Haïti : la nation prise en otage

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Haïti : la nation prise en otage
Analyses
| par Arthur Calonne |

Le 7 juillet dernier, la nation d’Haïti s’est réveillée en proie à la panique en apprenant l’assassinat dans sa résidence, par un commando armé, du président Jovenel Moïse vers une heure du matin. Un mois après cet incident dramatique, le vide institutionnel qui faisait craindre les pires violences a été comblé avec l’investiture d’Ariel Henry au poste de premier ministre. Pourtant, le flou demeure quant à l’identité et les motivations du ou des commanditaires du crime. La semaine dernière, on apprenait que de nombreuses menaces de mort avaient été proférées à l’égard de greffiers ou du juge de paix chargé de l’enquête, Carl Henri Destin. À en juger par des documents récupérés et dévoilés fin juillet par CNN[i], qui font état des multiples obstacles rencontrés par les autorités haïtiennes dans leurs démarches, la situation est plus qu’inquiétante : disparition de témoins essentiels, manipulation et restriction d’accès aux scènes de crimes et aux preuves, intimidations des enquêteur·ices etc. Selon Velina Elysée Charlier, militante et porte-parole du groupe Nou Pap Dòmi depuis sa fondation en 2018, il sera ardu de faire la lumière sur la mort de Jovenel Moïse alors que l’investigation en cours se heurte à la corruption, à l’insécurité et à l’agonie institutionnelle du pays. La miliante souligne d’ailleurs qu’il s’agit là des mêmes conditions qui ont mené à cet assassinat.

 

« Je ne vais pas vous mentir, je n’ai pas été triste. C’est le résultat de ses années de gouvernance. Jovenel Moïse a conduit le pays dans le chaos et il a terminé sa vie dans ce chaos-là », confie-t-elle à L’Esprit libre lors d’une entrevue téléphonique. « Toutes les institutions ont été méthodiquement et systématiquement détruites. Quand un pays n’a pas d’institution, on en arrive là : à l’assassinat d’un président ». Engagée depuis 20 ans pour la justice sociale et contre la corruption, Mme Charlier explique que l’assassinat du président a été un coup dur pour les militant·e·s de son camp, qui ont l’impression de s’être fait couper l’herbe sous leurs pieds. « On a ressenti avant tout beaucoup de frustration [...] Il y a un tas de crimes pour lesquels on aurait voulu traîner Jovenel Moïse et son gouvernement devant la justice. »

 

En effet, dans les derniers mois, la popularité du défunt président auprès de sa population était à son plus bas. Successeur du président Michel Martelly, lui aussi issu du parti politique Tet Kale (PHTK), Moïse avait été porté au pouvoir lors d’un scrutin qui n’avait attiré que 18 % des électeur·ice·s aux urnes et où il n’avait recueilli qu’un peu moins de 600 000 voix. Cette absence de légitimité ne l’a pourtant pas empêché de tenir fermement les rênes de l’État et de s’accaparer progressivement la totalité des pouvoirs. Allant jusqu’à donner à Haïti des airs de dictatures, Moïse avait soigneusement écarté adversaires et contrepouvoirs de son chemin, en omettant d’organiser des élections législatives pour renouveler l’appareil législatif, ou encore en écartant de leurs activités des juges de la Cour de cassation. Résultat : depuis janvier 2020, l’ancien agriculteur surnommé « l’homme-banane » gouvernait seul et par décret un pays en totale déliquescence.

 

L’interminable descente aux enfers

 

Malgré la promesse d’une reconstruction rapide, la population du plus pauvre État d’Amérique latine et des Caraïbes[ii] panse toujours les plaies que lui a infligées le séisme du 12 janvier 2010, et s’enlise tragiquement dans ce que beaucoup d’Haïtien·ne·s n’hésitent pas à qualifier d’enfer. L’expression créole « Peyi lock » (pays bloqué), utilisée depuis trois ans pour désigner l’état de paralysie du pays à tous les égards, illustre assez bien la gravité en ce qui concerne la situation politique, économique, sanitaire et sécuritaire d’Haïti.

 

Le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) estimait que de mars à juin 2021[iii], dans le pays peuplé d’environ 11 millions de personnes, 4,4 millions de personnes, dont 1,9 million d’enfants, seraient en situation d’insécurité alimentaire. L’accès à l’eau potable demeure aujourd’hui un enjeu crucial : globalement, 20 % des enfants âgés de 0 à 5 ans en Haïti meurent du choléra, de la typhoïde et d’autres maladies liées à la consommation d’eaux contaminées. Clou du spectacle, la saison des ouragans, de plus en plus funeste en raison des bouleversements climatiques[iv], pourrait apporter son lot de dégâts matériels et aggraver la situation déjà précaire des infrastructures haïtiennes.

