Standing Rock : entre conflit environnemental et anticolonialisme

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Standing Rock : entre conflit environnemental et anticolonialisme
Opinions
| par Ariane Duchesneau |

« Le conflit environnemental est une opposition forte entre acteurs [et actrices], se traduisant par différents niveaux de violence, déclenchée par un équipement ou une infrastructure modifiant l’environnement (considéré au sens large) familier des dit[·e·]s acteurs [et actrices] exerçant des activités ou résidant à proximité[i] »[ii]. L’opposition des Sioux de Standing Rock au projet de pipeline d’Energy Transfer Partners, largement médiatisée au cours des derniers mois, correspond parfaitement à cette définition. Mais au-delà d’un simple conflit concernant l’utilisation du territoire, leurs revendications s’inscrivent dans une logique beaucoup plus complexe, celle d’une décolonisation remettant en cause la subordination des peuples autochtones dans les projets d’envergure. Cette protestation deviendra la plus longue de l’histoire moderne.

Le DAPL en bref

Le Dakota Access Pipeline (DAPL) est un projet qui permettra de transporter du pétrole brut extrait de la formation de Bakken, un site riche en hydrocarbures qui couvre une partie du Dakota du Nord, du Montana, de la Saskatchewan et du Manitoba, vers l’Illinois. Le pipeline, d’une longueur d’environ 1 890 kilomètres, passe par 50 comtés et 4 états et traverse des zones naturelles sensibles, des sites sacrés, des terres tribales indigènes et des terres agricoles. Selon le site web officiel du DAPL, le pipeline permettra au pétrole d’atteindre l’Illinois plus efficacement et à un coût plus avantageux. Le pipeline permettra un transport plus sécuritaire et plus responsable écologiquement que le transport traditionnel par camion ou par train. On souligne aussi les retombées économiques du projet, qui crée au total entre 8 000 et 12 000 emplois pendant la phase de construction et génère environ 55 millions de dollars US par année en taxes de propriétés pour les quatre États concernés[iii]. En  2014, la compagnie Energy Transfer Partners, basée au Texas, a commencé le processus pour obtenir un permis de construction auprès du gouvernement américain[iv]. En janvier 2016, la compagnie annonce que la Commission des Services publics du Dakota du Nord lui a donné ce permis. Aujourd’hui, le pipeline est presque entièrement construit, à l’exception de la portion près du lac Oahe et de celle près de la Réserve de Standing Rock, au sud du Dakota du Nord. Cependant, Energy Transfer Partners n’a pas tenu compte de l’opposition des tribus dont les terres risquent d’être affectées par le projet. Le gouvernement des États-Unis a un devoir de consultation envers les tribus, comme l’explique Rebecca Tsosie, spécialiste des droits humains des Premières Nations : « The federal government is under a duty to consult with indigenous nations before any project goes through on federal land that would endanger or jeopardize the multiple interests that indigenous nations have [v]»[vi]. Or, le premier amendement de la constitution des États-Unis interdit au Congrès d’adopter des lois limitant la liberté de religion. Dans la célèbre cause Lyng v. Northwest Indian Cemetery Protective Ass’n, la Northwest Indian Cemetery Protective Association a invoqué le premier amendement, considérant que la construction d’une route sur un site sacré lui portait atteinte. Cependant, la Cour a décidé que la construction d’une route n’allait pas entraver la liberté de religions des tribus. Elle a tout de même reconnu que les agences fédérales devaient accommoder les Premières Nations lorsque cela était possible[vii].

Les revendications des Sioux

La réserve des Sioux de Standing Rock est  issue du  traité de Fort Laramie en 1868. Elle comprend la partie de Dakota du Sud à l’est de la rivière Missouri et les Blacks Hills, montagnes sacrées pour les Sioux. Malgré les dispositions du traité qui interdisent toute sécession du territoire sans le consentement de trois quarts des hommes de la tribu, le Congrès américain décida de réduire leur territoire en reprenant les Black Hills en 1977. Pendant plus de 100 ans, la taille du territoire des Sioux fluctua. Après avoir été agrandi vers le nord en 1875, le territoire Sioux se fractionnera en six réserves différentes en 1889 : il s’agit de la réserve de Standing Rock que nous connaissons aujourd’hui[viii].

