Les comités consultatifs d’urbanisme à Montréal : un dispositif méconnu au cœur du façonnement de la métropole

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Les comités consultatifs d’urbanisme à Montréal : un dispositif méconnu au cœur du façonnement de la métropole
Analyses
| par David Carpentier et Jessy P. Methot |

Ce texte est d'abord paru dans notre recueil imprimé À petit échelle : repenser le pouvoir citoyen, disponible dans notre boutique en ligne.

 

Entre 2014 et 2018, les municipalités et les arrondissements qui composent l’agglomération de Montréal ont octroyé annuellement près de 20 000 permis de construction destinés aux secteurs résidentiel, commercial, industriel et institutionneli. Après évaluation, ces administrations publiques rendent un nombre important de décisions en matière de patrimoine, de zonage, de lotissement et d’intégration architecturale. À l’échelle de la métropole, la rénovation ou l’agrandissement d’une résidence, tout comme l’approbation d’un mégaprojet, comme le controversé Royalmount, doit faire l’objet d’un contrôle systématique.

Au cœur de ce processus, les comités consultatifs d’urbanisme (CCU) occupent une fonction déterminante. Peu étudiés et méconnus du public, ils contribuent au façonnement de la ville et des espaces physiques que fréquente quotidiennement la population montréalaise. Regroupant à la fois des représentant·e·s politiques et des membres citoyen∙ne∙s, les CCU sont responsables de l’étude de certaines demandes en matière d’urbanisme et visent à assurer l’intégration architecturale des projets de construction ou de transformation. Par ailleurs, ils sont généralement définis comme un dispositif de participation citoyenne fortement intégré au système de gouvernance municipale.

En s’appuyant sur la consultation de neuf acteurs et actrices étroitement associé·e·s aux travaux de CCU montréalaisii, ce texte explore le fonctionnement de ce dispositif et tente de mettre en lumière certains enjeux politiques qui le sous-tendent. Il illustre notamment que les CCU constituent un dispositif de participation citoyenne relativement fermé et spécialisé, dans lequel est révélée la cohabitation et parfois la concurrence entre différentes visions sur l’urbanisme et le devenir de la ville.

Contexte institutionnel québécois et montréalais

La création de ces comités s’ancre dans la longue tradition de participation citoyenne en urbanisme qui prévaut à l’échelle locale au Québec. Elle s’inspire en grande partie du cadre juridique des anciennes commissions d’urbanisme que prévoyaient la Loi sur les cités et villes et le Code municipal du Québeciii. Promulguée en 1979 par l’Assemblée nationale du Québec, la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme permet désormais aux municipalités d’adopter un règlement visant à constituer un CCU pour les éclairer quant aux questions concernant le patrimoine, le zonage, le lotissement et l’intégration architecturale. Nonobstant l’étendue de leur pouvoir d’étude et de recommandation, ces comités influencent directement le processus décisionnel en urbanisme. Leur mise en place est obligatoire à l’application de règlements dits à caractère discrétionnaireiv, laquelle permet au conseil municipal de se prononcer par voie de résolution sur l’ensemble des dossiers auxquels ils s’appliquent. Ces règlements offrent ainsi aux villes une flexibilité – elles peuvent donc adapter leur cadre réglementaire en urbanisme afin de répondre aux enjeux spécifiques que soulèvent certains dossiers.

Le cas de la Ville de Montréal revêt un intérêt particulier en raison de la grande autonomie politico-administrative dont jouissent les arrondissements, au même titre qu’une municipalité locale. Ceux-ci assument depuis leur création au début des années 2000, dans la foulée de la réorganisation municipale prévue par le gouvernement du Québec, la responsabilité de la réglementation en urbanisme et sont assujettis à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Pour les arrondissements établis sur le territoire de l’ancienne ville, les mécanismes prévus par cette loi et les obligations qui s’y rattachent constituent cependant une nouveauté avec laquelle ils doivent dorénavant se familiariser. Chaque arrondissement peut donc déterminer le contenu de son règlement d’urbanisme, dans le respect de la Charte de la Ville de Montréal. Cette situation explique pourquoi il existe aujourd'hui différentes pratiques sur le territoire montréalais en ce qui concerne le fonctionnement des CCU et la portée de leur action.

