G20 de Toronto : histoire et mémoire d’une répression policière

Squirrelbrand, The Wall of Plexiglass, Flickr, 26 juin 2010. https://www.flickr.com/photos/squirrel_brand/4747103410/in/photolist-8eu9sw-8eHz5f-8dx8MR-8gpTgb-8dyLCv-8dyNWa-8dyMEP-8dTR3T-8dAsjQ-8dz4zt-8dKDnF-8dVHdx-8dyRyK-8dVGgk-8dC8wj-848kRs-9qufRr-9qufTV-8dxbsi-8eApSQ-8dz4Cv-8oKoGc-8dF9BL-8dyPQn-8dxdLH-8dWFcp-8dBT6c-8dAueJ-8dXPb7-8dQgAm-8dCjWb-8dZVLh-8dz4nr-8dz4kn-8dCjBy-8eHVa3-8dz4EH-8ejfMK-8dCjyW-8dFbsJ-8dz4JF-8dz4GM-8dz3Wz-8dQiDs-8dVFn6-8dCjcG-8dXNXq-8dM1P4-8dCj35-8dYUnL.
Canada
G20 de Toronto : histoire et mémoire d’une répression policière
| par Adèle Surprenant |

 

Plus d’une décennie après les évènements du G20 de Toronto, quelque 1100 arrêté·e·s s’apprêtent à tourner la page. Le 19 octobre 2020, la Cour supérieure de l'Ontario a approuvé l’entente à l'amiable conclue en août entre les représentant·e·s des arrêté·e·s et la Commission des services policiers de Torontoi. Les membres du recours collectif avaient jusqu’au 16 février pour réclamer leur part du dédommagement financier de 16,5 millions de dollars prévu par l’ententeii. À cela s’ajoutent les excuses formelles de la police, une premièreiii. 

Les 26 et 27 juin 2010, le centre-ville de Toronto accueille le sommet du G20. Au rendez-vous, les chefs d’État et représentant·e·s des grandes puissances mondiales, mais aussi 21 000 policier·ère·s et agent·e·s de sécurité, déployé·e·s dans les rues de la métropoleiv 

Sur les milliers de manifestant·e·s rassemblé·e·s au courant de la fin de semaine, environ 1100 sont arrêté·e·s et détenu·e·s dans des conditions portant atteinte aux droits fondamentaux. Dix ans plus tard, elles et ils recevront entre 5000 et 24 700 dollars par personne. L’entente stipule également que le Service de police de Toronto s’engage à modifier certaines de ses pratiques, en plus de présenter des excuses publiques pour la première fois de l'histoire des forces de l’ordre canadiennes. Cette compensation est-elle jugée suffisante par les personnes arrêtées sans motif valable, victimes de ce qui a été qualifié de « plus massive compromission des libertés civiles de l’histoire du Canadav »? 

Abus de pouvoir 

À bord de l'autobus qui devait l’emmener de Montréal à Toronto, Sonia Palato est informée par un groupe de militant·e·s des mesures de sécurité et des recours légaux en cas d’arrestation. « Mais je ne me sentais vraiment pas concernée, parce que de toute façon, j'allais juste participer à des manifestations légales, comme en touriste », se souvient l’étudiante, qui avait à l'époque 21 ans.  

Sur place, elle est témoin de peu de grabuge, et n’aperçoit que de loin les affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestant·e·s. Comme une centaine d’autres Québécois·es, qui ont fait la route pour participer aux manifestations dans le cadre du G20, elle passe la nuit dans le gymnase de l’Université de Toronto. Aux alentours de sept heures du matin, elle est réveillée, un fusil pointé sur la tête. Encore endormie, Mme Palato ne comprend pas ce qui lui arrive : elle croit d’abord que l’opération policière en cours a pour but d’arrêter quelques manifestant·e·s ciblé·e·s durant le rassemblement de la veille par les forces de l’ordre. Rien ne lui laisse à penser qu’elle est en train d’assister à sa propre arrestation.  