La nation des Sioux de Standing Rock maintient son droit à l’autonomie politique : elle possède son propre gouvernement et elle a les mêmes pouvoirs qu’un gouvernement lorsqu’elle négocie avec les entités fédérales et les États. Elle a juridiction sur tout le territoire de la réserve : les droits de passage, les voies navigables et les cours d’eau.

Dès mars 2016, un mouvement de résistance s’installe à Canon Ball, sur la réserve de Standing Rock. Les différent·e·s acteurs et actrices ne s’entendent pas sur le tracé du DAPL. Les Sioux, et plusieurs autres groupes autochtones, environnementaux et sociaux, s’opposent fortement au projet. Outre la présence de sites sacrés sur le tracé, le pipeline passera à travers le lac Oahe, principale source d’eau potable de la communauté, d’où le nom de « Défenseurs de l’eau ».  Ainsi, une brèche pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur l’environnement et sur la santé des habitant·e·s. Même si ce type de défectuosité reste hypothétique, les risques sont bien réels.

Le PHMSA (Pipeline and Hazardous Materials Safety Administration) répertorie plus de 800 incidents sérieux mettant en cause des pipelines aux États-Unis au cours des 20 dernières années. Un incident dit sérieux correspond à l’un des critères suivants :

  1. Causant la mort ou une blessure qui requiert une visite à l’hôpital
  2. Plus de 50 000$ de dommages
  3. Fuites observées dans cinq barils ou plus de liquide très volatil ou de 20 barils ou plus pour tout autre liquide
  4. Fuites de liquides causées par un incendie ou une explosion[ix]

Plusieurs  désastres majeurs ont eu lieu au cours de la dernière décennie, tels que les déversements dans le golfe du Mexique par BP en 2011, en Arkansas en 2013 par le Mayflower et en Californie en 2015 par Plains All American Pipeline. Généralement,  ces déversements sont causés par la corrosion et par des défauts structurels. Cependant, les nouveaux pipelines vieilliront et poseront des risques accrus d’année en année. La contamination de l’eau par le pétrole a de graves conséquences sur la santé humaine et sur l’environnement. Elle augmente les risques de développer un cancer ou des problèmes de digestion, que l'eau contaminée soit ingérée directement ou indirectement. Elle occasionne des problèmes dermatologiques lorsqu’elle est en contact avec la peau et endommage l’habitat naturel d’espèces vivantes. [x].

Symbole d’une résistance anticolonialiste

Les projets d’exploitation des ressources menés par les gouvernements ou les multinationales, comme le DAPL, peuvent être considérés comme un des multiples visages du colonialisme. Le système colonial consiste en une stratégie pour prendre le contrôle d’une autre nation dans l’intérêt de ce que le pouvoir colonial définit comme le bien commun[xi]. En l’espèce, on pourrait avancer que ce bien commun est la stimulation de l’économie par le biais de la création d’emploi et des retombées économiques. La colonisation des peuples autochtones n’a pas disparu au cours des années, elle a simplement pris une forme plus subtile. Bien que nous n’en soyons plus aux entreprises religieuses des missionnaires et aux conquêtes militaires, les gouvernements et les grandes entreprises d’aujourd’hui arrivent au même résultat : ils dépouillent les peuples autochtones du pouvoir décisionnel sur leurs terres et de leur valeur en tant que nation[xii]. Les protestations de Standing Rock étaient pacifiques ; pourtant, les autorités ont tenté de contrôler les manifestant·e·s aux moyens de bombes lacrymogènes et de chiens. La violence a atteint un nouveau sommet avec une première vague d’arrestations en octobre. Le 20 novembre 2016, plus de 167 personnes ont été blessées en une nuit seulement. Si la colonisation a changé de forme au cours de l’histoire, il en va de même pour les moyens de résistances. Plusieurs tribus ont rejoint les Sioux dans leurs protestations, et pas seulement celles dont les terres étaient menacées. Des activistes de tout horizon (environnementaux, sociaux et féministes) et des citoyen·ne·s ont aussi joint le mouvement[xiii]. Il ne faut pas oublier que les Sioux défendent non seulement leurs terres, mais la terre, celle qui appartient à toutes et tous et dont nous dépendons pour vivre.

