La transition écologique peut-elle être écologique ?

Environnement
La transition écologique peut-elle être écologique ?
Entrevues
| par Simon Paré-Poupart |

À l’aube d’une nécessaire transition écologique, le journaliste français Guillaume Pitron a publié La guerre des métaux rares, La face cachée de la transition énergétique et numérique (1). Le livre est le fruit d’une enquête de plusieurs années sur l’exploitation des métaux nécessaires à la transition écologique, transition qui s’appuie d’abord sur l’accroissement des green tech (les technologies vertes). Celles-ci sont les éoliennes, les panneaux solaires, ainsi que les véhicules électriques. Ces technologies sont « pilotées par des technologies numériques ». L’une et l’autre de ces transitions, l’une énergétique et l’autre numérique, dépendent des métaux rares, et le couplage des deux forme la transition écologique que critique M. Pitron dans son ouvrage. Cette transition, critique-t-il, donne l’impression que « ces métaux rares [dont sont truffées les technologies vertes et les technologies numériques mentionnées ci-haut] produisent une énergie décarbonée ». Ce n’est pas ce qui est ressorti de son enquête. Pour cette raison, l’auteur se demande s’il est vraiment possible de faire actuellement cette transition de sorte qu’elle soit écologique. « Il faut d’abord nous entendre sur la transition en question », nous explique M. Pitron. « Il faut sortir des énergies fossiles, ça, c’est clair, mais c’est sur la suite qu’il est moins évident de s’entendre ». Nous lui proposons une entrevue sur ce qu’il pense de la situation depuis la parution de son livre en début d’année 2018.

En parallèle, un chercheur bien d’ici, expert en énergie et en ressources naturelles, signataire du Pacte pour la Transition, Normand Mousseau, se questionne plutôt sur les raisons qui bloquent l’arrivée de cette transition, un sujet traité notamment dans son livre Gagner la guerre du climat. Douze mythes à déboulonner (2). Nous l’interrogeons sur ce qu’il pense de l’essai de M. Pitron ainsi que des réponses que l’auteur nous donne. En fin d’entrevue, l’un et l’autre s’interrogent mutuellement afin de mettre à bas leurs incompréhensions et désaccords.

Simon Paré-Poupart : M. Pitron, vous dites que ni la COP 21 ni la COP 24 n’ont abordé la question de l’exploitation des ressources minières. Et pourtant, votre livre illustre bien que la transition écologique dépend de ces ressources naturelles : on ne peut faire de transition écologique sans minéraux. Et vous ajoutez que les technologies vertes, elles aussi nécessaires à cette transition, engendrent une accélération de la consommation de ces ressources, dont les fameuses terres rares dont elles dépendent. L’extraction minière étant une activité très polluante, n’y a-t-il pas là un problème?

Guillaume Pitron : En effet, le problème est bien là. Les technologies vertes ne seront jamais vertes. Jamais complètement propres. C’est du greenwashing (3).

La raison de ce mutisme : tant qu’on a des pays pauvres pour mettre la poussière sous le tapis, on laissera le sujet de côté le plus longtemps possible. Je crois que la plupart de nos dirigeant[∙e∙]s ignorent même complètement cette dynamique; c’est en effet ce qu’en a démontré l’absence de mention des métaux rares dans les dernières COP. Dans un monde où nous avons fermé nos propres mines, nous avons perdu une certaine connaissance des matières premières, des ressources. Par exemple, Olivier Vidal, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), illustre dans le cadre d’une recherche sur les métaux nécessaires pour soutenir nos modes de vie high-tech [technologies des transitions énergétiques et numériques] qu’il va falloir extraire du sous-sol des quantités considérables de métaux de base pour tenir la cadence de la lutte contre les changements climatiques. Pour l’instant, M. Vidal n’est reçu que par des groupes composés d’étudiant[·e·]s lors de ses conférences alors que son livre devrait intéresser les chef[·fe·]s d’État du monde entier.

SPP : Nous avons fermé nos mines chez nous; la pollution est donc ailleurs, laissez-vous entendre? L’extraction des ressources se passant loin de chez nous, cela ne nous concerne-t-il donc plus?

GP: En effet, c’est l’impression que ça donne. Une inculture du consommateur [et de la consommatrice] s’est alors créée; c’est-à-dire, une distanciation progressive entre la ressource (son exploitation technique, le lieu où elle se trouve) et le produit. Nous avons perdu en savoir d’achat. Au diable le métal! C’est que la chaîne d’approvisionnement s’est complexifiée tout en se mondialisant.

SPP : Voulez-vous dire que nous sommes rendu·e·s dans une économie mondialisée?