Ce n’est que trois ou quatre heures plus tard que toutes les personnes présentes dans le gymnase se font escorter par les policier·ère·s dans un centre de détention provisoire, emménagé pour l’occasion dans les locaux d’un ancien studio de cinéma. Les arrêté·e·s y passeront entre 24 et 70 heures, pour certain·e·ssans pouvoir parler à un·e avocat·e ou appeler un·e prochevi 

Des cellules surpeuplées, climatisées alors que de nombreux·ses détenu·e·s ne portent que des vêtements légers, des infiltrations d’eau sur le sol, qu’elles et ils doivent arpenter sans chaussures... Les humiliations décrites par les arrêté·e·s contacté·e·s par L’Esprit libre, sont nombreuses : fouilles à nu, toilettes sans portes les contraignant à faire leurs besoins devant policier·ère·s et codétenu·e·s, commentaires sexualisants, racistes, dénigrants. Certaines personnes sont privées de leurs médicaments contre le diabète ou encore la schizophrénie.  

« De l’abus de pouvoir », juge Mme Palato, qui est libérée le deuxième soir de son arrestation avec quatre autres personnes, laissées à elles-mêmes en périphérie de Toronto. Les accusations tenues contre elle ont été abandonnées l’année suivante. Plusieurs arrêté·e·s ont été accusé·e·s de complot pour commettre un acte criminel, un délit passible d’emprisonnement 

L’engagement de caution d’un détenu, obtenu par L’Esprit libre, stipule entre autres que la ou le prévenu·e ne doit « pas participer à des manifestations, à moins qu'il ne s'agisse de manifestations paisibles et légitimes, ou être présent[·e] sur les lieux, et que si cette manifestation devient illégale ou non paisible, [il ou elle doit] quitter les lieux immédiatement ».  

Le risque de judiciarisation derrière elle, Mme Palato dit avoir eu pour réflexe le détachement. « Ce n’est que des années plus tard que je me suis rendu compte que ça a créé un traumatisme », affirme-t-elle. Au téléphone, elle raconte s’être réveillée en panique plusieurs nuits, alors que le sommet de Toronto célébrait à l'été 2020 son dixième anniversaire : « chaque nuit, je pensais qu'il y aurait quelqu'un qui m'attendrait avec un gun » 

Les symptômes post-traumatiques ne sont pas non plus étrangers à Guim Moro, qui a passé 27 heures au centre de détention provisoire avant d’être libéré, lui aussi sans accusions. Le musicien affirme avoir passé les trois quarts de son temps d’enfermement menotté. Lorsqu’il performe dans des festivals, où les bracelets en plastique sont souvent substitués aux billets d’entrée, il ressent encore le poids de ses menottes d’antan.  

Des avis partagés 

« J’ai vu comment ce type d’événements là peut casser des gens », affirme Guim Moro, tout en insinuant que le mouvement, lui, n’a pas été freiné par la répression policière.   

D’où la nécessité d’un recours collectif qui « n’a pas été fait dans une optique d’avoir de l’argent, mais dans une optique d’avoir un précédent (judiciaire) » qui n’a, selon lui, été établi qu’à moitié. Si l’affaire s’était résolue par la voie d’un procès, le jugement aurait fait jurisprudence. Les conclusions d’une entente à l'amiable n’ont pas valeur juridique, ce que déplorent certain·e·s arrêté·e·svii 

« Moi ça ne m'aurait pas dérangé de faire un autre dix ans, que ça rentre en cours et que finalement il y ait un réel précédent, que le gouvernement et la police soient [reconnus] coupables et ne puissent pas refaire ce genre de trucs là », affirme Guim Moro. Il se dit déçu et attristé d’une entente « régressive » qui, survenue en parallèle du mouvement Black Lives Matter, aurait d’après lui pu mener à considérer un désinvestissement dans les services policiers.  

