Radio-Canada: le point sur l'avenir du diffuseur public

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Radio-Canada: le point sur l'avenir du diffuseur public
Opinions
| par Sarah Daoust-Braun |

Radio-Canada/CBC aura 130 millions de dollars de moins dans ses poches pour l’année 2014-2015. Ces réductions budgétaires du gouvernement fédéral entraîneront l’abolition de 657 postes sur deux ans. Le 26 mars, on apprenait que 80 postes du service en français devront être supprimés. L’avenir du diffuseur public est source récurrente de questionnements, de critiques et de mobilisation.

La société d’État fait face, depuis plusieurs années, à des vagues de compressions comme celle, en 1995, de 400 millions de dollars sous le gouvernement de Jean Chrétien. C’est à se demander si un média et un diffuseur public comme Radio-Canada occupe toujours un rôle essentiel et fondamental au sein de la société canadienne. Privée de ses ressources, la SRC ne peut plus  répondre correctement à son mandat d’informer, d’éclairer et de divertir.

Radio-Canada n’est pas le seul diffuseur public dans le monde. Chaque pays qui gère un service public audiovisuel et radiophonique met en place sa propre réglementation quant à son financement et à sa programmation. De façon générale, ces diffuseurs, comme la BBC au Royaume-Uni ou PBS aux États-Unis, ont pour mission d’offrir un service public de qualité grâce à une programmation riche et variée où l’information, l’éducation et le divertissement se complètent et s’équilibrent. Au Canada, en plus de répondre à ce mandat, Radio-Canada doit tenter de refléter la diversité régionale et le caractère multiculturel du pays et de contribuer au partage d’une conscience et d’une identité nationales (1). Au début du 20e siècle, lorsque les premiers diffuseurs publics sont apparus, il était plus facile de respecter ces exigences et de ce fait considérer la télévision et la radio comme un service public puisque les contenus étaient rares (2).

Aujourd’hui, avec la multiplication des chaînes privées et l’arrivée de l’Internet –et surtout dans un contexte de coupes–, un radiodiffuseur et un télédiffuseur public comme Radio-Canada ne peut résister au jeu de la concurrence et délaisse ainsi parfois sa mission première, celle d’informer, de divertir et d’éduquer le public canadien. Aujourd’hui, Radio-Canada doit vivre dans un environnement très concurrentiel. Plusieurs critiquent justement la tendance du diffuseur d’agir comme une chaîne privée axée sur le profit et sur les lois du marché en offrant une programmation qui tente de plaire au plus grand nombre. Cette inclinaison ne date pas d’hier : le chercheur Dave Atkinson observe déjà le phénomène en 1993 et le nomme « syndrome canadien ». Selon lui, ce syndrome qui touche Radio-Canada est « celui d’un système national de télévision qui n’est ni commercial à l’américaine, ni public à l’européenne, […] qui prend la forme d’un régime mixte public-privé où tous les acteurs se concurrencent pour l’auditoire comme pour les recettes publicitaires; système au sein duquel la télévision publique souffre constamment d’un “dédoublement de personnalité” se comportant tantôt comme se doit de le faire une télévision de service public, tantôt comme une télévision commerciale » (3). Pour l’année 2013-2014, 59 % des revenus de Radio-Canada provenaient du financement public, 26 % des revenus publicitaires, 7 % des revenus d’abonnement et 8 % de revenus financiers ou autres. Avec l’influence des publicitaires conjuguée aux compressions budgétaires, la société peut tendre à délaisser ses visées pédagogiques initiales pour entrer davantage dans une logique de marché face à son concurrent numéro un, le réseau privé TVA (4). Selon certains observateurs, le contenu présenté par Radio-Canada ressemble donc de plus en plus au type de contenu privilégié chez les chaînes commerciales. Par exemple, des séries américaines achetées comme Vengeance (Revenge en anglais) s’écartent du mandat original de la Société.

Pour remédier à cette situation, il faudrait bien entendu éviter les compressions budgétaires et ainsi faire en sorte que Radio-Canada s’éloigne de cette logique concurrentielle. Selon les derniers chiffres de 2011, le coût annuel de la société d’État équivaut à environ 33 $ par habitant, l’un des plus bas des pays occidentaux. Son financement public provient de crédits versés par le Parlement canadien. À titre comparatif, le coût par habitant des diffuseurs publics est de 97 $ au Royaume-Uni, de 180 $ en Norvège et de 82 $ en moyenne parmi les pays possédant une politique de financement des diffuseurs publics (5).

