De près, personne n’est normal. Entretien avec Marcelo Otero

Société
De près, personne n’est normal. Entretien avec Marcelo Otero
Feuilletons
| par Jules Pector-Lallemand |

Ce texte est extrait du cinquième numéro du magazine de sociologie Siggi. Pour vous abonner, visitez notre boutique en ligne!

Siggi s’intéresse au parcours biographique des sociologues et s’interroge sur la place qu’il occupe dans leurs enquêtes. Pour ce cinquième numéro, nous avons rencontré Marcelo Otero, professeur et ancien directeur du Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ses travaux portent sur le malheur ordinaire et la folie.

 

Siggi : Merci de me recevoir à votre bureau. Avant de commencer l’entretien, j’aimerais savoir comment il faut vous présenter. Est-ce que « sociologue des psychopathologies » vous convient?

Marcelo Otero (MO) : Je préfère « sociologue des problèmes sociaux complexes ». La folie ne se réduit pas aux maladies mentales, au cerveau, à l’esprit dérangé. La folie implique la société. Il n’y a pas de fous ou de folles en tant que tels, seulement une situation d’interaction particulière traversée par toutes sortes de tensions : l’esprit y joue un rôle important, mais il n’est pas seul. Si l’on veut comprendre ce qu’on appelle les psychopathologies, il faut explorer leur épaisseur sociale.

 

Siggi : Entendu! Puisqu’il s’agit d’un entretien biographique, il faut remonter un peu dans le temps. Commençons par une question toute simple : qu’est-ce qui a mené le jeune Marcelo vers la sociologie?

MO : J’ai grandi en Argentine, à Buenos Aires, sous la dictature militaire. Quand je suis entré à l’université dans la seconde moitié des années 1970, les départements de sociologie avaient été fermés par le régime parce qu’il s’agissait d’un repaire à marxistes. J’ai donc fait une première formation en ingénierie électrique. Puis, j’ai commencé une seconde formation à la Faculté de philosophie. Hélas, il y avait beaucoup de livres et d’auteurs interdits. Il n’était permis de lire que des philosophes chrétiens ou de droite. Tranquillement, je me suis dirigé vers l’histoire, parce que c’était une discipline qui était moins contrôlée. On pouvait étudier les historiens britanniques de la classe ouvrière, comme Edward Thompson et Christopher Hill.

 

Siggi : Comment ça se fait?

MO : Simplement parce que les militaires au pouvoir ne savaient pas que c’étaient des marxistes! (Rires.) Quand le régime est tombé en 1983, les départements de sociologie ont rouvert. C’était une période d’ébullition. J’ai terminé ma formation en philosophie, histoire et sociologie. J’ai commencé à enseigner et j’ai pu entamer des recherches sur ce qui m’intéressait vraiment : le croisement entre la pauvreté et la folie.

J’avais deux chantiers parallèles. Le premier était celui des asiles, où j’ai travaillé comme bénévole. Ça n’avait rien à voir avec les hôpitaux psychiatriques qu’on retrouve au Canada aujourd’hui. C’étaient de vieux bâtiments du XIXe siècle et, pour s’y rendre, il fallait habituellement traverser un immense parc. Quand on franchissait les portes de l’enceinte pour rejoindre la bâtisse, tout le monde nous suivait, comme une meute. C’était une expérience très impressionnante. Avec des collègues, on avait commencé à y recueillir des histoires de vie. On voyait comment le mental pathologique et le social problématique sont noués. On nous racontait des vies extrêmement difficiles, où la pauvreté, les problèmes familiaux et les maladies mentales étaient tellement tissés serrés que ça n’avait aucun sens de tenter de les séparer.

Le deuxième chantier était celui des bidonvilles. On y allait pour rencontrer des gens et on les écoutait nous raconter leur histoire. On découvrait que les habitants et habitantes avaient parfois de graves problèmes de santé mentale, mais par dégradation, déclassement et exclusion. La principale leçon que j’ai tirée de ces enquêtes est que la sociologie ne peut pas séparer le psychisme du social. Il était cependant très difficile d’aborder les deux en même temps. D’un côté, la psychanalyse était dominante en Argentine à l’époque. C’est une discipline qui exige une clientèle typée, de classe moyenne ou petite-bourgeoise. Ses concepts se prêtent mal à la compréhension de la grande pauvreté et ses effets sur le psychisme. De l’autre côté, les sociologues des inégalités ont tendance à étudier les stratifications sociales, les classes et les discriminations en laissant complètement de côté le psychisme.