Dispositif de participation citoyenne

Contrairement aux autres commissions et comités créés par les conseils d’arrondissement, les CCU requièrent l’engagement de citoyen·ne·s non élu·e·s résidant sur le territoire. Leur fonctionnement peut être compris grâce à la grille d’analyse sur le design participatif que propose la professeure Laurence Bhererv, laquelle s’articule autour de six modalités organisationnelles : la sélection des membres; leur intérêt à participer; leur type de participation; la portée de leur participation; la fréquence de leur participation; leur degré d’influence.

Sélection des membres

Les CCU des arrondissements montréalais comptent respectivement entre six et dix membres et se composent d’élu·e·s et de citoyen·ne·s. La première catégorie de membres est nommée par le conseil d’arrondissement sur la base de leur intérêt à participer aux travaux du comité, de leur formation professionnelle dans un domaine pertinent ou encore de la confiance que le maire ou la mairesse leur accorde. Au moins un∙e membre élu∙e y siège et y assume généralement la présidencevi. La sélection des membres citoyen∙ne∙s et de leurs suppléant·e·s se fait quant à elle par le biais d’un processus de recrutement ciblé, lequel est organisé par la Direction de l'aménagement urbain et des services aux entreprises de l’arrondissement – les candidatures retenues sont ensuite présentées aux élu·e·s pour approbation.

Le type de profil recherché varie en fonction des orientations données par les élu·e·s. Parmi les différents critères de sélection évoqués par les acteurs et actrices consulté·e·s, l’expertise professionnelle dans un domaine associé à l’architecture, à l’architecture du paysage et à l’urbanisme revêt la plus grande importancevii : « On a vraiment privilégié les gens qui ont des expertises particulières » (membre élue); « On va aller vraiment les chercher [les membres] pour leur expertise » (membre citoyenne); « [Le CCU], c’est vraiment un comité d’expert[∙e∙]s qui va juger de la qualité du projet présenté » (membre citoyenne). En ce sens, les CCU de Ville-Marie, du Plateau-Mont-Royal, de Verdun et de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve se composent quasi exclusivement de personnes possédant une telle expertise.

Les critères de sélection des membres que privilégient les arrondissements mettent en lumière différentes conceptions sur la nature et le rôle des CCU. Des acteurs et actrices se montrent critiques quant à sa vocation citoyenne, soulignant qu’ils représentent surtout un comité d’expert·e·s en raison du travail qu’il accomplit. Comme l’explique ce membre citoyen :

J’allais mettre un bémol sur le comité de citoyen[∙ne∙]s. Dans le cadre de ce projet-là, je ne suis clairement pas un citoyen normal, dans le sens où tu es candidat et il y a peu d’élu[∙e∙]s. Je pense qu’il y a beaucoup de monde qui veut siéger sur le CCU et il n’y a pas beaucoup de monde qui est choisi en fait. Les fondements d’un CCU, c’était vraiment d’avoir monsieur et madame Tout-le-Monde, mais je ne pense pas que quand tu te retrouves sur un CCU avec deux architectes, un architecte paysagiste, un ingénieur et un urbaniste […]. Je ne pense pas que c’est représentatif de la société en fait. Cela devient beaucoup plus à mon avis un comité d’expert[∙e∙]s.

Intérêt des membres

Selon les acteurs et les actrices consulté·e·s, l’intérêt qu’ont les membres d’un CCU à participer à ses travaux peut s’expliquer par une volonté de contribuer au cadre bâti de son arrondissement ou de mieux comprendre le fonctionnement de ce dispositif. D’abord, des membres porteraient une vision normative de la Ville ou disposeraient d’une connaissance particulière du contexte urbain qu’ils ou elles souhaiteraient partager. Des membres citoyen∙ne∙s offrent des exemples de cette motivation : « J’avais un objectif, qui était de faire valoir l’architecture contemporaine dans mon arrondissement, ce qui n’était pas nécessairement valorisé à l’époque, quand j’étais là. »; « Je veux que l’architecte, finalement, tout comme nous, réalise quelque part que quand il [ou elle] transporte un projet, il [ou elle] ne le transporte pas juste pour le compte de son client [ou de sa cliente], mais il [ou elle] le transporte aussi pour le corps de la ville. »

