Déconnexion : les médias d'information de masse et la construction de la rhétorique verte

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Déconnexion : les médias d'information de masse et la construction de la rhétorique verte
Analyses
| par Anonyme |

« Loi de Murphy : Si tout semble bien marcher, vous avez forcément négligé quelque chose. » – Edward A. Murphy, repris dans Nous les Dieux de Bernard Werber

Cet article a été publié dans le recueil (in)visibilités médiatiques de L'Esprit libre. Il est disponible sur notre boutique en ligne ou dans plusieurs librairies indépendantes.

Les enjeux environnementaux sont aujourd'hui un dossier prioritaire au cœur de nombreuses discussions politiques et économiques. Pourtant, l'ensemble de ces débats, plutôt que de proposer une critique radicale du système néolibéral et du spécisme actuels, portent sur l'intégration des problématiques environnementales dans l'économie de marché. C'est là le mythe de la croissance verte qui veut que le développement toujours grandissant d'initiatives et d'innovations minimisant les externalités négatives parvienne à régler les problèmes causés par l'espèce humaine dans son écosystème. De surcroît, ce discours a été normalisé par les médias d'information de masse, au détriment d'une réelle pensée écologique, marginalisée, car proposant des alternatives aux schémas de pensée actuels quant à notre rapport à la nature. À travers un regard sur deux cas types de la télévision de Radio-Canada et du Journal de Montréal, la proposition de cet article est de réfléchir à la place que prennent les médias d'information de masse dans la normalisation du discours politique. Il s'agit également de prendre un certain recul sur notre rapport à l'environnement, à la fois en tant qu'individu et comme société, pour voir comment s'y intègre ce que nous faisons à l'heure actuelle. 

La croissance verte, mythe ou réalité?

Extractivisme, écosocialisme, décroissance conviviale, ces expressions vous disent quelque chose[i]? De plus en plus présents dans les milieux politiques et économiques de gauche, notamment parmi les groupes critiques du modèle néolibéral actuel, ce sont des termes à connaître et à cogiter pour qui souhaite développer un système de pensée en harmonie avec l'environnement. Or, ce dont on parle ces jours-ci dans les médias d'information de masse et au sein des gouvernements, c'est plutôt de développement durable, de croissance verte, qui ne sont que des façons de conceptualiser les enjeux environnementaux de façon à les intégrer au système économique actuel[ii]. Quand on connaît la nature de plus en plus problématique de ces enjeux, ne devient-il pourtant pas plus important d'entretenir une réflexion critique sur notre conception de la nature et de la place qu'y occupe l'espèce humaine? Peut-on réellement conjuguer enjeux économiques et environnementaux sans modifier radicalement nos comportements?

Il n'existe certainement pas de réponse facile à ces questions, pour la simple raison qu'approcher les problématiques environnementales de manière plus radicale suppose de laisser de côté les habitudes de confort dans lesquelles nous évoluons depuis plusieurs décennies et qui affectent tant le monde occidental, maître à penser de la société moderne, que les États de l'Est et du Sud, souvent subjugués de manière insidieuse aux premiers. À titre d'exemple, même si l'ensemble de la communauté scientifique et une part importante du monde politique s'entendent pour dire que les problèmes climatiques sont une priorité en ce début de XXIe siècle, nous tardons, en tant que société, à modifier nos pratiques de consommation pour diminuer notre empreinte carbone et avoir un impact effectif sur ces dérèglements[iii],[iv]. Une pensée magique s'est installée à travers laquelle nous en sommes venus-es à croire que tous ces problèmes se régleraient automatiquement en dirigeant le marché dans la bonne direction. Des subventions sont accordées aux entreprises qui appliquent des mesures destinées à « protéger l'environnement » alors qu'elles comptent souvent  parmi les plus polluantes, comme Air Canada ou de nombreuses pétrolières[v]. De nouveaux concepts d'objets « écologiques » se retrouvent sur nos tablettes, nous recyclons et nous compostons de manière inefficace (à titre d'exemple, 15% de ce que l'on met dans nos bacs de recyclage n'a pas à y être, et seulement 23 à 35% du verre est effectivement recyclé dans les centres de tri)[vi],[vii], à travers un système de gestion des déchets en constant développement sans que l'on diminue pour autant notre consommation[viii],[ix]. Et de fait, cette surconsommation amène avec elle son lot de problèmes, à savoir une augmentation des déchets domestiques et industriels, de même que des contraintes pour la récupération des objets électroniques ou nanotechnologiques[x],[xi],[xii]. Or, ces phénomènes sont plutôt traités comme des promesses d'avenir nous entraînant loin d'une réflexion effective sur leurs impacts, comme si la consommation à outrance ne pouvait être que bénéfique.