 

CRÉDIT PHOTO: Dark Sevier

[i] Laslaz, “Conflit Environnemental - Hypergéo.”

[ii] Laslaz, “Conflit Environnemental - Hypergéo.”

[iii] Dakota Access Pipeline facts, “About the Dakota Access Pipeline.”

[iv] Smallteacher, “CorpWatch : Native Tribes Protest Energy Transfer Partners North Dakota Oil Pipeline.”

[v] Bogado, “The Backstory on Standing Rock, the Federal Government, and Tribal Sovereignty.”

[vi] Bogado, “The Backstory on Standing Rock, the Federal Government, and Tribal Sovereignty.”

[vii] Yablon, “Property Rights and Sacred Sites: Federal Regulatory Responses to American Indian Religious Claims on Public Land.”p. 1630

[viii] Sioux Standing Rock Tribe, “History.”

[ix] Pipeline and Hazardous Materials Safety Administration, “Pipeline Incidents 20 Years Trend.”

[x] Brodwin, “North Dakota Pipeline: Why Protesters Call It a ‘Death Sentence’ - Business Insider.”

[xi] Manuel and Posluns, The Fourth World, p.60.

[xii] Taiaiake and Corntassel, “Being Indigenous: Resurgences against Contemporary Colonialism,” p.599.

[xiii] Donnella, “The Standing Rock Resistance Is Unprecedented (It’s Also Centuries Old).”

 

Bibliographie

 

Bogado, Aurora. “The Backstory on Standing Rock, the Federal Government, and Tribal Sovereignty.” Grist, December 2, 2016. http://grist.org/article/the-backstory-on-standing-rock-the-federal-gove....

Brodwin, Erin. “North Dakota Pipeline: Why Protesters Call It a ‘Death Sentence’ - Business Insider,” November 1, 2016. http://www.businessinsider.com/north-dakota-access-pipeline-protest-drin....

Dakota Access Pipeline facts. “About the Dakota Access Pipeline,” 2016. http://daplpipelinefacts.com/about-the-dakota-access-pipeline/.

Donnella, Leah. “The Standing Rock Resistance Is Unprecedented (It’s Also Centuries Old).” NPR.org, November 22, 2016. http://www.npr.org/sections/codeswitch/2016/11/22/502068751/the-standing....

Laslaz, Lionel. “Conflit Environnemental - Hypergéo,” 2014. http://www.hypergeo.eu/spip.php?article635.

Manuel, George, and Michael Posluns. The Fourth World: An Indian Reality. Don Mills,Ont: Collier-Macmillan Canada, 1974.

Pipeline and Hazardous Materials Safety Administration. “Pipeline Incidents 20 Years Trend,” n.d. http://phmsa.dot.gov/pipeline/library/data-stats/pipelineincidenttrends.

Sioux Standing Rock Tribe. “History.” Standing Rock. Accessed December 10, 2016. http://standingrock.org/history/.

Smallteacher, Richard. “CorpWatch : Native Tribes Protest Energy Transfer Partners North Dakota Oil Pipeline,” October 3, 2016. http://www.corpwatch.org/article.php?id=16094.

Taiaiake, Alfred, and Jeff Corntassel. “Being Indigenous: Resurgences against Contemporary Colonialism.” Government and Opposition 40, no. 4 (September 2005): p.597-614.

Yablon, Marcia. “Property Rights and Sacred Sites: Federal Regulatory Responses to American Indian Religious Claims on Public Land.” The Yale Law Journal vol.113 (April 2004): 1623–62.

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