Augmentations de loyer abusives : le droit de contester

Québec
Augmentations de loyer abusives : le droit de contester
Opinions
| par Manon Beauchemin |

Le prix des loyers augmente au Québec. Le Tribunal administratif du logement (TAL) prévoit une augmentation de 2,3 % pour 2023, mais de nombreux propriétaires demandent une somme supérieure à ce taux. Néanmoins, une solution s’offre aux locataires qui jugent leur augmentation de loyer abusive.

Chaque année, la période de renouvellement de bail coïncide avec celle des augmentations du prix des loyers. Dans son calcul de l’ajustement des loyers annuels, le Tribunal administratif du logement (TAL) suggère pour 2023 une augmentation de 2,3 % pour les loyers non chauffés. Ce taux monte à 2,9 % pour tenir compte de l’augmentation des taxes municipales de 5 %. Les logements chauffés, eux, peuvent subir des hausses de 2,8 % pour un système de chauffage électrique, 4,5 % pour un chauffage au gaz ou 7,3 % pour le mazout. Il s’agit d’une augmentation de 56 % par rapport au taux suggéré en 2022[1], ce qui représente la hausse la plus élevée des dix dernières années[2].

En tenant compte du prix moyen des loyers pour l'île de Montréal, une hausse de 2,3 % pour un 3 ½ dont le prix moyen est de 1 490 $ équivaut à une augmentation de 34,27 $. Le prix du loyer est donc reconduit à 1 524,27 $. Le ou la locataire d’un 4 ½ qui coûte normalement 1 873 $ doit débourser 1 916 $ à la suite de l’augmentation de son loyer. Pour un 5 ½ de 2 200 $, le prix atteint 2 250,60 $[3].

Une suggestion souvent ignorée

Malgré les recommandations annuelles du TAL, nombreux·euses sont les propriétaires qui exigent de leurs locataires des sommes plus élevées que le taux proposé par le TAL[4]. Pour les locataires, les dollars de plus qu’ils doivent débourser chaque mois peuvent représenter une somme colossale. Ces dernier·ère·s, s’ils jugent subir une augmentation de loyer non raisonnable, peuvent contester. Ils doivent répondre par écrit au ou à la propriétaire dans un délai d’un mois suivant la réception de l’avis de modification du bail remis par celui-ci. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur une augmentation de loyer, le ou la propriétaire peut s’adresser au tribunal afin de faire fixer le prix du loyer. Cette démarche peut prendre jusqu’à dix mois. Le bail sera renouvelé sans modifications en attendant la décision. Le TAL devra analyser les renseignements inscrites au formulaire transmis par le ou la propriétaire afin de fixer le prix du loyer. Les renseignements nécessaires concernent les revenus provenant de l’exploitation de l’immeuble ainsi que les dépenses applicables à la période de référence, soit ceux de l’année précédente[5].

Il est important de souligner que des exceptions existent. Le tribunal ne peut intervenir pour fixer le loyer ou pour modifier d'autres conditions du bail lorsque le logement est situé dans une coopérative d’habitations, lorsqu'il s'agit d'un immeuble construit depuis cinq ans ou moins ou dont l’utilisation à des fins résidentielles résulte d’un changement d’affectation depuis cinq ans ou moins[6].

Privilégier la négociation

Le TAL priorise tout de même la négociation entre les propriétaires et les locataires pour arriver à un arrangement. Pour ce faire, un outil de calcul est mis à leur disposition sur leur site internet. Il permet d’établir l’ajustement du loyer en tenant compte de la variation des taxes municipales et scolaires, des assurances, des améliorations majeures, ainsi que de l’ensemble des coûts d’exploitation de l’immeuble. Le ou la locateur·trice indique les données pertinentes à son immeuble puis soumet les résultats à son ou sa locataire dans le but de parvenir à une entente sur l'augmentation du loyer[7].

Cependant, selon le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), la grille de calcul est surtout utile aux propriétaires : les locataires ne disposent normalement pas de toutes les données qui justifieraient une hausse, comme le coût des rénovations. Ielles peuvent demander à leurs propriétaires de fournir les données liées aux augmentations, mais il ne peut pas les exiger, à moins de faire appel au TAL pour la fixation de son loyer[8]. De plus, l’outil du TAL ne sert qu’à proposer un montant équitable aux deux parties puisqu’il n’existe aucune limite concernant la hausse du prix des loyers. Si les locataires ne contestent pas, les propriétaires peuvent percevoir le montant qu’il désire[9].

Les locataires hésitent aussi souvent à contester leur hausse de loyer de peur de voir leur nom inscrit dans les dossiers du TAL. Ielles craignent que cela leur cause un préjudice s’ielles devaient chercher un autre logement, et ce, même si le tribunal leur a donné raison. Les recherches pour les cas de contestation sont beaucoup plus faciles depuis 2009 avec la mise en ligne des dossiers et la publication des noms accessibles à tous·tes. Même si l’Association des propriétaires du Québec (APQ) assure que les jugements de fixation de loyers ne devraient pas avoir d’incidence sur le choix d’un·e locataire, le RCLALQ juge que les craintes des locataires sont bien réelles[10].