Pour autant qu'une bonne intention guide la mise en place de ces pratiques, de plus en plus de scientifiques, militants-es et regroupements considèrent qu'il s'agit d'un effort insuffisant pour pallier aux problèmes environnementaux. Notamment, ces mesures ne sont pas assez contraignantes, principalement en ce qui concerne les entreprises les plus polluantes. On n'a qu'à penser au cas du projet de cimenterie McInnis à Port-Daniel en Gaspésie, ou encore plus largement à tout le dossier entourant le pipeline Énergie Est de TransCanada[xiii],[xiv]. Par ailleurs, si les différents paliers de gouvernement au Canada se targuent de vouloir lutter contre les changements climatiques et s'attarder à la protection des écosystèmes, on constate la présence nette d'un double discours qui souhaite surtout arrimer ces préoccupations à la croissance économique du pays et des provinces.

Ce phénomène est apparent quand on entend Philippe Couillard se faire le chantre vert du Québec dans le dossier des forages pétroliers sur Anticosti, tout en proposant un projet de loi qui favorise l'exploitation des hydrocarbures sur le territoire québécois[xv],[xvi]. C'est aussi le même gouvernement qui met en place un plan de mise en valeur de l'exploitation des ressources naturelles du Nord québécois sous le prétexte du développement durable, et qui a octroyé des subventions douteuses dans le cadre du programme du Fonds vert du Québec[xvii],[xviii]. Or, ces projets d'exploitation n'en sont pas moins finis et ne seront certainement pas durables pour les populations locales. On a déjà de nombreux exemples au Québec, que ce soit en Abitibi-Témiscamingue, sur la Côte-Nord, en Gaspésie et, plus largement, tout le Nord québécois où ces projets ont plutôt été des sources de problèmes socio-économiques. On promet des emplois et une prospérité pour les populations concernées, mais c'est plutôt le contraire qui arrive finalement, et ceux et celles qui s'y opposent ont souvent l'impression de n'avoir aucun pouvoir[xix],[xx]. Et c'est le cas particulièrement pour les communautés autochtones qui, malgré tous les traités existants, se trouvent généralement contraintes à collaborer sans véritables compensations et à travers les filtres d'une discrimination systémique. Ainsi, nous assistons à une certaine forme de rhétorique verte, ou croissance verte, qui cherche principalement à valoriser le développement du marché, plutôt qu'à exécuter des efforts réels et concertés de protection de l'environnement et des populations concernées.

Toutefois, cette rhétorique verte n'aurait pas tout son poids si elle n'avait été gobée par les médias d'information de masse. Sans critiquer le travail des journalistes, qui nous semblent faire un travail exemplaire de description et de critique dans un contexte où très peu sont des spécialistes de l'environnement, c'est plutôt le discours médiatique rapporté au public dans son ensemble qui est problématique. Toutefois, avant de voir pourquoi, il importe de se questionner sur le rôle général des médias d'information dans la société.

Le rôle des médias d'information de masse

Tout d'abord, il convient de noter que le présent texte porte essentiellement sur les médias d'information de masse que sont les entreprises de presse écrite, de radio et de télécommunications. S'il est vrai que le monde numérique, et particulièrement les médias sociaux, prend une place de plus en plus importante dans la façon dont nous nous informons, il n'en constitue pas encore le cœur de la pensée sociopolitique. Pour la grande majorité de la population, cela passe encore par les médias de masse, lesquels contribuent par ailleurs à forger le cadre de la société dans laquelle nous vivons. Leur plus importante particularité est certainement de pouvoir véhiculer un discours à un grand nombre de personnes simultanément.

