E414 : Les gommiers du Soudan sur l’échiquier mondial

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E414 : Les gommiers du Soudan sur l’échiquier mondial
Opinions
| par Alexandre Dubé-Belzile |

Cet article retrace le trajet de la gomme arabique de l’Afrique jusqu’en Europe. Il décrit les conditions de vie des agriculteurs qui en font la récolte au Soudan, puis explique le chemin que parcourt cette denrée pour arriver dans nos boissons gazeuses, où elle empêche le sucre de se déposer au fond de la bouteille. Une attention particulière est portée aux antécédents historiques et aux conditions géopolitiques qui ont une influence sur le marché international de ce produit méconnu.

La gomme arabique est une substance assez peu connue. Pourtant, elle est présente dans une grande quantité de produits que nous utilisons et que nous consommons au quotidien. Qui plus est, elle gagne en popularité avec l’arrivée en force des produits naturels et les recherches qui lui trouvent sans cesse de nouvelles vertus. Aussi, elle a l’avantage de convenir à un arc-en-ciel de clientèle ayant des restrictions alimentaires. Cela dit, il serait intéressant de retracer les origines de ce produit qui fait partie du quotidien des occidentaux, mais dont la consommation n’est pas sans incidence sur la vie de beaucoup d’Africain-nes. Le commerce de la gomme enrichit une poignée d’entreprises en France qui ne servent que d’intermédiaire entre le Soudan et les États-Unis. Paradoxalement, Washington impose au Soudan des sanctions sensées « punir » le gouvernement de Khartoum et le dictateur Omar Al-Bachir, accusé d’avoir assumé la responsabilité d’actes génocidaires contre sa propre population. Les entreprises françaises mélangent donc la gomme soudanaise avec celle du Tchad et du Nigeria pour contourner ces sanctions. Dans les plaines arides du Darfour et du Kordofan, les producteurs de la gomme vivent à la merci de l’État, des conflits qui sévissent dans la région et des conditions climatiques. En Europe, la gomme est affublée du code alphanumérique E414, comme si on voulait faire oublier au consommateur son origine. Cet article tente de nous aider à comprendre la mise en abîme de cette industrie et propose une piste de solution pour échapper à sa logique perverse héritée des antécédents coloniaux de l’Afrique. Ainsi, un retour aux usages traditionnels de la gomme pourrait permettre aux producteurs de se libérer de l’exploitation qu’ils subissent et de prendre en main leur destinée.

Le portrait de la gomme

Le gommier est un arbre africain. La FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) définit la gomme arabique comme l’exsudat (1) déshydraté de l’acacia senegal (Hashab) ou de l’acacia seyal (Tahl). La zone de production de cet exsudat est une immense étendue désertique qui traverse le continent africain du Sénégal jusqu’en Érythrée, le long du Sahara. Bien que le Soudan soit le principal producteur et exportateur de la gomme arabique, cette dernière est également produite au Sénégal, en Mauritanie, au Mali, au Burkina Faso, au Cameroun, au Tchad, au Nigeria, au Niger, en Ouganda, au Kenya et en Tanzanie (2) (3) (4) (5) (6).

L’usage de la gomme arabique remonte à l’Égypte pharaonique. Elle servait dans l’embaumement et la momification des morts. Un usage médicinal est également mentionné dans le papyrus d’Ebers, découvert par l’égyptologue allemand du même nom dans les bandelettes d’une momie. Le papyrus est daté de la neuvième année du règne d’Amenophis 1er, c’est-à-dire de 1536 avant Jésus Christ (7). La gomme aurait d’abord été acheminée vers l’Europe par des marchands arabes de la péninsule qui se la procuraient eux-mêmes de l’autre côté de la mer Rouge, dans la région du Nil. Ce serait par ces intermédiaires que la gomme aurait hérité de son appellation de « gomme arabique ».

