Rencontre avec des lock-outés des concessionnaires automobiles du Saguenay–Lac-Saint-Jean

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Rencontre avec des lock-outés des concessionnaires automobiles du Saguenay–Lac-Saint-Jean
Entrevues
| par Émile Duchesne |

«Quelque chose qui traîne, ça salit »

Depuis le 5 mars 2013, 450 mécaniciens et mécaniciennes syndiqués à la CSD (1) ont été mis en lock-out par leurs employeurs, représentés par la Corporation des concessionnaires automobiles du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Après près de deux ans et trois mois de lock-out, aucune résolution du conflit ne point à l'horizon; il ne semble y avoir eu aucune progression dans les négociations et le conflit s'embourbe dans la judiciarisation (2). Récemment, le Ministère du travail, de l'emploi et de la solidarité sociale a fait savoir qu'il comptait intervenir dans le dossier, sans dévoiler le moment et la nature de ladite intervention (3). L'Esprit libre a rencontré des lock-outés de Dupont Auto d'Alma sur leur ligne de piquetage. Voici ce qu'ils nous ont dit.

Un conflit prémédité

« Tous les concessionnaires ont acheté des petits garages pour faire de la sous-traitance et ils ont posé des caméras avant que ça commence. On voyait que quelque chose s'organisait. Les concessionnaires gardaient 50 $ par véhicule pour se faire un « fond de lock-out ». Ça, on l'a su par après. C'était planifié, c'était prémédité. On [les syndiqués] savait où ça s’en allait. Pour la durée [du lock-out], on savait que ça allait être long, mais de là à aller jusqu'à deux ans… c'est un lock-out sauvage » explique M. Daniel Savard, le délégué syndical des employés de Dupont Auto Alma.

« Christian avait demandé à un patron si on travaillait le lundi. Le patron a dit de venir comme d'habitude, mais au fond il le savait. Quand on est arrivé le lundi, les barrières étaient fermées, nos deux patrons étaient là. On a demandé: "Qu'est-ce qui se passe ?" Ils ont dit: "Les gars, allez-vous en chez vous, on ferme les portes." Ça commencé comme ça. Et les patrons avaient le sourire aux lèvres, en plus… »  rajoute-t-il.

« Quand ils ont présenté la convention, c'était sans queue ni tête... Personne n’aurait accepté ça. Ils ont pris notre convention collective et l’ont débâtie au complet. Ils l’ont fait exprès, parce qu'ils savaient qu'on allait obtenir un vote fort contre la convention. Ils voulaient faire comme un transfert et dire "Vous avez voté à 99,1%, c'était une grève ou c'était un lock-out, ça revient au même". Sauf qu'à partir du 5 mars, ils auraient pu négocier encore 20 jours. Il n’y a jamais eu de négociation. Il y a eu cette convention-là et c'est tout. Ils ont essayé de nous imposer leur convention et de nous ridiculiser... On fait rire de nous par certaines personnes. Les gens ne savent pas ce qu'on peut vivre ici », explique quant à lui Christian Tremblay, un lock-outé de Dupont Auto d'Alma.

L'indifférence de la population

« Notre moyen d'action, c'est de convaincre la population de ne pas acheter de véhicule... Mais je te dirais que pour les Québécois, c'est "je, me, moi"... Je ne mets pas tout le monde dans le même panier, certains sont vraiment solidaires avec nous, mais ils ne sont pas assez nombreux, c'est pour ça que ça fait deux ans et quelques qu'on est dehors », raconte M. Savard.

« Il y a beaucoup de jalousie là-dedans. Prends celui qui travaille, disons, au magasin de pièces. Lui, il va parler de nous, mais il va nous jalouser. Parce que veut, veut pas, on a de bonnes conditions de travail. Ils se foutent bien de nous, maintenant qu'on est dans la rue. Mais ces gens-là ne se sont jamais donné la peine d'être bien, de se tenir et de se donner une convention collective. Moi, ça m'écœure un peu », dit à son tour M. Tremblay.

« Le problème avec les médias, c'est qu'eux [les patrons], ils leur envoient des annonces pour vendre des automobiles. Ils sont parmi les plus gros annonceurs ici. Ils font vivre les journaux », explique un autre lock-outé qui a conservé l'anonymat.

