Leçons du printemps 2015

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Leçons du printemps 2015
Opinions
| par Julien Daigneau |

Éviter les mêmes pièges cet automne

L’épisode de grève étudiante du printemps a déçu et frustré beaucoup d’étudiant-es de l’UQAM, même si peu osent le dire. Beaucoup de personnes ont fait confiance aux comités Printemps 2015 pour mener à bien le mouvement de grève « contre l’austérité et les hydrocarbures ». Toutefois, dès janvier, on critiquait  le manque de représentativité et les limites stratégiques inhérentes à ces comités (1). La base étudiante doit dès maintenant tirer les leçons du Printemps 2015 afin d’éviter de tomber dans les mêmes pièges à l’automne.

Décimons d’emblée une confusion entourant les comités Printemps 2015 (P2015) : non, « comités Printemps 2015 » et « mouvement étudiant » ne sont pas synonymes. Les comités P2015 ne sont pas des associations étudiantes ni des comités de liaison officiels. Ils n’ont de compte à rendre à personne, contrairement aux comités et associations légitimes. Il s’agit d’un réseau de comités militants autoproclamés et décentralisés. Malgré l’usage systématique du « nous » dans leurs publications, les comités P2015 organisent principalement des cercles restreints de militant-es radicaux-ales universitaires localisé-es à Montréal. Bien que ces militant-es soient marginaux-ales au sein du mouvement étudiant, leurs idées y ont toutefois exercé une influence majeure en terme de stratégies de mobilisation, de liens identitaires et de discours politiques.

Du 23 mars au 6 avril, des associations étudiantes – structures légitimes et représentatives du mouvement étudiant – regroupant près de 60 000 étudiant-es ont démocratiquement voté différentes modalités de grève contre l’austérité. Leur débrayage a été tout aussi massif lors des manifestations des derniers mois (80 000 étudiant-es le 31 octobre 2014 (2), 135 000 le 2 avril 2015 (3) ou encore 40 000 le 1er mai 2015 (4). Les comités P2015 ont joué le rôle important d’avant-garde politique dans la mobilisation, dans l’orientation politique et dans l’organisation de ces actions. Leur structure en réseau leur a aussi servi de prétexte pour prendre des décisions à la place de la majorité, au nom de la cause et de l’auto-organisation de la base. Ainsi, les étudiant-es grévistes de l’UQAM n’ont jamais été consulté-es pour le piquetage dur du 30 mars, pour les levées de cours houleuses ou pour le saccage qui a suivi l’occupation du pavillon De Sève le 8 avril. Les actions qui ont défrayé la manchette n’ont jamais fait l’objet de débats ou de décisions démocratiques larges.

Absence de leadership des associations

Si des groupuscules et des individus radicaux ont réussi à avoir autant d’attention et d’influence, c’est en grande partie dû au manque de leadership cohérent et militant provenant des associations étudiantes locales et nationales. À l’UQAM, par exemple, certain-es élu-es étudiant-es ont déserté leur mandat en déléguant aux comités P2015 le travail politique à accomplir auprès de leurs propres membres.

À l’AFELC (5), personne n’a cru bon d’organiser des campagnes politiques massives ou de faire appel aux quelques 4 000 membres durant les deux semaines et demie de grève de l’association : rien sur la page Facebook, rien sur le site, aucune affiche dans l’UQAM. Un courriel d’invitation de masse a toutefois été envoyé le 26 mars au sujet des actions entourant les menaces d’expulsions politiques planant sur neuf militant-es. Le seul travail officiel a été réalisé entre la poignée de militant-es du comité de mobilisation, principalement organisé à travers son groupe Facebook fermé.