 

L’insécurité est également à son paroxysme dans ce pays touché par les désastres. Le nombre d’enlèvements contre rançon a bondi à 234 en 2020[v], le triple de l’année précédente, menaçant dorénavant l’intégralité de la population, riche comme pauvre, qui doit se plier aux volontés des gangs qui ont recours aux enlèvements pour financer leurs activités. Ces gangs, de connivence avec le pouvoir[vi], tiennent en otage le système entier en contrôlant les routes et en semant impunément la terreur dans les rues de Port-au-Prince, sous les yeux d’une police caduque. La violence de la guerre des gangs est telle que l’ONG Médecins sans frontières (MSF) a décidé début août de se retirer définitivement de Martissant, un quartier populaire de la capitale déserté par la police, où les balles perdues constituent une menace permanente pour les habitant·e·s.

 

Dans ce chaos et malgré une répression violente, le peuple haïtien a investi la rue depuis l’été 2018. Des émeutes éclatent régulièrement pour protester contre l’augmentation du prix des carburants, dénonçant un exécutif corrompu et illégitime. Ce mouvement de contestation a été quasi permanent jusqu’à la mort de Jovenel Moïse, qui était lui-même accusé de détournements de fonds dans le cadre d’un gigantesque scandale de corruption, l’affaire Petrocaribe[vii], programme au cours duquel 3,8 milliards de dollars (US) ui étaient destinés à financer des projets d’infrastructures se sont évaporés entre les mains des responsables. Le défunt président avait également été accusé d’avoir au mieux cautionné, et au pire organisé, plusieurs massacres perpétrés contre des civils vivant dans des quartiers défavorisés de Port-au-Prince.

 

Le Core Group toujours maître du destin d’Haïti

 

Après une période de flottement et d’incertitude suite à l’assassinat du président haïtien, Ariel Henry, qui devait remplacer Claude Joseph au poste de premier ministre, a finalement pris le pouvoir le 20 juillet dernier. Son objectif est d’organiser des élections présidentielles, une ambition affichée par le président de son vivant, malgré l’opposition massive du peuple haïtien et de la société civile qui ne croient pas possible et raisonnable d’organiser un tel scrutin dans le contexte sécuritaire actuel. Muet, lors de son discours d’investiture le 20 juillet dernier, en ce qui concerne le projet de référendum pour changer la constitution haïtienne, Ariel Henry semble aujourd’hui enclin à marcher dans les pas de Moïse. Neuf jours après son intronisation, on apprenait dans une note publiée par son bureau que le nouveau Premier ministre avait « rencontré les membres du Comité consultatif indépendant pour l'élaboration de la nouvelle constitution »[viii], une démarche illégale et inconstitutionnelle au regard du texte actuel qui interdit toute modification de la constitution par voie référendaire.

 

La communauté internationale, aujourd’hui incarnée principalement par le Core Group, un regroupement d’ambassadeur·ices de pays comme les États-Unis, le Canada et la France, a toujours été très active en Haïti. Sous la présidence de Moïse, cette communauté internationale avait condamné et refusé de financer son projet de référendum, mais appuyait le calendrier électoral prévu par le pouvoir qui consiste en la tenue d’élection législative et présidentielle afin de renouveler la classe politique du pays. Cette posture ne devrait visiblement pas changer à l’avenir, une mauvaise nouvelle pour Velina Elysée Charlier. Selon ce dernier, le soutien du Core Group au parti PHTK, dont Ariel Henry représente la continuité d’après l’opposition[ix], est inconditionnel au respect des lois et de la constitution : « Ils font le mort, c’est quelque chose qu’on a déjà vu dans les pays d’Afrique. Ils s’y opposent [au référendum], mais à partir du moment où il passera, la communauté internationale continuera de collaborer avec ces soi-disant élu·e·s, qui violent la loi, sous cette nouvelle constitution », dénonce-t-elle.

