Comité printemps 2015: Entrevue avec Fannie Poirier

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Comité printemps 2015: Entrevue avec Fannie Poirier
Entrevues
| par Thomas Deshaies |

L’Esprit libre a rencontré Fannie Poirier, étudiante à la majeure en science politique à l’Université du Québec à Montréal et militante active au sein du comité printemps 2015. Il faut savoir que ce mouvement n’a pas de porte-parole, mais madame Poirier nous a été désignée par les gestionnaires des réseaux sociaux du mouvement comme pouvant répondre à nos questions sur le comité printemps 2015.

Q. Vous êtes impliquée sur le comité printemps 2015 depuis le début?

R. Oui, depuis début septembre. J’ai assisté à toutes les réunions « larges », aux réunions du comité information, puis j’ai participé avec mes collègues, mes camarades, à l’élaboration de nos lignes politiques.

Q. Comment est née l’idée de créer le « printemps 2015 » ?

R. C’était ambiant. C’était quelque chose qui existait avant nous. Avec toutes les mesures qui ont été annoncées depuis l’arrivée au pouvoir de Philippe Couillard, les gens attendaient cela. On n’a pas poussé quelque chose, je pense qu’on a plutôt répondu à quelque chose.

Q. Vous avez donc commencé par convoquer une première réunion ?

R. Il y a eu une première réunion qui a été annoncée et puis la réponse était vraiment grande. Dès le début, les réunions ont été peuplées d’au moins 150-200 personnes. Il y avait énormément de gens qui étaient intéressés et très vite, ça s’est répandu comme une trainée de poudre à travers la province. On sait qu’en région, la réponse est très forte. Cela n’a pas tardé avant que les comités « printemps 2015 » se créént et soient vraiment très participatifs à l’extérieur de Montréal aussi.

Q. Diriez-vous que les « comités printemps 2015 » sont plus mobilisés à l’extérieur de Montréal en ce moment ?

R. Je ne serais pas prête à hiérarchiser. La concentration des richesses, ça se fait malheureusement aussi en ville. À Montréal, on a un avantage politique puisqu’on a une base militante déjà mobilisée. Par contre, ce qui est flagrant dans les régions c’est que les mesures d’austérité ainsi que l’économie du pétrole les frappent de plein fouet. On n’a pas à faire le même effort de mobilisation. Ces gens-là sont comme nous, extrêmement mobilisés et puis inquiets de ce qui se passe parce que ça les concerne directement. Oui, on a fait une mobilisation, on est allés parler aux gens, mais c’était plus pour voir comment ils s’organisaient; comment ça se passe de leur côté. En Gaspésie c’est actif, en Montérégie, en Estrie, en Outaouais… Partout ça brasse!

Q. Combien de personnes s’impliquent activement dans les comités de « printemps 2015 » ?

R. C’est vraiment difficile à dire parce que « printemps 2015 », c’est des étudiants-es, des travailleurs-euses. La taille des réunions varie. Les gens viennent prendre des idées, vont l’appliquer dans leurs milieux à eux. Donc ce n’est pas chiffrable et je pense que c’est à notre avantage. Je pense qu’il y a des gens partout en ce moment qui sont en train de s’organiser sur leurs propres bases de manière autonome. Le fait qu’on ne soit pas relié à une centrale, à un leader politique, à un porte-parole, ça fait en sorte qu’il y a une diversité du mouvement de contestation en ce moment.

Q. Comment fonctionne la coordination du mouvement ? Est-ce qu’il y a un conseil exécutif?

R. Non, il n’y a pas d’instance décisive. En fait, tout marche par table de travail et puis par concertation. On a une façon de fonctionner qui est complètement horizontale. On se base vraiment sur l’initiative personnelle.

Q. Il y a certains étudiants qui ont critiqué le fait que les revendications n’étaient pas assez claires, que c’était peut-être trop « lousse ». Qu’est-ce que vous répondez à cela?

