Le nationalisme sexuel aux Pays-Bas

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Le nationalisme sexuel aux Pays-Bas
Opinions
| par Antoine Majeau |

Dans l'imaginaire collectif, on s'entend majoritairement pour dire que les Pays-Bas sont parmi les pays les plus tolérants, les plus novateurs et avant-gardistes. La population et les politiques ont généralement une position plutôt progressiste sur de nombreuses questions sociales telles que la prostitution, l'euthanasie, l'avortement, la consommation de drogues et les droits des homosexuels. C'est justement cette politisation de l'homosexualité, particulièrement par la droite nationaliste, qui m'intéresse. Il est ici question de montrer, par une analyse des discours politiques, comment la tolérance à l'homosexualité peut être instrumentalisée pour légitimer un agenda anti-immigration dans le contexte néerlandais contemporain.

D'abord, tout bon nationalisme insiste sur une fierté qui est commune au peuple qui forme la nation. Cette exaltation partagée joue un rôle crucial dans la formation de l'identité pour les nationalistes. Pour faire un parallèle près de nous, il est difficile d'imaginer un nationalisme québécois qui laisserait de côté la langue française comme atout et comme marqueur identitaire. Dans le cas hollandais, c'est cette tolérance sexuelle que l'on célèbre comme aspect unique parmi les sociétés du monde. Et tout comme beaucoup de nationalistes québécois se battent pour des politiques protégeant la langue, des nationalistes néerlandais militent pour protéger leur tolérance et leur progrès social.

Dans plusieurs nationalismes occidentaux contemporains, mais pas tous, l'espace social est symboliquement divisé en différents blocs monolithiques immuables. Cependant, on doit reconnaître le dynamisme inhérent des groupes sociaux. Le nationalisme sexuel hollandais n'échappe pas à cette caractéristique. Cette simplification trace alors la ligne entre les citoyens «légitimes» de la nation, soit, en général le groupe majoritaire, et les autres qui sont tenus à l'écart de cette citoyenneté légitime, soit les groupes minoritaires.

La Hollande, un peu à la façon du Québec au courant de la Révolution tranquille, s'est affranchie de l'autorité de la sphère religieuse durant ses «longues années 60». Les mouvements sociaux et l'État, à cette époque, travaillaient ensemble afin de se concentrer sur une plus grande liberté individuelle et sexuelle, ce qui résulta en une normalisation rapide de l'homosexualité dans toutes les sphères de la société. La fierté découlant de cet accomplissement est partagée à la grandeur du pays et devient un critère de distinction face aux autres nations. On peut ainsi parler de nationalisme sexuel, car c'est la sexualité, la tolérance envers l'expression de la sexualité de l'individu, qui est instrumentalisée comme base commune du sentiment d'appartenance nationale.

Dans un contexte de fierté d'ouverture à l'homosexualité (les Pays-Bas sont le premier pays à avoir autorisé explicitement le mariage homosexuel et l'adoption par des couples de même genre), de nombreux nationalistes ont peur de voir ces acquis disparaître. Une formation politique associée à l'extrême droite, et ressemblant grossièrement au Front National, fait justement plateforme sur cette peur. Le Parti pour la liberté, (Partij voor de Vrijheid – PVV) de Geert Wilders milite activement pour la conservation des droits des homosexuels néerlandais. On a rarement tendance à rattacher l'extrême-droite et la défense des droits LGBTQ, mais lorsqu'on porte attention au discours du PVV, on découvre un motif sous-jacent.

S'il existe un sentiment d'insécurité à l'égard des droits des homosexuels, c'est qu'il y a, pour certains, une menace. Pour le PVV, cette menace vient forcément d'ailleurs, car une écrasante majorité de la population appuie les politiques favorables aux couples gais. Le bouc-émissaire est facile à trouver dans le climat politique du post-onze septembre: les musulmans et les musulmanes, évidemment. 

Cette association entre nationalisme sexuel et islamophobie a connu un moment charnière en 2002, en pleines élections générales. Le politicien Pim Fortuyn, à la fois défenseur des droits homosexuels et hostile à l'immigration non-européenne, fut assassiné par un militant néerlandais d'extrême-gauche, qui, à son procès, avoua qu'il avait commis cet acte pour protéger les musulmans que Fortuyn cherchait à exploiter afin d'en tirer un capital politique. Deux positions opposées se cristallisèrent à partir de ce procès, soit une prônant le rejet de l'Islam en vertu des droits homosexuels, et une autre s'opposant à l'instrumentalisation de l'identité sexuelle à des fins racistes. Malgré cette radicalisation, la majorité de la population néerlandaise se situe aujourd'hui dans un entre-deux.

