Accès aux plans d’eau : La population québécoise est toujours insatisfaite

Crédit photo : Unsplash/Dave Ellis
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Accès aux plans d’eau : La population québécoise est toujours insatisfaite
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| par Arthur Calonne |

Avec l’envolée des températures en période estivale, un débat semble revenir chaque année sur la table. Que ce soit en milieu rural ou en région métropolitaine, la population québécoise se plaint de ne pas avoir assez d’accès aux rives du fleuve Saint-Laurent, aux rivières et aux lacs : un paradoxe lorsque l’on prend en compte le nombre gigantesque de plans d’eau à l'échelle de la province, soit plus de trois millions. Malgré les revendications insistantes de la population et une volonté politique affichée de les satisfaire, cet accès aux berges demeure particulièrement restreint au Québec.

 

Les récents gouvernements du Québec ont fait un point d’honneur de favoriser les activités récréotouristiques aquatiques, dans une perspective de développement économique. Cette volonté s’est traduite notamment par l’adoption de la Politique nationale de l’eau de 2002[i]mais également de la Stratégie québécoise de l’eau 2018-2030. On retrouve en introduction de ce document[ii] un propos de l’ancienne ministre libérale du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Isabelle Mélançon, qui souligne l’importance de l’eau dans la construction identitaire de la province : « Elle façonne nos paysages et définit nos influences sociales et économiques. Si l’eau est à l’origine de la vie, elle est aussi à la source de notre identité [iii]», écrit-elle.

 

François Legault et son administration ne cachent pas leur vieille ambition de vouloir tirer le maximum du Saint-Laurent, notamment en créant une sorte de Silicon Valley le long du fleuve[iv]. Ce plan semble se concrétiser depuis l’annonce le 17 juin dernier par la Coalition Avenir Québec d’une nouvelle vision maritime[v] avec une enveloppe de 927 millions de dollars, pour faire du fleuve un « pilier de la relance économique » et « une plaque tournante de la logistique et du transport des marchandises en Amérique du Nord »[vi]. Le développement économique et surtout portuaire étant au centre des projets proposés à travers cette stratégie, l’accès à l’eau comme simple service à la population pourrait une fois de plus, être mis de côté.

 

Une mauvaise nouvelle pour les citoyen·ne·s, qui subissent des étés de plus en plus chauds, comme l’explique Paule Halley, avocate et professeure à l’Université Laval de Québec, où elle enseigne le droit de l’environnement : « C’est un dossier qui revient constamment, ça souligne bien le fait qu’il y a une préoccupation des gens qui va en grandissant. Avec les changements climatiques, ça va être important, car les plans d’eau sont des îlots de fraîcheur. ». Lors d’un entretien avec L’Esprit libre, Mme Halley explique que le problème de l’accessibilité à l’eau découle de décisions prises à l’époque de l’industrialisation, plus précisément en 1856, avec l’adoption de l’Acte pour autoriser l’exploitation des cours d’eau et de la force hydraulique. « À ce moment-là, on a donné accès en priorité à l'industrie. Le bord de l’eau a été détruit et remplacé par des quais, des installations industrielles ».

 

Des plages rares et difficilement accessibles

 

Résidente de Québec, l’avocate évoque la Plage du Foulon qui, l’été, regorgeait de monde jusqu’à la fin des années 1960, mais qui n’a pas résisté à la croissance de la circulation automobile. « Maintenant, c’est du remblai. On a mis une marina, un chemin de fer, des conteneurs », se désole-t-elle. « C’est la marine marchande qui a voulu agrandir ses installations portuaires et ça se fait un peu au détriment de la population qui investit quand même beaucoup pour restaurer la qualité des eaux ».

 

À Montréal, même si certaines plages urbaines comme celles de Verdun permettent aux habitant·e·s de la métropole de se baigner, l’accès à l’eau n’est pas garanti dans une proportion suffisante, ce qui pousse généralement les métropolitain·e·s à se déplacer jusqu’aux plages d’Oka, de Cap-Saint-Jacques ou encore de Saint-Zotique, des lieux qui ont vu leur capacité d’accueil diminuer en raison des consignes sanitaires liées à la pandémie de COVID-19. Faute d’installations, l’accès à la baignade demeure chose rude pour les quatre millions d’habitant·e·s de la région métropolitaine de Montréal.

 

« Contrairement aux idées reçues, les gens sont prêts à se baigner dans l’eau du fleuve si on leur garantit que la qualité de l’eau est appropriée, ce qui est le cas dans la vaste majorité des cas. Il y a une demande pour ça », assure en entrevue avec L’Esprit libre Rémi Lemieux, chef d’équipe au bureau de projet de la Trame verte et bleue à la Communauté métropolitaine de Montréal, un organisme pour qui l’accès à l’eau constitue une préoccupation importante. Pour lui, le problème réside dans la privatisation à outrance des berges. « On se désole que tant de kilomètres privatisés ne soient pas accessibles au public », lance-t-il.

