Écocannibalisme : Contre-attaque esthétique des discours anthropocentriques

Société
Écocannibalisme : Contre-attaque esthétique des discours anthropocentriques
| par Alexandre Dubé-Belzile |

Cet article est d'abord paru dans notre recueil imprimé L’effondrement du réel : imaginer les problématiques écologiques à l’époque contemporaine, disponible dans notre boutique en ligne.

La traduction cannibale de Haroldo de Campos1, élaborée à partir des années 1960, au Brésil, est une forme de traduction antihégémonique qui cherche à abolir les rapports de pouvoir culturels2. Elle a été reprise plus récemment par Odile Cisnero, avec l’idée de mettre en question les distinctions normalement présumées entre culture et nature. Cisnero désigne son approche comme « écocannibale »3.  Le chercheur irlandais Michael Cronin, de son côté, aborde la traduction du point de vue de l’écologie politique et comme panacée à l’anthropocentrisme4. Dans cet article, nous aborderons la possibilité d’abolir les rapports de pouvoir au sein de la langue et des discours, de décentraliser ses moyens de production au-delà de l’humain et de l’anthropocène. Nous le ferons en interrogeant le professeur Cronin, en traitant plus amplement de la traduction cannibale et de l’écocannibalisme, et ce, afin d’émettre quelques réflexions sur l’amalgame de ces différents horizons théoriques et leur incidence sur la pratique non seulement de la traduction, mais de la production de discours en général. Nous proposons cette analyse en nous appuyant sur une définition plus large que de coutume de ce qu’est l’acte traduisant, une proposition faites par Cronin et qui nous semble nécessaire pour transcender l’anthropocentrisme de la culture. Nous entendons par là une compréhension de la culture et de la traduction comme résultats exclusifs de l’action humaine, une compréhension à surpasser. 

 

L’écotraduction

 

Le concept d’écotraduction a été mobilisé par Michael Cronin, qui lie la traduction aux enjeux environnementaux, parmi lesquels la pollution causée par la traduction automatique ou traduction machine, effectuée par des intelligences artificielles, dont Google Traduction ou DeepL. Dans son ouvrage Eco-translation : Translation and Ecology in the Age of the Anthropocene, il cherche à élargir la traduction des réalités des échanges, qui ne sont généralement que partiellement analysées d’un point de vue économique, au-delà de l’anthropocentrisme. Il entame son ouvrage en donnant un exemple de mode de consommation. Il explique comment la popularité de la couleur bleue avait stimulé la culture de l’indigo au Venezuela, remplaçant les cultures alimentaires et rendant les sols stériles, conséquence de l’économie de marché5. Cette couleur, comme signe, exigée par un goût vestimentaire insinué par les nécessités d’expansion du Capital, est devenue un hyperobjet parce que massif « dans le temps et dans l’espace relativement aux humains6 ». L’hyperobjet se rapporte en quelque sorte à l’hypertextualité7, c’est-à-dire le fait que tout texte renvoie à d’autres textes préexistants, mais dans un rapport qui se situe à l’extérieur du domaine de la langue. Or, hyperobjet et hypertextualité sont inséparables. En effet, comme nous l’explique Dalie Giroux, professeure de théorie politique à l’Université d’Ottawa, le langage serait une « preuve de la vérité de la soumission de la Terre à l’humain8 » et le lieu par lequel cet humain habiterait la planète, provoquant ainsi un jeu de miroir par lequel l’humain s’impose à la nature en occultant cette dernière derrière un narcissisme constamment renouvelé9.