 En Europe, l’exsudat de l’acacia a d’innombrables usages. Dans l’industrie pharmaceutique, la gomme est utilisée comme émollient et comme colloïde dans les mixtures déshydratées. Elle constitue la base de certains succédanés de sucre et elle est couramment utilisée comme agent de suspension et de stabilisation dans les lotions, les crèmes et les onguents. Pour le textile, la gomme arabique serait un ingrédient qui entrerait dans la fabrication de formules tenues secrètes pour la finition et le découpage des étoffes. Enfin, la gomme arabique entre aussi dans la fabrication de papier de haute qualité, de l’encre et même des feux d’artifice et des allumettes. Dans le secteur alimentaire, elle se retrouve dans les sucreries, les confitures, les gelées, les sauces, les mayonnaises, la crème glacée, les sirops de fruit et dans la plupart des substituts d’œufs. La gomme sert de fixatif pour les saveurs en aérosols ou en poudre. Les brasseries quant à elles s’en servent pour stabiliser la broue. Elle sert d’émulsifiant dans les boissons gazeuses et constitue même la base d'une confection traditionnelle belge faite avec de la gomme appelée le cuberdon, héritage d’une traite de la gomme protocoloniale. L’apparition de cette grande variété d’utilisations concorde avec l’industrialisation et la colonisation de l’Afrique (8). Il est vrai que, malgré la présence de substituts, la gomme arabique reste tout de même un additif de choix pour la richesse de ses propriétés, ainsi que pour sa polyvalence. De plus, elle nécessite très peu de transformations puisqu’elle est relativement pure à l’état naturel. Toutefois, le fait que la gomme soit présente, historiquement, dans une telle variété de produits semble plutôt être une conséquence des conditions du capitalisme industriel. Ce dernier crée la nécessité de débouchés pour les produits en provenance des colonies.

Selon l’historien James L. Webb, c’est au XVe siècle que les Français ont été les premiers Européens à « découvrir » de la gomme en Afrique de l’Ouest, sur les côtes du Sénégal et de la Mauritanie. Peu à peu, avec le déclin de la traite des esclaves et les débuts de l’industrialisation, la gomme est devenue un produit de plus en plus important en Europe et à Saint-Louis du Sénégal, un port d’exportation incontournable. Le transport de la gomme à partir de l’intérieur était pris en charge par les Zawaya, importante tribu mauritanienne du sud du Sahara. Ces commerçants employaient des esclaves à la récolte et pouvaient stocker la gomme par divers stratagèmes, comme en la dissimulant sous le sable, en attendant une hausse éventuelle de la demande et des prix. La rivière Sénégal constituait une voie de transport importante. Le professeur Webb rapporte que les conditions de travail auraient été assez atroces et que les esclaves finissaient par se nourrir en mangeant la sève qui coulait des arbres (9).

Les bateaux français amenaient la marchandise en France, où seulement un cinquième de la marchandise était écoulé. Tout le reste était acheminé vers les autres contrées d’Europe. La Mauritanie a été aux XVIIIe et XIXe le principal producteur de gomme avant d’être supplanté par le Soudan un siècle plus tard. Une guerre de la gomme a éclaté entre les différentes nations marchandes, notamment entre la Grande-Bretagne et la France, pour le contrôle de la gomme entre 1756 et 1763. Pendant cette guerre, Saint-Louis du Sénégal est tombée aux mains des Britanniques jusqu’à ce qu’elle soit reconquise en 1779. Entre 1793 et 1797, environ 339 tonnes métriques étaient annuellement exportées (10). Enfin, il est intéressant de noter que vers 1790, la traite de la gomme a connu un boom important et a remplacé la traite des esclaves comme principale exportation des côtes africaines, et que, en 1890, la traite de la gomme a elle-même été remplacée par celle des arachides. Il est raisonnable de supposer que c’est à ce moment que le Soudan a pris le dessus comme exportateur de l’exsudat tant prisé (11) (12).

