La réforme du droit des consommateurs version General Mills

Économie
La réforme du droit des consommateurs version General Mills
Opinions
| par Jessica Céré |

En printemps dernier, un gros débat a été enclenché par une réforme des règlements de la compagnie bien connue : General Mills, qui possède des produits tels que Betty Crocker, Cheerios, Bisquick et Pillsbury. En effet, celle-ci a écrit sur sa page web en début avril 2014 que des changements ont été faits à leur politique juridique, changements qui obligeaient maintenant les consommateurs de produits et de coupons General Mills à avoir recours à l’arbitrage lors de conflits. Toutefois, après un flux important de critiques, notamment sur les pages Facebook des différentes marques, la compagnie est revenue sur sa décision et a décidé de revenir à ses anciennes politiques. Même si, au final, le changement n’a pas été opéré, plusieurs se sont montrés inquiets de cette nouvelle décision –et avec raison, car s’il n’y a pas eu de modifications de politiques, l’intention était là. Ce raisonnement de réduire au minimum les droits de protestation des consommateurs vis-à-vis un produit est important à considérer puisque General Mills conçoit des produits alimentaires et que le moindre défaut de fabrication pourrait avoir des conséquences graves pour les consommateurs.

L’Office de la protection du consommateur en bref :                  
 Au Québec, un individu possède, à titre de consommateur, plusieurs droits. Il existe entre outre des lois et des règlements qui régissent le système de consommation dans lequel il vit afin d’assurer une qualité et une sécurité des biens et des services offerts. Notamment, il existe des règles régissant les contrats, les achats, les garanties et les réparations, les plaintes et recours, le crédit et l’endettement, et les assurances qui sont pour la plupart gérées par la Loi sur la protection du consommateur. Il existe aussi l’Office de la protection du consommateur, qui sert à informer, à protéger et à inspecter les commerçants pour être certain que les lois sont respectées. Ainsi, la personne qui voit ses droits non respectés par une entreprise peut contacter l’Office de la protection du consommateur afin de déposer une plainte si elle n’a pas pu recevoir de l’aide directement de la compagnie, ce qui peut inciter les commerçants à régler eux-mêmes toute situation conflictuelle. Si cela ne se règle pas par plainte, l’OPC offre un service de conciliation qui a pour objectif de trouver un terrain d’entente entre les deux parties sans recourir aux tribunaux (1). Si cela ne suffit pas, il est toujours possible pour le consommateur de faire appel à ceux-ci pour une poursuite contre le commerçant.

Le cas General Mills

Le 16 avril 2014, la journaliste Stephanie Storm du New York Times transmettait à la population une information qui changeait le cours des intentions de General Mills. Elle informait la population que désormais, s’ils rejoignaient les communautés internet de la compagnie –telle que Facebook– ou s’ils téléchargeaient des coupons rabais, ils perdaient le droit de poursuivre la compagnie devant les tribunaux. En effet, sur le site web de la compagnie, il aurait été écrit : « Please note that we also have new legal terms which require all disputes related to the purchase or use of any General Mills product or service to be resolved through binding arbitration » (2) . (Traduction libre : Veuillez prendre note que nous avons une nouvelle politique juridique indiquant que les litiges dus à l’achat ou l’utilisation de n’importe quel produit General Mills devra être résolu par arbitrage.) Qu’est-ce que cela veut dire? Normalement, tout individu peut intenter une poursuite contre une compagnie ou un commerçant s’il croit que ses droits ont été brimés dans le cadre d’un service rendu ou d’un achat fait. Lorsque General Mills parle « d’arbitration », cela signifie que ce genre de procédure juridique n’est plus possible et que les recours collectifs ne sont plus permis. En d’autres mots, la compagnie gère la plainte elle-même avec le consommateur qui peut se voir, du coup, plus défavorisé que s’il était devant un tribunal. Cette nouvelle n’a pas fait l’affaire de nombreux consommateurs qui se sont exprimés sur les réseaux sociaux : « Sorry Bisquick. As much as I love you, I am now boycotting you because General Mills is a tool of company » (Traduction libre: Désolé Bisquick. Même si je t’aime beaucoup, je te boycotte puisque General Mills est une compagnie manipulatrice). Un autre exemple vient de parents disant qu’ils vont arrêter d’acheter les produits pour leurs enfants et qu’ils espèrent que la nouvelle politique aura valu le coup : « We’re going to stop buying your products for our kids. Hope the new privacy agreement was worth it » (Traduction libre : Nous cesserons d’acheter vos produits pour nos enfants. J’espère que la nouvelle politique en a valu la peine). Devant ces nombreuses représailles de la part de leurs consommateurs, General Mills revenait sur sa décision et reprenait les vieux termes du contrat : « Because our terms and intentions were widely misunderstood, causing concerns among our consumers, we’ve decided to change them back to what they were » (Traduction libre : Puisque que nos termes et intentions ont été mal interprétés, causant des inquiétudes parmi nos clients, nous avons décidé de les changer à ce qu’ils étaient avant), a dit Mike Siemienas, un porte-parole de la compagnie (3). L’entreprise s’excusait auprès de ses clients et leur demandait de bien leur pardonner (4). Est-ce que ceux-ci ont passé l’éponge ? Peut-être, mais il est important de réaliser qu’une nouvelle ère du droit des consommateurs est commencée.