Dans le cadre de la rédaction de cet article, nous avons eu le plaisir de discuter avec monsieur Cronin lui-même, professeur au Trinity College de Dublin, en Irlande. La première question que nous lui avons posée concerne la manière dont il arrivait, intellectuellement, à distinguer l’abolition des rapports de pouvoir entre humain, nature et culture par rapport à une certaine déification de la nature qui sous-tend l’autoritarisme et le fascisme. Pour lui, « l’extrême droite projette ses fantasmes sur la nature elle-même, en la faisant paraître comme une sorte d’enfer au sein duquel règne la loi du plus fort ». Pour Cronin, cette conception est erronée. L’idée de la supériorité de la nature est culturelle, idéologique, entre autres parce que l’être humain fait lui-même partie de la nature. Il n’y a, en fait, pas de rapport de domination. Il s’agit « d’une relation de cogestion, de cohabitation et [de] coopération » pour renverser les systèmes hiérarchiques et le Capital. Donc, en somme, si Edgar Morin affirmait que la « perception est traduction » et que George Steiner, de son côté, disait que « tout savoir est traduction10 », Michel Cronin aborde la traduction du point de vue de l’écologie politique, c’est-à-dire l’« étude des facteurs sociaux, culturels, politiques et économiques qui touchent les interactions entre humains, organismes et les environnements physiques11 ». Cronin cherche, dans son analyse, à surpasser le caractère anthropocène de l’ère actuelle et à aborder l’humain comme une « force de la nature au sens géologique12 », comme les volcans et les tremblements de terre. Toute son analyse fait également écho à Arne Naess, le penseur de l’« écologie profonde », qui affirmait qu’« il est fallacieux de parler de l’interaction entre organismes et l’environnement, car l’organisme lui-même constitue déjà une interaction13 ».

 

L’anthropophagie

 

Le plus urgent ne me paraît pas tant de défendre une culture dont l’existence n’a jamais sauvé un [être humain] du souci de mieux vivre et d’avoir faim, que d’extraire de ce que l’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim. […] Je veux dire que s’il nous importe à tous de manger tout de suite, il nous importe encore plus de ne pas gaspiller dans l’unique souci de manger tout de suite notre simple force d’avoir faim14.

 

Oswaldo de Andrade a élaboré la « critique cannibale » de la modernité15, qui a coexisté en parallèle avec d’autres idées semblables, ne serait-ce que celle de l’« occidentose », dont nous ne pourrions trop souligner l’importance comme précurseur de la Révolution islamique en Iran. En effet, ces deux concepts s’articulent autour d’une esthétique de dégoût de l’Occident et de sa prétendue suprématie. Le terme « occidentose », qui tire ses origines du persan « Gharbzadegi » (غربزدگی), est attribué à l’auteur iranien Jalal-e-Ahmed16, proche du penseur islamomarxiste Ali Shariati. Cet « occidentose » fait écho à la « nausée » telle que décrite dans le roman du même nom de Jean-Paul Sartre, un profond dégoût face à l’influence hégémonique de l’Occident dans la vie de tous les jours. Nous croyons que ces deux visions valent la peine d’être mises en parallèle pour leur préoccupation esthétique qui touche à la langue comme lieu de mise en scène d’un rapport de pouvoir et d’une séparation entre culture et nature. Cependant, la pensée cannibale se distingue de la pensée de l’occidentose, car elle permet, selon nous, de dépasser les échecs de la révolution iranienne, et ce, parmi tant d’autres révolutions. Il ne s’agit ici de rien de moins que de proposer des méthodes pour entamer l’abolition de la différence entre nature et culture.

La traduction cannibale a été proposée par les frères Augusto et Haroldo de Campos. Ces derniers avaient été inspirés par le Manifesto antropófago d’Oswaldo de Andrade, publié en 1928 au Brésil et qui avait mis de l’avant le cannibalisme comme métaphore de réappropriation culturelle devant l’hégémonie de l’Europe sur la culture universelle. Dans une logique de provocation, Andrade s’était inspiré de la cannibalisation d’un prêtre portugais par les membres de la tribu Tupinambà, un incident qui avait eu lieu au XVIe siècle et qui avait alors semé la panique dans toute l’Europe. Pour Andrade, « [s]eule l’anthropophagie nous unit, que ce soit socialement, économiquement ou philosophiquement »17. Nous ne chercherons pas à fournir une interprétation arbitraire de ce passage poétique. Nous nous contenterons seulement d’affirmer que la critique ou traduction cannibale est une contre-attaque esthétique, un exercice d’hétérodoxie qui doit contribuer à la chute de la séparation entre culture et nature, que ce soit d’un point de vue économique, social, philosophique et, naturellement, politique18. La critique cannibale d’Andrade est une déglutition de la culture hégémonique permettant de lutter contre l’anxiété liée à son influence.