 

Siggi : Pourquoi la psychanalyse s’adresse-t-elle plus spécifiquement aux classes aisées?

MO : Freud l’a conçue dans un contexte particulier : patriarcal, hiérarchique, sexiste. Il faut un contexte inspiré du modèle de la famille bourgeoise classique pour pouvoir analyser les symptômes d’une névrose. Quand le tissu social est désagrégé, ou plutôt agrégé autrement, comme dans un bidonville, on n’a pas du tout le même cadre. Et puis l’analyse est un échange dense entre deux personnes qui ont un capital culturel commun. Bref, c’est une thérapie qui a été conçue dans la petite bourgeoisie, pour la petite bourgeoisie. Il y a une phrase de Freud qui est désolante, mais qui résume bien cela : « Le barbare n’a pas de peine à bien se porter, tandis que pour le civilisé, c’est là une lourde tâche. » Autrement dit, celui ou celle qui travaille dans une usine ou vit dans un bidonville n’a pas un psychisme digne d’être analysé. La psychanalyse est une thérapie de classe. En plus, il faut payer et ça dure des années. Je ne dis pas ça pour critiquer les gens qui font une analyse. On trouve le sens à sa vie comme on peut, que ce soit dans une religion ou une analyse. Le problème, c’est quand une telle discipline, qui se prétend subversive, se retrouve dominante dans les hôpitaux et les universités. La psychanalyse – tout comme la psychiatrie d’ailleurs – a cette fâcheuse tendance à réduire des problèmes complexes à la seule intériorité et à délester tout le reste. D’où une « sociologie des problèmes sociaux complexes », qui tente de faire l’inverse, c’est-à-dire de se plonger dans la complexe texture du réel en conservant la tension entre le social et le psychisme.

 

Siggi : Est-ce que l’on consultait un ou une analyste dans votre famille? J’ai entendu dire que c’est très commun à Buenos Aires.

MO : Je viens d’une famille de classe moyenne inférieure, personne n’avait fait d’analyse. J’en ai fait une brièvement lorsque j’étais aux études. Je voulais comprendre ce monde qui me fascinait, mais j’avais beaucoup de réticences.

Cela dit, vous avez tout à fait raison. Quand j’y habitais encore, Buenos Aires était la ville de la psychanalyse. À l’université par exemple, tant en génie qu’en sociologie, je n’ai jamais connu quelqu’un qui n’avait pas de thérapeute. Il y a de nombreux cafés où les gens se donnaient rendez-vous uniquement pour discuter de leur thérapie. Le plus connu est le café La Paz, avec une énorme terrasse au coin de deux grandes artères, et si on tendait l’oreille, on pouvait entendre « j’ai un blocage… » ou « le contre-transfert m’inquiète… ». Ça peut paraître surréaliste, mais c’était très courant. Encore aujourd’hui, si je prends le taxi pour aller à l’aéroport et que je glisse l’expression « complexe d’Œdipe », mon chauffeur va savoir de quoi il s’agit et va me relancer sur ses propres « refoulements ». Il y a une diffusion énorme de la culture psychanalytique au cinéma, dans la littérature, mais surtout au théâtre. Le théâtre argentin met souvent en scène des enjeux œdipiens classiques. Même dans les kiosques de journaux, à côté de la presse à grand tirage, on retrouvait des livres de Freud ou de Lacan.

 

Siggi : Comment êtes-vous atterri à Montréal dans les années 1990?

MO : C’est un concours de circonstances. Je voulais m’établir quelque part en Amérique du Nord. J’avais un ami qui habitait à Montréal et j’ai vu passer un projet de recherche sur « les orphelins de Duplessis » qui rejoignait mes préoccupations.

 

Siggi : Qu’est-ce que ce thème veut dire?