Ensuite, pour d’autres membres, leur intérêt peut également être motivé par une volonté de mieux comprendre le fonctionnement de cet instrument propre aux arrondissements : « Il y a un côté de moi qui avait le goût de comprendre les rouages, l’analyse de projet du côté de la Ville […] pour m’informer et peut-être m’ajuster » (membre citoyen). Des architectes travaillant dans le secteur privé, par exemple, n’expérimentent qu’une brève partie du processus d’évaluation d’une demande en urbanismeviii. La participation de certain·e·s professionnel·le·s sur le CCU de leur arrondissement leur permettrait, selon un membre élu, d’adapter leurs pratiques privées à leur bénéfice : « [Il y a] des architectes dont on s’apercevait que les décisions qu’ils [ou elles] prenaient pour les dérogations mineures et également les projets de PPCMOI [procédure de projet particulier de construction, de modification ou d'occupation d'un immeuble] venaient créer un précédent. Cela pouvait venir indirectement avantager leur entreprise qui travaillait dans l’arrondissement. Ils [ou elles] savaient quoi dire. Ils [ou elles] savaient quoi faire. Ils [ou elles] savaient comment présenter leur projet pour que cela passe au CCU et à l’arrondissement. »

Type de participation

Lors des rencontres, les membres sont en mesure d’exprimer librement, dans le cadre d’une discussion, leurs préférences individuelles et leurs questionnements sur les dossiers étudiés. La participation des membres est cependant contrainte par le temps limité que le CCU peut accorder à l’évaluation de chaque dossier, comme l’indique cette membre citoyenne : « [En ce qui concerne le] nombre de projets à traiter en quatre heures, tu as quinze minutes pour donner tes commentaires et tu as toujours la pression du temps derrière toi. » À l’issue d’une délibération, et parfois même d’une négociation, les membres sont amené·e·s à agréger leurs préférences par l’adoption à majorité d’un avis en faveur ou non d’un dossier. La décision peut parfois s’accompagner de recommandations ou même exiger que certaines modifications soient apportées au projet.

En amont des discussions, les dossiers font l’objet d’une présentation par un·e fonctionnaire de l’arrondissement, exprimant aux membres les préférences de l’administration quant au dossier : « Les fonctionnaires sont présent[∙e∙]s pour présenter les dossiers […]. [Elles et ils] le font d’une façon objective et généralement neutre, mais ce n’est pas toujours le cas. On sent toujours un peu le biais » (membre élu).  Ainsi, des tiers exercent parfois une influence sur le travail des CCU dans l’évaluation des dossiers. Selon la nature et la complexité d’un dossier, les comités peuvent aussi se prévaloir du droit d’inviter une ressource externe afin d’approfondir leur réflexion – souvent l’architecte, le promoteur ou la promotrice –, une pratique observée dans l'arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.

Portée de la participation

La participation des membres d’un CCU montréalais concerne essentiellement l’évaluation des demandes en urbanisme auxquelles s’applique un règlement à caractère discrétionnaire. Outre cette obligation prévue par la loi, un membre élu précise que « la fonction qu’on donne aux CCU varie d’un arrondissement à l’autre » : certains arrondissements peuvent même les consulter dans leurs démarches de modification réglementaire et leur accordent un pouvoir d’étude étendu. Par exemple, le comité de Ville-Marie est responsable d’analyser « tout projet de construction, d'agrandissement ou de transformation des caractéristiques architecturales d’un bâtiment, qui s'avère visible depuis la voie publique ou affectant un bâtimentix ».

La présentation de deux règlements à caractère discrétionnaire offre une illustration des différentes demandes pouvant être évaluées par les CCU. Le Règlement sur les projets particuliers de construction, de modification ou d'occupation d'un immeuble (PPCMOI) permet, sous certaines conditions, la réalisation d’un projet même s’il déroge au cadre réglementaire de l’arrondissement sans qu’une modification de zonage soit requise. En ce sens, un CCU pourrait évaluer une demande de conversion d’une ancienne église en condominiums et émettre une recommandation en ce sens au conseil d’arrondissement. Dans ce cas, l’application d’un PPCMOI servirait à modifier l’usage défini dans le plan de zonage.