Dans l’ouvrage Translation Studies : Postcolonial Translation : Theory and Practice, Susan Bassnett et Harish Trivedi (1999) expliquent comment le cannibalisme était perçu par les autochtones du Brésil comme un moyen d’honorer et de s’approprier les forces d’un ennemi. Elle et il expliquent également comment la colonisation a pu être conçue par ces théoricien·ne·s de la traduction cannibale comme un viol et comment les populations du continent colonisé se trouvaient à être, aux yeux des colonisateurs, des terres fertiles devant être fécondées et civilisées. Le cannibalisme est une métaphore pour décrire une forme de traduction qui se nourrit de la culture universelle, mais qui, à l’image d’un parricide, refuse systématiquement d’obéir au texte source19.

Le mouvement d’Andrade s’est dissipé avec la montée du régime fasciste de Getulio Vargas dans les années 193020 et la répression de la culture qui en a résulté. Près de 30 ans plus tard, Campos a repris le concept de cannibalisme pour l’appliquer à la traduction. Campos a mis en pratique la traduction cannibale, entre autres, dans une traduction-adaptation (ou tradaptation) du Faust de Goethe. Le titre de la traduction est Deus e o Diabo no Fausto de Goethe, un clin d’œil au film du cinéaste de l’« esthétique de la faim » Glauber Rocha, Deus e o Diabo na Terra do Sol21. Campos a tenté de se réapproprier l’œuvre de Goethe, « dévorant » le texte et réinventant une incarnation brésilienne du texte initial, une transformation tout à fait radicale. Il abolit ainsi, sur le plan du discours, le rapport de pouvoir entre l’œuvre européenne et la culture nationale brésilienne. La traduction cannibale est donc un processus de réappropriation et de transformation cherchant à faire tomber les rapports de pouvoir culturels

L’anthropophagie en traduction a été réinterprétée par plusieurs auteurs et autrices et théoricien·ne·s, dont Odile Cisnero, qui propose l’écocannibalisme22, processus de traduction qui chercherait à déconstruire la distinction culture et nature, tout en mettant en œuvre un « recyclage culturel »23. Lors de notre entrevue, nous avons demandé à Michel Cronin de commenter la vision de Cisnero d’un tel recyclage. Il affirme qu’il y a deux conceptions de ce genre de recyclage. La première est positive, l’autre est plus sombre. La première est, de manière générale, sans aller dans les détails, la traduction comme recyclage de matériaux culturels, de poésie, de philosophie, etc., transposés dans une autre culture, un recyclage continuel dans la chaîne traductive. L’autre recyclage, plus sombre, est celui de l’industrie de la traduction, qui est mené de manière extractiviste pour faire fonctionner les systèmes de traduction machine. Il s’agit d’un travail d’exploitation massive de la traduction humaine, le plus souvent de travailleurs et de travailleuses fantômes de la haute technologie, travailleurs et travailleuses des pays du Sud. Ces systèmes exploitent aussi des données issues des organismes publics. Il s’agit donc aussi d’une forme de privatisation. En fait, de la même manière dont Cronin nous mettait en garde contre l’écofascisme en réponse à notre première question, il évoque ici une interprétation perverse du « recyclage culturel » mené par les GAFAM pour alimenter les intelligences artificielles de leurs propres systèmes de traduction automatique, s’appropriant et s’enrichissant aux moyens de textes d’organisme public, d’où son accusation d’extractivisme à l’égard de ces entreprises, extractivisme de textes. Cette notion fait justement écho à cette idée de séparation factice entre culture et nature, l’intertextualité relevant en quelque sorte d’un écosystème à même d’être exploité tout autant que l’environnement naturel. Cela n’est pas tout : ces mêmes entreprises font aussi appel à des travailleurs et travailleuses des pays du Sud, qui travaillent à moindre coût, pour alimenter les intelligences artificielles de leur traduction. Évidemment, l’écocannibalisme est tout le contraire de ces pratiques macabres : il s’agit en fait d’un travail critique à l’égard du texte traduit.