 

À la mort de Jovenel Moïse, le monde entier a scruté la réaction de ces acteur·ice·s internation·aux·ales qui semblent faire la pluie et le beau temps dans ce pays, n’écartant pas l’éventualité d’une intervention militaire étrangère afin de stabiliser le pays. Un tel scénario ne s’est pour le moment pas concrétisé, cependant, il semblerait que le Core Group ait joué un rôle prépondérant dans la transition post-Moïse et la nomination du neurochirurgien à la tête de l’État haïtien, comme le soulignent de nombreuses organisations haïtiennes. « Ça aurait été l’occasion pour eux [le Core Group] de changer leur fusil d’épaule, d’encourager la société civile et politique à faire autrement, déplore Vélina Elysée Charlier, mais ça nous aurait étonné·e·s de les voir faire autrement ». Pourquoi la communauté internationale s’entête-t-elle, dans des conditions sécuritaires déplorables, à organiser des élections contre la volonté d’une grande partie du peuple haïtien ? Pourquoi soutenait-elle un dirigeant critiqué de toutes parts et dont la réputation était ternie par de nombreuses et très graves accusations qui éloignerait at vitam, dans n’importe quel pays occidental, une personnalité politique du pouvoir ? Pourquoi les revendications de la société civile haïtienne sont-elles si peu considérées par le Core Group dans sa démarche qui est censée renforcer la démocratie dans le pays ? 

 

« La communauté internationale a toujours promu une démocratie de façade, sans substance, car il devient facile pour elle de promouvoir son agenda […]. La mise en place d’un état de droit, ça ne les a jamais intéressés », explique Roromme Chantal, chercheur à HEP et politologue, lors d’un entretien téléphonique avec L’Esprit libre. Le spécialiste décèle dans le regard que portent les « ami·e·s » d’Haïti face à la faillite démocratique du pays, une hypocrisie flagrante et malsaine : « Ils s’entêtent, ils feignent de ne pas comprendre ». Pour le professeur, ce n’est pas l’incompétence, la naïveté ou un manque d’imagination des acteur·ice·s étranger·e·s qui explique une telle attitude vis-à-vis d’un véritable drame humanitaire.

 

Haïti est, dans les faits, une terre remplie d’opportunités pour les puissances occidentales et leurs entrepreneur·euse·s. Dans les années 2000, les activités du couple Clinton et de sa fondation, très présente en Haïti dans le cadre de la reconstruction post-séisme, ont notamment fait polémique. La Clinton Foundation s’est entre autres vu reprocher de n’accorder de contrats qu’à des entreprises qui la finançaient. Cas emblématique qui illustre cette situation : le contrat accordé à la compagnie Clayton, propriété du milliardaire américain Warren Buffet, pour construire des refuges résistant aux intempéries en vue de la saison des ouragans. Ce contrat avait alors été offert à un très gros bailleur de fonds de la fondation, sans passer par le traditionnel processus d’appel d’offres. Lorsque les reporters de l’hebdomadaire américain The Nation ont visité les abris livrés par la compagnie Clayton, ils et elles ont constaté que ceux-ci étaient inadéquats, mal isolés et même dangereux pour ses usager·e·s[x]. Le rôle du frère d’Hillary Clinton, Tony Rodham, dans l’exploitation des mines d’or d’Haïti a aussi fait l’objet de critiques et de spéculations, renforçant l’impression qu’ont beaucoup d’Haïtien·ne·s d’être pillé·e·s par les étranger·e·s. On se souvient que l’ex-président américain Donald Trump s’était servi, lors de la campagne électorale de 2016, de ces controverses pour démolir la crédibilité de son adversaire qu’il surnommait « Crooked Hillary » (« Hillary la tordue »), une stratégie qui s’est avérée décisive dans le cadre de son ascension politique.

 

Le Canada, second en ligne

 

Le poids politique du Canada en Haïti ne pourrait être surestimé, notamment depuis 2003, date à laquelle l’ancien président Jean-Bertrand Aristide – une des figures politiques les plus populaires auprès de sa population depuis la fin de la dictature – a été renversé. Un putsch qui avait été discuté et même planifié par « une coalition de pays rassemblée à l’initiative du Canada » lors d’« une rencontre secrète [qui] s’est tenue à Ottawa et sur les bords du lac Meech, dans le parc de la Gatineau », comme le racontait dans ses pages le magazine l’Actualité, le 15 mars 2003[xi]. Premier président élu de la République d’Haïti, Aristide avait entre autres doublé le salaire minimum et dissout l’armée, détestée à l’époque[xii]. Guère satisfaite de son approche, la communauté internationale a procédé, brandissant le concept onusien de « responsabilité de protéger », à l’enlèvement du président[xiii] par les forces spéciales canadiennes et américaines, le 29 février 2004, alors que les médias canadiens évoquaient à l’époque une démission[xiv].

