Le Kosovo, 15 ans plus tard

International
Le Kosovo, 15 ans plus tard
Analyses
| par Silvia De-Benito |

2014 sera l’année d’importants anniversaires: le centenaire de l’éclatement de la Première Guerre mondiale, les 25 ans de la chute du Mur de Berlin et ce sera également le 15e anniversaire de la Guerre du Kosovo (1999). La conclusion  dite historique des accords entre la Serbie et le Kosovo d’avril 2013 nous invite à examiner en détail la situation actuelle du pays et à faire le bilan de la dernière décennie. Mentionnons la présence des organisations internationales, les rapports entre Pristina et Belgrado, les tensions ethniques, le processus d’intégration européenne, les indices de criminalité et de corruption et j’en passe. En fait, le Kosovo, le pays le plus jeune de l’Europe, n’est pas sans soucis.

Problèmes sociaux

L’absence de neige cette année à Pristina nous a permis de constater et d’admirer les progrès au cœur de  la reconstruction de la capitale, si bien que tous les travaux ont très stratégiquement été inaugurés la veille des dernières élections municipales de novembre. Les efforts visant à rapprocher culturellement Pristina des autres capitales européennes sont remarquables : le bon café, le WiFi dans les restaurants, les boutiques, les bars et clubs, les chauffeurs de taxi qui parlent l’anglais. Bref, un glissement volontaire vers une culture plus « ouest-européenne ». Néanmoins, les coupures d’eau qui se produisent tout au long de la journée nous rappellent des problèmes non résolus qui se cachent sous la surface de cette belle carte postale qu’est Pristina. Si on l’observe de plus près, on remarque que les jeunes remplissant les terrasses à midi attendent uniquement de trouver un emploi et de sortir de la précarité. Le Kosovo, avec une population dont l’âge moyen est de 27 ans, a un taux de chômage d’environ 73% chez les jeunes. La jeunesse du Kosovo est comme leur pays: dans l’attente. Dans l’attente d’une reconnaissance internationale, luttant jour après jour pour sortir d’une situation de pauvreté et de corruption à laquelle ce pays est condamné depuis sa déclaration d’indépendance.

Reconnaissance du nouvel État

Pour l’instant, 108 des 193 membres de l’Organisation des Nations Unies ont reconnu la souveraineté du Kosovo. D’autre part, le Ministère des Affaires étrangères s’est consacré depuis quelques années à la diplomatie digitale. Aujourd’hui, la reconnaissance du pays sur internet s’avère aussi importante que sur papier, et la plus douce victoire s’est réalisée l’année dernière grâce à la compagnie multimillionnaire Facebook : à partir de décembre 2013, les utilisateurs de ce site ont en effet pu choisir le Kosovo comme pays d’origine.

Au sein de l’Union européenne, cinq pays s’y opposent toujours – l’Espagne, la Slovaquie, la Roumanie, la Grèce et Chypre – et ce, malgré les pressions de Bruxelles et la Résolution du Parlement européen du 18 avril 2013 appelant les cinq pays à la reconnaissance du pays Balkanique. Néanmoins, il est à prévoir que tôt ou tard, la totalité des membres de l’Union européenne devra reconnaître le nouvel État. Une décision de la Commission européenne autorisait malgré tout en juin dernier l’ouverture des négociations entre l’Union européenne et le Kosovo pour le Pacte de Stabilisation et Association, qui sera complété ce printemps. Fait à souligner, la Serbie qui souhaite devenir membre de l’UE s’est vu imposer comme condition de stabiliser ses relations avec le Kosovo. L’Union a également initié une coopération avec le Kosovo afin de soutenir le développement socio-économique et de répondre aux besoins de renforcement des institutions publiques. À travers plusieurs instruments, tels que l’Office d’aide humanitaire de la commission européenne (ECHO), l’Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme (IEDDH) ainsi que l’Instrument pour la stabilité, l’UE a investi des millions d’euros en assistance macro financière.

La Mission « État de droit » de l’Union européenne (EULEX)

Cependant, le plus grand projet de l’UE dans cette région est la Mission d’État de droit de l’Union européenne au Kosovo (EULEX). Il s’agit de la plus grande initiative jamais lancée dans le cadre de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Son objectif principal est d'aider et de soutenir les autorités du Kosovo dans le cadre de l’établissement d’un État de droit, posant donc un accent particulier sur le pouvoir judiciaire. Depuis 2008, EULEX agit dans les champs de la  justice, de la police et des douanes.

Elle est aussi la mission la plus controversée. L’opinion populaire fait mauvaise presse à l’EULEX. On critique vivement les salaires élevés des officiels européens, leurs voitures imposantes, et le fait que malgré leur statut permanent dans le pays depuis plusieurs années, très peu d’entre eux ont fait l’effort d’apprendre ne serait-ce qu’une seule des langues nationales. Mais la critique la plus fréquente repose sur le fait que l'EULEX soutient le gouvernement corrompu de Hashim Thaçi. Le premier ministre est accusé d'avoir financé les activités de l'Armée de libération du Kosovo (UÇK) en participant à un trafic d'héroïne et de cocaïne à destination de l'Europe de l'Ouest. Aussi, un rapport du Conseil de l’Europe publié en décembre 2010 questionne son implication, à la même époque, dans un trafic d'organes prélevés sur des prisonniers serbes. Ces accusations ont fortement affecté la population, et ont largement contribué à engendrer le début du désenchantement par rapport aux nouvelles institutions. Un coup dur pour la légitimité du gouvernement et par le fait même, de l’État.

