De la pertinence du débat sur la Charte des valeurs du Parti Québécois

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De la pertinence du débat sur la Charte des valeurs du Parti Québécois
Opinions
| par Thomas Mongeau |

Commençons par régler tout de suite l’essentiel : la Charte proposée par le PQ est un outil bassement électoraliste. Le PQ cherche en effet assez clairement à utiliser notre système électoral déficient à son plein potentiel pour lui permettre d’atteindre, à l’encontre de toute légitimité démocratique, l’objectif ultime qu’est un gouvernement majoritaire avec moins de 40% des voix. En cela, il imite les plus viles tactiques du Parti conservateur fédéral, tactiques qui, malheureusement pour les progressistes de ce monde, ont fait leurs preuves. Il est important, aussi, de ne pas oublier que c’est un projet qui s’attaque de façon sans équivoque à des groupes sociaux plus marginaux qui ont moins la capacité de se défendre ou qui, en tout cas, « ne votent pas du bon bord » (pour un stratège péquiste) de toute façon, et laisse toute liberté à la majorité « historiquement catholique ».

Cela établi, on peut oublier le débat de forme sur la stratégie politique ou sur quel groupe social est plus visé qu’un autre par une politique discriminatoire pour s’attarder à un questionnement de principe au cœur de nombreux débats politiques (sinon publics) depuis l’époque des Lumières : la présence de la religion dans la sphère publique, politique et privée.

La question que je pose aujourd’hui est à mon avis fondamentale pour la gauche progressiste : jusqu’à quel point peut-on tolérer des pensées arriérées et ultraconservatrices, et plus encore leur promotion ouverte, au nom de la liberté de culte et de conscience? Et jusqu’à quel point doit-on réfréner la promotion, sinon d’un athéisme, à tout le moins de croyances plus progressistes, au nom de la liberté de conscience de l’autre et de l’anti racisme?

Il me semble que récemment, en matière de religion, critiquer celle des autres est rapidement assimilé à du racisme. Il s’agit certainement de discrimination basée sur la religion, mais certainement pas de racisme, lorsque le problème est la religion et non la race. Or, il devient rapidement difficile de faire autre chose que critiquer « la religion des autres » lorsque l’on prône, notamment par l’exemple, l’appartenance à aucune. Car la religiosité d’un francophone catholique du Saguenay est tout autant étrangère au gauchiste athée montréalais que celle d’un musulman ou d’un juif pratiquant, il ne faut pas se leurrer. Aucun, toutefois, ne vient racheter l’autre sur le point des opinions politiques, que ce soit par rapport à l’avortement, à l’homosexualité, à la place des femmes en société ou tout un ensemble d’autres plaisantes idées.

Comment, donc, peut se positionner une gauche progressiste et laïque dans ces circonstances?  Les conditions du débat n’aident pas exactement à une position en nuance, avec la façon dont le PQ en fait la promotion actuellement. Or, c’est précisément là qu’il faudrait en arriver. En-dehors de la situation particulière actuelle, le débat en jeu porte tout de même sur l’éternelle question de la primauté du collectif sur l’individu, ou l’inverse, et sur la situation l’équilibre entre les deux. Dans le même ordre d’idées, il s’agit aussi de l’épineuse question de jusqu’où le collectif peut intervenir pour forcer le respect des droits individuels, au risque d’agir contre le gré de la personne « sauvée ». Il s’agit d’une question fondamentale qui, lorsqu’elle touche un sujet aussi délicat que la justification d’idées conservatrices par l’expression d’une liberté libérale, vient poser de nombreux problèmes, qu’il serait fort à propos de ne pas écarter du revers de la main ou en atteignant le point Godwin à une vitesse fulgurante.

S’il s’agissait d’une véritable charte de la laïcité, plutôt que d’une charte sur la laïcité des non chrétiens, où devrait se situer la personne qui veut s’opposer aux idées rétrogrades tout en respectant les libertés individuelles? Serait-ce raciste et inacceptable si la charte s’imposait aussi aux confessions chrétiennes en leur retirant le droit de s’afficher en public tout autant qu’aux autres? Bien sûr que non : ce serait une attaque frontale contre toute forme de religion et de religiosité. Ce serait probablement en conflit clair et direct avec le droit à la liberté de culte et de religion, qui reste une liberté fondamentale, et ce serait de toute façon contre-productif, comme l’exemple de l’URSS l’a démontré. L’Église orthodoxe, après des décennies d’interdiction officielle, y est en effet aussi riche, puissante et plus vivante que jamais. Mais une charte qui interdirait également la religion de tout le monde ne serait pas une charte raciste, ce serait une charte anti-religion, et il me semble que ce genre de question mérite son traitement propre.

Sans suivre la voie de l’interdiction pure et simple, il existe plusieurs autres moyens de s’opposer à la religion et de laïciser de plus en plus la société, que l’on pense à une réforme du calendrier, à un crucifix à retirer, à la fin des crédits d’impôt aux lieux de culte et bien d’autres. Si on considère qu’il s’agirait là d’un moyen comme un autre de combattre l’obscurantisme et le conservatisme, il me semble aujourd’hui qu’il ne faudrait plus se cacher de lutter contre la religion, contre ses idées et ses pratiques, et que laisser la liberté de croyance à autrui ne veut pas dire qu’il faut respecter ses croyances parce que ce sont les siennes. Je ne sais pas si l’affirmation « les goûts ne se discutent pas » est fondée ou non, mais il me paraît clair que « l’appartenance religieuse ne se discute pas » est une bêtise, lorsqu’accompagné d’idées politiques aberrantes.

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