Le bilan du printemps nous force à questionner l’efficacité et l’aspect antidémocratique des stratégies d’actions commandos élaborées par les cliques de militant-es. À terme, leur intervention ultraradicale a été l’un des principaux facteurs dans la désarticulation du mouvement étudiant, plongé de manière précipitée dans une grève sans objectifs clairs, concrets et atteignables. Le déphasage entre la conscience politique des élites militantes et celle de la majorité des étudiant-es a conduit à deux pièges majeurs :

- la volonté de remplacer par une « démocratie directe » issue de l’auto-organisation la démocratie représentative des structures officielles ;

- la formulation d’un discours toujours plus radical, malgré l’essoufflement du mouvement de contestation.

Quels gains le mouvement de grève du printemps nous a-t-il permis d’obtenir ? Objectivement, aucun. Subjectivement, il aura participé à la radicalisation de nouvelles couches de la population, principalement étudiantes. Leur révolte nécessite toutefois d’être canalisée de manière constructive et efficace cet automne. Pour l’instant, on se retrouve devant une répression et des reculs historiques qui prendront des mois, sinon des années à surmonter. Quelques épisodes déterminants du printemps sont survolés plus bas.

Le lien avec la majorité

Même les militant-es de bonne foi peuvent perdre le lien qui est sensé les unir à la majorité de leurs congénères. Le pouls des autres devient de plus en plus difficile à prendre lorsque l’on est obnubilé-e par sa pratique militante, entouré-e presque exclusivement de ses camarades de lutte et enrobé-e dans un environnement Facebook qui conforte nos opinions.

La mauvaise foi surgit au moment où, plutôt que de constater l’ampleur de la tâche et de faire les efforts adéquats pour convaincre ces autres, on rejette la faute sur cette majorité « endormie », « incapable de comprendre », voire « de droite ». Les explications mécanistes deviennent alors bien commodes pour éviter l’autocritique et se victimiser face au pouvoir « manipulateur » des médias et « corrompu » des structures. Si ces risques sont et ont toujours été présents, ils ne constituent pas une fatalité discréditant à tout jamais ces institutions. Ce type de logique revient un peu à réclamer l’abolition de Code de la sécurité routière puisque, de toute façon, des accidents mortels surviennent toujours.Ce qui a fait le succès de la CLASSE en 2012, soit sa nature de coalition large et unie, son travail patient de mobilisation en région, ses revendications claires reposant sur un argumentaire étoffé, ses porte-paroles efficaces, un discours radical accessible et des pratiques démocratiques exemplaires, n’a pas été reproduit ce printemps.

Démocratie directe et démocratie représentative

La popularité des actions et la structure des comités P2015 étaient toutefois en mesure de maximiser le pouvoir mobilisateur des associations et des comités étudiants. L’organisation en groupes affinitaires ou en réseau n’exclut pas forcément celle des structures représentatives. En fait, ces deux approches ont besoin l’une de l’autre pour grandir. Un exemple d’actualité internationale le démontre bien : l’organisation politique des Indignados espagnol-es a mené à la création du parti Podemos, qui vient tout juste de se hisser à la tête des mairies de Madrid et de Barcelone.

La rhétorique des comités P2015 oppose une vision idéalisée de la démocratie directe à une conception sclérosée de la démocratie représentative. Elle pose un faux dilemme aux militant-es : vous êtes avec les « meutes enragées » ou vous êtes avec les bureaucrates des syndicats et des associations. En fait, la démocratie directe est un complément à la démocratie représentative, en même temps qu’un instrument de sa transformation. Pour s’affirmer, le philosophe Jean-Marie Vincent soutient que la démocratie directe a besoin « d’un terrain longuement labouré par des institutions vivantes et par les luttes autour de leur mode de fonctionnement ». (6) La démocratie directe ne vise pas à subvertir la représentation en la supprimant. Elle la contraint à fonctionner autrement. Elle l’oblige « à entrer dans une dialectique de la base au sommet qui l’emmène loin de ses habitudes de distorsion et de déformation des aspirations populaires dans le travail de définition de la volonté populaire » (7). Si la démocratie directe est l’oxygène de la démocratie représentative, cette dernière est le poumon qui offre la puissance de respiration à la démocratie directe.

