Financement et liberté académique : la recherche universitaire au Québec

Stephanie Hau, Unsplash.
Québec
Financement et liberté académique : la recherche universitaire au Québec
| par Adèle Surprenant |

 

Un rapport sur « L’Université québécoise du futur » a été rendu public à la fin septembre 20201. La liberté académique est au centre des préoccupations et des recommandations du groupe de travail présidé par le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, qui considère que « sa protection revêt même d’une certaine urgence à cause de l’économisme ambiant, qui menace de tout soumettre à ses lois». 

La suspension d’une professeure de l’Université d’Ottawa pour avoir employé en classe le « mot en n » a été jugée « liberticide » par certain·e·s défenseur·e·s de la liberté académique3. La censure que condamne une partie du corps professoral inquiète également M. Quirion, qui accuse « un accroissement de la rectitude politique influençant les discours publics et les débats de société », peut-on lire dans le rapport déposé à la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann4.

« La liberté académique, ça couvre les propos qu’on tient en classe ou dans l’espace public, dans les médias, mais ça couvre aussi la liberté de recherche, la liberté de choisir ses sujets de recherche et de décider si ses résultats vont être publiés ou non », soutient Jean Portugais, rejoint par L’Esprit libre. Le président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), qui rassemble plus de 8 000 professeur·e·s et 18 syndicats et associations, met en garde contre l’impact du sous-financement public et l’influence du financement privé sur l’état de la recherche universitaire au Québec5

Un avertissement secondé par le rapport sur « L’Université québécoise du futur », dont l’exercice a découlé d’une conférence sur les enjeux de l’université au XXIᵉ siècle donnée par le scientifique en chef du Québec en mai 2019 et dans lequel sont soulignés le rôle et les conditions nécessaires à la bonne santé de la recherche : « L’institution universitaire et la recherche qu’elle abrite doivent être adéquatement financées pour outiller les nations face aux graves problèmes qui, au-delà de la récente pandémie, continuent de menacer l’avenir de l’espèce humaine6 ». Censée servir l’intérêt public, donc, la recherche est-elle aujourd’hui détournée au bénéfice des entreprises privées? 

Pressions multiples

Entre 2017 et 2018, le montant total des contrats et subventions de recherche dans les universités québécoises s’élevait à 1,3 milliard de dollars et les trois quarts de ce financement provenaient du secteur public7. On constate également que le financement canadien de la recherche est en constante augmentation depuis 2002 alors que les portefeuilles alloués par Québec et par le secteur privé, eux, accusent la tendance inverse8.  

Même si la majorité du financement de la recherche provient de sources publiques, le professeur à la TÉLUQ et spécialiste de la question du financement universitaire Michel Umbriaco s’inquiète de ce qu’il reste de moins en moins, année après année, d’argent pour la recherche libre à l’université, c’est-à-dire la recherche dont l’orientation soit déterminée uniquement par les chercheur·se·s. En référence à la recherche sur la COVID-19 et ses différentes implications, il soutient que la recherche doit parfois être orientée pour des raisons d’intérêts publics.  Cependant, « dans certains cas, le gouvernement insiste pour orienter la recherche et que ça serve les besoins de l’entreprise privée même s’il finance finalement peu la recherche », poursuit M.Umbriaco, citant à titre d’exemples les secteurs de l’exploitation minière et forestière, dont la recherche-développement est encouragée par les gouvernements successifs. Le rôle du ministre de l’Économie et de l’Innovation dans l’attribution du financement de la recherche fait également pencher la balance vers des domaines susceptibles de créer de la richesse — de la richesse qui ne soit pas qu’intellectuelle9. Les sciences sociales reçoivent effectivement moins de financement que les domaines scientifiques, la médecine en particulier10

Des dizaines de chaires de recherche financées par le privé sont actives aux quatre coins de la province, comme la Chaire Desjardins en finances responsables de l’Université de Sherbrooke, la Chaire de journalisme Bell-Globemédia à l’Université Laval, la Chaire Power Corporation sur les régimes de retraite et les assurances au HEC ou encore la Chaire RBC sur la motivation au travail à Concordia11.

Malgré un sous-financement persistant du milieu de l’éducation supérieure, les rectorats continuent à embaucher des professeur·e·s. Par contre, malgré qu’il y ait le même financement distribué entre de plus en plus de chercheur·se·s, ce sont toujours les mêmes qui finissent par en bénéficier, affirme M. Umbriaco. Ces propos font échos aux inquiétudes de Cécile Sabourin12, qui écrit dans la revue À bâbord! : « Rendus vulnérables par un contexte hyper compétitif, des pressions à la performance, l’insuffisance des budgets de recherche, la valorisation du prestige et de la notoriété, les professeur[·e·s] se trouvent de plus en plus devant des dilemmes. Pour accroître leurs succès aux concours, elles et ils optent pour des projets s’inscrivant dans des priorités clairement énoncées et débouchant sur des résultats concrets et transférables à l’entreprise privée13 ».

