Le Yasuni perd la bataille face au péril pétrolier

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Le Yasuni perd la bataille face au péril pétrolier
Opinions
| par Raouf Bousbia |

Le 15 août 2013, l’Équateur annonce finalement que la décision a été prise de procéder à l’exploitation du pétrole amazonien du parc Yasuni, et cela après l’échec de la concrétisation de l’accord signé en 2010 entre l’Équateur et la communauté internationale. Le président Correa s’était alors engagé pour une exploitation responsable et respectueuse de l’environnement.

Crée en 1979 par le gouvernement équatorien et décrété Réserve mondiale de biosphère par l’UNESCO en 1989, le parc Yasuni se situe au Nord-Est de l’Équateur, en pleine Amazonie entre les fleuves Napo et Curaray. Un petit paradis vert considéré comme un des plus riches espaces au monde pour sa biodiversité, car effectivement une multitude d’espèces animales et végétales y trouvent refuge. Une richesse écologique qui ne cesse d’émerveiller et de passionner les botanistes et autres scientifiques et chercheur-e-s qui n’ont toujours pas terminé de tout répertorier.

Différentes populations autochtones peuplent depuis des millénaires ce parc couvrant une superficie de 9500 km², en l’occurrence les communautés Huaorani et Kichwa, parfaitement établies aux fins fonds de la forêt et sur les rives des fleuves et rivières. Ces communautés pratiquent la chasse, la cueillette, une agriculture traditionnelle et des industries artisanales comme la fabrication d’ustensiles de cuisine, vêtements, sacs, filets, bijoux, pirogues et toitures pour habitations. Des produits qui facilitent et encouragent les échanges commerciaux entre les différentes tribus et communautés.

S’ajoutant au luxuriant environnement aérien, le sous-sol du Yasuni regorge d’une immense richesse pétrolière convoitée par les plus grands groupes pétroliers depuis 1930, année de la première découverte d’hydrocarbures dans ce territoire.

Il s’agit d’un potentiel estimé à 850 millions de barils de brut, soit 20% des réserves nationales équatoriennes en pétrole, une manne financière non négligeable, qui profiterait au gouvernement équatorien pour lancer des projets d’envergure et relever le PIB, mais surtout pour acheter la paix sociale. Cette dernière devenait de plus en plus dure à entretenir, comme l’atteste, le 30 septembre 2010, la mutinerie et l’appel à la grève des forces de l’ordre après le vote d’une loi prévoyant la réduction des salaires dans le secteur public, et tout particulièrement ceux des forces de police. Après une attaque contre lui, le président équatorien fut transporté à l’hôpital où les mutins ont pu s’introduire et le séquestrer. L’armée restée fidèle à Correa est intervenue avec force pour le libérer et rétablir l’ordre.

Cet épisode montre à quel point le gouvernement avait besoin de nouvelles sources de financement afin de redresser une situation économique et sociale désastreuses qui s’amplifiait de jour en jour.

Alors que ses pays voisins connaissaient une assez forte croissance économique en grande partie grâce à leurs secteurs pétroliers qui, à cette époque, connaissaient une recrudescence du prix du baril, l’exploitation de Yasuni se présenta comme une solution rapide et rentable pour renflouer les caisses de l’État.

Se présentant comme un écologiste confirmé, Raffael Correa exposa en septembre 2007, devant l’assemblée générale des Nations unies, la proposition de sanctuariser le parc Yasuni et de renoncer à toute forme d’exploitation d’hydrocarbures en son sein. En contrepartie, l’Équateur demandait à la communauté internationale une indemnité de 3,6 milliards de dollars, soit la moitié des recettes qui pourraient être générées par une éventuelle exploitation. Un accord est signé en août 2010, et l’initiative Yasuni ITT est créée. (ITT sont les initiales des trois villes délimitant le parc : Ishpingo, Tambococha, Tiputini.) Mais voilà, seuls 13,3 millions de dollars ont été réellement versés.

Ainsi, avec une large majorité de 108 voix « Pour » et 25 « Contre », les parlementaires équatoriens n’ont pas hésité à dire « oui » au président qui annonça le 15 août 2013 la mise en œuvre de l’exploitation des gisements du parc, ignorant les contestations des écologistes et des populations autochtones qui étaient sorti-e-s dans les rues pour protester contre cette décision irresponsable et qui n’ont vu en l’initiative Yasuni ITT qu’un leurre, un chantage international, afin de rejeter la faute et les conséquences d’un désastre à venir comme le douloureux épisode de l’affaire Texaco-Chevron.

Effectivement, le groupe pétrolier Texaco avait exploité de 1964 à 1990 plusieurs gisements dans la zone nord de l’Amazonie équatorienne. Après l’extraction de 1,5 milliards de barils de pétrole, le déversement de 84 milliards de déchets et de résidus en pleine nature et des actions de réparations insuffisantes, l’Équateur fit face à la plus grande pollution environnementale de toute son histoire.