Il est essentiel de coordonner l’auto-organisation à la base avec les structures représentatives étudiantes afin de plonger le plus de monde possible dans la lutte. Bien que cela a été le souhait de P2015 (8), son approche a plutôt été celle du conflit et de la compétition avec l’ASSÉ, les associations et les comités étudiants. Les comités P2015 auraient pu servir d’articulation pour mobiliser massivement les étudiant-es sur la base de stratégies et d’actions concertées et démocratiquement décidées. Ils ont plutôt cédé aux pulsions révolutionnaires, jetant par-dessus bord la discipline, la rationalité et l’esprit de stratégie nécessaires pour vaincre un ennemi plus fort qu’eux.

Un discours identitaire

Dès l’automne 2014, le discours de P2015 s’est articulé autour des thèmes de la lutte, de la révolte, de la meute de loups enragés et d’une « grève sociale inévitable » (9) au printemps. Le matériel d’information et les produits dérivés à l’effigie du loup ont été très utiles pour construire une identité gréviste forte. À l’image du carré rouge des grèves précédentes, le marketing politique agressif de P2015 a réussi à canaliser la colère d’une couche militante d’étudiant-es. La rhétorique émeutière de P2015 n’a toutefois pas offert d’orientations stratégiques adaptées aux différentes étapes du mouvement de protestation.

La grève générale, partout tout le temps

Tout le discours de P2015 est articulé autour de la grève générale comme fin en elle-même et comme moyen à utiliser à toute occasion et en tous lieux. Le matériel de P2015 fait la promotion de l’idée et des modalités de la grève générale, mais reste discret quant à sa nécessité stratégique. Les tracts parlent de son potentiel de « menace » et de « rapport de force » (10) face au gouvernement, mais surtout de l’urgence de faire cette grève et de la reconduire coûte que coûte (11). On cherchera en vain les réponses aux questions : quelles stratégies adopter si cette grève n’a aucun effet sur la direction des universités et sur le gouvernement ? Que faire sous une injonction ? Et si les étudiant-es ne veulent plus faire la grève ? En outre, plusieurs associations se sont mises à faire la promotion de la grève après l’avoir votée en assemblée générale. Contrairement à 2012, on aura tenté sans succès d’assister aux débats préparatoires, aux séances d’information ou aux campagnes sérieuses sur les enjeux d’une grève.

Contrairement à ce qu’affirme l’AFÉA (12), la grève ce n’est pas du « bonbon », du moins pas  pour la majorité des étudiant-es de l’UQAM. C’est un sacrifice familial pour les parents étudiants. C’est un sacrifice économique pour ceux et celles qui vivent sous le seuil de la pauvreté et dont les jours de travail sont comptés. C’est un sacrifice physique et psychologique pour les personnes brutalisées par la police. Si certain-es font ces sacrifices en toute connaissance de cause, ces personnes n’ont ni l’autorité morale ni la légitimité d’en demander autant aux autres. Le militantisme est parfois un luxe que certain-es ne peuvent pas se permettre. Le nier, c’est mépriser les conditions d’existence des classes travailleuses et populaires.

Pour une approche transitoire

Cela ne justifie pas l’inaction pour autant. Les coupures et les hausses enragent les gens. Le « monde ordinaire » ne développe toutefois pas automatiquement une conscience politique des rouages du capitalisme et de la nécessité du socialisme. Voilà pourquoi il est nécessaire de prendre ces personnes là où se situe leur réflexion et leur indiquer de manière compréhensible le chemin à emprunter pour lutter efficacement et gagner.