En ce qui concerne les rapports entre le gouvernement kosovar et l’Union européenne, plusieurs acteurs de la société civile ont accusé l’UE de se soucier seulement de la stabilité et de la sécurité de la région, plutôt que de s’occuper des problèmes liés à l'état de la démocratie et du renforcement de l'état de droit au Kosovo. Ce n’est pas un secret : le Kosovo joue un rôle important dans les Balkans occidentaux, une région que l’UE veut intégrer, mais qui reste très instable à l’intérieur de ses propres frontières. Une augmentation des tensions au Kosovo pourrait affecter les pays voisins, notamment la Serbie, le Monténégro et la Macédoine, et ainsi ruiner les efforts des 15 dernières années.

En 2012, la Cour de Comptes de l’UE a publié un rapport dans lequel on considérait que l’assistance financière au Kosovo n’avait pas été suffisamment efficace. Selon le Tribunal, « les niveaux de corruption et la criminalité organisée restent alarmants au Kosovo. Le pouvoir judiciaire continue de souffrir de l'ingérence politique, de l'inefficacité du manque de transparence et le respect de ses résolutions. Tout progrès réalisé dans l'établissement de l'État de droit dans le nord du Kosovo reste mineur ». Selon Gijs de Vries, membre de la Cour et auteur du rapport, les autorités du Kosovo accordent une priorité insuffisante à l'État de droit, et le soutien de l'Union devrait être mieux encadré.

L’avenir de la mission européenne

Le futur de la mission et le mandat de l'EULEX après juin 2014 seront déterminés par les États de l'UE, en étroite coopération avec les autorités du Kosovo, et ce, sur la base d'une évaluation commune de la situation. La tenue d'élections municipales au nord du pays a été l’occasion de questionner une nouvelle fois l’efficacité de la mission. Organisées en étroite collaboration avec l’OSCE, les élections locales de novembre 2013 ont été importantes, car, pour la première fois, les quatre municipalités du nord du Kosovo ont participé à des scrutins nationaux. Néanmoins, la violence et l’intimidation vécues le jour du vote laissent planer le doute sur le degré de stabilisation du Nord du pays.

Dans le reste du Kosovo, les hauts niveaux de corruption et l’inefficacité du gouvernement font de l’implantation du cadre légal un défi pratiquement insurmontable à court ou moyen long terme. Pour certains, tant que la question du statut légal du pays ne sera pas résolue, les autres problèmes devront attendre. Sans siège aux Nations Unies, le Kosovo ne pourra ratifier aucun traité ni faire partie d’aucune organisation. C’est également pour cette raison que la Constitution de 2008 a tenté d'intégrer un certain nombre de traités internationaux destinés à fournir et à garantir certains droits à ses citoyens. Sur papier, la Constitution du Kosovo est sans doute l'une des plus complètes. Néanmoins, cette protection assurée n’est jamais passée de la théorie à la pratique.

L’une des promesses les plus troublantes de la constitution est la protection des communautés minoritaires. L’article 22 inclut dans le système juridique national la Convention pour l’élimination de la discrimination raciale ainsi que la Convention pour la Protection des minorités nationales du conseil de l’Europe. Pourtant, la discrimination des communautés minoritaires est quotidienne et a des impacts notables sur la vie des citoyennes et citoyens. Il s’agit aussi d’un problème qui empêche la normalisation des relations entre les différentes communautés qui composent le pays. On en trouve un exemple dans le système éducatif. La loi assure à chaque communauté l’accès à l’éducation dans sa langue maternelle. Pourtant, pour les Serbes qui habitent Pristina, il est impossible de trouver des livres en serbe, tout simplement parce qu’il n’en existe pas. Les problèmes de chômage, de manque d’accès aux services minimaux, de cas de ségrégation et de double marginalisation à l’égard des femmes s’ajoutent au lot de difficultés.

Plusieurs problèmes demeurent à analyser, et le jeune pays des Balkans a un long chemin à parcourir : d’un côté le Kosovo devra parvenir à normaliser son statut international et de l’autre, il doit résoudre un grand nombre de questions internes. Le gouvernement, avec le soutien de Bruxelles et dans ses rapports avec la Serbie, cherchera une manière d’intégrer les municipalités du nord du Kosovo (à majorité serbe) et d’y exercer un réel contrôle. En ce qui concerne les hauts niveaux de corruption et de criminalité, en l’absence de mécanismes plus effectifs et d’un changement de culture politique, le pays ainsi que les missions internationales risquent de briller par leur inefficacité et de perdre en légitimité aux yeux des citoyennes et citoyens du pays.

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