Ce moment charnière où les Britanniques ont pris les dessus de la production de gomme s’est produit vers 1820, au Soudan. Les Britanniques se sont approprié et ont développé le commerce de la gomme qui existait déjà dans la région, à petite échelle, et en ont repoussé les frontières. Trois siècles plus tôt, des caravanes marchandes transportaient la gomme produite sous les royaumes islamiques de Kunj et Keira (13) vers les contrées de la péninsule arabe. Sous la domination de la Grande-Bretagne, la gomme était d’abord récoltée et acheminée vers la ville marchande d’El-Obeid, la plaque tournante de la gomme. Ensuite, la gomme était envoyée par bateau d’Alexandrie, en Égypte. En 1827-1828, 1270 tonnes métriques auraient été envoyées en Europe de ce port. Plus tard, les exportations se sont fait via la ville, portuaire comme son nom l’indique, de Port Soudan, sur la mer Rouge. Seulement en 1881, 3000 tonnes de gomme ont été envoyées en Angleterre. C’est ainsi qu’au tournant du XIXe, la gomme soudanaise a comblé le vide laissé par la baisse de la production en Afrique de l’Ouest (14) (15) (16).

Un regard sur le Soudan moderne, principal producteur

De nos jours, le Soudan est le principal producteur de gomme arabique. La denrée désormais prisée internationalement provient surtout de la région du Nil bleu, notamment au Darfour et au Kordofan. La majorité de la population du Soudan vit de l’agriculture. La gomme arabique est la production agricole la plus importante avec le bétail, le coton et le sésame, et une des exportations les plus importantes après l’or noir. Les fermiers des régions gommifères cultivent généralement le sorgo et le millet pour leur propre alimentation et ils s’adonnent à la récolte de la gomme pour assurer un revenu en argent sonnant, mais également comme assurance en cas d’une mauvaise récolte (17) (18).

L’acacia senegal joue un rôle important du point de vue de l’environnement. L’arbuste sert de barrière au phénomène de désertification et enrichit le sol. La culture de la gomme génère donc, d’une part, un revenu en espèces pour les fermiers, mais augmente aussi la productivité des autres cultures par la protection qu’elle donne aux terres agricoles (19) (20). Le rendement d’un gommier varie selon certains facteurs comme les précipitations et la quantité d’eau absorbée par la plante, ainsi que les techniques de récolte et d’incision des branches que les Soudanais s’efforcent de transmettre de génération en génération. La production de la gomme ne dépend pas du nombre d’arbres, puisque ceux-ci, pour la plupart, poussent à l’état sauvage, mais du nombre de travailleur.euses spécialisé.es qui iront inciser les arbres et en récolter la sève. La plupart sont des fermier.ières, certes, mais la récolte de la sève n’interfère pas nécessairement avec le travail de la ferme. La collecte se fait lors de la saison sèche entre octobre et juin. Les pénuries d’eau potable dans le Kordofan entravent également le travail de récolte, de même que le trop faible rendement des cultures de subsistance. L’aseeda, pâte qui constitue la base de leur alimentation, est faite de farine de sorgo ou de millet bouillie et le plus souvent consommée avec du lait encore chaud ou une visqueuse mixture à base de gombos.

 En 2007, la somme obtenue par le fermier variait entre 13 000 et 20 000 livres soudanaises par kantar, qui équivaut à 143 kg. (21) (1256 $ à 2020 $ des États-Unis par tonne métrique). Il est difficile d’évaluer le nombre d’heures de travail nécessaires en raison du nombre de facteurs en cause. La gomme est achetée directement aux fermiers par des commerçants qui se chargent de la transporter jusqu’au marché le plus près en pick-up ou en tracteur. Une fois au marché, la gomme est vendue aux enchères avant d’être transportée à Khartoum et à Port Soudan pour être préparée à l’exportation par quelques grandes entreprises. La préparation à l’exportation, qui se fait généralement à Port Soudan et à Khartoum, consiste à nettoyer et à classer la gomme (22) (23) (24) (25) (26).

