Il y a dix ans, la grève générale au Collège de Maisonneuve

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Il y a dix ans, la grève générale au Collège de Maisonneuve
Analyses
| par Samuel Lamoureux |

Le 21 février 2012, les étudiants et les étudiantes du Collège de Maisonneuve votaient à forte majorité pour une grève générale illimitée qui allait durer 174 jours. Nous avons rencontré des acteurs clefs de cette mobilisation historique.


Si l’assemblée générale de grève s’est déroulée au mois de février, il faut remonter bien avant pour retrouver les racines de la mobilisation qui a conduit au printemps 2012. La Société générale des étudiantes et étudiants du Collège de Maisonneuve (SOGÉÉCOM) avait tout d’abord voté un mandat de grève pour participer à la manifestation nationale du 10 novembre 2011, organisée par l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), entre autres. C’est après que l’association étudiante a envisagé la grève générale illimitée (GGI) considérant que le gouvernement ne renonçait pas à une hausse importante des frais de scolarité.

Vers l’assemblée de grève

Les militants et les militantes du Collège de Maisonneuve ont fait énormément de mobilisation dans les deux semaines précédant la grande assemblée de grève du 21 février 2012. Il fallait mobiliser tout le cégep qui compte un peu plus de 6 000 personnes. Le trésorier de la SOGÉÉCOM en 2012, Jérémy Ferland, rappelle l’intense période de débats qui a précédé la grève. « On a tracté tous les matins pendant deux semaines pour inviter les gens à se présenter et pour tenter de les convaincre de voter pour la grève. Le plus difficile était de mobiliser les étudiants en techniques policières, mais on n’hésitait pas à aller les rencontrer dans la cafétéria pour débattre », témoigne-t-il.

Au départ, rien n’était gagné, et la plupart des exécutants et des exécutantes de l’association étudiante s’attendaient à un vote extrêmement serré. La déléguée à la mobilisation, Gabrielle Bellemare, rappelle qu’il y avait à peine une quinzaine de militants très engagés au départ, dont uniquement trois femmes. « Au dernier comité de mobilisation avant l’assemblée générale, on était seulement trois. Je me souviens d’être allé voir l’exécutif et d’avoir prédit qu’on allait perdre le vote », explique Gabrielle Bellemare.

Deux gymnases superposés

Le jour J, le 21 février 2012, les étudiants et les étudiantes du collège s’agglutinent en masse dans les deux gymnases pour participer à l’assemblée générale de grève. L’organisation est très complexe : les deux salles sont superposées et doivent être reliées par des systèmes de son. La foule est énorme, environ 3 300 étudiants et étudiantes doivent se prononcer sur la grève. Il faut aussi rappeler le contexte et la dynamique de l’époque. Deux autres établissements, le Cégep de Valleyfield et le Cégep du Vieux-Montréal s’étaient déjà prononcés en faveur de la grève au milieu du mois de février. Une pression énorme tombait sur les militants et les militantes de Maisonneuve pour poursuivre le mouvement et, du même coup, donner de l’élan au Collège de Rosemont et Collège Ahuntsic, réputés pour être moins militants.

L’assemblée générale se déroule sans incident jusqu’au vote pour la GGI. La tension est palpable, surtout dans le deuxième gymnase rempli d’étudiants et d’étudiantes en techniques policières. Le vote est demandé et la réponse est plus que surprenante : il y a une forte majorité pour la grève dans les deux salles. Les militants et les militantes jubilent : ils ont un mandat fort d’environ 70 %. « Le gymnase du bas était tellement pour la grève, ça nous a vraiment surpris ! souligne Jérémy Ferland. Et ce n’était que le début de l’élan. Dès le lendemain, plus de 50 personnes se sont présentées au conseil de grève. Dix fois plus de monde qu’au comité de mobilisation de deux jours plus tôt. »

Le premier jour de grève

Le lendemain, le 22 février 2012, une centaine d’étudiants et d’étudiantes se réunissent très tôt le matin pour bloquer toutes les portes du cégep. C’est la formation des comités de grève : le comité mobilisation, le comité action directe, le comité communication avec les médias, le comité piquetage, le comité bouffe et le comité négociation. Ce dernier comité est très important en cette première journée de grève puisque l’association étudiante doit faire reconnaître la grève par l’administration de l’établissement. Deux étudiants, Louis-Philippe Véronneau et Gabrielle Bellemare, sont choisis pour aller négocier avec le Collège. Beaucoup de gens sont présents de l’autre côté de la table de négociation. Il y a les porte-paroles de tous les syndicats : les professeurs, les professionnels et les employés de soutien. Et bien sûr les deux représentants de l’administration.