 

« Ils ont décidé que Aristide devait être renversé, qu’Haïti devait être mise sous tutelle. 13 mois plus tard, c’était fait. Depuis ce moment-là, le Canada est devenu le deuxième joueur en Haïti, après les États-Unis », relate Yves Engler, écrivain, militant politique et spécialiste de l’impérialisme canadien, lors d’un entretien téléphonique avec L’Esprit libre. Le pays a par la suite joué un rôle de premier rang dans la répression exercée contre les Haïtien·ne·s opposé·e·s au coup d’État. « C’étaient des policier·e·s entraîn·é·s, financ·é·s et appuy·é·s diplomatiquement par Ottawa qui ont ouvert le feu sur au moins une douzaine de manifestations qui réclamaient le retour du gouvernement élu », poursuit-il. Aujourd’hui encore, Ottawa est accusé d’appuyer le gouvernement haïtien et de fermer les yeux sur ses crimes, alors même que la complicité de celui-ci dans des crimes contre l’humanité[xv] est établie. Cette posture adoptée par le gouvernement fédéral a d’ailleurs été dénoncée en février dernier par de nombreuses personnalités issues du monde universitaire, politique et des arts (David Suzuki, Naomi Klein, Roger Waters etc...) dans une lettre ouverte[xvi] destinée au premier ministre Justin Trudeau. « On n’en parle pas dans ce sens dans les grands médias ici, mais Haïti est presque une colonie américano-canadienne. C’est la dynamique actuelle », commente l’écrivain. Contactée par L’Esprit libre, l’ambassade canadienne en Haïti n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

 

Fidèle soutien du président Moïse, mais également de son prédécesseur et mentor Michel Martelly, le Canada n’est pas ce qu’on peut appeler un « acteur mineur » en Haïti, sauf si on évoque par là le vif intérêt que nourrit notre pays pour le très riche sous-sol haïtien[xvii]. On peut prendre pour exemple le simple fait que l’entreprise montréalaise de textile Gildan, qui a longtemps fait l’objet de plaintes pour non-respect des droits des travailleur·euse·s en Haïti et au Honduras, fait partie des plus grands employeurs du pays, après l’État. La compagnie qui se heurtait à de grandes difficultés financières dans les années 1990, a reçu des subventions de la part du gouvernement canadien et a même obtenu 30 millions de dollars en prêts provenant du Fonds de solidarité FTQ[xviii]. Qualifié dans un article du Globe and Mail d’« aboutissement ultime de la mondialisation », Gildan a plus tard opté pour l’optimisation fiscale en ouvrant une filiale à la Barbade, et a profité d’un accord de rapatriement de fonds entre les deux pays, pour ne plus payer d’impôts sur le revenu au Canada.

 

« C’est pour ça que la communauté internationale soutient ces dirigeant·e·s corrompu·e·s. Parce qu’elle trouve son compte en ayant accès aux acquisitions aux projets, aux marchés. Avec un secteur démocratique au pouvoir, ces projets ne passeraient pas », explique Roromme Chantal à ce sujet. Mais ce modèle est solide, coriace, et surtout, il contente les principales forces en présence, au désespoir de la population et de la société civile haïtienne, qui ne sont pas dupes. « La communauté internationale, le Canada inclus, n’a pas grand intérêt à ce qu’il y ait de grands procès contre la corruption parce que peut-être que trop de choses se découvriraient », souligne de son côté la militante Vélina Elysée Charlier, qui rappelle que l’argent de la corruption est généralement investi à l’étranger. Elle évoque le cas de Rony Célestin, un sénateur appartenant au PHTK, soupçonné de corruption à la suite de l’acquisition par sa femme, diplomate au consulat d’Haïti à Montréal, d’une villa de 4,25 millions de dollars à Laval, sans hypothèque[xix]. Cette dépense extravagante en période de crise avait suscité un tollé jusqu’en Haïti, où les autorités se sont chargées d’enquêter sur l’affaire, pour finalement blanchir le sénateur. Un verdict qui ne convainc pas Mme Charlier : « L’ULCC (L'Unité de lutte contre la corruption), qui est contrôlé par le PHTK, a sorti un faux rapport que nous sommes en train de dénoncer, avec lequel [Ronny Célestin] a été blanchi. Il y a beaucoup d'autres personnes comme qui sont allées investir l’argent acquis en Haïti au Canada, aux États-Unis, au Brésil, etc. ».