Pour sa part, le Règlement sur les plans d'implantation et d'intégration architecturale (PIIA) s’applique à différents territoires ou catégories de projets qui doivent faire l’objet d’une évaluation qualitative pour l’obtention d'un permis ou d'un certificat. Cet outil permet aux arrondissements d’assurer la qualité de l’intégration et de l’implantation architecturale, mais également d’encadrer le développement de secteurs géographiques de valeur significative ou d’intérêt patrimonial. Certains arrondissements, comme Le Plateau-Mont-Royal, assujettissent quant à eux l’ensemble de leur territoire à un PIIA, ce qui leur permet d’exercer un contrôle plus systématique sur les projets. Dans Rosemont–La Petite-Patrie, des PIIA particuliers s’appliquent par exemple à la Cité-Jardin, en raison de sa grande valeur paysagère et architecturale, et aux bâtiments de type shoebox – ces petites maisons plain-pied à toit plat, construites au début du XXe siècle.

Devant guider l’analyse des projets évalués par les CCU, les PIIA regroupent une série de critères définis par la fonction publique, comme l’explique un membre citoyen :

Par exemple, le logement abordable, le verdissement, le développement durable […] sont transposés dans le PIIA. Puis, on reçoit cette grille-là comme étant du cash. On ne peut pas avoir de prise de position par rapport à cela, mais on peut quand même avoir un avis sur ce qui est écrit. Donc, je mets en lumière dans mes commentaires les valeurs auxquelles je crois. Celles que je juge secondaires ou un peu douteuses, je n’en parle jamais.

Cette dimension interprétative semble centrale dans l’évaluation qualitative des demandes en urbanisme. L’interprétation permet également aux élu·e·s de mettre en œuvre leur vision politique sans pour autant apporter de modifications formelles au cadre réglementaire, lesquelles peuvent soulever l’opposition populairex ou s’avérer impossibles à réaliser au regard des pouvoirs d’un arrondissement. Comme l’illustre cette fonctionnaire, « modifier un règlement, c’est beaucoup plus difficile qu’essayer de mettre de la pression sur un promoteur dans le cadre du traitement d’un dossier en projet particulier ». Pour un autre, « cela va au-delà de leur pouvoir réglementaire [des élu·e·s], mais souvent les citoyen[∙ne∙]s vont s’y plier parce qu’[elles et] ils veulent que leur dossier passe ». Les élu·e·s disposent à cet égard de leviers pour orienter la finalité de certains dossiers en fonction de leurs idéaux.

Fréquence de la participation

Les membres d’un CCU se rencontrent une fois par mois avant la séance du conseil d’arrondissement. Pendant leur mandat d’une durée de deux ans, elles et ils reçoivent une compensation financière symbolique pour leur participation. De manière générale, les rencontres du comité se tiennent à huis clos afin de garantir l’efficacité de l’étude des dossiers, mais aussi la liberté de parole à ses membres par rapport aux pressions externesxi. Comme l’explique une fonctionnaire : « Je suis d’avis que les réunions doivent se dérouler à huis clos. C’est arrivé à quelques occasions qu’il y eût des citoyen[∙ne∙]s qui n’étaient pas content[∙e∙]s de nos recommandations. [Elles et] ils sont venu[∙e∙]s assister à la rencontre et on a vu des membres du CCU, qui au début de la rencontre nous disaient que c’était un mauvais projet… Et que, bizarrement, quand la personne se met à pleurer […] ah! le projet, c’est rendu un bon projet! »

Selon les acteurs et actrices rencontré·e∙s, les rencontres d’un CCU durent généralement près de quatre heures, pendant lesquelles celui-ci évalue en moyenne une quinzaine de dossiers. Demandant un travail de préparation, les membres reçoivent généralement dans la semaine qui précède les dossiers qui leur seront présentés par la division responsable de l’urbanisme et des permis. De plus, les membres élu∙e∙s peuvent s’entretenir directement avec les fonctionnaires pour obtenir de plus amples explications. Dans l’arrondissement de Ville-Marie, les membres du comité identifient en début de rencontre les dossiers pour lesquels elles et ils souhaitent obtenir une présentation exhaustive des fonctionnaires. Ceux qui ne soulèvent aucune réserve ou interrogation seront automatiquement approuvés par le comité.