Quand on pense aux médias de masse, l'essentiel de leur développement s'est fait dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale, surtout à des fins de propagande nationale. Le rôle de ces médias a-t-il changé depuis? On peut en douter, même si le vocable de propagande a été mis de côté. Cette vision propagandiste permet toutefois de considérer un côté du prisme que sont les médias d'information, soit tout l'univers des relations publiques[xxi]. Une expression à la mode les consacre comme la courroie de transmission du pouvoir. Toutefois, les médias d'information ont évolué considérablement au cours des 75 dernières années et ils sont aujourd'hui appelés à jouer de multiples rôles. Certains-es diront plutôt qu'ils sont là pour dépolitiser la société, en forgeant un cadre social qui soit uniforme pour tout le monde[xxii]. On peut aussi se rappeler les propos de Patrick Le Lay, ex-PDG de TF1, lequel a affirmé sur les ondes de sa propre station que les médias sont là essentiellement « pour vendre du temps de cerveau humain disponible » aux publicitaires et entreprises de ce monde[xxiii]. Cela passe pour beaucoup par la fixation de l'audience devant son médium d'information de masse préféré à travers un équilibre entre information et divertissement. C'est-à-dire que le public n'est pas appelé à critiquer en profondeur ce qu'il reçoit, mais plutôt à l'absorber dans un système qui soit le plus agréable pour lui.

Toutefois, un autre mouvement voit plutôt dans les médias le quatrième pouvoir[xxiv]. Ainsi, les médias se situeraient plutôt dans le monde des possibles en termes de discours allant à l'encontre de la pensée dominante. Particulièrement présente chez les médias indépendants et alternatifs, cette approche se traduit surtout par une volonté d'amener une réflexion critique des enjeux sociaux, politiques, économiques ou scientifiques. Elle suppose donc d'amener l'audience à s'interroger sur le monde qu'elle souhaite voir se mettre en place et aussi à faire preuve de réflexivité afin de se questionner sur ses propres comportements et idéaux. Loin d'aller dans le divertissement et la facilité, les médias nous feraient plutôt sortir de notre confort, que ce soit en nous défiant intellectuellement ou pratiquement.

Et c'est peut-être là le principal défi des médias d'information, celui de tendre encore davantage vers ce rôle de quatrième pouvoir. Plutôt que de fixer les gens devant leurs écrans de télévision ou leur ordinateur, pourquoi ne pas plutôt les inciter à l'action, à l'introspection et à la réflexion? Plusieurs facteurs peuvent l'expliquer, que ce soit les modèles d'affaire des médias, et particulièrement des médias de masse, qui dépendent d'une certaine façon de l'importance de leur audience ou de leur lectorat en termes de nombre[xxv]. Ils ont donc tout intérêt à tendre vers le divertissement, la légèreté, et surtout à ne pas vouloir trop heurter la sensibilité et le confort du public. Le phénomène est particulièrement frappant au Québec, si l'on considère que les médias réussissant le mieux financièrement sont ceux qui font le plus dans la légèreté. De l'autre côté du spectre, les médias incitant davantage à la réflexion éprouvent d'importantes difficultés financières. Et il existe également un déséquilibre en termes de type de média d'information de masse : si la télévision connaît un succès certain, il n'en va pas de même pour la presse écrite. Et de fait, l'image qui vient de pair avec la télévision apporte un élément de divertissement important que ne peut se permettre la presse écrite. Or, c'est précisément le fait que l'image prenne une telle place au détriment du contenu qui fait que les médias d'information ont du mal à assumer leur rôle de quatrième pouvoir. L'important n'est pas tant d'informer la population que de la raccrocher à notre média.

La couverture des médias d'information de masse sur les enjeux environnementaux

Rappelons que notre objectif est de voir comment et pourquoi les médias d'information de masse contribuent à la normalisation de la rhétorique de la croissance verte en tant que pensée dominante autour des enjeux environnementaux, en prenant pour cas le Québec. Il ne s'agit donc pas de démontrer que les discours environnementaux plus radicaux ne sont pas présents dans les médias, ce qui serait impossible par ailleurs étant donné l'étendue de la couverture médiatique. La démarche analytique préconisée suppose plutôt de réfléchir à cette normalisation du discours environnemental à travers deux cas types, soit l'émission La Semaine verte d'ICI Radio-Canada Télé et la section « Environnement » du Journal de Montréal.