Malgré ce que P2015 prétend (13), le mouvement du printemps n’a pas « repris » là où la grève de 2012 s’est arrêtée. La conscience politique des étudiant-es ne suit pas une pente ascendante continue. Elle connaît des périodes d’avancement et de recul auxquelles il faut s’ajuster avec flexibilité. Il ne s’agit pas de demeurer dans le statu quo en se collant à la conscience immédiate des gens. Pas plus que de s’en déconnecter en se projetant à des années-lumière devant elle. Le défi demeure celui d’analyser constamment la situation afin d’identifier la prochaine étape, la prochaine revendication qui permettra au mouvement d’avancer de manière unie et combative.

Depuis le 1er mai, date ultime d’une « grève sociale » qui n’est jamais advenue, le mot d’ordre de P2015 semble être celui de la grève générale à l’automne 2015. Continuer de réciter ce mantra ne fera que braquer encore plus ceux et celles qui doivent la faire, cette grève générale. Durant le printemps, les comités P2015 ont prêté de fausses intentions de grève aux syndicats du milieu de la santé (14) et ont mal analysé l’état de conscience parmi les étudiant-es. Le mouvement gréviste qu’ils ont conduit s’est effondré aussi vite qu’il s’est bâti. Cette approche n’a mené à aucune victoire, au contraire.

Pour des objectifs clairs et envisageables

La fenêtre de lutte historique qui s’ouvre avec le renouvellement des conventions collectives des 577 700 employé-es du secteur public et parapublic ainsi que la mobilisation sans précédent contre l’austérité ont le potentiel de faire tomber le gouvernement. Une campagne axée sur une journée nationale de perturbation économique couplée à une grève générale syndicale de 24h a des chances de se réaliser. Encore faut-il que la base syndicale s’organise elle-même pour la mener, malgré l’opposition de leur propre direction. Pour s’assurer un impact certain, les syndiqué-es devront aussi formuler des revendications capables de toucher et de mobiliser l’ensemble des classes travailleuses populaires.

À l’UQAM, avant de tenter de mobiliser les étudiant-es autour d’une grève générale illimitée, les militant-es devraient penser à une campagne massive sur l’utilité et la nécessité du syndicalisme étudiant. Sinon, il y a risque de se retrouver face à de nouvelles vendettas visant à dissoudre les associations. La possibilité de grève des membres du SPUQ (15), du SÉTUE (16) et du SCCUQ (17) à l’automne offre une occasion au mouvement de se coaliser autour de demandes précises comme l’arrêt des coupures et la réembauche de professeur-es, le transfert de postes de chargé-es de cours dans le corps professoral et le renforcement de la cogestion universitaire.

De plus, l’évidence de l’imposition d’une loi spéciale ou d’un décret du gouvernement force dès maintenant à élaborer une stratégie concernant l’action illégale. Dans un tel contexte défavorable, le mouvement court à sa perte si l’accent n’est pas mis dès maintenant sur la mobilisation démocratique du plus grand nombre.

Il est essentiel de se fixer des objectifs clairs et envisageables qui pointent vers un changement social radical. Sinon, comment fera-t-on pour savoir qui a gagné, quand arrêter ou quand continuer ?

Quelques épisodes déterminants du printemps

- La perte de l’AFESPED

En février, des étudiant-es opposé-es à la grève obtiennent la tenue par l’UQAM d’un référendum électronique concernant la représentativité de l’AFESPED (18). À l’issue du scrutin en mars, une faible majorité d’étudiant-es désavouent leur association (19), ce qui met fin à sa reconnaissance par l’UQAM. Ce résultat aurait dû servir d’électrochoc pour faire réaliser la gravité du problème qui déchire les étudiant-es sur la question du syndicalisme estudiantin. Plutôt que de mener une campagne honnête sur l’enjeu de fond – la lutte pour le leadership politique de l’association –, les exécutant-es tentent de dépolitiser le problème en misant sur une campagne axée autour des services offerts par l’association. L’occasion d’élaborer une stratégie adéquate pour convaincre la majorité de l’utilité du syndicalisme militant est ratée. Les étudiant-es perdent ainsi une structure démocratique, un outil économique et politique important en se divisant sur des lignes politiques intransigeantes.