GP: En effet! Alors comment voulez-vous avoir cette connaissance, celle du lien entre la ressource et le produit? Le capitalisme dans lequel nous sommes est tributaire de cette dynamique. C’est surprenant, mais nous sommes dans l’économie de la connaissance (avec les téléphones portables, les tablettes); paradoxalement, nous avons perdu la connaissance des ressources qui sont indispensables aux technologies des connaissances.

Normand Mousseau : Les enjeux ne sont pas là, en effet. Par exemple, François Legault n’a pas été à la COP 24, et cela importe peu. Ce qu’on attend d’un gouvernement, c’est qu’il fixe des cibles de réduction claires et qu’il s’organise pour qu’on se dirige vers celles-ci. De plus, on s’attend de ce même gouvernement qu’il informe les citoyen[·ne·]s sur les moyens d’atteindre ces objectifs. C’est sur cela que devrait se concentrer M. Legault.

Pour ce qui est des métaux nécessaires à la transition écologique, oui, nous utilisons beaucoup de métaux avec les nouvelles technologies. Il faut réduire la consommation des ressources aux forts impacts environnementaux. Nous devons donc diminuer nos besoins les nécessitant, non pas à cause de la raréfaction des métaux, mais plutôt pour contrer les changements climatiques en découvrant des solutions de rechange, telles que les batteries au sodium, ou avec du phosphate de fer afin d’éviter le lithium; bref, se transporter d’un métal à fort impact environnemental vers un autre.

SPP : La transition écologique semble s’appuyer fortement sur le développement et la démocratisation de l’auto électrique. Pensons notamment au Plan d'action (en électrification des transports 2015-2020 du gouvernement du Québec. Avoir une auto électrique semble être « LA » solution. À la lecture de votre livre, on comprend que vous n’êtes pas d’accord avec ça, non?

GP : Le discours ambiant, c’est d’opposer l’auto thermique à l’auto électrique, se débarrasser du thermique sale pour de l’électrique vertueux et propre. Mais c’est la Chine qui internalisera les coûts de la production de nos autos électriques. J’y vois une forme de schizophrénie entre l’entrepreneur [et l’entrepreneuse] qui connaît ce problème et les investisseurs [et investisseuses] qui veulent ce développement pour continuer à vendre des autos.

Il faut changer notre mode de consommation. Se questionner. Comment consomme-t-on? Mieux vaut conserver ma vieille auto. Sinon, comment faire de l’autopartage, du covoiturage? L’utilisation de la voiture individuelle doit être contestée par le développement d’autres modes de transport. C’est comme ça que la question devrait être posée.

NM : En partie, c’est vrai que l’auto électrique, c’est très polluant, car l’industrie minière est très polluante. Sur l’échelle du cycle de vie, on ne recycle pas le lithium tiré de ces batteries. Puisqu’on n’a pas assez de volume pour l’instant, on ne le recycle pas. Pourtant, il faut absolument diminuer son impact environnemental. Il faut revoir ça. Il faut rechercher des solutions à plus faible impact.

SPP : Donc, faut-il se tourner vers une consommation plus responsable, vers plus de recyclage? Est-ce que les niveaux de production de la Chine, un des principaux producteurs de terres rares, laissent de la place au développement de l’industrie du recyclage?

GP : Pour le recyclage, les matières premières sont trop peu chères. Il y a encore beaucoup de ressources primaires facilement accessibles. La Chine maintient le prix des métaux rares bas, à la baisse, pour nous noyer de métaux pas chers. Elle veut que l’Occident soit accroc à ses matières premières. Les cours sont donc extrêmement volatiles (4).

Comment voulez-vous avoir une stratégie de recyclage sur le long terme, dans ce cas? Impossible aujourd’hui. Mais possible demain. Le prix augmentera, car les métaux se raréfient de plus en plus au rythme de consommation actuel. Les gisements de classe mondiale s’amenuisent et il en coûte plus cher d’exploiter les nouveaux gisements. Aussi, les normes environnementales augmentent. La ressource va devenir de plus en plus chère. La matière secondaire deviendra plus compétitive.

Il faut retourner à une certaine « souveraineté des ressources », c’est-à-dire une reprise de contrôle de ce qui est sur notre sol. Localement, développer une expertise dans le recyclage, plutôt que de se débarrasser de ces ressources. On s’empêche de développer cette matière secondaire. La Chine entend devenir l’État qui produira le plus de green tech. Elle veut siphonner les emplois verts au détriment de l’Europe, du Japon et des États-Unis.

SPP : Et que pensez-vous de ceux qui disent qu’il faut revoir notre façon de vivre?

GP: Il faut une forme de décroissance. Par exemple, il y a tout intérêt à ce qu’il y ait une décroissance de notre consommation de matières premières. Un découplage entre croissance du PIB et croissance des ressources doit s’opérer (NdA : Plus l’on consomme de high tech, plus il y a de pression sur les ressources pour approvisionner cette consommation). C’est ça qu’il faut viser. De plus, il faut que le secteur du recyclage croisse, et il faut se diriger vers l’économie servicielle, l’économie de la fonctionnalité (5). Tout ça comporte sa part de décroissance. Il faut aussi une part de sobriété (énergétique, de consommation). La logique du low cost est aux antipodes de tout ça. Ne faut-il pas dépenser plus pour nos produits?