La Semaine verte à ICI Radio-Canada Télé est-elle verte?

Depuis 1970, alors qu'elle était diffusée sur la Première chaîne de Radio-Canada, La Semaine verte propose à son public différents reportages touchant à l'agriculture, la foresterie, les pêches, l'écologie et l'environnement. En date de 2014, l'émission rejoignait un auditoire de près de 600 000 personnes par semaine, un nombre considérable pour la télévision québécoise[xxvi],[xxvii].

Si les récentes saisons de l'émission ont intégré encore davantage les problématiques environnementales dans le contenu des reportages, on peut se demander à quoi est destinée cette sensibilisation. En effet, on constate que nombre de reportages de l'émission ne critiquent que très peu le modèle extractiviste d'exploitation des ressources naturelles ou encore l'agriculture et l'élevage industriel. La mission d'un média d'information est certes de proposer une diversité de contenu et de points de vue, encore faut-il que les concepts soient adéquatement appliqués. Et qu'une émission qui se dit sensible à l'environnement le démontre réellement. Pour se diriger dans cette voie, il s'agit non seulement d'inclure davantage de reportages sur des phénomènes comme l'agriculture biologique ou les modes alimentaires alternatives, sujets marginaux à l'émission par ailleurs, mais aussi de faire preuve de réflexivité quant aux contenus dont la vocation n'est pas strictement environnementale. Certes, la vocation de l'émission n'est certainement pas centrée uniquement sur cet aspect, d'où l'importance de bien réfléchir à l'articulation que l'on souhaite développer quand on a affaire à des enjeux, économiques et environnementaux dans ce cas-ci, dont on constate de plus en plus l'incompatibilité.

Toutefois, il y a bien sûr la question du public de cette émission à prendre en compte. Initialement destinée au milieu agricole, puis au milieu des ressources naturelles, il y a fort à parier que ceux-ci se trouvent toujours au cœur des réflexions quant à la direction que l'équipe de La Semaine verte donne à ses reportages. On peut donc se demander s'il y a des sensibilités auxquelles elle préfère ne pas se heurter. Finalement, si le but d'ajouter une vocation environnementale de plus en plus importante à l'émission est de diriger graduellement son public vers une réflexion critique de plus en plus approfondie, l'objectif est certes louable. Or, ce que l'on constate aujourd'hui, c'est plutôt une normalisation de ce discours au sein des modes actuelles d'exploitation de la nature et du territoire. Une piste pour tendre vers cette réflexion critique serait d'inclure davantage les points de vue radicaux, notamment les modèles agroalimentaires alternatifs, les écovillages et les systèmes de décroissance conviviale[xxviii],[xxix],[xxx].

De quoi traite la section « Environnement » du Journal de Montréal?

Quotidien le plus lu à Montréal, le Journal de Montréal est un vecteur important du discours médiatique actuel sur nombre de sujets. Souvent critiqué pour la faible qualité de ses articles, pour le sensationnalisme qu'il diffuse ou encore pour son niveau insuffisant de recherche, il dispose tout de même d'une quantité importante de ressources pour mener un travail critique sur nombre d'enjeux, et surtout, il donne la parole à de nombreux regroupements, autant de gauche que de droite. Ce dont il sera question ici concerne strictement la section « Environnement » du journal, donc les articles qui y sont publiés[xxxi].

