Le combat continue pour la défense d'un CPE de qualité

Québec
Le combat continue pour la défense d'un CPE de qualité
Analyses
| par Marine Caleb |

Si le gouvernement a accepté de verser une allocation de transition de 60 millions de dollars au réseau des garderies, il n’a rien promis pour la suite et maintient pour l’année 2017-2018 les compressions de 120 millions de dollars. Cette baisse de subventions touche tous les types de structures, mais les centres de la petite enfance (CPE) sont plus touchés et plus inquiets. Durant la soirée de réflexion sur ces compressions dans les CPE organisée par L’Esprit Libre, les travailleurs-euses du milieu ont exprimé leur crainte d’un exode des parents vers les services privés. Pour eux, il faut ainsi continuer d’empêcher la baisse du financement en maintenant les emplois et un service de qualité.

« 41 millions [aux CPE pour un an], ça nous donne juste le temps de continuer la mobilisation», estime Brian Naud directeur général du Regroupement des CPE de l’île de Montréal, qui répond de l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE). Aux directrices et directeurs de CPE qui se démotivent, il leur répond qu’il ne faut pas se décourager pour travailler ensemble sur la valorisation du travail effectué en CPE.

Pour faire face au gouvernement, les travailleurs-euses des réseaux pour la petite enfance s’accordent pour dire qu’il faut s’unir et communiquer. « Il faut qu’on s’organise pour avoir une voix unique », estime Brian Naud. « On a gagné des batailles. Là, il va falloir gagner la guerre. Pour ça, ça prend un plan », déclare Brian Naud.

Godefroy Laurendeau, directeur adjoint du CPE Biscuit à Montréal, reproche au mouvement de protestation des compressions budgétaires envers les CPE d’être restreint. « J’ai l’impression que l’on milite beaucoup entre nous », regrette le père de famille qui désire convaincre aussi bien le gouvernement que les citoyens-ennes.

En tant qu’universitaire, Nathalie Bigras, professeure à l’UQAM et directrice scientifique de l’équipe de recherche Qualité éducative des services de garde et petite enfance, conseille en effet aux travailleurs-euses des CPE de commencer par convaincre les parents et de poursuivre avec ceux et celles qui n’ont pas l’habitude d’entendre ce discours de contestation. Une sensibilisation de la population qui passe nécessairement par la transmission et par l’enseignement du travail réalisé quotidiennement dans un CPE.

Prendre le taureau par les cornes

Cette transmission peut prendre d’autres formes. En créant des vidéos humoristiques amateurs pour dénoncer les coupures dans le financement et leurs conséquences, l'approche du CPE Rosemonde a inspiré le réseau. L’initiative a donné le la à une action plus offensive, afin de cesser d’attendre que le gouvernement exauce les vœux des travailleurs-euses. « On va prendre le taureau par les cornes », lance Tony Calabro, responsable des services alimentaires au CPE St-Édouard. Une travailleuse d’un CPE de Villeray soutient qu’il faut « arrêter d’attendre après les instances nationales, après les syndicats. Il faut suivre l’exemple du CPE Rosemonde. Ça prend juste du Go ».

Pour sauver le plus d’emplois possible, Brian Naud estime qu’il faut se poser des questions, revoir son fonctionnement et amener de nouvelles idées au gouvernement.  Un parent qui était présent dans la salle est persuadé que « négocier les conditions de sa propre austérité ne peut pas être une option ». C’est pour lui aux travailleurs-euses de se battre afin de partir un mouvement de la base plutôt que d’attendre.

Au CPE Biscuit, Godefroy Laurendeau soutient ce combat : « Il faut savoir réfléchir, se remettre en question. On a besoin de personnes de qualité. Le passage du CPE à la maternelle doit être naturel », affirme-t-il, persuadé que le CPE prépare mieux les enfants à l’entrée dans le système scolaire. La notion de remise en question doit aussi être présente dans la formation de l’éducatrice. Une formation initiale ne suffit pas et elle doit continuellement être au fait des nouvelles techniques d’apprentissage, notamment.

« Il va falloir réfléchir à comment on veut transformer [l’organisation du CPE, ndlr] tout ça. Peut-être qu’il y aura des choses qu’il faudra faire différemment, mais ce n’est pas vrai qu’on va couper la qualité du service », assure l’éducatrice Jasmine Desmarais.