Dans son ouvrage sur l’écotraduction, Cronin étend le concept de traduction à des phénomène d’ordre biologique, toujours avec cette idée de renverser la suprématie de l’être humain dans l’acte de traduire et bien sûr, encore une fois, de faire tomber cette distinction entre nature et culture. Cronin désigne comme tradosphère les « différentes formes de traduction impliquées par les diverses relations entre l’organique et l’inorganique24 ». Il préconise une vision qui relève de l’« histoire profonde », au sein de laquelle les fossiles et la chaîne d’ADN seraient des documents à traduire et à interpréter25.  Il met de l’avant une « écologie politique de la traduction »26, renforçant l’importance d’un rapport horizontal entre humain et nature. C’est la raison pour laquelle ce travail de traduction d’ordre biologique devrait être placé côte-à-côte avec la traduction au sens classique et les texte à proprement parler, côte-à-côte avec l’ADN et les fossiles. La mise de l’avant de ces idées constituerait un des premiers pas dans une lutte visant à combattre ce que nous appelons l’« écologie de l’aliénation », c’est-à-dire ce système de pensée idéologique qui vise à maintenir l’illusion d’une séparation entre l’humain et la nature. En effet, comme le disait Arne Naess, « il est fallacieux de parler de l’interaction entre organismes et l’environnement, car l’organisme lui-même constitue déjà une interaction »27 entre divers éléments chimiques et entre ces éléments chimiques et des cellules elles-mêmes constituées de ces mêmes éléments.  

Afin de recueillir un regard distinct sur les idées mises de l’avant par le professeur Cronin, nous avons interrogé le chercheur argentin Guillermo Badenes28. Nous avons abordé avec lui l’idée d’une écologie intertextuelle. En effet, pour lui, « il est valable de se demander si les textes littéraires ne forment pas un écosystème propre, qui mute, réagit et est modifié par l’introduction d’"espèces exotiques" », presque la description que fait [T.S.] Eliot lorsqu’il affirme que « les monuments existants forment un ordre idéal entre eux, qui est modifié par l’introduction de la nouvelle (la vraiment nouvelle) œuvre d’art parmi eux ».

Nous avons ensuite interrogé Cronin au regard de ce qu’il affirme dans son livre Eco-Translation : Translation and Ecology in the Age of the Anthropocene, qui décrit la perception, l’interprétation et toutes les formes de communication entre les animaux, les êtres humains, les plantes, les planètes et les atomes comme des formes de traduction. En fait, Badenes est d’accord sur le fait que « la traduction est la base de la civilisation et le moteur de la culture universelle. L’une de mes phrases les plus répétées est que nous, traducteurs [et traductrices], sommes les créateurs [et créatrices] de Dieu. Cependant, si la traduction est tout, elle devient elle-même le néant. » Badenes exprime donc une réserve face à ce qui pourrait représenter une dissolution totale des frontières du domaine de la traduction. Or, c’est pourtant cette même dissolution qui permettrait de faire de la langue un laboratoire d’expériences politiques. 

 

La langue comme laboratoire d’expériences politiques 

 