R. Je ne serais pas d’accord pour dire que les revendications ne sont pas claires ou « lousses ». Je pense qu’on a un problème au niveau de la couverture médiatique. On s’attend à ce qu’un porte-parole fixe puisse personnaliser le conflit alors que le conflit est multiple et large. Nos revendications ne sont pas compliquées. On est contre la privatisation de nos biens collectifs essentiels. Cela passe par l’eau potable, par l’air respirable, par l’accès à l’éducation, par l’accès à nos services de santé et aux CPE, par les services sociaux, par nos conditions de travail. Tout cela, ça relève de la propriété collective. C’est ce que notre gouvernement est sensé nous assurer, ce sont des conditions de vie décentes et dignes en échange de notre consentement à son pouvoir puis à la levée de nos impôts. Ce qu’on est en train de voir plutôt, c’est notre argent collectif en train d’aller directement à l’entreprise privée au détriment de l’intérêt commun. Donc, nos revendications, je pense qu’elles ne sont pas lousses, elles ne sont pas floues. Je pense qu’elles sont seulement difficiles à résumer autour d’un seul chiffre. Ça demande un peu plus d’effort de politisation, puis de réflexion. Les gens se disent donc : « Ah c’est pas comme un chiffre, on n’a pas comme 1625$ à réclamer ». C’est parce qu’on est attaqué frontalement de tous les côtés. Donc, ce qu’on décrit, c’est la privatisation de nos propriétés collectives.

Q. Cette grève a été lancée il y a moins d’une semaine. L’objectif est-il de rester en grève le plus longtemps possible? Qu’est-ce qui pourrait mettre fin à cette grève?

R. Il y a trois choses importantes qui se passent ce printemps. Il y a le premier dépôt du budget libéral qui va être décrié. C’est le premier point tournant du printemps qui marque notre momentum. Ensuite, il y a le dépôt pour évaluation ministérielle des projets de Enbridge et de Transcanada, qui va être déposé au Ministère de l’environnement pour évaluation. Ce qu’il faut savoir, c’est que le Ministère de l’environnement compte 1% du budget ministériel, puis pendant ce temps, on continue de couper dans la recherche scientifique et dans tout ce qui concerne la recherche environnementale. Ce que nous disons, c’est qu’il n’y a aucune réelle intention d’évaluer ces projets-là qui sont, de toute façon, déjà en cours. Ce printemps, c’est ce qu’on veut souligner. C’est qu’on est en train de passer des projets pétroliers qui sont néfastes contre la volonté réelle démocratique au Québec. Puis, il y a 400 000 employés de la fonction publique, dont la convention collective arrive à échéance le premier avril. Ce qu’on risque de voir dans les prochains mois, jusqu’au premier mai, c’est énormément de mouvement et d’agitation dans ces milieux. Notre grève a comme premier but d’accueillir un climat de contestation pour que dès le début, on puisse arriver à politiser ce qui se passe pour éviter que les syndicats reprennent cette opportunité de juste négocier leur propre convention collective. Ce n’est pas une question de  quel pourcentage tu vas prendre ton augmentation de salaire mais plutôt de déterminer qu’est-ce qu’on veut pour les prochaines générations. C’est ça le rôle des étudiants-tes, c’est de revendiquer pour l’avenir. On se rend compte en ce moment qu’on se fait vendre un futur qui n’est absolument pas viable.

Q. Espériez-vous que les syndicats soient en grève en même temps que les étudiants-es?

R. Non. On savait que ce ne serait pas possible. On sait qu’il y une marge à la fin des conventions collectives, que les syndicats doivent négocier etc. Ils sont strictement encadrés par le code du travail. C’est donc très compliqué de déclencher une grève. Je pense que c’est d’ailleurs tout à fait néfaste pour la santé de la démocratie au Québec. On enlève, par ces mesures-là, le seul moyen de pression réelle à la classe travaillante, c’est-à-dire, faire la grève. Ce ne sont pas des manifestations gentilles, des parades, puis des pétitions qui vont faire plier un gouvernement. Ce qu’il faut, c’est lui retirer notre consentement et bloquer les rouages de ce système qui ne nous avantage pas. Considérant cela, nous savions que ce serait compliqué d’accueillir les travailleurs-euses dans la rue au même moment que les étudiants-tes. Ce qu’on veut faire, c’est créer un précédent en attendant que les mandats de grève se déclenchent – parce que les travailleurs-euses sont en train de voter des mandats de grève, principalement dans les milieux de l’éducation et de la santé. Ce qu’on veut leur dire, c’est qu’on est solidaires et qu’on ira dans la rue quand ils sortiront aussi. Il n’y a pas de mal à faire des grèves cycliques dans le milieu social.