- Le piquetage dur

À la fin du mois de mars, le blocage de l’UQAM par des militant-es radicaux-ales sert sur un plateau d’argent le prétexte à la direction pour faire appliquer une injonction contre toutes les levées de cours et tous les blocages. Les étudiant-es grévistes et le personnel de l’UQAM ne sont ni consulté-es, ni mobilisé-es pour cette action. La représentante des étudiant-es au Conseil d’administration et au Comité exécutif de l’UQAM, Justine Boulanger, défend cette approche en affirmant que toutes les actions ne peuvent pas être « nécessairement » expliquées à tout le monde. « Tout ne peut pas provenir des AGs ou des comités, et c’est tant mieux ainsi », écrit-elle sur Facebook (20).

Certain-es militant-es s’aliènent leurs propres appuis en tabassant des employé-es venu-es travailler. Les passant-es ont droit à des insultes de cégépien-nes arborant fièrement leur bannière « Brûle toute » et « ACAB ». Les militant-es radicaux-ales bloquent l’accès à l’université à des milliers d’étudiant-es qui ne sont pas en grève, principalement ceux et celles de l’École des sciences de la gestion, et forcent l’annulation de la première journée de collecte de sang annuelle d’Héma-Québec. D’autres indiquent faussement sur une bannière qu’ « aucun cours, évaluation ni remise n’auront lieu » à l’AFELC, bafouant ainsi les dérogations décidées en AG.

Dépourvu de message unificateur et d’effectifs, le blocage s’essouffle en fin d’après-midi sans établir de rapport de force avec l’UQAM, encore moins avec le gouvernement. Organisée de manière ouverte et démocratique, cette action aurait toutefois pu constituer la meilleure façon de faire entrer la communauté uqamienne en lutte. Elle aurait pu survivre à l’injonction si elle s’était appuyée sur une mobilisation de masse et sur des revendications concrètes.

- Le ludique avant la solidarité

Le 1er avril, au moment où la grève étudiante bat son plein, P2015 organise une manifestation de « solidarité étudiante avec le secteur de la santé » (21). Cette solidarité avec les employé-es de ce secteur fait partie du discours de P2015 depuis le mois de janvier. La manifestation débute au Cégep du Vieux-Montréal, passe devant le CSSS Jeanne-Mance et termine sa course devant le CHUM. Il s’agit de l’action principale organisée par P2015 pour démontrer concrètement sa solidarité avec des travailleur-euses hors de l’UQAM. Des 1 000 personnes qui indiquent vouloir y participer sur l’événement Facebook, seule une cinquantaine vont appuyer les employé-es dans la rue. Près de 600 étudiant-es préfèrent participer à une autre activité de P2015, une fausse manifestation de droite, qui s’arrête cinq minutes devant le CHUM pour scander « À bas les syndicats! ». Le manque de cohésion politique et organisationnel des comités P2015 joue un rôle majeur dans l’échec de cette action. Appeler à un « front social contre l’austérité » n’est pas suffisant pour qu’il se matérialise. La solidarité n’est pas uniquement un principe, un concept abstrait. Il s’agit d’une pratique sociale qui s’apprend et qui s’opère dans le concret des luttes.

- La démission en bloc à l’ASSÉ

Lors du congrès de l’ASSÉ les 4 et 5 avril, la coordination nationale veut discuter d’un arrêt de la grève en vue d’une reprise à l’automne. Payant pour son manque de leadership des derniers mois, elle démissionne en bloc sous la pression de militant-es radicaux-ales. Ces dernier-ères font d’ailleurs voter une motion de « destitution symbolique » à l’exécutif sortant (22), rajoutant l’insulte à l’injure. Le ton vindicatif de la nouvelle équipe en faveur du maintien de la grève consacre la chute du mouvement. Le 10 avril, seuls 7 % des étudiant-es collégiaux et universitaires du Québec sont en grève. Le bilan nul et les stratégies inefficaces des associations et de P2015 jouent un rôle de premier plan dans le vote pour le retour en classe, notamment à l’AFELC.