Des tactiques douteuses

Les propriétaires utilisent également plusieurs tactiques pour que leurs locataires quittent leur logement. Ils espèrent ainsi augmenter drastiquement le prix du loyer. Puisqu’il est très ardu de se départir d’un bon locataire, plusieurs techniques douteuses comme l’intimidation et le harcèlement sont employées au détriment des locataires. Une représentante du Comité logement de la Petite Patrie, Sylvie Lavigne, a affirmé au Journal de Montréal que certains propriétaires qui habitent leur immeuble font usage de tapage nocturne, de commentaires ou même de gestes agressifs pour intimider leurs locataires. Dans ces cas, il est plutôt difficile d’obtenir l’aide du TAL puisque les preuves sont moins perceptibles : « Lorsqu’on intimide quelqu’un, on ne le fait pas devant le grand public, on le fait lorsque la personne est seule, donc ça ne laisse pas vraiment de traces et c’est très difficile pour le [ou la] locataire de le prouver au TAL », ajoute Mme Lavigne, en soulignant que les voisin·e·s coopèrent rarement[11].

D’autres locataires sont victimes de « rénoviction ». Ce terme est utilisé lorsque des propriétaires se servent du besoin d’effectuer des rénovations majeures pour expulser leur locataire. Ces rénovations ne sont pourtant souvent jamais réalisées et les propriétaires en profitent pour accroître le prix de leur loyer[12]. Une autre méthode consiste à faire signer à la hâte aux locataires un avis sans qu’ils puissent vraiment en tenir compte. C’est ce qui est parfois utilisé pour obtenir la signature sur un avis de résiliation ou pour une augmentation de loyer abusive. Le temps que le ou la locataire se rende compte de son erreur, il est déjà trop tard[13].

De la pression

Ces situations ne sont pas sans conséquence. Plusieurs locataires confrontés à des évictions acceptent de quitter les lieux sans contester pour limiter le stress[14]. D’autres qui vivent du harcèlement sur une longue période voient leur santé mentale se dégrader : « [...] on voit souvent les locataires tomber en dépression parce qu’ils se sentent incompris, qu’ils n’ont pas de ressources, qu’ils appellent la police et que lorsque les agents se présentent chez la propriétaire, elle feint d’être couchée », confie Mme Lavigne du Comité logement de la Petite Patrie[15].

Pour celles et ceux qui contestent, le harcèlement peut parfois s’intensifier. Des locataires qui ont demandé de l’aide au Comité de logement Ahuntsic-Cartierville (CLAC) ont vécu des situations pénibles et ont témoigné sous l’anonymat dans le journal communautaire du quartier, le Journal des voisins. Parmi eux, une dame de 83 ans qui demeure au même endroit depuis 28 ans s’est fait dire par son propriétaire qu’il était temps qu’elle aille vivre en résidence alors qu’elle était parfaitement autonome. Elle a vécu pendant des mois la pression de son propriétaire qui ne se gênait pas pour constamment revenir à la charge avec de nouvelles astuces pour intimider sa locataire, et ce, malgré l’implication des tribunaux. Cette histoire a grandement affecté sa qualité de vie[16].

L’inflation en cause

La principale raison de l’augmentation marquée du coût des logements selon la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) serait l’inflation de 6,7 % de la dernière année au Québec[17]. En entrevue avec Paul Arcand au 98,5 FM, le directeur des affaires publiques et relations gouvernementales de la CORPIQ, Marc-André Plante, a expliqué aux auditeur·trice·s que les propriétaires d’immeubles doivent aussi subir les coûts supplémentaires associés à l’inflation : « Les propriétaires […] sont confrontés comme tout le monde à l’inflation galopante depuis un an »[18]. Le porte-parole du RCLALQ, Martin Blanchard, a quant à lui répondu que « les loyers montent beaucoup plus vite que l’inflation » en précisant que « les profits dans l’immobilier n’ont jamais été aussi importants »[19].

Un communiqué de presse publié sur le site internet de la CORPIQ en réponse aux grilles annuelles des hausses de loyers du TAL indique que les augmentations de loyer sont « faibles » et que « les propriétaires locatif[·tive·]s devront donc, encore une fois, absorber une part importante de l’inflation [...] ». Selon l’organisme, la grille de calcul du TAL est une formule désuète qui devrait subir une réforme[20]. En revanche, le RCLALQ croit que des mesures concrètes pour contrôler le prix des loyers doivent être adoptées par le gouvernement du Québec. L’organisme juge que très peu de locataires savent qu’ils peuvent refuser une augmentation de loyer, croyance renforcée par les propriétaires qui n’indiquent que deux choix sur leurs avis d’augmentation : accepter la hausse ou déménager[21].