Gabrielle Bellemare se rappelle que les négociations avec l’administration ont été extrêmement longues. « Il y avait deux points à régler : faire reconnaître la grève et avoir accès aux locaux, explique-t-elle. Ça a été long, ils nous ont fait geler dehors très longtemps. »

Faire reconnaître la grève

L’occupation du Cégep du Vieux-Montréal la semaine précédente suivie de l’intervention policière crée un climat tendu à la table de négociation. L’administration du Collège de Maisonneuve veut tout faire pour éviter ce genre d’escalade. Finalement, la grève est reconnue après une longue journée de négociations, avec un bémol important concernant le piquetage. En effet, l’entente stipule qu’il doit y avoir chaque matin trois personnes par porte pour rendre le piquetage légal, sinon, les cours doivent reprendre. « Au début, on s’est dit que c’était un deal correct. Mais après deux mois de grève, la fatigue s’est accumulée et c’est devenu difficile de motiver les militants à venir piqueter chaque matin », énonce Gabrielle Bellemare.

Il faut dire que personne ne s’attendait à ce que la grève de 2012 dure aussi longtemps. Les militants les plus enthousiastes estimaient qu’une mobilisation de quelques semaines serait suffisante. Au final, la grève s’est terminée le 13 août 2012, soit 174 jours plus tard.

Le quartier Hochelaga-Maisonneuve offre son support

Il n’est pas faux d’affirmer que le quartier Hochelaga-Maisonneuve a enfilé un carré rouge pendant une bonne partie du printemps 2012. Dès les premiers jours de grève du Collège de Maisonneuve en février 2012, plusieurs organismes communautaires sont venus prêter main-forte aux étudiants et aux étudiantes. Le Comité de base pour l’action et l’information sur le logement social (BAILS), par exemple, a participé au piquetage du cégep. « Le quartier était vraiment solidaire. Les gens klaxonnaient en masse au premier jour de grève », se rappelle le trésorier de la Société générale des étudiantes et étudiants du Collège de Maisonneuve (SOGÉÉCOM) en 2012, Jérémy Ferland.

Le comité bouffe

Un des supports les plus fondamentaux que le quartier a apporté aux grévistes de 2012 est le don de nourriture. Pendant la grève générale illimitée, qui allait durer du 21 février au 13 août, le comité bouffe devait cuisiner de la nourriture pour l’ensemble des militants et des militantes du cégep. Après quelques semaines de grève, les réserves s’épuisaient rapidement. C’est à ce moment que les boulangeries et dépanneurs du quartier sont venus à la rescousse. « Le dépanneur du coin est venu porter de l’eau. On a reçu aussi beaucoup de pain de Première Moisson et d’Arhoma. Leur support a été crucial, même si on était vraiment écœuré de manger du couscous tous les jours ! » explique Jérémy Ferland.

Le blocage du Port

Si des commerces et des organismes se sont montrés solidaires dès le début avec la grève, plusieurs militants et militantes considèrent que c’est lors du blocage du port de Montréal que le quartier est apparu le plus engagé. En effet, après la manifestation nationale du 22 mars, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) avait appelé à l’organisation d’une semaine de perturbation économique. Le 28 mars 2012, le Port de Montréal, coin Pie-IX et Notre-Dame, avait été choisi pour une action de ce genre.

Plusieurs centaines de militants et de militantes avaient alors bloqué l’entrée du port pendant plusieurs heures, causant ainsi un gigantesque ralentissement des travaux. Après l’intervention de la police, plusieurs militants et militantes se sont enfuis et ont été hébergés par des résidents d’Hochelaga-Maisonneuve. « On était des dizaines à se sauver des forces antiémeutes et beaucoup de citoyens nous ont ouvert leur porte pour nous héberger. C’était spontané, on a senti que le quartier vibrait comme nous pour un véritable changement social », souligne la déléguée à la mobilisation de la SOGÉÉCOM en 2012, Gabrielle Bellemare. Plus la grève s’enfonçait dans le printemps et plus le quartier était solidaire. Les manifestations de casseroles des mois de mai et juin et la fondation de l’Assemblée populaire autonome du quartier sont les meilleurs exemples de cette solidarité.