L'islamophobie pénètre alors la «société la plus tolérante d'Occident». Dès qu'il en a la chance, le PVV relie l'homophobie et les citoyens musulmans, tentant de diviser la population néerlandaise «tolérante» des citoyens musulmans «intolérants». À ce sujet, le chef du parti ne se dit pas raciste: il ne déteste pas les musulmans; il déteste leur livre, leurs traditions et leur idéologie (1). Il appelle même la population à «ne pas tolérer les intolérants» (2) en parlant des musulmans (peut-être ne voit-il pas l'ironie de cette déclaration). Pour lui, son devoir comme politicien est d'empêcher «l'islamisation des Pays-Bas», et pour ce faire, il entend freiner l'immigration depuis les pays où la religion principale est l'Islam et interdire la construction de mosquées (3). Geert Wilders argumente que toute personne adhérant à l'Islam est fondamentalement opposée au mode de vie néerlandais, car selon lui, le Coran et la loi islamique veillent à criminaliser l'homosexualité. Loin d'être un phénomène isolé, le PVV a récolté 17% des votes aux élections de 2009 et 12,3% en 2014 (4) (cette perte de voies est entre autres attribuée à la croissante collaboration du parti de Wilders avec le Front National de Le Pen). Il est soit le troisième ou le quatrième parti le plus populaire, selon le mois. 

Cependant, la vague PVV possède des limites. Une croissante visibilité d'intellectuels homosexuels musulmans embête gravement son argumentaire. De plus, de nombreuses organisations LGBTQ néerlandaises critiquent son hypocrisie et l'instrumentalisation de leur identité sexuelle pour ses propres fins. En 2011, Wilders fut emmené en cour pour répondre à des charges d'incitation à la violence, mais il s'en sortit indemne. Toutefois, il devra se présenter de nouveau au tribunal en 2016 sous motif d'incitation à la discrimination et à la haine des Marocains vivant aux Pays-Bas.

Les Pays-Bas ne sont évidemment pas le seul pays où l'on trouve des individus et des groupes prêts à instrumentaliser une fierté partagée au nom de la nation. Au vingt-et-unième siècle, cela est particulièrement vrai en ce qui a trait à l'opposition à l'immigration et à l'Islam. En France, c'est en vertu de la laïcité, de l'invisibilité de la sphère religieuse dans le domaine public, que l'on méprise l'Islam. Aux États-Unis, c'est la sécurité nationale qui est ébranlée par l'immigration mexicaine et musulmane, et ce discours est d'ailleurs loin d'être né du phénomène Trump. Ici, on l'a vu avec les commissions d'enquête sur les accommodements raisonnables et sur la charte des valeurs québécoises, l'immigrant qui ne parle pas français et qui n'est pas laïc ne sera pas exactement accueilli à bras ouverts par une certaine frange de la population). Les parallèles comme ceux-ci peuvent s'étendre sur des pages, mais ils ne servent qu'à montrer que les nationalismes mobilisent chacun de leur propre façon, avec des arguments qui leur sont propres.

Le danger de ces types de discours nationalistes réside dans l'exclusion et dans la marginalisation qui peuvent en découler. La célébration d'un groupe mène facilement au mépris d'un autre, peu importe le degré de différence. Le problème est tout aussi grave lorsque l'autre groupe est essentialisé, réduit à une poignée de traits inchangeables et qui le définissent. C'est exactement ce que fait le discours du PVV envers les musulmans et les musulmanes. Or, même si un mouvement national célèbre une certaine tolérance, il se doit d'être critique envers ses propres termes d'inclusion. Les nationalistes québécois doivent donc éviter de penser le Québec comme un espace ethnique ou culturellement homogène, car ils s'éloigneraient de le réalité et s'engouffreraient dans la xénophobie.

 

 

(1) Traynor, Ian. 'I don't hate Muslims. I hate Islam,' says Holland's rising political star.The Guardian, 17 février 2008. http://www.theguardian.com/world/2008/feb/17/netherlands.islam   (2) Entrevue donnée à Stephen Sackur de HARDtalk, sur BBC news. http://news.bbc.co.uk/2/hi/programmes/hardtalk/4833890.stm

(3) Traynor, Ian. 'I don't hate Muslims. I hate Islam,' says Holland's rising political star.The Guardian, 17 février 2008. http://www.theguardian.com/world/2008/feb/17/netherlands.islam

(4) Waterfield, Bruno. European election upset for Geert Wilders as Dutch turn cold on anti-EU party. The Telegraph, 22 mai 2014.http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/netherlands/10850610/Eu...

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