 

La société civile joue des coudes pour se faire entendre

 

Peu de place à l’espoir, donc, lorsqu’on constate la profondeur de la crise dans laquelle Haïti se trouve. Pourtant, il semble impossible de décourager une partie de la jeunesse, qui continue de se mobiliser, malgré la répression et l’insécurité. À l’été 2018, c’est cette jeunesse « petrochallenger », rassemblée grâce aux réseaux sociaux, et indignée par le scandale de corruption PetroCaribe, qui a pris la rue, entamant un long et puissant cycle de contestation populaire. De nombreux groupes militants issus pour certains de ce mouvement « petrochallenger » ont animé la protestation, mais également investi la scène politique, en proposant des alternatives au modèle actuel.

 

Contactée par L’Esprit libre peu avant l’assassinat de Jovenel Moïse, Emmanuela Douyon est membre du collectif Nou Pap Dòmi, mais également économiste et fondatrice du groupe de réflexion Policité, un organisme non gouvernemental « visant à impulser la conception et l’implémentation de politiques publiques de développement efficaces centrées sur les citoyens ». La jeune femme se disait alors très inquiète du projet de référendum et avait assuré qu’elle s’y opposerait « jusqu’au jour du scrutin ». Pour elle, comme pour sa collègue Vélina Elysée Charlier, une transition politique est essentielle, mais impossible à réaliser dans les conditions actuelles. « Il faut un conseil électoral crédible, des juges honnêtes et un climat sécuritaire stable pour éliminer l’implication des gangs de l’organisation des élections », affirme la militante qui nourrit l’espoir de voir Haïti être débarrassé de l’influence des bandes armées, qui rendent impossible le déroulement adéquat d’un quelconque scrutin. « Rien n’a été fait pendant 5 ans pour combattre les gangs, mais on a déjà eu des problèmes de gangstérisation dans le passé et les a résolus. C’est ce qu’il va falloir faire pour éviter que ce soient les gangs qui continuent de faire la loi en période électorale », poursuit-elle.

 

L’organisme Nou Pap Dòmi fait la promotion d'une « transition 4R », un ensemble d’exigences apportant une alternative au système actuel. « Rupture, Redressement, Réorientation et Rigueur » sont les 4 axes autour desquels s’articule cette transition démocratique. Dans un document de 14 pages présenté le 2 juillet 2019 à la presse, le groupe propose notamment d’adopter une loi créant un tribunal et un parquet mandaté pour juger les responsables impliqué·e·s dans l’affaire PetroCaribe, d’organiser des élections libres et financées exclusivement par des fonds publics. Ce document est le fruit d’une large consultation menée auprès de 6700 personnes en Haïti et à l’international, et vise à « redresser la barque nationale afin de sortir de l’instabilité politique dans laquelle nous nous retrouvons depuis plusieurs décennies », comme l’avait formulé Vélina Elysée Charlier, qui était présente le jour de la présentation du projet.

 

Le collectif Nou Pap Dòmi est également impliqué dans un comité participant à la « Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise », un regroupement d’organismes de la société civile pour qui « les formules politiques se sont succédé[es], ainsi que les manifestations citoyennes et les mobilisations populaires, sans arriver à déclencher le changement auquel aspirent de larges majorités privées de services et de leurs droits les plus élémentaires »[xx]. La diaspora haïtienne aux États-Unis et au Canada met également la main à la pâte. Le 6 août dernier, une lettre adressée au premier ministre canadien Justin Trudeau faisant « écho à la Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise » est parue dans Le Devoir.  Les signataires, une vingtaine d’organisations, dont de grands syndicats et des organismes de développement international, y invitent M. Trudeau à les rencontrer afin de « partager l’appel de la société civile haïtienne ».

 

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[i] Caitlin Hu, Matt Rivers, Etant Dupain and Natalie Gallón, CNN« Exclusive: Leaked documents reveal death threats and roadblocks in Haiti assassination investigation », CNN, 27 Juillet 2021, https://edition.cnn.com/2021/07/26/americas/haiti-moise-assassination-investigation-death-threats-intl-latam/index.html

[ii] La Banque mondiale, « La Banque mondiale en Haïti », mis à jour le 26 avril 2021, https://www.banquemondiale.org/fr/country/haiti/overview

[iii]Nations Unies, « Haïti : le nombre d’enfants sévèrement malnutris pourrait doubler cette année, selon l’UNICEF », 31 mai 2021, https://news.un.org/fr/story/2021/05/1097182