Par ailleurs, les réductions budgétaires de Radio-Canada auront toujours pour conséquence d’affecter la qualité de l’information et de la programmation. D’abord, comme expliqué plus haut, en offrant des émissions qui ne répondent pas nécessairement aux mandats du diffuseur public. Ensuite, en abolissant des centaines de postes (1 500 d’ici 2020 dans le cadre du plan « Un espace pour tous »), la qualité en prend un coup. Il en résulte des conditions de travail plus précaires et une possible surcharge de travail pour les employés qui demeurent en poste. De même, faute d’effectifs, l’information régionale se voit menacée au profit d’une centralisation de l’information à Montréal. Tout de même, Radio-Canada n’est pas laissée seule à son sort. Les organisations professionnelles et syndicales ont à cœur la préservation du média public de référence au Québec, gage d’une information de qualité. Même le public s’est mobilisé et a organisé des manifestations dans plusieurs villes du Québec le 16 novembre 2014 en soutien au diffuseur public. Plus particulièrement, l’organisation des Amis de Radio-Canada, formée du Syndicat des communications de Radio-Canada en collaboration avec la CSN, a rendu disponible son livre blanc sur l’avenir de Radio-Canada/CBC, qui offre plusieurs pistes de réflexion sur la raison d’être du diffuseur public dans un contexte de réductions budgétaires et de bouleversements médiatiques et technologiques.

Par ailleurs, en février, le premier ministre Stephen Harper a tenu en ondes certains propos à l’endroit de Radio-Canada. « Moi, je reste convaincu que, malgré l’image donnée par certains médias, par certains de nos opposants, les Québécois ne sont pas des gauchistes », a-t-il indiqué dans une entrevue pour FM 93, une station de radio de Québec. « Je comprends très bien qu’il y a beaucoup [de gens]) à Radio-Canada qui détestent ces valeurs, mais je pense que ces valeurs sont les vraies valeurs d’un grand pourcentage de Québécois », ajoute-t-il un peu plus tard. Il évoque la haine que de nombreux employés à Radio-Canada entretiendraient envers les valeurs conservatrices. Difficile de ne pas voir poindre dans ces affirmations des raisons idéologiques derrière les compressions imposées au diffuseur public depuis quelques années par le Parti conservateur. Le gouvernement de Stephen Harper n’a jamais été tendre envers les journalistes, notamment en ce qui a trait à sa volonté de réduire l’accès à l’information. La commissaire à l’accès à l’information du Canada, Suzanne Legault, a d’ailleurs reconnu encore une fois que les « intérêts du gouvernement l’emportent sur ceux du public » dans un rapport présenté à la fin mars visant à moderniser la Loi sur l’accès à l’information. Surtout, ces idées remettent en question la neutralité et l’impartialité journalistique en vigueur à Radio-Canada, alors que la Société a pour mission première de préserver son indépendance et de rester à distance du pouvoir politique.

Le sort de l’information et de la programmation de Radio-Canada dépendra du prochain gouvernement fédéral. Le diffuseur public est malmené depuis plusieurs années, mais n’est tout de même pas menacé de mort. Thomas Mulcair, du NPD, promet d’annuler les compressions et d’assurer un financement stable pour la société d’État. Justin Trudeau, du Parti libéral, s’est de son côté engagé à « donner un nouveau souffle » à Radio-Canada. Que veut-on dire par là? Le parti qui a le plus de chances d’être élu après les conservateurs entreprendra-t-il des actions concrètes pour assurer le financement de Radio-Canada ou gardera-t-il un profil bas? Reste à voir si ces promesses seront tenues lorsque l’un de ces partis accèdera au pouvoir.  

L’opinion exprimée dans le cadre de cette lettre d’opinion, est celle de son auteur et ne reflète pas nécessairement l’opinion, ni n’engage la revue l’Esprit libre.

(1) Loi sur la radiodiffusion (1991, ch. 11, B-9.01, [Sanctionnée le 1er février 1991).
(2) TRUDEL, Pierre. « Rôle et mandat du service public audiovisuel dans l’univers en réseau », dans Denis MONIÈRE et Florian SAUVAGEAU, dir., La télévision de Radio-Canada et l’évolution de la conscience politique au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 2012, p. 177.
(3) ATKINSON, Dave. La crise des télévisions publiques européennes ou la propagation du « syndrome canadien », Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1993, p. 24.
(4) COMEAU, Paul-André. « Radar de la société, fenêtre sur le monde », dans Denis MONIÈRE et Florian SAUVAGEAU, dir., La télévision de Radio-Canada et l’évolution de la conscience politique au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 2012, p. 80.
(5) RADIO-CANADA. « Le financement des diffuseurs publics dans le monde », Ici Radio-Canada (27 novembre 2014), [en ligne], http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/economie/2014/11/27/002-financement-diffuseurs-publics-monde.shtml (page consultée le 23 mars 2015).    

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