrait d’abord lutter contre le racisme systémique envers les immigrants·e·s, promouvoir l’équité et l’égalité au travail, sans quoi, le nombre de départs risque de continuer de grimper au fils des prochaines années.

CRÉDIT PHOTO: Nenad Stojkovic - FLICKR

1. Institut national de santé publique du Québec INSPQ, « Données COVID-19 au Québec, » 13 juillet 2022, https://www.inspq.qc.ca/covid-19/donnees

2. Fédération de la santé et des services sociaux, propos recueillis par Shanned Morales le 13 juillet 2022

3.  Ministère du Travail de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Favoriser le mieux-être, Guide d’implantation d’un programme de qualité de vie au travail, Québec : ministère du Travail de l’Emploi et de la Solidarité sociale, gouvernement du Québec, 2022,

4. CIUSSS de l’Estrie, propos recueillis par Shanned Morales le 14 juillet 2022

5. CIUSSS de l’Estrie, programme d’accueil organisationnel, Guide de référence pour les nouveaux employés, https://www.santeestrie.qc.ca/clients/SanteEstrie/Carrieres/Nouveaux-emp...

6. Statistique Canada, Les expériences vécues par les travailleurs de la santé pendant la pandémie de COVID-19, septembre à novembre 2021, Ottawa : statistique Canada, 3 juin 2022, https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220603/dq220603a-fra.htm

7. Pascale Prud’homme, Marc-Antoine Busque, Patrice Duguay, Daniel Côté, Travailleurs immigrants SST au Québec, État de connaissances statistiques et recension de sources de données,https://www.irsst.qc.ca/publications-et-outils/publication/i/100841/n/tr...

8. WC-CTI Centre de travailleurs et travailleuses immigrants, « Un statut pour tous et toutes… EN FIN », communiqué, 8 juillet 2022. https://iwc-cti.ca/fr/nouvelles/communiques-de-presse/

9. Dubois, Hélène, « Les enjeux de la reconnaissance professionnelle au Québec », Recherches sociographiques, vol. 60, no 2, 2019 : https://doi.org/10.7202/1070972ar

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