MO : Jusqu’à la fin du régime de Maurice Duplessis, les asiles au Québec concentraient un ensemble d’individus dont personne ne voulait, dont on supposait la dangerosité ou dont on avait honte : pauvres, vagabond·e·s, handicapé·e·s, épileptiques, « filles-mères » (on dirait aujourd’hui « jeunes femmes monoparentales »), orphelin·e·s et, bien entendu, certaines personnes qui avaient perdu le contact avec la réalité. Ce type d’institution est intéressant parce qu’il nous indique ce qui ne fonctionne pas dans une société. Des personnes internées, ce sont des personnes que l’on ne veut pas voir, qui n’arrivent pas à fonctionner socialement selon les standards requis et qui sont perçues comme dérangeantes. Dans cet univers-là, il y a certes un petit noyau de gens qui délirent ou hallucinent, bref, qui incarnent le stéréotype du fou ou de la folle. Toutefois, la grande majorité des interné·e·s est plutôt faite d’individus qui ont des problématiques hybrides et complexes. L’enquête sur les orphelins de Duplessis m’a conduit à démarrer de multiples recherches qui consistaient à se demander : qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui avec les gens qu’on enfermait par le passé? Où sont-ils? Que font-ils? Comment les traite-t-on? Ce sont ces mêmes questions qui ont continué de m’habiter jusqu’à la publication des Fous dans la cité[1].

Bref, de recherche en recherche, j’ai adoré la vie à Montréal et j’ai eu la chance de décrocher un poste de professeur à l’UQAM.

 

Siggi : Une fois installé au Québec, vous avez commencé à vous pencher sur l’influence de la psychologie dans le traitement des problèmes sociaux, n’est-ce pas?

MO : Oui. Les psychologues sont aujourd’hui autorisés de facto à intervenir sur tous les problèmes. Qu’on discute de racisme, de pauvreté, de tueries de masse, de sexualité ou de souffrance au travail, on aborde toutes ces questions en termes psychologiques. Pour leur part, les approches sociologiques battent en retraite, car elles ont du mal à faire de la place au psychisme dans leurs analyses. C’est pourtant essentiel de le faire si on veut rejoindre de manière efficace les préoccupations des gens qui se tournent vers le codage massif de tout problème avec le lexique de la psychiatrie.

 

Siggi : C’est une des choses les plus intéressantes dans vos travaux : au lieu de prétendre que les gens se trompent et que leurs problèmes mentaux sont en réalité des problèmes découlant de conflits sociaux, vous parvenez à prendre au sérieux la souffrance psychique réelle des individus.

MO : Ironiquement, il y a un fort mépris de classe derrière les approches sociologiques qui refusent de voir chez les gens moins favorisés de véritables problèmes mentaux. Je m’explique. Bourdieu disait par exemple que « le pauvre souffre de sa condition ». Ce n’est vrai qu’en partie. Quand on dit à quelqu’un que sa position sociale surdétermine tous ses problèmes psychologiques, on est en train de dire : « Tu n’es que pauvre. » Pourtant, on n’est jamais que pauvre, que dominé·e, que discriminé·e. On est aussi un individu singulier. Tout le monde possède une singularité, peu importe sa condition sociale. On ne peut plus réduire le psychisme, l’identité ou la trajectoire personnelle à une dynamique de position de classe. Caetano Veloso, le célèbre poète et chansonnier brésilien, dit que « de près, personne n’est normal ». À y regarder de près, nous sommes tous et toutes des individus très complexes, avec une agentivité qui nous est propre. On doit donc se demander comment capter sociologiquement cette singularité sans la psychologiser. La souffrance est à la fois professionnelle, raciale, sexuelle, mais aussi psychique, individuelle et singulière. Il faut apprendre à l’explorer de manière un peu moins idéologique. Si on ne comprend pas ça, on écrase une dimension essentielle de l’individualité contemporaine. On s’empêche alors de comprendre des pans entiers des expériences significatives dans nos sociétés et on est moins entendu·e·s en tant que sociologues. À tort, la psychologie apparaît plus pertinente que la sociologie pour analyser bien des problèmes, justement parce qu’elle reconnaît la souffrance singulière.

