Haïti: impact sur la diaspora montréalaise

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Haïti: impact sur la diaspora montréalaise
Opinions
| par Chantale Ismé |

Cet article est publié dans le numéro 84 de nos partenaires, la Revue À bâbord(link is external)

L'autrice est chercheuse et militante féministe et communautaire. 

Un mouvement social revendicateur d’une grande intensité (lutte contre la corruption, contre la dilapidation des fonds PétroCaribe, contre l’impunité, contre la cherté de la vie, etc.) secoue Ayiti depuis presque deux ans maintenant.

Ce mouvement social, présent tant dans la capitale que dans les villes de province, provoque une explosion sociale qui semblevouloir non seulement renverser le président Jovenel Moïse, mais surtout abattre le système de la double oligarchie, à savoir un ensemble d’institutions étatiques et privées qui contrôle et domine la vie sociale dans l’intérêt du petit groupe restreint et privilégié détenant le pouvoir.

Cette crise aiguë vient exacerber la dégradation de la situation socioéconomique déjà entamée depuis plus d’une décennie. Tous les indicateurs socioéconomiques sont au rouge": la monnaie haïtienne, la gourde, s’échange actuellement à 100 gourdes pour 1 dollar étatsunien"; l’inflation a atteint un niveau record de 20 %; le déficit budgétaire est estimé à plus de 10 milliards de gourdes; la croissance économique est inférieure à 1 %. En outre, la pauvreté s’est transformée en misère : 77 % de la population vit au-dessous du seuil de la pauvreté ; 60 % de la population est au chômage ; plus d’un million d’Haïtien·ne·s vit avec moins de 50 gourdes par jour et 5,4 millions d’Haïtien·ne·s sont en situation d’insécurité alimentaire. L’espérance de vie n’excède pas 63 ans et la mortalité infantile atteint 80 enfants par 1 000 naissances. À tout cela s’ajoutent les pénuries récurrentes de carburant et d’électricité et la fuite du pays sur de frêles embarcations d’hommes, de femmes et d’enfants prêt·e·s à risquer leur vie pour échapper à la misère, à l’insécurité programmée et à la répression.


Cette situation a un impact énorme sur la « transnation » constituée par la diaspora montréalaise (1), particulièrement sur les couches précaires qui, malgré tout, soutiennent leurs proches en Ayiti. Une situation qui les fragilise encore plus (2). Les couches plus favorisées sont aussi concernées, leurs rêves du retour semblent impossibles, créant ainsi un sentiment d’exil. Les jeunes de la deuxième et de la troisième génération, en plein dilemme identitaire, intériorisent un sentiment d’infériorité, renforcé par l’image d’une Ayiti mutilée, en crise perpétuelle. D’une façon générale, la diaspora, très attachée à sa terre d’origine, ne peut pas retourner au pays à cause de la présence de gangs armés et de kidnappings en série. Elle vit en différé la peur et le stress des familles restées au pays. L’affection des Haïtien·ne·s vivant au Québec pour leur terre d’origine et les liens qu’ils et elles tissent à différents niveaux avec ceux et celles qui y vivent les placent aussi au coeur des réflexions sur les alternatives en Ayiti. La matérialisation de cette participation est ancrée dans la synergie entre la militance politique à l’intérieur et à l’extérieur. Un exemple emblématique est l’implication des jeunes de la diaspora dans l’avant-garde au sein du mouvement petrochallengers, dont Mirambeau qui a lancé le #Kotkòbpetrocaribea. Bien sûr, c’est un débat qui était déjà sur la scène nationale à travers d’autres organisations de l’opposition. La jeunesse animée d’une certaine flamme, forte de son expérience en terre étrangère, apporte d’autres perspectives dans les stratégies de lutte. L’engagement de la diaspora s’effectue à travers des notes de presse (3), l’organisation de panel de discussion, de manifestations, de sit-in devant le consulat haïtien, parfois dans un froid glacial (4). Toutes ces actions, même si elles n’arrivent pas à mobiliser la masse des travailleurs·euses et des cadres, ont un impact particulièrement visible sur les médias sociaux. Par ailleurs, quelques associations régionales investissent dans la revitalisation de leur zone; la communauté universitaire, à travers des institutions comme le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle, apporte son savoir à la modernisation et à l’extension du réseau universitaire à l’intérieur du pays.

En somme, la lutte pour l’émancipation du peuple haïtien est soutenue par sa diaspora sous diverses formes. Toutefois, il faut reconnaître les limites de ces supports qui sont intimement liés aux mouvements de résistance à l’intérieur du pays dont ils font écho. Ainsi, on constate un certain ralentissement des dispositifs de lutte de la diaspora, conséquence d’un reflux apparent des mouvements sociaux évoluant à travers le pays.

1. La communauté haïtienne au Canada, estimée en 2016 à 93 485 personnes, vit essentiellement
au QUébec, plus spécifiquement à Montréal (81 %).
 
2. Selon un rapport de la Banque de la République d’Haïti, la diaspora haïtienne a transféré 19,75
milliards de dollars étatsuniens entre 2010 et 2019. Le gouvernement haïtien a prélevé sur les transferts de la diaspora environ 160 millions de dollars en taxes pour le compte dit de l’éducation pour la seule année de 2019, taxes prélevées depuis 2011.
 
3. Notamment le Regroupement des Haïtiens de Montréal contre l’occupation d’Haïti (REHMONCO) et Haïti Québec Solidarité.
 
4. Initiatives de Haïti Québec Solidarité. 

CRÉDIT PHOTO: Flickr / CIDH visita Haiti - 2019

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