Trouver une solution

En 2021, le TAL recommandait une hausse de 0,8 % des loyers. Pourtant, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logements, les locataires québécois ont connu une augmentation moyenne de 3,6 % du prix de leur loyer au cours de la même période[22].

C’est pourquoi dans un communiqué de presse publié sur leur site internet, le RCLALQ demande au gouvernement Legault de rendre obligatoires les taux moyens d’augmentation de loyer du TAL. Il demande également de mettre en place un registre public des loyers pour permettre aux locataires de connaitre avec exactitude l’ancien loyer payé et ainsi « freiner l’augmentation vertigineuse des loyers ». Finalement, l’organisme exige un contrôle obligatoire des loyers puisqu’il juge que les règles en place ne fonctionnent pas et contribuent même à l’explosion des prix[23].

Québec solidaire propose également des solutions pour limiter les répercussions de la crise du logement dans son Guide du logement publié sur son site internet. L’une d’elles concerne un projet de loi déposé par leur député responsable en matière de logement, Andrés Fontecilla, en novembre 2021 qui permettrait l’annulation de toute demande d’augmentation pour un an et la suspension du droit du propriétaire d’augmenter le loyer d’un bail de logement privé pour la même durée. Québec solidaire propose aussi un moratoire sur les évictions permises par la loi pour un taux d'inoccupation inférieur à 3 % dans le but de contrer la tendance des « rénovictions », en plus de réclamer un plafonnement des hausses de loyer en fonction de l’indice de fixation des loyers du TAL. Selon eux, « [...] il s’agit d’une solution simple et efficace pour mieux encadrer les hausses de loyer »[24].

CRÉDIT PHOTO: Unsplash

[1] TVA Nouvelles,« Ajustement des loyers: voici combien votre propriétaire pourra vous réclamer de plus cette année », 17 janvier 2023, Ajustement des loyers: voici combien votre propriétaire pourra vous réclamer de plus cette année | TVA Nouvelles

[2] Protégez-vous.ca, « Augmentation suggérée des loyers de 2,3% pour 2023 », 24 janvier 2023, Augmentation suggérée des loyers de 2,3 % pour 2023 | Protégez-Vous.ca (protegez-vous.ca)

[3] Appartago, « Statistiques des loyers moyens Province du Québec », 25 avril 2023. Statistiques des loyers moyens Province du Québec | Appartogo

[4] Op. cit. , note 2.

[5] Tribunal administratif du logement, Fixation_Foire_aux_Questions.pdf (gouv.qc.ca)

[6] Ibid.

[7] Tribunal administratif du logement, Tribunal administratif du logement | (gouv.qc.ca)

[8] Le Devoir, « Contester sa hausse de loyer ou non », 4 février 2023. Contester sa hausse de loyer ou non | Le Devoir

[9] Op. cit. , note 2.

[10] Op. cit. , note 8.

[11] Le Journal de Montréal, « On me fait vivre de la torture » : des propriétaires harcèlent leurs locataires pour qu’ils quittent leur logement », 1er mars 2023. «On me fait vivre de la torture»: des propriétaires harcèlent leurs locataires pour qu'ils quittent leur logement | JDM (journaldemontreal.com)

[12] Le Journal de Montréal, « J’ai perdu 10 livres à cause du stress » : des locataires craignent être victimes de ‘’rénoviction’’ », 6 février 2023. «J’ai perdu 10 livres à cause du stress»: des locataires craignent être victimes de «rénoviction» | JDM (journaldemontreal.com)

[13] la Tribune, « Les locataire doivent connaitre leurs droits, estime Labrie », 3 février 2023. Les locataires doivent connaitre leurs droits, estime Labrie (latribune.ca)

[14] Op. cit., note 12.

[15] Op. cit., note 11.

[16] Journal des voisins, « Le harcèlement des locataires s’intensifie : témoignages »,14 juin 2021. Le harcèlement des locataires s’intensifie : témoignages - Journaldesvoisins.com

[17] 98,5 FM, « Au Québec | L’inflation provoque une hausse importante des loyers », 18 janvier 2023, Au Québec | L'inflation provoque une hausse importante des loyers — 98.5 Montréal (985fm.ca)

[18] Le directeur des affaires publiques et relations gouvernementales de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), Marc-André Plante, propos recueillis dans « Puisqu’il faut se lever », 98,5 FM, 18 janvier 2023. Au Québec | L'inflation provoque une hausse importante des loyers — 98.5 Montréal (985fm.ca)

[19] Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), Martin Blanchard, propos recueillis dans « Puisqu’il faut se lever », 98,5 FM, 18 janvier 2023. Au Québec | L'inflation provoque une hausse importante des loyers — 98.5 Montréal (985fm.ca)

[21] RCLALQ, Controle-des-loyers-_Version-longue.pdf (rclalq.qc.ca)

[22] Québec solidaire, « Guide de survie à la crise du logement », 7 février 2022. Guide de survie à la crise du logement (quebecsolidaire.net)

[23] Op. cit., note 21.

[24] Op. cit., note 22.

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