- Le saccage du De Sève

Le 9 avril, la diffusion d’images du saccage ayant suivi l’occupation du pavillon J.-A.-de-Sève, la veille, contribue à diminuer le peu de soutien populaire à la lutte étudiante. Avant même la diffusion de ces images, un sondage Léger-Le Devoir mené du 6 au 9 avril indique que 66 % des sondé-es désapprouvent le mouvement de grève étudiante contre 24 % qui l’approuvent. Seule la tranche des 18-24 ans appuie massivement la grève à 47 % (23).

L’occupation survient à la suite d’une intervention injustifiée sur le campus d’une centaine de policier-ères venu-es y arrêter des étudiant-es qui procédaient à des levées de cours illégales en vertu d’une injonction obtenue par l’UQAM. Si l’occupation se déroule dans une atmosphère festive, les choses se gâtent en fin de soirée. Les participant-es peuvent alors constater le vrai visage du « comité invisible » et des autres insurrectionalistes. Certain-es étudiant-es sont roué-es de coups en tentant d’empêcher les ultraradicaux de faire de la casse. Cela ne les empêche pas de fracasser les vitrines du Service à la vie étudiante, service qui finance à coût de dizaines de milliers de dollars les comités auxquels leurs propres groupes s’abreuvent. En outre, l’argent de la caisse du café étudiant Tasse-toi est dérobé. Un petit mot cynique y est laissé: « On aime les cafés autogérés ». Tout casser en désespoir de cause n’a ni favorisé la solidarité des luttes ni permis d’établir un quelconque rapport de force. La « diversité des tactiques », si elle peut être utile dans certains cas, ne mène à rien lorsqu’elle est utilisée comme un chèque en blanc permettant à n’importe qui de faire n’importe quoi, n’importe où.

Les jours suivants, des poèmes anonymes sont distribués dans l’UQAM. Ils parlent des événements comme d’une « œuvre d’art » relevant de la « poésie ». L’AFÉA fait quant à elle imprimer des affiches affirmant que « Le vandalisme est une vue de l’esprit ».

- L’essoufflement

Après la manifestation nationale du 2 avril, le mouvement de contestation se rabougrit à son noyau militant du centre-ville de Montréal. Le 10 avril, 85 % des grévistes sont localisé-es à Montréal (42 % à l’UQAM, 25 % au Cégep du Vieux-Montréal, 18 % à l’Université de Montréal) . À la fin avril, des militant-es érigent une série de campements de fortune sur le terrain de différents Cégeps (Vieux-Montréal, Saint-Laurent, Rosemont, Maisonneuve, Lionel Groulx, Sherbrooke, Saint-Hyacinte, Valleyfield, Jonquière). La plupart des campements sont démantelés en mai.

- Les menaces d’expulsions politiques

Au début avril, le discours de P2015 se recentre autour de la lutte contre la « dérive austéritaire » et les menaces d’expulsions politiques à l’UQAM. Cette campagne, concrète dans ses revendications et forte de nombreux appuis, échoue cependant à mobiliser massivement les étudiant-es. À notre avis, il serait avantageux de mettre l’accent sur la menace que constituent les possibles expulsions politiques pour la cogestion universitaire. Cela permettrait de dépersonnaliser l’enjeu et de toucher le concret du cursus scolaire des étudiant-es (commande de cours, entente d’évaluation, structure des programmes, etc.).