[iv] Carine Mayo, « À Haïti, la résistance au bouleversement climatique s’organise », Le Nouvelliste, 16 décembre 2015, https://lenouvelliste.com/public/article/153652/a-haiti-la-resistance-au-bouleversement-climatique-sorganise

[v] Sarah Marsh, “”Descent into hell”: Kidnapping explosion terrorizes Haiti”, Reuters, 26 avril 2021, https://www.reuters.com/world/americas/descent-into-hell-kidnapping-explosion-terrorizes-haiti-2021-04-26/

[vi] Robenson Geffrard, « Qui contrôle les 76 gangs armés répertoriés par la CNDDR sur le territoire… ? », Le Nouvelliste, 2 Novembre 2019, https://lenouvelliste.com/article/208474/qui-controle-les-76-gangs-armes-repertories-par-la-cnddr-sur-le-territoire

[vii] Ciara Nugent, “Why a Venezuelan Oil Program Is Fueling Massive Street Protests in Haiti”, Time, 24 Juin 2019, https://time.com/5609054/haiti-protests-petrocaribe/

[viii] Robenson Geffrard, « Ariel Henry n'a pas renoncé au référendum de Jovenel Moïse », Le Nouvelliste, 30 juillet 2021, https://lenouvelliste.com/article/230673/ariel-henry-na-pas-renonce-au-referendum-de-jovenel-moise

[ix]« Haïti: l'opposition prend ses distances avec le nouveau premier ministre », AFP, 21 Juillet 2021, dans Le Journal de Montréal, https://www.journaldemontreal.com/2021/07/21/haiti-lopposition-prend-ses-distances-avec-le-nouveau-premier-ministre-1,

[x] Rick Cohen, “Clinton Foundation Charged with Providing Shoddy and Dangerous Emergency Shelters in Haiti”, Non-Profit Quarterly, NonProfit Quarterly, 20 Juillet 2011, https://nonprofitquarterly.org/clinton-foundation-charged-with-providing-shoddy-and-dangerous-emergency-shelters-in-haiti/

[xi] Michel Vastel, « Haïti mise en tutelle par l’ONU ? », L’Actualité, 15 mars 2003, https://lactualite.com/monde/haiti-mise-en-tutelle-par-lonu/

[xii]Dru Jay & Nikolas Barry-Shaw, “New documents detail how Canada helped plan 2004 coup d’état in Haiti ”, The Breach, 15 Juillet 2021, https://breachmedia.ca/new-documents-detail-how-canada-helped-plan-2004-coup-detat-in-haiti/

[xiii]« Aristide porte plainte pour enlèvement », Reuters, 1er Avril 2004, dans Le Devoir, https://www.ledevoir.com/monde/51186/aristide-porte-plainte-pour-enlevement

[xiv]Radio-Canada, Aristide est en Afrique, 1er mars 2004, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/157789/aristide-panama,

[xv] Massacres cautionnés par L’État : règne de l’impunité en Haïti, Harvard Law School International Human Rights Clinic, Observatoire Haïtien des crimes contre l’humanité, Avril 2021,

[xvi] « Des personnalités appellent Trudeau à ne plus soutenir le président haïtien », La Presse Canadienne, 18 Février 2021, dans Radio-Canada, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1771858/justin-trudeau-jovenel-moise-canada-hait

[xvii] Jean-François Nadeau, « Ottawa interpellé pour son rôle dans l’exploitation minière en Haïti », Le Devoir, 8 Janvier 2016, https://www.ledevoir.com/monde/ameriques/459645/aide-internationale-ottawa-interpelle-pour-son-role-dans-l-exploitation-miniere-en-haiti

[xviii] Bruce Livesey, « Gildan workers in Haiti, Honduras complain of harassment, pay too meagre to live on », The Globe and Mail, 27 Novembre 2014, https://www.theglobeandmail.com/report-on-business/rob-magazine/do-you-know-where-your-t-shirt-came-from/article21818609/

[xix]Vincent Larouche, « Pas de signe de corruption, selon les autorités », La Presse, 16 Juillet 2021, https://www.lapresse.ca/actualites/2021-07-16/villa-lavalloise-d-un-senateur-haitien/pas-de-signe-de-corruption-selon-les-autorites.php

[xx] Robenson Geffrard, « Création d’une nouvelle « Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise », Le Nouvelliste, 11 mai 2021, https://lenouvelliste.com/article/228966/creation-dune-nouvelle-commission-pour-la-recherche-dune-solution-haitienne-a-la-crise

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