Mentionnons d'emblée la place que prend cette section sur le site web du Journal de Montréal. Alors que les sports, les spectacles, les voyages ou les opinions sont très en vue, l'environnement se retrouve en sous-thème de l'onglet « Actualités ». Et même dans la version papier, plusieurs noteront la disproportion entre le nombre de pages consacrées à la section sportive et celles dédiées aux différents thèmes de l'actualité. À l'intérieur de la section, un premier coup d'œil permet de voir que la grande majorité des articles sont reliés à la météo. En effet, la page d'accueil « environnementale » du site du journal, entrecoupée de publicités, comprenait en date du 19 octobre 2016 treize articles sur vingt consacrés à l'actualité météorologique, principalement l'ouragan Matthew. Si ce dernier cause un biais certain, il est tout de même préoccupant de voir une telle couverture. On pourrait argumenter que les dérèglements climatiques actuels favorisent l'apparition de phénomènes météorologiques extrêmes, on pourrait argumenter que ces enjeux sont importants pour la population québécoise, cela n'en demeure pas moins problématique. Car plutôt que de confronter nos perceptions des enjeux environnementaux, ce type de couverture tend plutôt à les conforter en les assimilant à des choses auxquelles nous accordions déjà de l'importance, contribuant ainsi à un immobilisme de notre pensée. Et quand cela porte sur des sujets plus directement reliés aux enjeux environnementaux que la météo, par exemple les résultats des audiences du BAPE concernant la minière Canadian Malartic, le tout est traité de façon apolitique, comme si le devoir du journaliste se résumait à énoncer une situation[xxxii]. Et c'est d'ailleurs un phénomène que l'on retrouve un peu partout dans l'univers médiatique. Ainsi, la situation du Journal de Montréal reflète bien un des aspects de la crise médiatique dans laquelle on se trouve aujourd'hui : plutôt que de proposer une diversité de sujets et de points de vue alternatifs, la couverture médiatique proposée est tournée vers la confortation et l'apolitisation du discours social en général, et sur l'environnement en particulier.

Quelles avenues pour décoloniser le discours médiatique et politique en matière d'environnement?

Les exemples mentionnés ci-dessus ne constituent que deux illustrations d'une normalisation des enjeux environnementaux autour de la rhétorique de la croissance verte, deux exemples parmi les plus marquants. Et pourtant, il existe de nombreux exemples qui, au contraire et au sein même de cette sphère médiatique, tendent à décoloniser nos esprits en la matière. On peut penser par exemple aux Années lumières sur ICI Première, qui laisse une place à la communication scientifique de points de vue alternatifs et radicaux en termes d'écologie, de climat ou d'utilisation des ressources naturelles[xxxiii]. Sans nécessairement y entendre une considération de ces enjeux sous une forme politique plus assumée, il s'agit déjà d'un point de départ intéressant.

Une prise de position plus assumée en la matière est peut-être la prochaine étape à franchir pour faire contrepoids au discours apolitique ambiant. Cette prise de position est déjà en train de se faire chez certains médias : on peut penser aux indépendants, comme Le Devoir, ou aux autres formats alternatifs un peu moins connus (L'Esprit libre, Ricochet, À Bâbord, Relations, Nouveau Projet, Liberté, Milieux, Raisons sociales, Les Alter Citoyens, CIBL, CKUT, pour n'en nommer que quelques-uns – vous êtes bien sûr invités-es à découvrir ce qui se fait dans votre région en la matière). Il existe également des regroupements spécialisés, comme Gaïa Presse ou ÉcoQuébec.info, qui proposent des réflexions intéressantes et radicales en termes d'actualité environnementale.

Le pas reste toutefois encore à faire pour de nombreuses entreprises faisant dans l'information de masse. Or, ces dernières composent toujours le cœur du discours médiatique québécois alors qu'environ 93% des parts de marché, pour la presse écrite francophone au Québec, étaient détenues en 2015 par Gesca (51%), Québecor (32%) et TC Media (10%)[xxxiv]. Cela est inversement proportionnel au poids média sur les sujets environnementaux à l'échelle du Canada, alors que le principal acteur en ce sens au Québec est Le Devoir avec 3%, comparativement à moins de 2% pour les autres médias écrits[xxxv]. Concernant la télévision, ce sont 77% des parts de marché qui sont détenues par Québecor, suivi par Radio-Canada, et pour la radio, Cogeco et Bell Média dominent avec respectivement 54% et 22% des parts à l'échelle du Québec francophone. Bref, on constate une homogénéisation du paysage médiatique québécois, et à moins d'une sérieuse introspection de la population du Québec ou d'une percée des médias plus marginaux, la situation va perdurer pour la raison que ces grands médias ont réussi à créer un cercle vicieux à travers duquel la population se trouve confortée dans sa vision politique malgré des situations de crise de plus en plus importantes, notamment en matière environnementale.