« On a tous des familles, et chacun a dans la sienne quelqu’un qui a acheté un véhicule. Mon beau-frère en a acheté un. Ils sont au courant, donc, côté solidarité… », poursuit ce dernier.

L'indifférence des élites

« Deux ans après [le début du lock-out], il est trop tard parce que le mal est fait. Le gouvernement, c'est seulement pour bien paraître qu’il fait ça [intervenir dans le conflit] , en lien avec ce qui s'en vient ici. Enlève-nous le sommet économique qui s'en vient dans la région et le gouvernement, on ne l'entend pas. PKP est venu dans la région il y a deux mois. Il y a des gens qui lui ont posé des questions sur le conflit dans l’automobile. À partir de ce moment-là, il était au courant qu'il y avait un conflit dans la région. Dernièrement, il est redescendu ici et il a dit qu'il n’était pas au courant, qu’il ne savait pas qu'il y avait un conflit dans la région. Il y a quelques semaines, il s'est fait accueillir, comme on dit [le 12 mai dernier, des lock-outés ont fait les manchettes pour avoir refusé de serrer la main de Pierre-Karl Péladeau en disant qu'il était le pire employeur du Québec (4), NDRL]. Pour eux, je pense que c'est pour bien paraître. Si le gouvernement intervient dans le conflit, c'est pour son propre intérêt, ce n'est pas pour nous », nous dit M. Tremblay.

« Nous, on s'endette, et ces gens-là [les employeurs], ils continuent de vivre avec le même train de vie. Ils ont fait les rénovations qu'ils avaient à faire chez eux, ils n’ont pas gelé de l'hiver parce qu’ils travaillaient au chaud, ils font leurs voyages dans le Sud… Nous, on est presque à la rue, et ils ne font que prolonger le conflit. Ils nous envoient à la Cour avec leurs injonctions et tout, mais eux, ils vont continuer à vivre quand même », poursuit M. Tremblay.

« Moi, ce qui m’enrage le plus, c'est que maintenant, on voit des gens des petits garages indépendants arriver à la porte du concessionnaire, klaxonner et entrer. Maintenant, les gars viennent ici, je ne sais pas ce qu'ils ont fait, ils ont dû réparer une voiture en dedans... C'est grave, ils font notre travail. Ils n’ont pas le droit de faire ça, mais ils [les patrons] ont tous les droits du monde… Je te le dis, ils s'en foutent... Eux, pour faire de l'argent, ils s'en foutent … », s'indigne M. Savard.

« Moi, ce qui me fait le plus mal au cœur, c'est quand le patron vient nous voir et qu’il nous dit que c'est de notre faute si on s'est fait mettre dehors. Ils nous mettent ça sur le dos parce qu'on n’a pas accepté [la nouvelle convention collective]. Ils n’assument pas ce qu'ils ont fait. Moi, si je lance un œuf et qu’il se casse au visage de quelqu'un, je n'irais pas me cacher derrière quelqu’un d’autre en disant que ce n'est pas moi »,  raconte M. Tremblay.

« Il y a bien des choses que j'ai de la misère à comprendre et que je pense que je ne comprendrai jamais de ma vie, parce qu’il y a des menteurs de l'autre côté. Ce sont des putains de menteurs. Je vais te dire quelque chose : pour vendre des voitures quand tu es en conflit comme ça, il faut que tu racontes des mensonges quelque part, parce qu'il y a des gens en dedans [au concessionnaire] qui doivent se poser des questions. Ils m'ont appelé chez moi en janvier pour me vendre une voiture. J'ai gardé la ligne pour voir ce qu'ils allaient me dire. Ils m'ont dit qu’il n’y avait pas de problème et que le conflit était presque réglé, qu’il ne restait qu'à signer de la paperasse », poursuit M. Tremblay. « Ils se sont servis de nous. On est presque à la rue, on ne peut pas faire grand-chose et en plus, il y a des caméras partout. On lève le doigt et ils nous envoient une injonction », rajoute-t-il encore.