La traduction militante cherche à détourner à tout prix les discours de l’écologie de l’aliénation pour concevoir et adopter une nouvelle écologie politique au sein de laquelle la traduction ne serait plus une action anthropocentrique et où le texte et la nature ne serait plus un objet passif de connaissance, en attente d’être sondé et vivisecté. La cannibalisation sous-tend une culture universelle dont les manifestations se nourrissent les unes des autres sans jamais toutefois s’anéantir mutuellement. Nous entendons par là que le processus cannibalisant ne cherche pas simplement à inverser les rapports de pouvoir entre cultures et à provoquer le basculement d’une hégémonie vers une autre. Ça ne veut pas dire non plus que cette vision préconise une culture unique et monolithique. Il s’agit seulement d’éviter le piège d’un essentialisme culturel, ce qui est souvent le cas des mouvements identitaires.  L’écocannibalisme sous-entend aussi l’abolition de la frontière qui sépare la culture de la nature, les discours interagissant au sein d’un écosystème complexe. Dans l’inertie se concrétisent, croissent, se ramifient et se consolident les processus hégémoniques. Selon Núría D’Asprer, la « traduction intervient dans le processus de modification, dans l’actualisation des sens potentiels, qui ne s’épuisent pas29 », de la même manière dont un écosystème reste en constante évolution et au sein duquel la vie animale et végétale se décompose pour intégrer le vivant par d’autres canaux. En effet, les potentialités d’une traduction cannibale sont inépuisables puisqu’un texte peut être cannibalisé et transformé autant de fois que souhaité.

Or, les dynamiques décrites par D’Asprer pourraient bien être harnachées dans le processus de lutte contre l’hégémonie anthropocentrique, dans la mesure où le langage scelle, comme le faisait valoir Dalie Giroux, le rapport de pouvoir de l’être humain sur la nature et la culture, ainsi que la séparation factice de ces deux sphères, en remettant constamment en question, par la traduction, les discours produits, pour lesquels la traduction conventionnelle ne fait que produire des représentations figées. La traduction écocannibale implique un effort de retraduction constante dans lequel la personne qui traduit s’autocannibalise, cesse d’exister comme autorité, comme être humain en rapport de force. Il s’invisibilise en menant à bien ce que Amilcar Cabral, révolutionnaire de la Guinée-Bissau, qualifierait de « suicide de classe30 », qui impliquait pour lui le suicide du pouvoir pour favoriser le processus révolutionnaire. Or, pour nous, il s’agirait plus précisément d’un suicide métaphorique de l’humain comme distinct du reste du vivant ou de toute autre forme d’organisation de la matière. En plus d’un simple renversement de l’hégémonie, nous entendons par cette expression encore davantage l’abolition de l’asymétrie du pouvoir entre culture et nature. Ainsi, ce processus de retraduction constante aurait aussi pour objectif ultime d’accélérer la chute de l’anthropocène.

Cela dit, dans quelle mesure ces idées peuvent-elles toucher un lectorat hors du milieu universitaire? Comment procéder pour éveiller le plus de gens possibles à ces problématiques? Lors de notre entrevue, le professeur Michel Cronin nous a fourni une réponse intéressante. En effet, Cronin défend une évolution vers un type d’institution transitionnel face à la suprématie d’institutions corporatistes. Il défend l’idée d’une université extra-muros, le principe de l’université populaire en fait, c’est-à-dire suivant un modèle autogéré et indépendant, inspiré par la pensée anarchiste et qui échappe au cadre institutionnel. Il répète, à de nombreuses reprises, le peu d’optimisme qu’il nourrit vis-à-vis du système universitaire actuel. C’est pourquoi il tente de s’exprimer en dehors de ce système autant que possible.

Enfin, pour conclure, nous aimerions faire référence au poète Antonin Artaud, qui rejetait « jusqu’à l’opposition signifiant-signifié qui, précisément, institue la fonction symbolique31 » du langage et la fixation du rapport de pouvoir souligné par Giroux. Artaud écrit : « Je souffre que l’Esprit ne soit pas dans la vie et que la vie ne soit pas l’Esprit, je souffre de l’Esprit-organe, de l’Esprit-traduction, ou de l’Esprit-intimidation-des-choses pour les faire entrer dans l’Esprit32 ». Entre autres choses, il conteste la nature du « contrat social » de la langue et donc, la légitimité de ses systèmes de représentation. Enfin, pour Henri Meschonnic, « traduire n’est traduire que quand traduire est un laboratoire d’écrire33 » et, pour nous, l’écocannibalisation s’avère être une prise de possession de la langue comme laboratoire d’expériences politiques.