Le monopole d’exportation récemment révolu

Peu après l’indépendance du Soudan, la gomme a été assujettie à un monopole géré par l’État. La Gum Arabic Company a été fondée en 1969 après la prise de pouvoir par Ja’far Numeiri. Sa raison d’être était d’assurer une gestion de la production et de l’exportation à un niveau local, d’exercer un contrôle sur le marché mondial, de garantir un prix plancher, de protéger les producteurs, de maintenir la demande et de financer la culture de l’acacia (27) (28) (29). L’entreprise était autorisée à annoncer un prix d’export avant le début de la saison et ainsi assurer un prix minimum dans les ventes aux enchères des différents marchés. En 2009, le monopole a été dissout et la Gum Arabic Company a été remplacée par la Gum Arabic Board. Cette dernière doit gérer un libre marché dans lequel plusieurs entreprises ont commencé à acheter de la gomme dans les marchés locaux (30) (31).

Depuis la libéralisation du marché, l’emprise du gouvernement sur les prix s’est affaiblie. Les risques latents d’une telle condition sont considérables. Si une sécheresse survient, la culture de la gomme arabique peut être entravée, car le manque d’eau limite l’exsudation des arbustes. De telles circonstances entraînent une réaction en chaîne, car si la production de gomme diminue, les importations de nourriture se font plus modestes et les fermiers, en plus d’être assoiffés, risquent d’être torturés par la faim. Qui plus est, la rareté ferait monter les prix en flèche. Pour la population urbaine qui dépend totalement du marché pour sa survie, la situation peut être encore plus grave (32).

Malheureusement, s’ajoutent aux conditions de production et de mise en marché déjà difficiles les conflits qui opposent le gouvernement avec différentes guérillas telles que le Front révolutionnaire soudanais (Darfour) et la faction nordiste du Mouvement populaire soudanais pour la libération (Kordofan) (33). Au Darfour, les notoires Janjawid terrorisent les tribus nomades non arabophones. Souvent présentée comme un conflit intertribal et interethnique, cette guerre est intrinsèquement motivée par des ambitions territoriales. Il n’est pas clair que la gomme arabique est un enjeu majeur dans cette crise, mais tout porte à croire qu’elle n’y est pas étrangère. En 2007, au Darfour Sud, la tribu des Beni Halba, affiliée aux Janjawid et à laquelle appartient le vice-président de la république Al-Haj Adam Youssef, s’est approprié certaines terres gommifères par la force et avec l’accord tacite de l’État. Au Kordofan Sud, les tensions sont récurrentes pour ce qui est de l’utilisation des terres de la ceinture de la gomme (34). Ces différends ne se sont guère résorbés et sont au cœur des disputes frontalières entre les deux Soudan depuis l’indépendance de la partie sud en 2011. En effet, la région offre un attrait économique incontournable pour le gouvernement d’Al-Bachir qui ne ménage aucun effort pour tenter de maintenir le contrôle de la région, la gomme arabique étant, contrairement aux exportations pétrolières, exemptée des sanctions économiques qui pèsent sur l’État soudanais (35).

La production a augmenté de manière significative en 2010 et en 2011 et de manière exponentielle à partir de 2012. Il semble donc que la fin du monopole ait rendu possible cette augmentation de la production. Cela concorde aussi avec la sécession du Soudan du Sud qui a entraîné de lourdes pertes de revenus pétroliers, cette ressource se retrouvant maintenant surtout dans la partie sud. Selon un rapport de la banque africaine du développement, une baisse de près de 75 % des revenus aurait été essuyée par Khartoum. Les principales importations soudanaises sont de denrées comestibles essentielles et de produits manufacturés. L’économie soudanaise est orientée vers une économie d’exportation de matières premières pour l’obtention de dollars et le pays est dépendant de l’extérieur en ce qui concerne sa sécurité alimentaire. La sécession avec le Soudan du Sud a engendré de lourdes pertes de revenus pétroliers qui permettaient au Soudan de se procurer non seulement les denrées alimentaires nécessaires au pays pour pouvoir subvenir aux besoins de sa population, mais aussi les médicaments de première nécessité (36). Sur le plan macroéconomique, la dette est également un autre facteur d’importance considérable étant donné que l’exportation de gomme arabique est une source de dollars américains qui pourrait servir pour le paiement de ces dettes.