Degré d’influence

Les CCU influencent considérablement le processus décisionnel en raison de leur pouvoir d’étude et de recommandation, lequel est d’ailleurs garanti par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. L’évaluation que font les membres des dossiers est donc inévitablement prise en compte lors de l’adoption de résolutions par le conseil d’arrondissement. La décision définitive demeure toutefois la prérogative de ce dernierxii. Habituellement, les élu·e·s ne font qu’entériner les avis favorables émis par leur CCU. Néanmoins, il arrive parfois qu’elles et ils aillent à l’encontre des recommandations de leur comité et choisissent plutôt de ne pas inscrire certains dossiers à l’ordre du jour du conseil d’arrondissement pour approbation : « J’ai vu des projets fortement politisés où l’on a émis un avis favorable et les élu[∙e∙]s ont émis un avis défavorable. […] Souvent, cela bloque et ils ne sont pas amenés au conseil d’arrondissement. Cela évite aux élu[∙e∙]s de justifier pourquoi [elles et] ils refuseraient un projet qui a reçu un avis favorable » (membre citoyen). Il arrive toutefois que les requérant·e·s réussissent à convaincre la classe politique d’approuver leur projet, et ce, même si le CCU s’était prononcé en défaveurxiii : « Le CCU était défavorable, puis la citoyenne a fait valoir ses droits devant les élu[∙e∙]s. Elle a réussi à convaincre la majorité des élu[∙e∙]s. Donc, on a émis un avis défavorable […] et les élu[∙e∙]s ont voté pour l’adoption du projet » (membre citoyen).

Représentant plus l’exception que la règle, ces scénarios mettent en lumière la complexité du processus décisionnel en urbanisme à l’échelle locale. D’une part, il peut être compris au regard de facteurs exogènes à l’appareil municipal. Par exemple, certains groupes communautaires exerceraient une influence sur la vision politique défendue par les élu·e·s, comme le souligne une fonctionnaire : « La mairesse de l’arrondissement, elle est très proche des groupes communautaires. Elle revendique beaucoup pour les logements sociaux, les logements pour les familles, les logements pour les gens à faible revenu. C’est arrivé à quelques occasions que des dossiers aient été retirés de l’ordre du jour d’un conseil d’arrondissement étant donné qu’on n’avait pas tenu compte de ces éléments. » Un autre cas de figure renvoie à la relation entre les promoteurs ou les promotrices immobilier·ère·s et les arrondissements, laquelle oscillerait entre des dynamiques de pression et de négociation. Comme l’explique un membre citoyen : « Nous vivons en amont la pression des développeurs [et développeuses], ceux [et celles] qui veulent développer les quartiers de mon arrondissement, parce qu’il y a des terrains libres et des opportunités de densification. [Elles et] ils pensent que les règles sont beaucoup plus souples que dans les arrondissements centraux. […] Ce qui nous est présenté en avis préliminaire, souvent [dans le cadre du] PPU (programme particulier d’urbanisme), c’est monstrueux. De la densification monstre sur des sites qui ne supporteront jamais cette densité-là. » Une certaine pression serait ainsi exercée sur les élu·e·s et les fonctionnaires dans les arrondissements périphériques afin que l’approbation des projets soit accélérée. En contrepartie, il peut aussi arriver que des élu·e·s contournent d'une certaine manière le cadre réglementaire de leur arrondissement en négociant directement avec les promoteurs ou les promotrices pour garantir la prise en compte de considérations politiques dans les projets réalisés. Selon un membre élu, avant l’adoption du Règlement visant à améliorer l’offre en matière de logement social, abordable et familial en 2019, des arrondissements pouvaient offrir une compensation en échange de l’inclusion de logements sociaux.