NM : La Chine a une approche qui vise le contrôle des ressources et leur exploitation plutôt que le recyclage. Ça coûte moins cher, en effet. Mais, il y a d’autres possibilités. Il n’y a rien qui nous empêche de mettre en place des taxes, des mesures qui vont favoriser le recyclage. Il faut comprendre que lorsque la Chine a ouvert ses portes, les pays occidentaux étaient heureux d’en profiter. Actuellement, on veut profiter du bas prix des métaux. À la fin, il faut faire payer les vrais prix.

En ce sens, nous avons une responsabilité. Le Canada est un paradis minier. Les minières canadiennes peuvent faire ce qu’elles veulent à l’étranger.

Aussi, il faut réduire la demande mondiale de voitures. Sans cette réduction, on ne remet pas en question notre mode de vie, donc tout demeure parfait. Or, on doit le changer, absolument.

Mais je n’aime pas la présentation que fait M. Pitron du sujet : qu’il y ait un risque de crise des métaux rares. Il n’y a pas de vraie crise. Il faut faire une analyse fine de toutes les possibilités. Il n’y a pas en général qu’une seule façon pour arriver au changement lorsqu’on maîtrise l’expertise des métaux.

 

Les auteurs se questionnent

 

Question de Guillaume Pitron : M. Mousseau, dans un monde à 10 milliards d’habitant[·e·]s, où chacun[·e] a le désir de partager notre mode de vie, croyez-vous qu’on va y arriver, avec votre expérience? Va-t-on parvenir à cette transition, ou est-ce que cette transition sera transitoire? Et qu’avant d’y arriver, tout ne sera-t-il pas détruit?

Réponse de Normand Mousseau : C’est sûr qu’il faut trouver un autre chemin. Il faut réduire notre impact sur les ressources et sur la planète. Revoir notre mode de vie, mais pas nécessairement notre qualité de vie. S’orienter vers les services en santé et en éducation tout en travaillant à l’accès au logement. Mais la solution, on ne la connaît pas.

GP : Je ne pense pas qu’il y aura des pénuries de ressources. Mais pensez-vous qu’avec l’accroissement du nombre d’automobiles électriques, il y aura des risques sur le lithium, le cobalt?

NM : Si ça fait monter les prix, ça va forcer les gens à trouver d’autres options. Les comportements se modifieront alors.

Question de Normand Mousseau : Vous passez souvent de « terres rares » à « métaux rares », dont les définitions sont assez différentes. Comment percevez-vous les similarités et les différences entre ces termes?

Réponse de Guillaume Pitron : Nous sommes d'accord et ces différences sont largement exposées dans mon livre. Les terres rares sont une sous-catégorie de métaux rares, mais tous les métaux rares ne sont pas des terres rares! Et d'ailleurs, sont-ils si rares que ça (un débat vieux comme le monde... ou presque!)?

NM : M. Pitron, en quoi la problématique que vous soulevez sur les minéraux est-elle différente de celle des autres secteurs économiques?

GP : Les problématiques sont très similaires, et c'est cela le sel de cette enquête : tous les enjeux associés au pétrole et au charbon (pollution, compétition technologique et économique, tensions géopolitiques) se retrouvent avec ces ressources... Cependant que l'on nous promettait un monde plus vert, plus sobre, plus apaisé (cf. les images de la signature de la COP21, on dirait la signature d'un traité de paix!). Or il n'en est rien. Nous ne réglons pas le problème, nous le déplaçons.

CRÉDIT PHOTO :

1. Guillaume Pitron, 2018, La guerre des métaux rares, La face cachée de la transition énergétique et numérique, Éditions Les Liens qui Libèrent, France.

2. Normand Mousseau, 2017, Gagner la guerre du climat. Douze mythes à déboulonner, Boréal, Québec.

3. Bruce Watson, 20 août 2016, « The troubling evolution of corporate greenwashing », The Guardian, Londres.

https://www.theguardian.com/sustainable-business/2016/aug/20/greenwashing-environmentalism-lies-companies

4. Chloé Hecketsweiler et Thomas Chemin, « Le CAC 40 accro aux "terres rares" », l’express, l’expansion, France.

https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/le-cac-40-accro-aux-terres-rares_1390452.html

5. Patrice Vuidel, Brigitte Pasquelin, 2017, Vers une économie de la fonctionnalité à haute valeur environnementale et sociale en 2050. Les dynamiques servicielle et territoriale au cœur du nouveau, Ademe, France.

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