Arrivée de la gomme chez les consommateurs

La gomme arabique est très peu consommée au Soudan, mis à part pour des usages médicinaux d’une portée assez limitée, mais qui pourraient éventuellement être exploités. Ces usages médicinaux subsistent toujours en Afrique et certaines de ses propriétés médicinales sont encore étudiées aujourd’hui, entre autres, comme traitement préventif contre le paludisme (37) ou les maladies gastro-entérines. Il serait possible, selon Phillipe Vialatte de la firme d’importation française Nexira, que le prix de la gomme arabique augmente s’il peut entrer sur le marché des produits naturels comme source de probiotique ou de fibres. Il est estimé que si les propriétés médicinales de la gomme arabique venaient à être reconnues, le prix pourrait passer de 2 à 100 dollars le kilo. Cela permettrait au Soudan de se remettre des pertes de revenus pétroliers entraînés par la sécession du Soudan du Sud (38) (39).

Toutefois, la production de gomme arabique reste pour le moment une culture d’exportation. Selon un document de l’ambassade de France au Soudan, daté de 2015, qui résume les échanges entre les deux pays, la France a importé 17 % de la gomme arabique soudanaise. De manière plus globale, les échanges avec le Soudan ont atteint 116 millions de dollars américains. Enfin, en 2015, la France fut la 6e cliente et la 20e fournisseuse du Soudan (40). De toute la gomme arabique qui arriverait en France, 67 % serait réexportée vers des pays de l’Union européenne, les États-Unis et la Chine. Les données disponibles nous montrent que la France serait en quelque sorte, comme aux débuts de l’industrialisation, un point de transit pour la gomme (et ce, en dépit des sanctions américaines) où elle est mélangée aux gommes du Tchad, du Nigeria et perdrait la tare de puiser son origine dans les régions turbulentes de la nation africaine honnie.

La gomme achetée par les intermédiaires européens (qui constitue un oligopole d’une vingtaine d’entreprises) est généralement de haute qualité (mention Kordofan ou Kitr) réduite en poudre ou transformée en microcapsules. Le prix moyen de revente en Europe était de 3500 euros la tonne. Cela constitue une hausse du prix de 220 % par rapport à ce que la gomme coûtait à son départ des ports africains. Le coût du transport et de douanes représente environ de 3 à 5 % du prix. Les coûts de transformation valent pour environ 5 % du prix (41) (42). Enfin, la certification du produit revient à 1 % du point de vente. Somme toute, le profit de ces intermédiaires est très important, surtout au regard du peu de transformation qu’ils effectuent. Aussi, ils ont une marge de manœuvre pour faire face à d’éventuelles fluctuations de prix, ce qui n’est pas le cas pour les producteurs au Soudan. C’est une fois acheté par des entreprises aux États-Unis par des entreprises comme TIC Gums que la gomme sous forme de microcapsules ou de poudre est utilisée dans une variété de produits.

Que ce soit aux États-Unis ou au Soudan, ce ne sont qu’une poignée d’entrepreneurs qui bénéficient du commerce de la gomme. Au Soudan, elle sert de levier à la dictature d’Al-Bachir, auquel même les États-Unis ne peuvent tourner le dos. Enfin, comble de l’ironie, la production de gomme arabique, suite à la libéralisation du marché, n’a augmenté de façon exponentielle qu’après la sécession du Soudan du Sud qui a départi le gouvernement de Khartoum de l’écrasante majorité de ses revenus pétroliers. Il semble donc que la situation ait été tout à fait dans le sens des intérêts occidentaux. Il n’est pas étonnant que les étudiants de Khartoum aient baptisé une mixture peu ragoûtante qui leur sert de nourriture quotidienne en l’honneur du président américain. Le « Bush » est constitué de pain trempé dans l’eau recyclée dans lequel les haricots ont été bouillis, ces derniers étant le mets des mieux nantis.