D’autre part, des facteurs endogènes à l’appareil municipal peuvent également influencer le processus décisionnel en urbanisme. En effet, l’évaluation des demandes par les CCU ferait contrepoids à l’expertise et à la vision des acteurs et des actrices de l’administration publique, comme l’évoque un membre élu : « On veut créer un contrepoids à l’administration. C’est bon d’avoir un avis d’expert[∙e] que l’on retrouve au CCU et qui parfois ne correspond pas nécessairement avec l’avis et la vision des fonctionnaires. Cela arrive souvent. » Au-delà de l’expertise, il existerait aussi différentes visions sur le devenir de la ville dans une perspective urbanistique entre les CCU et l’appareil municipal : « Il y avait un clivage entre les élu[∙e∙]s et le CCU en ce qui a trait à l’accessibilité universelle. Le conseil d’arrondissement a fermement pris position pour que dans tous les projets d'agrandissement, de rénovation ou de construction, on implante des mesures pour favoriser l’accessibilité universelle. Parfois pour le CCU, ce n’était même pas une considération » (membre élu).  Le traitement de certaines demandes met également en lumière certaines tensions, comme celles entre les fonctionnaires et la classe politique municipale : « Ce chef d’équipe là, il a quand même une grande influence sur plusieurs jeunes professionnel[∙le∙]s. Son orientation est claire : il faut construire, il faut construire, la ville est à construire! C’est sûr que nous, on est d’une autre mouvance et on dit que si l’on veut construire le centre-ville à échelle humaine, il faut l’habiter et y amener des résident[∙e∙]s. Est-ce que cela va passer par des tours? Il y a une confrontation de visions carrément politique » (membre élu). Ces exemples illustrent le type de débats auxquels les CCU montréalais peuvent contribuer dans le cadre de leur mandat. L’influence de ces comités sur le processus décisionnel peut ainsi être comprise à l’intérieur de l’appareil municipal au regard du pouvoir, des intérêts et de la vision politique des fonctionnaires et des élu·e·s.

***

Ce bref survol du fonctionnement des CCU permet de proposer quelques constats et pistes de réflexion sur leur nature, leur rôle et leur pertinence dans le contexte montréalais. Le travail de ces comités révèle la cohabitation et parfois la concurrence de différentes visions sur l’urbanisme et le devenir de la ville. Cet aperçu brosse également le portrait de l’éclatement des pratiques d’un arrondissement à l’autre et suggère de nuancer l’idée selon laquelle ces comités constituent des dispositifs de participation citoyenne.

Force est de constater que les différences entre les pratiques entourant le fonctionnement des CCU montréalais mériteraient d’être documentées de manière plus systématique. Cette problématique est notamment soulevée par un membre élu : « Il faut arriver à avoir une uniformité dans le fonctionnement des CCU. Je parle entre autres d’avoir des règlements de CCU qui sont les mêmes. Je pense que cela n’a pas de bon sens que cela peut changer d’un arrondissement à l’autre. » Les fonctionnaires consulté·e·s affirment aussi n’entretenir presque aucun contact avec leurs collègues œuvrant dans d’autres arrondissements. Les autorités locales pourraient élaborer de nouveaux mécanismes visant le partage de l’expertise et des bonnes pratiques entre les arrondissements. Ces derniers gagneraient à évaluer quel serait le degré d’harmonisation optimal de leurs pratiques et à collaborer avec la Ville-centre afin de formaliser, dans le respect de leur autonomie, des instruments pour y parvenir.

