Les contaminants d’intérêts émergents, une menace pour notre eau potable?

Environnement
Québec
Les contaminants d’intérêts émergents, une menace pour notre eau potable?
Entrevues
| par Isabelle Rousseau |

Entrevue avec Meghan Marshall, doctorante en génie chimique à l’Université McGill, au Laboratoire 3Cs où elle participe à l’évaluation de la toxicité des contaminants qui sont mal éliminés dans les eaux usées et finissent ainsi dans nos eaux de surface, pouvant diminuer la qualité de nos sources en eau potable. Ces contaminants d’intérêts émergents (CIE)*(voir réponse à la deuxième question), qui se retrouvent notamment dans le Saint-Laurent à travers la décharge des eaux usées, sont un sujet d’étude très important, bien que peu connu de la population. En effet, ces polluants pourraient avoir un impact considérable dans notre environnement. Le laboratoire 3Cs étudie donc l'ozonation¹ comme méthode de traitement pour éliminer les contaminants des eaux usées et la toxicité qui leur est associée.

: Nous savons que l’assainissement et le traitement des eaux usées ont des répercussions positives sur notre santé publique, notre économie et notre environnement. Au Québec, nous avons la chance de consommer une eau salubre et d’avoir à notre disposition les infrastructures pour décontaminer les eaux usées. Mais qu’en est-il réellement? L’eau consommée est-elle exempte de tout contaminant?

R : Il s’agit d’une question intéressante à laquelle on ne peut pas complètement répondre. En premier lieu, je tiens à préciser que notre laboratoire se concentre principalement sur les eaux usées; mais nous avons récemment commencé à examiner le lien entre les eaux usées et la qualité des sources d’eau potable. À travers une étude sur les drogues illicites et d'ordonnances dans ces eaux, nous avons démontré que la cocaïne, la benzoylecgonine, le méthylènedioxyamphétamine, l'éphédrine, et plusieurs opioïdes d'ordonnances ne sont pas enlevés efficacement pendant le traitement des eaux usées. Ces substances persistent dans le milieu récepteur (par exemple, les rivières) et contaminent les sources d'eau potable. Notamment, des contaminants ont été trouvés en faible concentration dans une rivière avant et après le point de déversement des eaux usées traitées. On les a aussi retrouvés le long de la rivière réceptrice et dans la source d’eau potable. Par conséquent, il est nécessaire de mieux traiter les eaux usées non seulement pour protéger notre environnement aquatique, mais aussi pour préserver la qualité de l’eau que nous consommons.

Q : Plusieurs contaminants se sont donc retrouvés dans le fleuve Saint-Laurent. Ceux-ci auraient une incidence néfaste sur la flore et la faune de notre environnement aquatique. Quels sont les impacts réels de cette présence?

: Dans notre laboratoire, nous étudions une grande variété de groupes de composés appelés les contaminants d’intérêt émergent. Ils sont d'une importance primordiale puisque les risques qu'ils présentent pour la santé humaine et l'environnement ne sont pas encore entièrement connus. Voici quelques exemples de ces CIE : les pesticides, les herbicides, les perturbateurs endocriniens, les produits de soins personnels, les antibiotiques et les muscs synthétiques. La grande variété de ces composés s’accompagne donc de nombreux effets potentiels sur l’environnement. Les hormones de contraception sont un exemple suscitant d’importantes préoccupations en raison de leur consommation de masse par notre société et de leur effet bien documenté sur les poissons. Entre autres, d’autres chercheur-es ont démontré que l'exposition des vairons à grosse tête (Pimephalespromelas) au 17a-éthinylestradiol, un ingrédient actif dans les contraceptifs, provoque des poissons intersexués.

Mes recherches visent à contribuer au développement d’outils de mesure de toxicité qui sont rapides, simples et peu coûteux. Nous tentons ainsi de démontrer que le suivi de toxicité de l’eau usée est possible en utilisant des algues comme biosenseurs². Par exemple, j’ai pu observer à l’aide de ces biosenseurs la toxicité d’un grand nombre de contaminants, en particulier les herbicides (incluant l’Atrazine), qui sont toxiques pour les algues et provoquent une diminution de la photosynthèse (le processus par lequel ils créent de l'énergie pour survivre). Je pense qu'il nous reste encore beaucoup de choses à découvrir par rapport aux impacts à long terme sur l'environnement et la santé humaine.

Q : À quoi est dû ce problème de contamination de notre environnement aquatique? Est-ce dû au fait que la population possède peu de connaissances sur le sujet ou est peu sensibilisée? Ou s’agit-il d’une déficience ou d’une non-performance du système de traitement conventionnel? Y a-t-il une faiblesse dans la présence des infrastructures d’assainissement des eaux usées ou dans leur maintenance?