Q. Un article La Presse laissait sous-entendre que le mouvement printemps 2015 misait beaucoup sur l’entrée en grève des syndicats. Est-ce que les journaux vous ont questionné à ce sujet? Pourquoi ont-ils écrit cela? N’était-ce pas votre objectif dès le début ?

R. Il y a deux choses en jeu ici. Il y a d’abord la réelle capacité des centrales syndicales à représenter l’intérêt des travailleurs et des travailleuses. Personnellement, je me demande dans quelle mesure les centrales corporatives de type syndical comme cela sont en mesure de véritablement prendre la défense des conditions de travail des travailleurs et des travailleuses. Généralement, là où ça brasse, c’est dans les syndicats locaux. Puis, si les centrales syndicales écoutaient leurs syndicats locaux, leurs représentants se rendraient compte qu’il faut bouger beaucoup plus vite. Après, pour ce qui est de la couverture médiatique, en 2012, le Conseil de Presse du Québec a fait une recherche sur l’analyse de fond qui avait été faite par la couverture médiatique pendant le conflit étudiant. Cela allait de 1% au Journal de Montréal, à 7% dans La presse, puis à 13% au Devoir. Ça c’est l’analyse de fond sur le conflit. On peut donc se demander qu’est-ce qui a changé en 2015. Est-ce que la presse cherche plus le sensationnalisme et le Showbizz, qu’autre chose? Nous étions 8 000 manifestants dans les rues il y a quelques jours, mais on a seulement parlé de vitres cassées. S’il y a des individus isolés qui cassent de vitres, il y en a des milliers d’autres qui risquent leur intégrité physique et juridique en sortant dans la rue pour décrier un système qui est injuste. Donc, à quel moment est-ce que la presse fait vraiment son travail et nous offre une tribune qui est égalitaire et réaliste? On part d’emblée avec un désavantage. Ils vont de toute façon remâcher un discours qui lui est déjà connu : les casseurs, les agitateurs, les méchants étudiants. Le Journal de Montréal a sorti cette semaine : « les enfants gâtés ». On s’entend que c’est du déjà-vu. Est-ce que les gens dans les médias réfléchissent à ce qu’ils disent et écrivent? Est-ce qu’ils font vraiment de l’analyse sur ce qui se passe sur le terrain? Moi j’en doute fortement.

Q. Certaines centrales syndicales ont laissé entendre qu’ils pourraient organiser un mouvement de grève à l’automne. Est-ce que vous y croyez?

R. Oui tout à fait. Moi je crois à la contestation tout le temps. Ce gouvernement-là est très entêté et est probablement là pour rester. Nous voulons lui lancer comme message, dès le dépôt de son premier budget que nous aussi on est là pour rester, que nous ne sommes pas dupes, que nous savons nous organiser. On veut lui montrer qu’on est encore capables de grogner bien comme il faut. L’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante) est déjà prête à faire une campagne de mobilisation pour l’automne prochain. Nous serons prêts-tes après l’été, fraîchement reposé-e-s afin de continuer.