« C’est beaucoup d’insatisfaction que les gens peuvent vivre, c’est clair. Si on était allé·e·s jusqu’au bout et qu’on était allé·e·s en procès, on aurait gagné, on aurait eu une reconnaissance écrite et complète de la violation de nos droits. Pour plusieurs personnes, ça aurait été vraiment significatif », renchérit Jacinthe Poisson, membre de la Ligue des droits et libertés, juriste et militante. Aussi arrêtée durant le G20 de Toronto, elle se dit pourtant satisfaite de l’entente. « Je ne sentais plus brûler en moi la souffrance et l’injustice que j’ai vécues il y a dix ans », explique-t-elle, ajoutant également qu’un long processus judiciaire aurait pu réactiver les traumatismes

Impunité policière  

« C'est normal qu’il y ait un article dans notre Code criminel qui dit que c’est interdit de comploter […], soutient Mme Poisson. Ce n’est pas l’existence de cet article-là qui est un problème, dit-elle, mais comment la police l’a appliqué. » Avec brutalité et sans discernement, à en croire différents témoignages.  

Mme Poisson souligne néanmoins l’impunité des corps policiers, à l'issue de l’entente à l'amiable : « On le savait tous qu’à travers le recours collectif nous n’allions jamais obtenir de punition pour les policiers [et policières] ou des chefs politiques qui sont derrière les décisions qui ont été prises. » Peu de policier·ère·s ont été sanctionné·e·s sur une base individuelle, et seulement un haut gradé s'est vu retirer 60 jours de vacances payéesviii. Le policier qui a donné l’ordre d’arrêter les Québécois·es dans le gymnase a pris une retraite préventive et s’est soustrait à tout processus disciplinaire, selon Mme Poisson.  

Bill Blair, chef du Service de police de Toronto au moment du G20, a quant à lui été nommé ministre fédéral de la Sécurité publique et de la Protection civile en 2019 

« Ça a été une vraie guerre d’usure », commente la juriste, qui se dit maintenant prête à tourner la page. Pour Guim Moro, l’héritage des évènements de 2010 et de la bataille du recours collectif qui a suivi, lui, n’est pas près de disparaître. Un évènement charnière, selon lui, qui a permis d'introduire sur la place publique des questionnements sur le rôle de la police, la répression des personnes racisées ou encore des peuples autochtones.  

« Regardez, au Canada aussi ça arrive des choses comme ça. Historiquement, c’est arrivé, même si on n’en parle pas trop qu’il y a eu des répressions depuis le début de la colonisation », dit le musicien. Interrogé sur l’impact de la médiatisation de la répression policière, il souligne que la représentation médiatique du G20 a effectivement été plus importante que celle d'autres mouvements, ce qu'il explique par le fait que les personnes arrêtées à Toronto étaient majoritairement blanches.  

Même s'il estime qu’il n’y a pas de réelle volonté de repenser et de réformer les services policiers, Guim Moro croit que le G20 a permis d’entamer un processus de prise de conscience collective, toujours en cours. 

i « G20 de Toronto : règlement de 16,5 millions dans un recours collectif contre la police », Radio-Canada, 17 août 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1727120/g20-recours-collectif-police-toronto-reglement 

ii Ibid.  

iii Jacinthe Poisson, « G20 de Toronto : l’impunité policière persiste et signe »Ligue des droits et libertés, 29 octobre 2020. https://liguedesdroits.ca/carnet-g20-toronto-impunite-police/ 
 
iv Ibid.  
 
v Wendy Gillis« We regret thet mistakes were made” : Toronto police acknoledge “unacceptable” mass arrests at 2010 G20 protests »Toronto Star, 19 octobre 2020. https://www.thestar.com/news/gta/2020/10/19/we-regret-that-mistakes-were-made-toronto-police-acknowledge-unacceptable-mass-arrests-at-2010-g20-protests.html
 
vi Jacinthe Poisson, op.cit.  
 
vii Ibid.  
 
viii Ibid.  

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