 

Siggi : Dans L’ombre portée[2], votre livre sur la dépression, vous écrivez que le droit de souffrir est aujourd’hui une composante importante de l’individualité contemporaine. Qu’entendez-vous par là?

MO : Il y a deux choses. D’abord, on assiste à une extension inédite de la souffrance sociale. On peut se la représenter facilement avec les listes d’attentes pour consulter un·e thérapeute : elles débordent toujours malgré une importante croissance du nombre de psychologues diplômé·e·s qui n’arrivent pas, et n’arriveront jamais, à suffire à la demande. C’est parce qu’aujourd’hui, tout le monde souffre : les personnes âgées et les plus jeunes, les riches et les pauvres, les cols bleus et les cols blancs, les racisé·e·s et les pas racisé·e·s. Dans la première moitié du siècle dernier, c’étaient les membres de la petite bourgeoisie qui avaient le droit légitime de souffrir. Pour leur part, les cols bleus avaient certainement des problèmes musculosquelettiques, mais la plainte psychologique leur était étrangère et interdite. À titre d’exemple, au début des années 2000, un rapport sur les cols bleus à Montréal a été publié par un collègue. On y montrait que la moitié d’entre elles et eux disaient souffrir d’anxiété, de dépression ou de stress. Dans les années 1950, cela aurait été impossible. C’est la même chose dans l’armée : le nombre de suicides y augmente constamment. Pensez à Roméo Dallaire, haut commandant des armées canadiennes, qui exprime publiquement sa souffrance psychologique en 2000. Je dis toujours à la blague : « Imaginez Napoléon Bonaparte qui témoigne ouvertement de son mal-être : c’est impensable. »

On voit donc que la configuration de l’individualité s’est complètement transformée. L’anxiété et la dépression ont remplacé la névrose comme figure typique de la nervosité sociale, car les injonctions à la performance se sont substituées à la répression sociétale comme horizon de nos expériences. En caricaturant un peu, on peut dire que rien ne semble aujourd’hui interdit ni décidé d’avance, mais rien ne semble désormais possible ni certain. Dans un tel monde, comment ne pas être collectivement anxiodépressif·ve? Conséquemment, la souffrance psychologique s’est démocratisée.

 

Siggi : C’est une bien curieuse démocratisation.

MO : Absolument! Et elle est très révélatrice de ce second aspect dont je voulais vous parler : la souffrance ne s’est pas seulement étendue, son sens s’est également transformé. On ne souffre pas seul·e dans son coin, on veut que cette souffrance soit reconnue et validée par autrui. La souffrance, on peut la montrer, la mettre en forme et même la faire valoir politiquement. Le statut de la victime a complètement changé en 30 ans. Afficher publiquement que l’on est victime est une manière de dire : « J’existe, j’agis dans le monde et je demande réparation. » Grâce à l’avancée de la souffrance, on peut devenir un acteur ou une actrice dans un champ de revendications politiques.

 

Siggi : Est-ce qu’on souffre plus qu’avant ou cette souffrance a toujours existé, mais ne pouvait pas s’exprimer?

MO : C’est compliqué. Les sociologues ne s’entendent pas toujours sur cette question.

Si vous avez mal aux dents au Moyen Âge, vous vivez avec et vous vous y habituez. Chaque société a des repères culturels définissant les seuils de tolérance à la douleur. Depuis quelques décennies, il y a un nouvel espace social pour accueillir et exprimer la souffrance psychologique. Votre médecin vous demande « comment allez-vous? » plutôt que « où avez-vous mal? » Pour leur part, les psychologues sont partout dans les médias pour nous enjoindre à faire une introspection et à parler de nos émotions. À l’école primaire, si on fait un entretien avec un enfant à la maternelle, il sait ce qu’est l’anxiété, le stress et l’hyperactivité. Bref, on a une grille de lecture omniprésente qui nous amène à scruter notre intériorité et à coder des tensions de la vie quotidienne en termes psychologiques.

 

Siggi : Dans votre dernier livre, sur Michel Foucault[3], vous consacrez un chapitre à la sexualité afin de montrer que, contrairement à l’idée communément admise, il ne s’agit pas d’un domaine réprimé à partir du XIXe siècle; au contraire, elle y est mise en discours comme jamais. N’y a-t-il pas aussi une « hypothèse répressive » concernant la santé mentale, comme s’il s’agissait d’un sujet tabou et qu’en parler publiquement relevait d’un acte de subversion?