Dans un autre ordre d’idées, les CCU montréalais sont principalement destinés à une poignée d’expert·e·s et leur travail demeure souvent inaccessible au public. En ce sens, ces comités agissent davantage comme une extension de l’appareil municipal qu’ils ne représentent des espaces délibératifs ouverts, où les citoyen·ne·s peuvent s'approprier leur ville et participer à la fabrication des politiques publiques. Comme l’évoque une membre élue : « La participation citoyenne, c’est souvent vu par les fonctionnaires et même les élu[∙e∙]s comme une affaire de trop dont on n’a pas besoin. » Il existerait ainsi un scepticisme quant à la plus-value réelle de l’engagement du citoyen ou de la citoyenne lambda en urbanisme, qui ne répondrait pas de manière satisfaisante aux impératifs de l'efficacité et de l'expertise devant garantir la qualité du travail réalisé par les CCU. Ces considérations invitent donc à revisiter l’association spontanée qui est faite entre ces comités et la participation citoyenne. En permettant de réfléchir à la création d’un espace citoyen complémentaire concernant les enjeux liés à l'urbanisme, la déconstruction de ce mythe profiterait vraisemblablement à la démocratie locale.

Crédit photo : MaxwellFury, Pixabay, https://pixabay.com/fr/photos/habitat-67-montr%C3%A9al-appartement-3108642/

i Ville de Montréal, Permis de construction, 2020, http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=6897,67887749&_dad=porta....

ii Les élu·e·s, fonctionnaires et membres citoyen·ne·s rencontré·e·s proviennent de plusieurs arrondissements, comme Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Plateau-Mont-Royal, Rosemont–La Petite-Patrie, Verdun, Ville-Marie, ainsi que Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension.

iii Sergio Avellan, « Quel historique législatif des CCU? », Urbanité : Automne 2015, 24-26.

iv Marc-André Lechasseur, « Les règlements à caractère discrétionnaire en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, vol. 31, no. 1-2 : 2000, 199-266. Les règlements discrétionnaires comprennent : le règlement sur les dérogations mineures, sur les plans d'aménagement d'ensemble (PAE.), sur les plans d'implantation et d'intégration architecturale (PIIA), sur les demandes d'autorisation d'un usage conditionnel ou d'un projet particulier de construction, de modification ou d'occupation d'un immeuble (PPCMOI) et de projets de construction ou de lotissement en raison des certaines contraintes.

v Laurence Bherer, « Les trois modèles municipaux de participation publique au Québec », Télescope, vol. 17, no. 1 : 2011, 157-171. Laurence Bherer est professeure au Département de science politique de l’Université de Montréal. La grille qu’elle propose s’inspire des travaux d’Archon Fung. Voir : A. Fung, « Varieties of Participation in Complex Governance », Public Administration Review: 2006, 66-75; A. Fung, « Recipes for Public Spheres: Eight Institutional Design Choices and their Consequences », Journal of Political Philosophy, vol. 11, no. 3 : 2003, 338-367.

vi Il existe néanmoins des exceptions, notamment à Verdun, où un citoyen a déjà exercé la présidence du comité. Sur cette question, un membre élu estime que : « Avec le temps, on s’est aperçu qu’il y avait un avantage à avoir une élue comme présidente, parce que cela facilite la communication avec les services et parfois les modifications à l’ordre du jour qui doivent être apportées. Il y a des dossiers qui sont plus délicats et ainsi de suite. »

vii Certain∙e∙s acteurs et actrices recontré·e·s, comme ceux et celles de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, estiment néanmoins que l’ouverture de leur CCU aux citoyens et citoyennes lambda est enrichissante.

viii Habituellement, il s’agit de la présentation de leur projet aux agent·e·s du cadre bâti ou aux conseiller·ère·s en urbanisme de la Direction de l'aménagement urbain et des services aux entreprises.

ix Ville-Marie. Comité consultatif d’urbanisme (CCU), 2020, http://www1.ville.montreal.qc.ca/banque311/content/ville-marie-%E2%80%93....

x La modification du règlement d’urbanisme peut mener, dans certains cas, à la tenue d’une consultation publique et même d’un référendum.

xi Certains arrondissements, comme Saint-Laurent, ont expérimenté l’ouverture de leurs séances au public. Voir : Jean-Philippe Grenier, « Quel historique législatif des CCU? », Urbanité : Automne 2015, 29-30.

xii Jean-Pierre St-Amour, « L’avis du comité consultatif d’urbanisme », Urbanité : Automne 2015, 27-28.

xiii Valérie Levée, « Processus d’évaluation : dans la boîte noire des CCU », Esquisse, 30 (3) : 2019, 48-50.

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