 

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  1. Julien Daigneault. L’horizontalité une erreur stratégique. dans Réflexions socialistes vol.2 #1 Hiver 2015. p.4
  2. Arnaud Theurillat-Cloutier. La plus grande mobilisation sociale depuis le « printemps érable ». dans ricochet.media. 03-11-2014.
  3. La Presse Canadienne. Imposante manifestation au centre-ville de Montréal. dans lapresse.ca. 02-04-2015
  4. Coalition du 1er mai. Mandats de grève.
  5. Association facultaire étudiante de langues et communication de l’UQAM
  6. Jean-Marie Vincent [1983] Démocratie représentative et démocratie directe. dans La gauche, le pouvoir, le socialisme. Hommage à Nicos Poulantzas. Presses universitaires de France. Paris. p.72
  7. Ibid p.71
  8. Printemps 2015. Montrer les crocs.
  9. Printemps 2015. Vers une lutte commune au printemps. Tract.
  10. Printemps 2015. Questions et réponses : grève générale reconductible. Tract.
  11. Printemps 2015. Pourquoi reconduire la grève ? Tract.
  12. Association facultaire étudiante des arts de l’UQAM
  13. Printemps 2015. L’ASSÉ ne fait pas le printemps. 30-03-2015.
  14. Anne-Marie Provost. Nouveau printemps étudiant à prévoir. dans 24h. 20-01-2015. p.5
  15. Syndicat des professeurs et professeures de l’UQAM
  16. Syndicat des étudiants et étudiantes employé-e-s de l’UQAM
  17. Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM
  18. Association facultaire étudiante de science politique et droit de l’UQAM
  19. 625 votes en défaveur de la représentativité de l’AFESPED, 578 votes en faveur
  20. Justine Boulanger, commentaire sur la page Facebook du Comité Mob AFELC. 30-03-2015.
  21. Printemps 2015. « À Qui profite notre santé ? » Manifestation de solidarité étudiante avec le secteur de la santé – Quartier Latin. Événement Facebook.
  22. ASSÉ. Texte entériné par le congrès de l’ASSÉ du 4 et 5 avril 2015. 06-04-2015.
  23. Sondage Léger-Le Devoir. Politique québécoise. Pour publication le 11 avril 2015. p.16
  24. La grève se poursuit au Vieux-Montréal après l’échec des pétitionnaires. dans ici.radio-canada.ca. 10-04-2015

 

Commentaires

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Bon texte. :La critique des stratégies du printemps 2015 est intéressante. Mais il me semble qu'il ne fait pas la démonstration que les facteurs analysés expliquent à eux seuls l''échec'' du mouvement (échec bien relatif, car comme l'auteur le dit, c'est dans le concret des luttes que s'apprend la pratique sociale de la solidarité... P2015 aura certainement servit à cet apprentissage). D'autres facteurs très importants ajoutent à la compréhension de l'échec du mouvement. Le plus intéressant à mon avis que je nommerais est que cette grève fut probablement la première au Québec à porter non pas sur des revendications précises/législatives mais sur des revendications politiques et économiques générales et globales: on n'est pas contre tel ou tel détail, on est contre l'Austérité ou le Capitalisme, etc. On peut critiquer la stratégie, mais je crois qu'une coexistence de mobilisations portant sur des enjeux précis ET de mobilisations portant sur une transformation systémique et globale est essentielle. La première aide la seconde à se concrétiser, la seconde aide la première à ne pas tourner en ronds. Au risque de faire un sophisme, ''on n'a pas inventé l'ampoule en améliorant la chandelle''. Mais les populations, notamment, québécoise sont beaucoup moins accoutumées à la critique systémique qu'à la revendication immédiate et concrète... cela peut peut-être ajouter à la difficulté de mobiliser un plus grand nombre de militants qu'en 2012. La violence médiatique et surtout policière, déjà forte en 2012 mais diablement vigoureuse en 2015 n'a pas non plus aidé. Et bon, un mouvement social est une chose très complexe, influencée par une multitude de facteur, et certainement pas se limiter aux stratégies des militants...