: En fait, ce n’est aucune de ces réponses! La raison est plutôt que nos infrastructures n’ont pas été traditionnellement conçues pour éliminer ces contaminants. En effet, les usines de traitement des eaux usées sont généralement conformes aux normes en vigueur. Elles ont été conçues pour diminuer la concentration de la matière organique³, des nitrates⁴, des phosphates⁴ ainsi que pour désinfecter l'eau, et elles remplissent ce rôle. Cependant, avec les nouvelles connaissances sur les effets des contaminants qui émergent, les organismes de réglementation mettront éventuellement en place des règles plus strictes afin d’en assurer un meilleur suivi. Les pays d'Europe sont d’ailleurs des leaders dans ce domaine et ont un pas d’avance comparativement à l’Amérique du Nord. Par exemple, la Suisse a mis en place une structure de réduction de plusieurs contaminants d’intérêts émergents des effluents des eaux usées, par exemple : les biocides, les pharmaceutiques et les produits de dégradation des pesticides. Le Canada s’impliquera probablement dans ce dossier dans un avenir rapproché, du moins, espérons-le!

Dans notre laboratoire, nous étudions les technologies basées sur l'ozone en tant que méthode de traitement permettant de réduire ou éliminer ces contaminants nocifs et leurs effets toxiques. L’ozonation, technologie encore utilisée en Amérique du Nord en ce qui concerne l’eau potable, est devenue aussi fréquemment privilégier dans le traitement des eaux usées à compter de la fin des années 1970s. L’usine de traitement des eaux usées Jean-R. Marcotte, située à Rivière-des-Prairies sur l'Île de Montréal, investie d’ailleurs dans cette méthode. Il s’agira bientôt de la plus grande usine de traitement des eaux usées dans le monde à utiliser l'ozone pour la désinfection des eaux usées. Notamment, Dre Viviane Yargeau, ma superviseure, est une des chercheures qui aura accès à des échantillons d’eau lors de la mise en place de cette technologie dès 2018. Tout ceci est très excitant pour notre groupe de recherche, mais aussi pour l’avenir de la qualité des eaux dans la région de Montréal!

Q : Le mot de la fin : selon vous, quelles sont les solutions pour commencer à éradiquer les contaminants d’intérêt émergent dans les eaux usées?

R : Je pense que c’est un des grands problèmes de notre siècle! Ce ne sera pas une seule solution qui va améliorer notre situation, il en faudra plusieurs. On pourrait commencer par favoriser la recherche sur les impacts des contaminants d’intérêt émergent et développer des technologies pour les réduire ou les éliminer. On pourrait aussi éduquer le public afin qu’il puisse comprendre la gravité des impacts de la présence de ces polluants. Cette sensibilisation inciterait les consommateurs et les consommatrices à faire des choix de produits éclairés et les aiderait à disposer adéquatement de certains contaminants.

Tout ceci s’avère être un grand défi, mais qui, par l’entremise de l’éducation de notre société, amènera probablement une amélioration notable de la qualité de l’environnement. Un approfondissement de la recherche sur le sujet et une sensibilisation des gens au problème de la contamination des eaux permettront éventuellement d’avoir plus d’impact sur les prises de décision de la classe dirigeante incluant le gouvernement et l’industrie.

Une régulation et une surveillance de la concentration des décharges dans l’environnement pourraient aussi être réalisées. J’ai beaucoup d’espoir en cela, et comme je l’ai déjà mentionné auparavant, il est probable de voir des règles plus strictes pour les eaux usées émerger bientôt.

On espère une prise de conscience et des comportements plus responsables afin de réduire l’utilisation de produits nocifs et nous souhaitons leur remplacement par des options moins dommageables pour l’environnement et la santé humaine. Finalement, il est important de mentionner que si ces produits ne sont pas disponibles pour la consommation, ils ne se retrouveront pas dans notre eau potable, dans nos eaux de surfaces et dans nos eaux usées.

Bref, cette problématique nous concerne tous et une implication de l’ensemble des citoyens et des citoyennes s’avère nécessaire afin d’améliorer l’environnement dans lequel nous évoluons!

 

 

LEXIQUE DE MOTS OU TERMES SCIENTIFIQUES PAR MEGHAN MARSHALL

 

Ozonation¹ : Méthode de dégradation des chimiques et autres substances présentes dans l’eau, il est aussi utilisé comme désinfectant.

Biosenseur² : Véhicule pour la détection de la toxicité.

Matières organiques³ : composés d’organismes vivants, de végétaux, d’animaux et de produits en décomposition.

Nitrates, phosphate⁴ : composés chimiques qui se retrouvent dans les eaux usées.

Ajouter un commentaire