L'angle mort de la réconciliation

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L'angle mort de la réconciliation
Opinions
| par Alec White |

(LETTRE OUVERTE) N'est-il pas hypocrite qu'au-delà des excuses publiques, des rapports et des enquêtes, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec se targuent de vouloir travailler à une réconciliation avec les Premières Nations, tout en appuyant parallèlement certains projets économiques qui vont à l'encontre de leurs volontés?

Actuellement, le conflit opposant la communauté algonquine du Lac Barrière à l'entreprise minière Copper One Inc est révélateur d'une situation où le gouvernement du Québec aura à choisir entre appuyer l'industrie minière une nouvelle fois, ou bien poursuivre sur la voie de la réconciliation en respectant la volonté souveraine de la communauté de ne pas accueillir de tels projets sur son territoire. En effet, les Algonquin·e·s du Lac Barrière s'opposent depuis longtemps à l'exploitation des ressources minières sur leur territoire que la communauté juge incompatible avec son mode de vie. Cependant, loin d'être opposée à tout type de développement, la communauté tente depuis plusieurs années de mettre en œuvre une entente tripartite négociée en 1991 avec le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Celle-ci visait à établir une cogestion des ressources et du territoire grâce à laquelle les Algonquin·e·s du Lac Barrière pourraient participer au développement de leur territoire dans des secteurs comme la foresterie, l'hydroélectricité, la chasse et la pêche. Bien que l'entente semble n'avoir jamais été appliquée, l'esprit de celle-ci demeure. Or, depuis que Copper One tente d'utiliser ses claims[i] concernant directement le territoire ancestral de la communauté, cette dernière se sent trahie par le gouvernement. Une situation semblable s'était produite en 2011 lorsque les claims de Copper One avaient été suspendus par le gouvernement du Québec à la suite d'une mobilisation des Algonquin·e·s. Cependant, les claims ont été réactivés au courant de l'été 2016  des Algonquin·e·s. Le 25 janvier 2017, lors d'une journée d'information où plusieurs organismes étaient invités à entendre la communauté sur le conflit qui l'opposait à Copper One, plusieurs membres de la communauté étaient clairs : s'il était porté à terme, ce projet minier affecterait fortement la culture de leur peuple, voire le conduirait à sa perte. Pour eux, les impacts environnementaux qu'engendrerait l'exploitation des ressources non renouvelables par Copper One viendraient directement chambouler leur rapport au territoire. L'utilisation du territoire, tout comme la conservation de celui-ci, est directement liée à leur identité culturelle, mais aussi à leur apprivoisement en nourriture. Sur place, un homme nous confiait même qu'un retour à son territoire et au mode de vie qui lui est attaché lui avait permis de guérir en grande partie des blessures causées par les pensionnats autochtones. Il en découle que si le projet minier de Copper One allait de l'avant, loin de se rapprocher d'une réconciliation, le gouvernement mettrait la table pour un nouvel ethnocide. L'ethnocide se définit par la destruction intentionnelle de l'identité culturelle d'un groupe, pouvant se conclure ou non par la mort des membres de ce groupe[ii].

Est-ce que Copper One Inc et le gouvernement du Québec seraient tous deux complices d'un geste de cette ampleur? Il semble que oui, car si la communauté algonquine du Lac Barrière a répété à plusieurs reprises son opposition totale à la présence de l'industrie minière sur son territoire, Copper One ne semble pas respecter à sa juste valeur la volonté des Algonquin·e·s du Lac Barrière. Pire, Scott Moore, président de la compagnie, va même jusqu'à associer ce refus à de la mauvaise foi[iii], rien de moins. Il est à se demander si les gens de l'industrie, à force de baigner dans ce fourre-tout conceptuel qu'est le principe de l'« acceptabilité sociale » – terme qui semble relever beaucoup plus d'un coup de marketing institutionnalisé que d'un réel engagement à respecter les droits des communautés –, ont conscience qu'il est tout à fait légitime qu'une communauté refuse un projet qu'elle juge incompatible avec ses intérêts. Cependant, il ne faut pas se faire d'illusion. Dans son dernier rapport, « La quête de l'acceptabilité sociale et la maximisation des retombées », le Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société de l'UQAM constatait qu'au Canada, ce concept ne se basait sur aucune assise juridique formelle. Au contraire, sa conceptualisation étant soumise aux rapports inégaux de pouvoir présents dans la société, il se trouve que l'acceptabilité sociale finit par servir l'intérêt des plus puissants et de l'industrie[iv]. On peut d'ailleurs souligner l'honnêteté du ministre des Forêts, Luc Blanchette, sur cette question qui, en plus de spécifier que ce principe n'inclut par un droit de veto, prend soin de nous rappeler que l'acceptabilité sociale, « ce n'est pas une question de consentement ou non, c'est beaucoup plus un rapprochement pour faire du développement de la richesse, mais de façon correcte[v]». Correcte, ni plus ni moins. Pourtant, dans le rapport de la Commission vérité et réconciliation: Appels à l'action, il est écrit que pour travailler à une réconciliation, les entreprises devraient « s’engager à tenir des consultations significatives, établir des relations respectueuses et obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones avant de lancer des projets de développement économique[vi]».