MO : Tout à fait. La souffrance appartient de moins en moins à l’intimité et de plus en plus à l’extimité. On ne cesse de parler de ses problèmes personnels, supposément privés, sur la place publique. On ne peut donc plus parler de répression de la parole, c’est même le contraire : il y a presque une injonction à se raconter. Parfois, il peut même y avoir un charme à dire « je suis hyperactif » ou, de manière métaphorique, « je suis un peu autiste ». Dans les films, on retrouve par exemple des détectives Asperger très performants et hyper intelligents, ce qui contribue à créer ce charme. C’est un réel enjeu, car à côté se trouve le drame des personnes qui ont de graves problèmes de santé mentale réellement handicapants, les empêchant de vivre en société de manière satisfaisante. Ces gens, qui ont des vies très difficiles, peuvent parfois avoir du mal à accéder à de l’aide, précisément parce que tout le monde souffre et que les ressources d’aide psychologique sont constamment débordées.

Si je peux me permettre de soumettre une hypothèse politique, je dirais qu’un bon nombre de problèmes que nous avons ne se règlent pas en allant voir des médecins, des psychologues ou des psychiatres. L’accès élargi à la psychothérapie ne réglera pas nos problèmes les plus importants, tout comme l’augmentation de la consommation d’antidépresseurs ne diminue pas la prévalence sociale de la dépression.

Si on regarde les écoles primaires et secondaires, par exemple, ça n’a aucun sens qu’elles fonctionnent comme des usines du XIXe siècle, avec 30 élèves dans une même classe et où tout le monde suit le même parcours. Nous ne sommes plus à l’époque du fordisme social, nous vivons dans des sociétés singularistes qui produisent de la diversité. Pourquoi le nombre d’enfants hyperactifs ne cesse de croître dans nos écoles? C’est probablement parce qu’il faut repenser le système scolaire dans son ensemble. Si l’on regarde du côté des enjeux de genre et de sexualité, on pourrait aussi dire que l’école a conservé son modèle hétéronormatif alors que l’expression du genre s’est grandement diversifiée. Si une jeune personne trans est dépressive parce que des choses simples comme s’habiller ou aller aux toilettes binaires est une épreuve douloureuse, elle peut aller consulter un·e psy, mais ça ne réglera nullement le problème. Son cadre lui renverra constamment des raisons pour entretenir sa souffrance. Alors que si l’on met en place des dispositifs pour accueillir la singularisation croissante, comme des toilettes ou des uniformes non genrés, on pourra diminuer la prévalence de cette souffrance spécifique. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Le psychisme, le cerveau et la souffrance existent, ce ne sont pas des constructions idéologiques. Toutefois, il faut les comprendre en fonction des tensions sociales qui traversent la personne. Les conditions d’existence et la souffrance psychique sont deux réalités qui se font face. On ne peut pas affirmer que l’une est vraie et que l’autre est fausse.

 

Siggi : Vous avez une petite citation de Lacan au-dessus de votre bureau. Pouvez-vous nous la lire? Ça ferait peut-être une belle conclusion.

MO : Oui. (Rires.) « Vous pouvez savoir ce que vous avez dit, mais jamais ce que l’autre a entendu ». C’est le mur du langage. Je ne suis pas du tout lacanien, mais il y a de petites choses comme ça qui demeurent intéressantes et provocantes. La préoccupation pour le psychisme est un héritage que les sociologues argentin·e·s portent d’une manière ou d’une autre.

ILLUSTRATION: Alice Gaboury-Moreau

[1] Marcelo Otero, Les fous dans la cité : sociologie de la folie contemporaine, Montréal, Les éditions du Boréal, 2015.

[2] Marcelo Otero, L’ombre portée : l’individualité à l’épreuve de la dépression, Montréal, Les éditions du Boréal, 2012.

[3] Marcelo Otero, Foucault sociologue : critique de la raison impure, Montréal, Les Presses de l’Université du Québec, 2021.

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