Enfin, ce qui est le plus intéressant dans les recherches sur les « nouvelles » vertus médicinales de la gomme, c’est que ces vertus ne sont pas nouvelles. C’est l’usage traditionnel qui était réservé à la gomme arabique au Soudan avant sa découverte par les Européens et qui a été mentionné, entre autres, dans le papyrus d’Ebers, traité de médecine ancien découvert dans les bandelettes d’une momie. Paradoxalement, cet usage, bien qu’existant toujours, reste un facteur marginal dans la production de la gomme arabique. Nous nous permettons ici une analyse plutôt hétérodoxe. En effet, selon nous, les dynamiques colonialistes, capitalistes et enfin, néolibérale sont responsables d’une aliénation culturelle, économique, sociale et politique complète d’une partie importante de la population. Cette dénaturation s’effectue par l’exploitation d’un produit, considéré comme un médicament à sa source, qui est pompée comme additif d’importance secondaire en Europe et dans le reste du monde. Qui plus est, ce commerce a alimenté les dictatures de Numeiri, et plus tard d’Al-Bachir, pendant des décennies. Les structures d’exportation héritées du commerce triangulaire ont également enrichi les élites qui détiennent les oligopoles de la gomme, de façon importante au Soudan et surtout en France. L’aliénation aura affecté les structures économiques et politiques pour rendre la population soudanaise affamée, assoiffée, dépendante de cette ressource, surtout après la sécession du Soudan du Sud, ultimement une conséquence du découpage colonial de la Grande-Bretagne et l’interventionnisme européen qui n’a jamais cessé. Enfin, il semble que la solution serait la « décontextualisation » de la production de la gomme et un retour aux sources quant à son utilisation par les sociétés qui l’ont toujours produite et qui, vraisemblablement, en seront toujours les seuls producteurs. Ainsi, pourront-ils prendre en main leur propre destin (43) (44).

(1) Le Larousse définit un exsudat comme le « Suc perlant à la surface d’une feuille, d’une tige, chez certaines plantes. »

(2) Beshai, A. A. (1984). The Economics of a Primary Commodity : Gum Arabic. Oxford Bulletin of Economics and Statistics, 371-381.

(3) Rahim, A. H., Ierland, E. C., & Wesseler, J. (2007). Economic incencitives for abandooning or expanding gum arabic production in Sudan. Forest policy and Economics, 36-47.

(4) Raheem, S. E. (2003). Impact of Domestic Support Provisions of World Trade Organization on Sudan Exports of Gum Arabic. University of Khartoum: Department of Agricultural Economics, Faculty of Agriculture.

(5) Ibrahim, M. O. (2008). Assesment of Gum Arabic Marketing System in Main Auction Markets of North Kordofan State-Sudan. Khartoum : University of Khartoum.

(6) Obeid, M., & Din, S. E. (1970). Ecological Studies of the Vegetation of the Sudan. I. Acacia senegal (L") Willd. and its Natural Regeneration. Journal of Applied Ecology, 507-518.

(7) Carpenter, S., Rigaud, M., Barile, M., Priest, T. J., Perez, L., & Frguson, J. B. (1998). An interlinear Transliteration and English Translation of Portions of The Ebers Papyrus. New York : Bard College, Annandale-on-Hudson.

(8) lbid no 1

(9) Webb, J. L. (1985). The Trade in Gum Arabic; Prelude to French Conquest in Senegal. The Jouranl of African History, 149-168.

(10) Webb, J. L. (1997). The mid-eighteenth century gum Arabic trade and the British conquest of Saint-Louis du Senegal, 1758. The Journal of Imperial and Commonwealth History, 37-58.

(11) lbid no 9

(12) Désiré-Vuillemin, G. (1962). Essai sur le Gommier et le commerce de la gomme dans les escales du Sénégal. Dakar : Clairafrique.

(13) Soghayroun, I. S. (2010). Trade and Wadis System(s) in Muslim Sudan. Kampala : Fountain Publishers.