En retour, il est clair que les entreprises médiatiques ne chercheront pas à briser les paradigmes, sans quoi elles heurteraient la sensibilité de leur auditoire et seraient vouées à l'échec. De plus, on peut parier que ces entreprises suivent des objectifs politiques et économiques précis, et ainsi vont chercher à guider leur auditoire vers certains points de vue, certains phénomènes qui seront moins dangereux à la poursuite de ces objectifs. Elles chercheront également à être le plus complaisantes possible envers les normes sociales et politiques acceptées pour ne pas être mises à l'écart du champ médiatique. Il s'en suit une banalisation du discours politique et une intégration des problématiques environnementales à un système avec lequel elles sont incompatibles. Cette rhétorique verte est ensuite offerte aux auditoires des différents médias d'information de masse à travers des filtres précis visant à satisfaire une certaine demande pour les enjeux environnementaux, mais sans brusquer le système en place. Et bien sûr, en raison de cette philosophie plutôt conservatrice, les alternatives qui pourraient peut-être un jour nous sauver la vie sont marginalisées ou mises de côté, n'étant finalement considérées que par une poignée d'initiés-es. Il apparaît de plus en plus nécessaire de mettre à l’œuvre une prise de conscience collective quant au rôle que nous voulons accorder aux médias ainsi qu'à notre rapport à l'environnement.

 

[i]           Abraham, Yves-Marie et David Murray (eds). 2015. Creuser jusqu'où? Extractivisme et limites de la croissance. Montréal : Écosociété.

[ii]          Rotillon, Gilles. 2011. « Qui veut vraiment du développement durable? ». Dans Abraham, Yves-Marie, Louis Marion et Hervé Philippe (dirs.) Décroissance versus développement durable. Montréal : Écosociété.

[iii]         Platts, Ellen et Claire Sabel. 2016. « Collaborating with scientists for climate justice ». openDemocracy, 21 septembre 2016, https://www.opendemocracy.net/openglobalrights/ellen-platts-claire-sabel...

[iv]         Bolstad, Erika. 2016. « Obama Demands That Security Agencies Consider Climate Change ». Scientific American, 22 septembre 2016, https://www.scientificamerican.com/article/obama-demands-that-security-a...

[v]          Schepper, Bertrand. 2016. « Le Fonds vert au service des pollueurs ». Institut de recherche et d'informations socioéconomiques, 22 février 2016, http://iris-recherche.qc.ca/blogue/le-fonds-vert-au-service-des-pollueurs

[vi]         Guénette, Jean. 2016. Recyclage : La grande illusion. Productions Gaspa Vidéo II inc.

[vii]        Syndicat des Métallos. 2016. « Recyclage des bouteilles de vin et autres contenants en verre - Québec sur le point de céder à l'immobilisme de la SAQ ». Communiqué de presse, 18 octobre 2016, http://www.newswire.ca/fr/news-releases/recyclage-des-bouteilles-de-vin-...

[viii]       Ministère du Développement durable, de l'environnement et de la lutte contre les changements climatiques (MDEEELCC). 2016. « Fonds vert », http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/ministere/fonds-vert/

[ix]         Équiterre. 2016. « Gaspillage alimentaire : Non merci! », http://www.equiterre.org/geste/gaspillage-alimentaire-non-merci

[x]          Gobeil, Mathieu. 2016. « Où produit-on le plus de déchets? La réponse en carte ». ICI Radio-Canada, 3 juin 2016, http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/international/2016/06/03/003-dechet...

[xi]         Bihouix, Philippe. 2015. « Les low tech, la seule alternative crédible ». Dans Abraham, Yves-Marie et David Murray (eds). 2015. Creuser jusqu'où? Extractivisme et limites de la croissance. Montréal : Écosociété, 284-388.

[xii]        Borde, Valérie. 2008. « La grande illusion du recyclage ». L'Actualité, 19 août 2008, http://www.lactualite.com/sante-et-science/la-grande-illusion-du-recyclage/

[xiii]       Communiqué de presse. 2016. « Ciment McInnis : Des citoyens occupent la Caisse de dépôt et placement ». Le Havre, 24 août 2016, http://www.journallehavre.ca/actualites/2016/8/24/ciment-mcinnis--des-ci...

[xiv]       Shields, Alexandre. 2016. « TransCanada a commencé ses relevés sismiques dans le Saint-Laurent ». Le Devoir, 21 septembre 2016, http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/480...