« Dire adieu aux droits fondamentaux d’un clic de souris » (5).

L’expression ci-haut, utilisée par Mermin, un expert juridique, explique bien le débat dans toute cette histoire. D’un clic de souris, le consommateur se voit enlever le droit fondamental de poursuivre une compagnie s’il a été victime d’une injustice. La place des industries est très grande dans notre société. Elles nous fournissent emplois et biens de consommation, exerçant ainsi un important pouvoir sur nous puisque nous ne pouvons survivre sans elles. D’un autre côté, celles-ci ont aussi besoin de leurs consommateurs pour exister. Afin de les garder, elles doivent leur fournir un produit de qualité qui répond à leurs besoins. Si ceux-ci ne sont pas comblés, le consommateur peut changer de compagnie ou alors il peut porter plainte. La compagnie peut prendre la plainte et décidera de ce qu’elle en fera. C’est, de façon simplifiée, ainsi que fonctionne la roue de satisfaction du consommateur. Sauf que, si ce n’est pas le besoin qui n’a pas été comblé mais plutôt une obligation de la compagnie qui n’a pas été respectée, la plainte doit souvent aller plus loin. Par exemple, Jonathan, âgé de huit ans, est allergique au soja. Une compagnie « X » n’a pas écrit sur l’emballage de son produit qu’il pouvait en contenir. La mère de Jonathan achète le produit et en donne à Jonathan, qui est ensuite hospitalisé. La mère voudra alors probablement tenter un recours contre la compagnie. S’il s’était agi d’un produit de General Mills et que la mère avait téléchargé un coupon sur leur site internet, elle n’aurait pas pu intenter une poursuite devant les tribunaux. Elle n’aurait pas pu non plus se joindre à d’autres familles qui ont vécu quelque chose de semblable et tenter un recours collectif contre la compagnie. On se dit que les règlementations devraient protéger de mieux en mieux le consommateur avec le temps, mais si les compagnies changent leurs politiques juridiques comme General Mills, est-ce que les consommateurs se retrouvent plus en sécurité ? Non, et ce n’est pas dans cette direction que le système du droit canadien devrait aller. Les compagnies (les multinationales dans ce cas-ci), de par les bénéfices économiques qu’elles apportent aux pays (en PIB et en emplois), auront été autorisées depuis quelques dizaines d’années à façonner un monde suivant leurs intérêts, au détriment de ceux de la population et des consommateurs. En laissant des compagnies vendant des produits alimentaires enlever le droit de représentation en justice en cas de problème, comment sera assurée la protection des consommateurs ?  

Contribuez à la campagne de financement de l'Esprit libre: https://www.indiegogo.com/projects/revue-l-esprit-libre

(1) http://www.educaloi.qc.ca/capsules/loffice-de-la-protection-du-consommateur
(2) The New York Times, Stephanie Strom, 16 avril
(3) The New York Times, Stephanie Strom, 20 avril
(4) Blog General Mills http://www.blog.generalmills.com/2014/04/weve-listened-and-were-changing...
(5) Slate. Griswold, Alison. Why people are freaking out over General Mills’ new legal policy, 21 avril 2014. [URL]

Ajouter un commentaire