Crédit photo : Enzo V, Pixabay, https://pixabay.com/fr/photos/r%C3%A9sultats-de-traduction-6274206/

1 Haroldo de Campos et María Tai Wolff, « The Rule of Anthropophagy: Europe under the Sign of Devoration », Latin American Literary Review, 14(27), 1986, 42–60.

2 Susan Bassnett et Harish Trivedi, Translation Studies: Postcolonial Translation: Theory and Practice, Londres : Taylor & Francis, Londres, 1998.

3 Odile Cisnero, Ecocannibalism: The greening of Antropfagia, New York : Palgrave Macmillan, New York, 2011, p. 94.

4 Ibid. p. 9.

5 Michael Cronin, Eco-translation: translation and ecology in the age of the Anthropocene, Londres : Taylor & Francis, 2017, p. 2.

6 Ibid.

7 Alexandre Dubé-Belzile, « Une contre-numisphère : un véhicule autonome pour les médias antihégémoniques » Revue L’Esprit libre, 21-28 mai 2019 ; revuelespritlibre.org/une-contre-numisphere-un-vehicule-autonome-pour-les-medias-antihegemoniques-13 ; revuelespritlibre.org/une-contre-numisphere-un-vehicule-autonome-pour-les-medias-anti-hegemoniques-23 ; revuelespritlibre.org/une-contre-numisphere-un-vehicule-autonome-pour-les-medias-antihegemoniques-33

8 Dalie Giroux, La généalogie du déracinement: Enquête sur l’habitation postcoloniale, Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2019, p.74.

9 Ibid., p. 75-76.

10 Salah Bassalamah, Le droit de traduire : Une politique culturelle pour la mondialisation, Ottawa : Presses de l’Université d’Ottawa, 2009, p.4

11 Cronin, op. cit., p. 2.

12 Ibid., p. 9.

13 Arne Naess, cité dans ibid., p.24.

14 Antonin Artaud, Œuvres, Paris : Gallimard, 2004, p. 505.

15 Carlos A. Jáuregui, « Oswaldo Costa, Antropofagia, and the Cannibal Critique of Colonial Modernity », Culture & History Digital Journal, 4(2), 2015, 1–17.

16 Jalal Al e-Ahmed, Occidentosis: A Plague from the West, Berkeley : Mizan Press, 1984.

17 « Só a antropofagia nos une. Socialmente. Economicamente. Filosoficamente. » Traduction libre. Tiré de Oswaldo de Andrade, « Manifeste anthropophage/Manifesto antropófago », Revue Silène, 2010, www.revue-silene.comf/index.php?sp=liv&livre_id=143.

18 Jáuregui, op. cit.

19 Bassnett et Trivedi, op. cit.

20 Jáuregui, op. cit.

21 Else Vieira, « Por uma teoria pós-moderna da tradução », 1992, 30‑37, cité dans Alicia Leal, Anthropophagy and Translation, Université de Vienne, 2006, p. 6, www.kuleuven.be/cetra/papers/papers.html.

22 Cisnero, op. cit.

23 Cisnero, op. cit., p.94.

24 Cronin, op. cit., p.5.

25 Cronin, op. cit., p.9-10.

26 Cronin, op. cit., p.17.

27Arne Naess, cité dans Ibid., p.24.

28 L’entrevue a été menée en espagnol. Nous avons effectué la traduction.

29 Núria D’Asprer, « Vers une critique du sens : sémiose en traduction », Meta, 59, (1), 2014, 8–23. L’italique est de l’auteur.

30 Saïd Bouamama, Figures de la révolution africaine: de Kenyatta à Sankara, Paris : La Découverte, Paris, 2014, p.267.

31 Deleuze, cité dans Alice Avci, « Antonin Artaud : trad-auctor - L’acte traductif à la lumière du "théâtre de la cruauté" », École de traduction et d’interprétation, Faculté des études supérieures et postdoctorales, Université d’Ottawa, 2014, p. 26.

32 Artaud, cité dans Ibid., p. 84.

33 Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Paris :  Verdier, 1959, p. 459.

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