 

La population victime des erreurs du passé

 

L’aménagement du territoire est une compétence municipale et pour mettre la main sur ces surfaces, les municipalités souhaitant bâtir des aménagements publics pour donner à leur population un accès aux cours d’eau doivent passer par le rachat des propriétés privées qui s’y trouvent : un défi considérable. « Avec la grande valeur des propriétés sur le bord de l’eau, si tout est construit, c’est difficile d’acheter le terrain en négociant. Souvent, il faut passer par l'expropriation et ce sont des coûts importants », dit M. Lemieux.

 

Certaines municipalités telles que Verdun possédaient déjà de grandes propriétés le long des cours d’eau et ont pu librement aménager leurs berges, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Cependant, comme l’explique Rémi Lemieux, pour qui « nous payons assurément pour nos mauvaises décisions du passé », des arrondissements comme Lachine ou Rivière-des-Prairies ne cachent pas leurs ambitions de racheter les terrains sur le bord du Saint-Laurent et la ville de Montréal compte bien se servir de son droit de préemption, qui lui confère un accès prioritaire aux terrains, lorsqu’il y a une vente, pour réaliser des projets destinés au public. C’est peut-être là le signe d’une prise de conscience et d’une volonté de « reconquête » des berges, après des décennies de laisser-aller et de privatisation des berges.

 

La loi garantit un droit à tou·te·s de se baigner ou de naviguer sur les plans d’eau de la province, à condition d’y accéder légalement, ce qui n’est pas toujours le cas. Une incohérence pointée du doigt par Annie Poulin, professeure en génie de la construction et membre du groupe de recherche HC3 - Hydrologie Climat & Changement Climatique, à l’École de technologie supérieure de Montréal (ETS) : « Ça ne semble pas avoir été réfléchi dans le passé, et j’espère que ce le sera dans le futur, car si le cours d’eau est bordé de propriétaires riverains, l’accès au public est compromis », souligne-t-elle lors d’une entrevue en visioconférence avec L’Esprit libre, en évoquant les difficultés grandissantes des pêcheur·euse·s et des plaisanciers et plaisancières à pratiquer leurs activités.

 

La clé entre les mains des municipalités

 

« Les associations de pêche se plaignent [...] Quand l’accès existe, il faut souvent défrayer des coûts assez importants. Sur une saison complète de pêche, ça devient dispendieux pour pratiquer une activité sur des plans d’eau auxquels on devrait avoir accès », poursuit Mme Poulin. Cette distinction entre le droit d’usage et le droit d’accès peut en effet amener certaines personnes à débourser jusqu’à plusieurs centaines de dollars par jour pour exercer leurs activités récréatives, lorsque l’accès à l’eau ne leur est pas carrément interdit, car réservé aux résident·e·s de la municipalité. Triste comble pour ces individus puisque le Code civil québécois stipule que les ces plans d’eau n’appartiennent pas aux municipalités[vii].

 

Les montants fixés par celles-ci ont d’ailleurs augmenté dans les dernières années pour plusieurs raisons comme le souci de tranquillité des résident·e·s ou la peur de voir les eaux être contaminées par des espèces exotiques envahissantes venant de l’extérieur. Cependant, les municipalités auraient, selon Rémi Lemieux, intérêt à favoriser un meilleur accès aux plans d’eaux placés sous leur juridiction, malgré les défis que cela entraînerait. « Je suis persuadé que la mise en valeur du patrimoine naturel, c’est au gain des municipalités, même fiscalement parlant : on a souvent vu que les valeurs foncières augmentent quand on offre davantage de services, martèle-t-il, la population le demande et je crois que le rôle des municipalités, c’est de répondre aux besoins de leurs citoyen·ne·s. Tout le monde a à gagner à aller dans ce sens-là ».


Crédit photo : Unsplash/Dave Ellis


[i] L'eau, la vie, l’avenir : politique nationale de l’eau, Québec (Province). Ministère de l’environnemen (1998-2005), Environnement Québec, 2002, (https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/42450)

[ii] Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Stratégie québécoise de l’eau 2018-2030. 2018. 80 pages. [En ligne]. http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/eau/strategie-quebecoise

[iii] Ibid. 

[iv] Paul Journet, « François Legault rêve d'une Silicon Valley québécoise », La Presse, 19 octobre 2013. https://www.lapresse.ca/affaires/economie/quebec/201310/19/01-4701332-francois-legault-reve-dune-silicon-valley-quebecoise.php

[v] La Presse canadienne, « Le gouvernement Legault présente sa nouvelle vision maritime », Radio-Canada, 17 juin 2021, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1802454/strategie-fleuve-saint-laurent-developpement-regions-emplois

[vi] Ibid.

[vii] François Brissette et Annie Poulin. «Les Québécois ont de moins en moins accès à leurs plans d’eau. Voici quoi faire pour que ça change », La Conversationhttps://theconversation.com/les-quebecois-ont-de-moins-en-moins-acces-a-leurs-plans-deau-voici-quoi-faire-pour-que-ca-change-143494

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