C’est alors que s’engagea une procédure judicaire de plus de 20 ans. En 2011, un juge de Largo Agrio en Équateur avait condamné la compagnie américaine à verser 9,5 milliards de dollars d’amende, une somme qui pourrait doubler si Texaco ne présentait pas d’excuses. La condamnation de 19 milliards de dollars fut confirmée en appel début janvier 2012; il s’agissait de la condamnation la plus sévère jamais prononcée pour une pollution industrielle. Texaco s’était pourvu en cassation, refusa de payer et poursuivit dans les tribunaux américains les militant-e-s et les victimes de cette pollution pour complot et extorsion. Contre toute attente, la justice américaine lui avait donné raison.

En 2015, la cour suprême du Canada engage une procédure judiciaire pour la reconnaissance et l’exécution du jugement prononcé en Équateur. Tout cela présage que l’affaire Texaco-Chevron en Équateur est loin d’être terminée et cette nouvelle ouverture du président Correa envers les compagnies pétrolières ne fera que répéter l’épisode tragique de Texaco ainsi que les conséquences que vivent jusqu'à présent les populations autochtones de l’Amazonie : pollution des eaux, disparition de la faune aquatique, contamination des sols, maladies cutanées et respiratoires, augmentation des taux de mortalité dans les zones touchées.

Se présentant toujours comme un défenseur des droits de la nature, de l’Amazonie et des peuples qui y habitent, Correa s’engage à exploiter le pétrole du Yasuni avec la plus grande prudence. Sa méthode : « Il n’y aura pas de routes dans la forêt, tout se fera par hélicoptère, avec des oléoducs enterrés, avec des techniques de pointe. »

En novembre 2015, nous avons pu constater par nous-mêmes le décalage entre le discours officiel et la réalité sur le terrain. Partis visiter le parc Yasuni et la réserve biologique Limoncocha, nous découvrîmes au-delà de notre espérance un monde naturel extrêmement riche mais aussi très fragile.

Longeant les routes, un enchevêtrement d’oléoducs et de tuyauteries sont construits loin des normes qu’exige cette industrie dans d’autres pays à tradition industrielle pétrolière : à peine un à deux mètres les séparent de la chaussée et parfois même quelques centimètres, posés non sur des supports construits dans les normes qu’exige souvent le secteur, mais sur des supports fabriqués à partir de tubes d’échafaudage rouillés, aucun alignement, pratiquement aucune vanne permettant la fermeture en cas d’incidents et encore moins un système d’identification des fluides coulant dans les différentes tuyauteries qui changent de position au gré des courbes et obstacles du terrain parcouru. Enjambant régulièrement des rivières, aucune infrastructure de « type Rack » (1) n’a été construite pour le passage de ces tuyauteries; une rivière qui grossirait emporterait tout sur son passage et les produits pétroliers se déverseraient à travers des milliers de kilomètres de cours d’eau et des millions d’hectares de terre.

Aux stations de pompage et de stockage, on remarque qu’aucun système de détection/extinction d’incendies n’a été réalisé et la grandeur des cuves de retenue creusées autour des bacs de stockage sont relativement petites pour retenir le brut en cas de déversement. En définitive, nous sommes très loin de la promesse du président équatorien pour une exploitation responsable avec des techniques de pointe; on voit plutôt des infrastructures de l’industrie pétrolière des années 1930.

Ce que nous avons vu nous laisse imaginer l’horreur de ce qui se fait à l’abri des regards dans la forêt profonde et nous nous demandons ce qui ne va pas avec le discours du pouvoir équatorien. Est-ce que ce sont les cahiers des charges imposés aux compagnies pétrolières qui ne sont pas assez rigoureux sur la sécurité et la qualité du travail? Ou bien ça serait plutôt un laxisme des contrôleurs et contrôleuses et des agent-es d’inspection des maîtres d’œuvres, l’État équatorien en l’occurrence.

Bien des organisations dénoncent cet état de fait et l’organisation Yasunidos en est l’exemple le plus marquant, qui a pu même se mobiliser pendant la dernière conférence des parties de la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques tenue à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015 (COP21).

Mais le président Rafael Correa était là aussi et continuait à se borner à dire et à réaffirmer lors d’un entretien accordé au journal Le Monde que l’exploitation au Yasuni est basée sur des techniques de « pointe ». Il va plus loin encore, en dénonçant les organisations et les populations qui s’opposent au massacre de leur habitat en les accusant d’être soutenues et payées par l’Occident.

Un discours pour discréditer tous ceux et celles qui tirent la sonnette d’alarme et étouffer la contestation grandissante des populations touchées.

Avec une telle politique, le parc Yasuni n’est qu’au début de ses peines, et ce qui a mis des millions d’années à se créer prendra beaucoup moins de temps à disparaître.

Malgré les cours actuels du pétrole, qui ont connu une dégringolade vertigineuse ces dernières années, 116,75 $US le baril de Brent en juillet 2011 à 32,20 $US en février 2016, des pétrolières continueront à se remplir les poches et le gouvernement équatorien fera en sorte que des populations dociles aient quelques miettes à se mettre sous la dent et que les populations qui le sont moins se taisent. Et peut-être que le souhait du président Correa pour la création d’un tribunal pénal international sur l’environnement se réalisera, et pourquoi pas, ironie du sort, assistera à sa comparution.

Loin des turpitudes politiques et financières, la vie paisible dans le sous-bois inexploité du Yasuni fait de la résistance. Espérons que ça puisse encore durer longtemps.

 

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