Les pressions qu’exercent les entreprises privées vont parfois jusqu’à empêcher la libre publication de résultats de recherches, par la voie d’un interdit de publication ou d’une poursuite bâillon menés par le bailleur de fonds, explique également M. Portugais. Il donne l’exemple de l’affaire Maillé14, au cours de laquelle la chercheuse a dû mener une longue bataille juridique pour faire valoir la protection de l’anonymat de ses sources, que lui demandait de dévoiler publiquement une entreprise15.

Le futur des universités 

Malgré les aides financières que le gouvernement a accordées au secteur de l’enseignement supérieur pour faire face à la pandémie de COVID-19, les universités canadiennes pourraient faire face à « des pertes de plusieurs milliards de revenus16 », estime Universités Canada.

Une nouvelle difficulté qui vient s’ajouter au problème de sous-financement des universités, auquel souhaite s’attaquer la FQPPU. « On vit dans un climat d’instrumentalisation de l’université à des fins commerciales, commente Jean Portugais, et la Fédération [québécoise des professeures et professeurs d’université] est opposée à cette vision mercantile de l’université. On pense que, sans balises, on est en train de brader une partie de notre bien public auprès d’entrepreneurs » qui peuvent tirer profit de l’exploitation des biens publics, dénonce-t-il. 

La FQPPU et son directeur ne se contentent pas de critiquer les failles du système de financement de la recherche. Dans leur mémoire présenté au groupe de travail sur les universités québécoises du futur, plusieurs propositions sont mises de l’avant. Pour éviter que tous les financements se retrouvent entre les mains de seulement quelques chercheur·se·s ou dans certains secteurs de recherches – la recherche dite « pratique » étant souvent favorisée au détriment des sciences pures ou des humanités, par exemple —, la Fédération propose d’attribuer une allocation de base à l’ensemble des professeur·e·s pour qu’elles et ils puissent financer leurs projets de recherche. 

Elle tente également d’encourager, auprès de la ministre McCann, l’écriture d’un projet de loi sur la liberté académique « parce que, si le législateur ne fait rien et qu’on laisse ça aux mains des recteurs d’université, aux conseils d’administration ou aux services de relation de travail des universités, rien ne va changer », selon M. Portugais. 

« Le financement privé, c’est oui, mais à condition qu’il y ait des balises », soutient-il. Enthousiaste quant au rapport de M. Quirion et aux efforts que semblent démontrer les différents paliers de gouvernement pour réfléchir à la question du financement universitaire, il rappelle que « la recherche, ça sert aux gens et pas juste [aux scientifiques] dans leurs fameuses tours d’ivoire universitaires. Ça a beaucoup d’impact pour la société ». 

1 La Presse canadienne, « La censure perturbe les universités, s’inquiète un groupe de travail », La Presse, 28 septembre 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1737253/censure-universites-groupe-travail-rapport

Fonds de recherche du Québec, « L’Université québécoise du futur. Tendances, enjeux, pistes d’action et recommandations », 15 septembre 2020. http://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/UduFutur-FRQ-1.pdf 

3 La Presse canadienne, « Université d’Ottawa : des professeurs rapportent un climat d’intimidation », Radio-Canada, 27 octobre 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1744573/universite-ottawa-controverse-mot-professeur-lieutenant-duval-climat-toxique-lettre-ouverte?depuisRecherche=true
 

4 La Presse canadienne, « La censure perturbe les universités, s’inquiète un groupe de travail », op.cit. 

De 2013 à 2019, le financement provincial des universités est passé de 3 081 millions de dollars à 3 352 et de 582 millions à 683, ce qui représente une faible augmentation. Fonds de recherche du Québec, op.cit

Fonds de recherche du Québec, op.cit

Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), Consultation publique sur l’université québécoise du futur. Positions et propositions de la FQPPU, 23 octobre 2020. https://fqppu.org/wp-content/uploads/2020/10/UFutur_consultation_FQPPU_final.pdf
 

Fonds de recherche du Québec, op.cit.

Ce poste est actuellement occupé par Pierre Fitzgibbon.
 

10 Fonds de recherche du Québec, op.cit. 

11 Isabelle Porter, « Les liens entre entreprises et universités se multiplient », Le Devoir, 16 janvier 2020. https://www.ledevoir.com/societe/570878/familiprix-s-offre-une-chaire-a-l-universite-laval 

12 Au moment d’écrire ces lignes, l’autrice est professeure à l’UQAT et coordinatrice du comité Québec-Canada de la Charte des Responsabilités humaines. 

13 Cécile Sabourin, « La recherche universitaire sous influence », À bâbord!, octobre-novembre 2008. https://www.ababord.org/La-recherche-universitaire-sous 

14 Pour plus de détails sur l’affaire Maillé : Marie-Ève Maillé, L’affaire Maillé, Montréal : Écosociété, 2018, 192p.

15 FQPPU, op.cit. 

16 Mathieu Dion, « Financement : les universités pourraient perdre des milliards », Radio-Canada, 31 août 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1730093/rentree-universites-revenus-pandemie 

 

Ajouter un commentaire