La solidarité syndicale

« Il y a 450 travailleurs qui ne paient plus d'impôts depuis deux ans. Pour des villes comme ici, c'est gros. Avec ce qui s'en vient, il y a d'autres choses qui vont arriver si on abandonne. Il ne faut pas lâcher sinon ça va suivre ailleurs, et ce sont d'autres travailleurs qui vont se faire taper sur la tête, et pas seulement dans l'automobile… », explique un lock-outé qui passait.

« Elle ne fait pas grand-chose, la classe moyenne. Mais la grosse classe au-dessus, elle, s’efforce de toujours nous faire mal paraître. Nous, on doit toujours se battre par rapport à ça. On ne fait rien de grave mais il faut toujours se battre, parce qu'il y en a qui essayent de nous écraser. Nous, on veut juste vivre », raconte M. Tremblay.

« On eu l'appui de six autres centrales syndicales quand ça a fait deux ans qu'on était en lock-out. Les syndicats, ils ne nous appuient pas financièrement, mais ils sont au moins là moralement. Pour ça, l'appui syndical est là à 100%. Le 1er mai, il y a eu d'autres syndicats qui sont venus bloquer des concessionnaires à Saint-Félicien et qui sont venus nous voir ici, à Alma, aussi. Nous, on a participé aux activités qu'il y a eu toute la journée. On a bloqué la route du parc des Laurentides. C'était ben l'fun! » explique M. Savard.

Le 5 mars 2015, deux ans après le début du conflit, six centrales syndicales (la FTQ, la CSN, la CSQ, l'APTS, le SFPQ et le SPGQ) ont fait une conférence de presse commune pour donner leur appui aux lock-outés des concessionnaires automobiles syndiqués à la CSD.

« On a eu des appuis des étudiants de la région. Il y a des jeunes filles qui sont venus nous voir. Même qu'à Chicoutimi, il y a des étudiants qui sont entrés dans un concessionnaire pour faire du grabuge. Ils ont eu des contraventions eux aussi », raconte M. Tremblay.

Le quotidien et la suite des choses

« Pour essayer de joindre les deux bouts, on a fait des sacrifices. Moi, j'ai vendu ma camionnette, j'ai vendu ma roulotte et je fais moins de choses. On n’est nulle part. On ne paye plus d'impôt, on ne paye plus rien. On est des no name », se désole M. Savard.

« Venir ici [sur le trottoir], ce n'est pas une vie... Si tu savais ce qui se dit, parfois, avec les gens qui viennent acheter des voitures. Il y en a qui s'en foutent de nous. Ils nous disent: "Moi, j'arrêterai pas de vivre pour ça", "C'est pas mon problème", "Allez travailler" », poursuit M. Savard.

« Regarde toute la merde qu’ils [les patrons] nous ont donné. Ils nous mettent dans la rue, nous, mais ils mettent aussi nos enfants dans la rue. Moi, je ne fais pas ça pour me plaindre, mais on travaille fort pour que nos familles n’écopent pas. Tant que notre famille et nos enfants sont heureux... Mais ils vivent le conflit à leur manière, eux aussi, parce que quand tu arrives chez toi, que tu as passé une mauvaise journée, que les clients t'ont envoyé des mauvais commentaires, tu es bougon; veut, veut pas, tu es peut-être plus bourrasseux envers tes enfants, envers ta femme... Ils payent le prix, jusqu'à un certain point », explique M. Tremblay.

« Quand on va devoir retourner travailler, on ne rentrera pas à quatre pattes, ce n’est pas vrai. Jamais. Moi, je vais rentrer la tête haute, peu importe la convention qu'on va avoir. Le patron, je vais lui dire : "J'ai fait deux ans dehors et c'est à cause de toi." Le retour au travail, ça va être le ring de boxe, mon homme », conclut M. Temblay.

« Le protocole de retour au travail, d'après moi, va être aussi épais que la convention collective, ha ha! » s'exclame M. Savard avant de quitter.


(1) Centrale des syndicats démocratiques
(2) http://www.985fm.ca/regional/nouvelles/le-lock-out-se-judiciarise.-70434...
(3) http://ici.radio-canada.ca/regions/saguenay-lac/2015/05/06/002-lock-out-...
(4) http://www.journaldemontreal.com/2015/05/12/les-lockoutes-interpellent-l...

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