(14) lbid no 5

(15) lbid no 4

(16) Chevalier, A. (1924). Sur la production de la Gomme arabique en Afrique occidentale française. Revue de botanique appliquée et d’agriculture coloniale, 256-263.

(17) Mahmud, T. E. (2004). The Adequacy of price incencitive on production, processing and marketing of gum Arabic in Sudan: A case study of Noth and West Kordofan. Germany: University of Dresden.

(18) Taha, M. E., & Pretzsch, J. (1999). The socioeconomic role of Acacia senegal in sustainable development of rural area in gum belt of Sudan. Germany: University of Dresden.

(19) lbid no 4

(20) Sharawi, H. A. (1987). Acacia senegal in Western Sudan: A cost benefits analysis. Grande-Bretagne : University of Wales.

(21) Food and Agriculture Organization of the United Nations. (2006). Fertilizer use by crop. Rome: FAO. Récupéré sur ftp://ftp.fao.org/agl/agll/docs/fertusesudan.pdf

(22) lbid no 1

(23) Allen, E. (2014). Gum Arabic via a Canadian Trading Company for coating of Rhizobtum inoculants on Legume seeds.

(24) lbid no 2

(25) lbid no 3

(26) Yasseen, G., Ahmed, M., & Salih, A. (2014). Comparative analysis of Gum Arabic performance before and after removal of Gum Arabic Company concession. International Journal of Environment & Water, 131-137.

(27) Marrison, S., & Cooke, J. (2002). Sudan's oil sector. Washington D.C. : Center for Strategic and International Studies (CSIS).

(28) Couteaudier, T. Y. (2007). Export Marketing of Sudanese gum Arabic. Khartoum : World Bank.

(29) lbid no 4

(30) lbid no 25

(31) lbid no 22

(32) Central Bank of Sudan. (2013). 53 rd Annual Report 2013. Khartoum : Central Bank of Sudan.

(33) Sudan Human Security Baseline Assessment. (2012). The Conflict in Blue Nile. Genève : Small Arms Survey.

(34) Siddiq, E.-F. A., El-Harizi, K., & Prato, B. (2007). Managing Conflict Over Natural Resources in Greater Kordofan, Sudan. Washington DC : International Food Policy Research Institute.

(35) Prendergast, J., Ismail, O., & Kumar, A. (2013). The Economics of Ethnic Cleansing in Darfur. Washington DC : Enough Satellite Sentinel Project.

(36) AFP Khartoum. (2012, février 26). Lost oil billions leave Sudan’s economy reeling. Récupéré sur Al Arabiya News : https://www.alarabiya.net/articles/2012/02/26/197021.html

(37)  Ballal, A., Bobbala, D., Qadri, S. M., Foller, M., Kempe, D., Nasir, O.,... Lang, F. (2011). Anti-malarial effect of gum arabic. Malaria Journal, 139-146.

(38) Martelli, S. (2011, novembre 25). Gum arabic potential cure for Sudanese ills. Récupéré sur Phys.org : http://phys.org/news/2011-11-gum-arabic-potential-sudanese-ills.html

(39) African development Bank Group. (2012). Sudan. African Economic Outlook. Récupéré sur http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/Sudan%...

(40) Service économique, Ambassade de France au Soudan. (2016). Les échanges commerciaux entre la France et le Soudan. Khartoum : République française.

(41) Muller, D., & Okoro, C. (2004). Production and Marketing of gum arabic. International Trade Center (ITC): FAO, Network for Natural Gums and Resins in Africa (NGARA).

(42) Asmar, C. D., & Riccioli, F. (2011). Analyse des potentialités de la commercialisation de la gomme arabique (Acacia senegal) sur les marchés italiens et européens. Journal of Agriculture and Environment for International Development - JAEID, 3-24.

(43) Munif, Y. (2015). The Geography of Bread and the Invisible Revolution. Emerson College, Boston : À paraître.

(44) Deleuze, G., & Guatteri, F. (1972). Capitalisme et schizophrénie. Paris : Editions de Minuit.

 

 

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