[xv]        Shields, Alexandre. 2016. « Anticosti : un premier site de forage est prêt ». Le Devoir, 30 septembre 2016, http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/481...

[xvi]       Shields, Alexandre. 2016. « Après six ans de débats, une loi ». Le Devoir, 20 août 2016, http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/478...

[xvii]      Schepper, Bertrand. 2015. « Le nouveau Plan Nord ne transforme pas grand-chose ». Institut de recherche et d'informations socioéconomiques, 21 avril 2015, http://iris-recherche.qc.ca/blogue/le-nouveau-plan-nord-ne-transforme-pa...

[xviii]     Lecavalier, Charles. 2016. « L'argent du Fonds vert gaspillé ». Le Journal de Québec, 14 janvier 2016, http://www.journaldequebec.com/2016/01/13/largent-du-fonds-vert-gaspilles

[xix]       Deshaies, Thomas. 2016. « L'impression que les citoyens n'ont aucun pouvoir ». L'Écho Abitibien et Le Citoyen, 24 octobre 2016, http://www.lechoabitibien.ca/actualites/politique/2016/10/24/l-impressio...

[xx]        Arnaud, Aurélie. 2011. « Plan Nord – Où sont les femmes autochtones? ». Recherches amérindiennes au Québec 41 (1) – Plan Nord, éducation et droit : 81-82.

[xxi]       Herman, Edward S. et Noam Chomsky. 2008. La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie. Marseille : Agone

[xxii]      Pingaud, Denis et Bernard Poulet. 2006. « Du pouvoir des médias à l'éclatement de la scène publique ». Le Débat 1 (138) : 6-16, doi : 10.3917/deba.138.0006

[xxiii]     Tremblay-Pépin, Simon. 2013. Illusions : Petit manuel pour une critique des médias. Montréal : Lux Éditeur

[xxiv]     Gauchet, Marcel. 2006. « Contre-pouvoir, méta-pouvoir, anti-pouvoir ». Le débat 1 (138) : 17-29, doi : 10.3917/deba.138.0017

[xxv]      Bourdieu, Pierre. 1996. Sur la télévision suivi de L'emprise du journalisme. Paris : Liber

[xxvi]     La Semaine verte, saison 2016-2017. 2016. ICI radio-Canada Télé, http://ici.radio-canada.ca/tele/la-semaine-verte/2016-2017/. Consulté le 19 octobre 2016.

[xxvii]    Laprade, Yvon. 2014. « France Beaudoin animera La semaine verte ». La Terre de chez nous. 17 décembre 2014, http://www.laterre.ca/actualites/vie-rurale/france-beaudoin-animera-la-s...

[xxviii]   Greer, John-Michael. 2013. La fin de l'abondance : L'économie dans un monde post-pétrole. Montréal : Écosociété.

[xxix]     Mongeau, Serge (dir.). 2007. Objecteurs de croissance. Pour sortir de l'impasse : La décroissance. Montréal : Écosociété.

[xxx]      Ridoux, Nivolas. 2006. La décroissance pour tous. Lyon : Éditions Parangon/Vs.

[xxxi]     Le Journal de Montréal. 2016. « Environnement ». Le Journal de Montréal, http://www.journaldemontreal.com/actualite/environnement. Consulté le 19 octobre 2016.

[xxxii]    Philie, Benoît. 2016. « Le BAPE approuve l'expansion de la mine Malartic sous conditions ». Le Journal de Montréal, 13 octobre 2016, http://www.journaldemontreal.com/2016/10/13/agrandissement-de-la-mine-ca...

[xxxiii]   Les Années lumières. 2016. « Lumière réfléchie : la contradiction climatique du Canada ». Les Années lumières, ICI Première, 11 septembre 2016, http://ici.radio-canada.ca/emissions/les_annees_lumiere/2015-2016/archiv...

[xxxiv]   Giroux, Daniel. 2015. État de la concentration de la propriété des médias d'information de langue française au Québec. Québec : Centre d'études sur les médias.

[xxxv]    Influence Communication. 2016. État de la nouvelle : Bilan 2015, http://www.influencecommunication.com/sites/default/files/bilan-2015-qc.pdf

 

 

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