Chose sûre, si le gouvernement du Québec tergiverse dans ce dossier, il serait naïf de croire que l'industrie minière prêchera par l'exemple. Interrogée sur le conflit au Lac Barrière, la directrice générale de l'Association d'exploration minière du Québec (AEMQ), Valérie Fillion, est loin d'aller dans le sens du rapport vérité et réconciliation, expliquant tout bonnement que : « C’est le travail du gouvernement de consulter les communautés autochtones. Le travail des entreprises n’est pas de reconnaître des droits et territoires. Il est malheureux de voir les projets pris en otage[vii]». En effet, le gouvernement doit consulter les Premières Nations, mais cette consultation ne doit pas être simplement l'outil d'une fabrication du consentement permettant à l'industrie d'arriver coûte que coûte à ses fins, elle doit reconnaître le droit au refus, tout comme l'industrie doit apprendre à se conformer à cette volonté. D'ailleurs, il serait bien de rappeler à madame Fillion qu'il n'y a pas que des projets qui sont pris en otage dans ces situations, il y a aussi des peuples.

À l'heure actuelle, où en sommes-nous? Il se trouve qu'à la suite d'une conférence de presse présentée le 26 janvier où la communauté rappelait encore une fois son refus, mais aussi son ambition d'invalider en cour la Loi sur les Mines pour son caractère inconstitutionnel par rapport au respect des droits autochtones, le gouvernement du Québec a suspendu à nouveau les titres miniers de Copper One pour une période indéterminée. De son côté, la compagnie entame présentement des recours juridiques contre le gouvernement afin de contester la suspension de ses claims, mais aussi d'obtenir les permis lui permettant de poursuivre ses activités [viii]. Si Copper One venait à obtenir ses permis, il est à prévoir que des affrontements auront lieu. Les Algonquin·e·s n'étant pas prêts à reculer, l'entreprise n'aura d'autre choix que d'entreprendre ses travaux escortés par la police, nous rappelant ainsi sans artifices le versant colonial de ce régime. Le temps passe et le gouvernement devra bientôt trancher : ou bien il respecte la volonté des citoyen·ne·s du Lac Barrière de s'opposer à la présence de l'industrie minière sur son territoire, ou bien il supporte Copper One et maintient hypocritement l'exploitation des ressources naturelles dans l'angle mort du processus de réconciliation.

L'auteur est étudiant en science politique à l'Université du Québec à Montréal.

L'opinion exprimée dans le cadre de cette lettre d'opinion, est celle de son auteur et ne reflète pas nécessairement l'opinion, ni n'engage la revue l'Esprit libre.

CRÉDIT PHOTO: Émile Duchesne

[i]  un claim est un titre minier qui s'obtient par désignation et qui offre un droit exclusif à son titulaire d'entreprendre des travaux d'exploration.

[ii]M.T. Martinez-Dominguez, «Oil Politics in the Amazon: From Ethnocide to Resistance and Survival», p.5.

[iii]Deshaies, Thomas. « Lac Barrière: Copper One envisage des recours juridiques». L'Écho Abitibien ( Val-d'Or), 30 janvier 2017, Web.

[iv]Bonnie Campbell et Marie-Claude Prémont. Mutations de la règlementation multi-niveaux et du rôle des acteurs dans la mise en œuvre des ressources minières et de l’énergie renouvelable : La quête pour l’acceptabilité sociale et la maximisation des retombées. Montréal: CIRDIS, 2016, p.24.

[v]Deshaies, Thomas. « L'État ne défendrait pas assez l'intérêt de la population». L'Écho Abitibien (Val-d'Or), 21 janvier 2017, Web.

[vi]Commission vérité et réconciliation du Canada. «Appels à l'action», Winnipeg, 2012, p.12.

[vii]Deshaies, Thomas. « Lac Barrière: Copper One envisage des recours juridiques». L'Écho Abitibien ( Val-d'Or), 30 janvier 2017, Web.

[viii]. «Suspension des claims de Copper One dans le secteur du lac Barrière: la compagnie appellera de la décision». Radio-Canada, 9 février 2017, Web.

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