Parler d’Intelligence Artificielle (IA) en journalisme n’est pas irresponsable. Ne pas en parler le serait.

Playing with lights, Gertrūda Valasevičiūtė, 8 juin 2017.
Société
Parler d’Intelligence Artificielle (IA) en journalisme n’est pas irresponsable. Ne pas en parler le serait.
Opinions
| par Anonyme |

 

Voici la réponse du professeur de journalisme de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Patrick White au texte : Intelligence artificielle : un point de vue irresponsable de la part du directeur du programme de journalisme de l’UQAM

 

Parler d’Intelligence Artificielle (IA) en journalisme n’est pas irresponsable. Ne pas en parler le serait.  

Comme professeur de journalisme et journaliste depuis plus de 30 ans, je suis à même de constater l’importance de plus en plus vive des technologies de l’information dans le travail au quotidien des reporters. En 1995, on riait d’Internet. On parlait d’une mode. En 2020, il faut donc parler franchement de l'IA.  

Un journaliste aujourd’hui fait le boulot de quatre personnes en 1990. Le multitâches est une réalité du marché du travail et oui cela représente un défi pour toutes et tous. Ceci amène des enjeux de santé mentale dans les rédactions.  J'en ai été témoin à titre de patron pendant plus de 15 ans et j’ai reçu des témoignages à ce sujet encore récemment.

Je n’ai pas de boule de cristal mais il est clair que l’IA jouera un rôle dans les salles de rédaction au Québec un jour, et j’ai voulu sensibiliser le public à cet enjeu important. Pour le moment, l’IA a un rôle totalement marginal ici mais le plus récent livre de Francesco Marconi Newsmakers: Artificial Intelligence and the Future of Journalism montre que 8 à 12% du travail dans les rédactions  pourrait être effectués par des logiciels d’IA, comme dans le cas de courts textes sur des résultats sportifs, trimestriels ou autres tâches routinières. Ou encore pour détecter des tendances dans des grands ensembles de données, identifier des fausses nouvelles, mieux gérer les archives et aider à modérer des milliers de commentaires.

Les mises à pied récentes d’éditeurs chez MSN au Québec et au Royaume-Uni ont créé un choc véritable. Ces éditeurs, qui ne produisaient pas de contenu original, ont été remplacés par des robots. Ça fait réfléchir.

Est-ce que l’IA menace certaines tâches journalistiques? Sûrement. Est-ce que l’IA pourra amener un plus grand virage vers le contenu de qualité? Oui je le crois. Est-ce que l’IA va faire disparaître le travail de journaliste? Assurément non.  Plus que jamais, le ou la journaliste justifie son existence en faisant le tri des infos dans un contexte d’infodémie et de désinformation. Le journaliste va demeurer essentiel pour l’analyse et l’explication des faits, pour les grands reportages, les dossiers, les entrevues, la vérification des faits, les enquêtes, l’analyse de données, etc. L’humain va demeurer au centre du travail journalistique. La technologie peut aider le traitement de données et donner des pistes de sujets aux reporters.

Je suis bien d’accord avec M. Lamoureux que «l’accélération en temps réel de la production et de la circulation de l’information» est le plus grand danger qui guette les journalistes. Les médias sociaux ont créé une énorme pression additionnelle sur le système de production des nouvelles depuis l’arrivée de Facebook en 2005. Le journalisme s'accélère depuis le télégraphe par ailleurs. Ce n’est pas un phénomène nouveau.

J’ai toujours indiqué être un partisan du journalisme de qualité, qui passe par les contenus à valeur ajoutée (longs formats, balados, documentaires, etc) et je m’inscris en faux avec vos affirmations pessimistes.

L’accélération du cycle d’écriture est une réalité mais on réussit tout de même à  privilégier une certaine «lenteur» des contenus dans un grand nombre de médias comme Rad, Radio-Canada, Québecor, L’Actualité, La Presse, Le Devoir et The Globe and Mail.

M. Lamoureux erre complètement lorsqu’il affirme qu’il y a peu ou pas d’avenir en journalisme. Personne n’a jamais parlé ici d’une partie de plaisir et les étudiants savent que la crise des médias est permanente. On le dit que c'est dur, ce métier. Les ateliers sont là pour le faire vivre aux étudiants. On ne dore pas la pilule, au contraire, comme dit Jean-Hugues Roy, mon prédécesseur. Il y aura toujours des postes stables à Radio-Canada, au Devoir, au HuffPost, à La Presse, et chez Québecor. Mais oui, il y a aussi bien de la précarité, de la pige, des postes de surnuméraires ou sur appel. Comme dans tous les secteurs de la société. Et oui il faut combattre cette précarité. Notamment en demandant à Ottawa et à Québec qu'ils exigent des multinationales du numérique (qui font des milliards en partie grâce à l'information produite ici) de faire percoler leur richesse vers les journalistes du Québec.

Personnellement, je suis assez optimiste quant à l’avenir des journalistes au Québec. Près de 70% des finissants du programme de baccalauréat en journalisme de l’UQAM se trouvent un emploi dans leur domaine. Nous recevons des offres de stages et d’emplois pour nos étudiants à toutes les semaines. Il existe vraiment une belle collaboration des écoles de journalisme avec les employeurs en ce moment. Le programme de journalisme à l’UQAM va développer à partir de septembre une formation plus poussée en journalisme d’enquête et nos cours de journalisme de données sont du même niveau que celui des grandes écoles américaines. En radio, en télé, en presse écrite et en journalisme multimédia, nous préparons nos finissants et finissantes à devenir des reporters «à la tête bien faite» comme disait Montaigne.

Somme toute, je suis confiant de la vitalité de notre journalisme au Québec avec ou sans IA. Les technologies de l’information demeurent un outil mais représentent aussi un danger pour la profession. Je fais confiance à l’être humain pour faire les bons choix.

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