Q. Ne sera-t-il pas difficile de relancer le mouvement de grève à l’automne?  

R. C’est vrai qu’il faut se méfier du « Backlash », qu’il faut faire attention à l’épuisement militant. Cela dit, les longues luttes sont de longue haleine. Présentement,  ce qu’on est en train de décrier c’est un paradigme dominant qui est mis en place depuis les années 1980 et qui est en train de complètement gagner la palme. Nos élus sont en train de finir leur projet idéologique, de complètement privatiser les services publics pour revenir 50-60 ans en arrière. On est en train de faire face à une répression policière et étatique démesurée et je pense que d’ici quelques mois, une réflexion d’autant plus profonde aura eu le temps de se faire. Je ne peux pas prédire l’avenir. Tout dépend de l’effort militant et de l’entêtement des gens à défendre leurs idéaux, mais je pense qu’il y a un mouvement qui est bien solide et qui est là pour rester. On savait depuis le début que ce printemps, on ne pouvait pas espérer faire tomber le gouvernement, mais on veut lancer un message clair à la population et au gouvernement, leur dire qu’ils n’ont pas fini d’en découdre avec nous s’ils veulent démanteler l’État providence comme cela, comme si de rien était.

Q. Diriez-vous qu’après quelques jours de grève, le travail de politisation est en quelque sorte accompli? Les médias ont abondamment utilisé l’appellation « grève sociale » qui est traditionnellement davantage utilisée dans les milieux militants. Diriez-vous qu’il y a un travail qui est déjà fait et qu’il aura un impact durable ?

R. Je pense que si on a commencé à utiliser le mot « grève sociale », c’est un gain, mais minime. Le travail ne fait que commencer, c’est un travail d’envergure. Il va falloir qu’on s’entête très longtemps avant que les gens comprennent, premièrement, c’est quoi l’utilité d’une grève. Donc on est juste en train de mettre sur pieds les chantiers pour que ça se passe. Nous travaillons à établir un dialogue entre nous et à montrer ces espaces politique et créatif que nous concevons en faisant la grève, en prenant une pause, puis en se donnant le droit en tant que collectivité de discuter de ce qui nous concerne directement. Comme dirait Hannah Arendt, quand un peuple n’a pas assez d’espace politique  pour appliquer sa politique, pour vivre son politique, on doit forcer ces espaces-là à s’ouvrir. C’est ce qu’on est en train de faire en ce moment, c’est dévoiler aux gens autour de nous la nécessité d’ouvrir les espaces politiques qui nous sont propres.

Q. Est-ce qu’il y a un changement dans les stratégies policières? Est-ce qu’il y a un durcissement depuis la grève de 2012? Qu’avez-vous observé?

R. Je pense que la police reprend son travail exactement là où elle avait laissé il y a trois ans. Au même niveau de répression, puis au même niveau de violence. Moi j’en tire deux conclusions. Les policiers ont appris de 2012 qu’ils avaient le droit de tout faire et ils en prennent largement avantage. Ils se permettent effectivement de faire tout ce qu’ils veulent avec nous dans la rue parce qu’ils ont appris qu’ils ne se font pas taper sur les doigts après. Il y a eu la Commission parent, mais qu’est-ce qu’il y a eu vraiment comme sanction auprès du SPVM après 2012? Ça fait depuis 2005 que le SPVM est sur la liste noire et se fait réprimander par la commission des ligues des droits et libertés du Québec. Aucun changement d’attitude, c’est même pire. Nous avons une police qui n’est pas prête à prendre ses responsabilités sociales puis qu’y endosse pleinement son rôle de police politique. Elle est là pour défendre un État qui, visiblement, ne veut absolument pas faire face à un deuxième printemps étudiant. Donc, ce qu’on voit c’est de la répression d’autant plus forte dans les universités, dans les cégeps, mais dans la rue aussi.

Q. Pensez-vous qu’il y aurait un mot d’ordre du gouvernement?

R. Je pense que le gouvernement est vraiment nerveux, mais sûr de lui. C’est-à-dire qu’il  est en train de mener un projet de société qui lui est propre et qu’il est déterminé à mener, même s’il sait que la majorité de population s’y oppose. D’après moi il a préparé son coup et s’attendait à ce que la contestation soit forte. Il était donc prêt à la réprimer, à la juste valeur de ce à quoi il s’attendait. Il est déterminé à nous l’enfoncer dans la gorge et à faire taire la contestation politique.

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