Entre Minifest et Manifeste

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Entre Minifest et Manifeste
Analyses
| par Catherine Paquette |

Un nouveau festival d'humour bat son plein dans un bar de Rosemont, où se succèdent devant le public curieux pas moins d'une soixantaine d'humoristes de la relève. Ils ont pour la plupart entre 20 et 30 ans, et probablement déjà trépigné d'envie de rejoindre leurs idoles d'enfance sur la scène Juste pour rire. Mais c'est maintenant avec l'idée de sortir des sentiers battus qu'ils gravissent les marches de la petite scène aménagée par le Medley à l'occasion du Minifest, un festival auto-produit.

François Tousignant, humoriste à l'origine du Minifest, avait l'ambition de créer un nouvel espace de diffusion pour ses collègues et amis, libre des contraintes qu'imposent de plus grosses machines de production.

«Avec les gros producteurs, c'est vraiment la mentalité de la NHL [Ligue nationale de hockey]. Ils vont te repêcher pour que tu présentes dans une grande salle. On dirait qu'au fil des ans, le lien de pouvoir entre les artistes et le producteur s'est renversé. La production semble dire: "on a pas besoin de toi, c'est toi qui a besoin de nous si tu veux te produire". Avec le Minifest, on veut leur donner la chance de jouer, mais aussi rappeler aux artistes que l'auto-production est un beau format, que ça peut fonctionner», affirme-t-il.

Mouvement

Depuis quelques années, Juste pour rire n'est plus le principal producteur sur la scène de l'humour au Québec. Mais le milieu reste extrêmement petit: le Zoofest à Montréal et ComediHa! à Québec sont les principales options des artistes qui souhaitent rejoindre un large public.

Au moment où lui est venue l'idée de lancer le nouveau festival, François Tousignant ne s'attendait pas à un tel enthousiasme de la part de ses collègues et amis, malgré un mouvement déjà amorcé vers les modes de production indépendants.

«Ça fait déjà quelques années que dans le milieu de l'humour on entend parler des gens qui essaient de se partir un collectif ou un festival indépendant. [Beaucoup d'humoristes sont] dans une mentalité d'auto-production, parce que ça ne nous prend pas grand chose pour faire un show», raconte-t-il.

Aux yeux de plusieurs, le Minifest arrive dans le monde de l'humour à un moment où les humoristes tentent effectivement de se rapprocher de leur public et faire leur chemin autrement.

«Sans nécessairement boycotter les plus gros, il y a une scène underground qui évolue. À un moment donné, le show business est saturé un peu, alors il y a une relève qui, pour survivre, crée sa propre scène. Il y a plus de bons numéros a l'année longue que Juste pour rire peut en absorber», témoigne l'humoriste Fred Dubé.

L'humoriste Gabrielle Caron voit quant à elle ce mouvement comme une évolution naturelle du monde de l'humour.

«Il faut qu'on réalise qu'il n'y a pas que Juste pour rire, on peut faire autre chose. Ce n'est pas comme dans les années 90 où tu faisais un gala et tu étais une vedette. Ce n'est plus le cas. Maintenant, tu peux faire 8 galas et t'es même pas une vedette. Les choses ont changé et c'est correct que les formules changent aussi», lance-t-elle.

Contraintes financières

Lors de ce festival qui dure six jours, les humoristes inscrits se produisent sur la scène du bar, et récoltent en moyenne 60% sur les revenus de la soirée. Le seul intermédiaire entre le public et les artistes est la billetterie.

«L'auto-production permet d'aller chercher un plus gros pourcentage pour les artistes et de se rapprocher de leur public. Le public peut aussi payer moins cher», explique François Tousignant.

Alors qu'il faut habituellement payer des frais d'inscription pour se produire lors de festivals de plus grosse envergure - le Zoofest par exemple, coûte à partir de 350$ - le Minifest est gratuit pour les artistes.

Des humoristes qui ne souhaitent pas être nommés ont affirmé à L'Esprit Libre que certaines boîtes de production, en plus de cumuler des frais d'inscription, demandent à l'artiste de fournir le matériel publicitaire tel que les affiches et mettent «énormément de pression» pour la vente des billets.

Ces contraintes ont suffi à certains d'entre eux pour cesser de faire affaire avec les plus gros, malgré la visibilité qu'ils apportent.

Contenu explosif

Outre le Minifest, d'autres petits festivals sont nés dans les dernières années, avec également pour but de faire un pied de nez aux grosses boîtes.

Fred Dubé a participé à la mise sur pied, avec Guillaume Wagner, du Front commun comique, où tous les fonds des spectacles à thématiques engagées vont à une cause choisie pour l'occasion.

Le Dr Mobilo Aquafest également de Guillaume Wagner, tenu au mois de mars, a aussi repoussé les normes établies en ayant pour but de rendre l'humour trash davantage accessible.

«Ils éliminent des intermédiaires donc l'artiste est plus libre, a plus d'emprise. C'est une plus grande autonomie donc C'est beaucoup plus intéressant au niveau du contenu, affirme Fred Dubé au sujet des productions indépendantes.

«Beaucoup penchent vers [l'autoproduction]. Ça permet une plus grande liberté pour les humoristes, pour créer ce qu'ils veulent», renchérit Antoni Remillard, diplômé de l'école nationale de l'humour en 2015.

«Avant, il devait y avoir 7-8 one man show par année. En ce moment il y en a une quarantaine par année, mais pour le même public, donc vendre les billets c'est rendu pratiquement impossible. Il faut changer ses méthodes et passer plus par les petites salles. L'auto-production permet aussi de créer des spectacles plus rapidement et de se renouveler plus facilement quand on n'est pas pris dans un carcan d'une grosse production», ajoute-t-il, disant avoir besoin tant des festivals indépendants comme le Minifest que des plus gros comme le Zoofest pour faire son chemin.

Écosystème

Car s'il est facile d'opposer le Minifest au Zoofest par leur mode de production, l'idée derrière les deux festivals reste de donner une vitrine à la relève et à un humour «différent». Le mot clé, selon Patrick Rozon, directeur du Zoofest, est variété.

«Le Zoofest, le Minifest, Dr Mobilo, tout ça fait partie d'un écosystème où on peut travailler tout le monde ensemble. Tu ne peux pas qu'avoir qu'un seul festival d'humour. Il faut juste trouver chacun sa ligne et sa niche qui peut se démarquer dans son style», affirme le producteur.

À la barre du Zoofest depuis deux ans, le directeur décrit le festival comme un événement multidisciplinaire. Il reconnaît qu'il en coûte davantage aux artistes pour se produire lors du Zoofest, mais avec quelques avantages.

«Oui, il y a un aspect financier, mais il y a aussi l'aspect qu'on a un marché d'agence, de diffuseurs, qui vient voir les show et qui peuvent voir des humoristes et aimer ce qu'ils font.

On a l'avantage d'avoir une grosse notoriété dans le marché, et une ambiance qui s'étend sur 24 jours», nuance Patrick Rozon.

Bien qu'il reconnaisse cet avantage qu'ont plusieurs gros festivals, pas seulement le Zoofest, François Tousignant mise tout de même sur le Minifest pour «faire pression sur les festivals et producteurs et construire un meilleur système plus avantageux».

Si dérider le public et se faire connaître est le principal objectif des humoristes, peu importe où ils se produisent, il n'y a nul doute que derrière le Minifest se cache également un "manifeste",  celui des artistes voulant innover pour produire un contenu hors-norme.

 

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