« L’argent vient couper le côté humain »

Ce sont probablement 900 postes qui sont en danger à Montréal, selon Brian Naud, et entre 2 000 et 2 500 dans la totalité de la province, dont la majorité est occupée par des femmes. Réduire les subventions percute directement la qualité des services et avec elle, ceux qui en bénéficient : les jeunes enfants. À commencer par leur alimentation, comme le témoigne Tony Calabro. Chacun d’eux est nourri avec l'équivalent de 1,91 $ d'aliments par jour. « Les enfants ne vont pas voir de différence », rapporte-t-il avec indignation des paroles d’un directeur.

« L’argent vient couper le côté humain », regrette Jasmine Desmarais, éducatrice au CPE Rosemonde. La baisse de financement réduit le temps permettant aux éducateurs-trices de garder un contact avec les parents. Un lien essentiel dans le soutien de ceux-ci, mais aussi dans le développement des enfants. Tony Calabro explique que sa semaine de travail risque de passer de 40 à 32 heures et que son temps de travail risque encore de diminuer avec la baisse de financement. « Je suis supposé être heureux parce que ce n’est pas cette année que je vais être coupé, mais l’année prochaine », ironise-t-il. Cuisiner pour 60 enfants en si peu de temps est faisable, mais il craint de ne plus pouvoir passer du temps avec les enfants.

« Ce que le gouvernement nous propose, c’est une logique de comptable », affirme Godefroy Laurendeau. Selon lui, un CPE est comme une cheminée. La nourrir d’un bois de mauvaise qualité l’endommage petit à petit. À terme, c’est toute la structure qu’il faut changer. Les coûts de réparation dépassent alors largement ceux qu’aurait engendrés l’utilisation d’un bois de meilleure qualité.

À travers cette métaphore, M. Laurendeau explique que réduire la qualité des services de garde et d’éducation aura un impact au moyen et au long terme. Les économies ne sont réalisées qu’au court terme, une théorie prônée par Pierre Fortin pour Radio-Canada[i], économiste et professeur en sciences économiques à l’Université du Québec à Montréal.

Les raisons d’une migration vers le privé

Même si Nathalie Bigras vante les CPE et fait l’éloge du service public, elle reconnaît que les institutions manquent de places et qu’en pratique, il existe des inégalités d’accès comme le coût de 7,30 $ par jour déjà trop élevé pour certains ou la trop haute demande, notamment dans certains quartiers. Des lacunes qui poussent de plus en plus les familles à se diriger vers le privé, moins coûteux en retour d’impôts que de payer chaque semaine des frais qui ne cessent d’augmenter. Les crédits d’impôt sont en effet passés de 80 millions en 2008 à 420 millions en 2013. Si la tarification journalière des CPE a augmenté pour les familles, c’est pour que le prix des structures subventionnées soit égal à celui des structures qui ne sont pas aidées. « C’est le rapport d’impôts qui va faire comprendre aux parents les réformes », explique le même père de famille qui espère que cela sensibilisera plus de parents au mouvement de contestation.

 « En 1997, il y avait 58 284 places disponibles et en 2014, les services de garde subventionnés ou non proposaient 268 624 places », explique Nathalie Bigras. Les CPE à eux seuls regroupent 86 770 places. Cette explosion est le résultat d’une hausse fulgurante de la demande. Le nombre d’enfants est passé de 76 000 en garderies subventionnées en 1997 à 227 500 en 2016. Pour répondre à l’explosion du nombre d’enfants, le gouvernement crée depuis 2009 des places en garderies subventionnées et non subventionnées, mais pas en CPE. « Au niveau des 40 000 places crées entre 2009 et 2014, 71 % ont été créés dans les garderies commerciales, alors que la qualité y est franchement plus faible qu’ailleurs », précise Nathalie Bigras.

Pour l’année 2014-2015, le budget annuel par enfant était de 13 988 $ en CPE et de 11 230 $ en garderie privée subventionnée. Une hausse du nombre d’enfants augmente donc les dépenses du gouvernement, ce qui explique pourquoi le budget alloué à la petite enfance a autant augmenté. L’économiste Pierre Fortin a assuré à Radio-Canada que l’augmentation du nombre d’enfants devrait stagner, ce qui permettra d’atténuer les coûts[ii].

Réduire le financement des CPE revient à réduire la gestion des services et leur qualité, et entache directement l’éducation reçue par les enfants. Les allocations versées par la suite ne permettront pas de couvrir les dépenses systémiques telles que les salaires des employés, le loyer ou le chauffage. Le coût de fonctionnement d’un CPE est en effet plus élevé que celui d’une garderie subventionnée. En cause, de plus grandes masses salariales, une rémunération de gestionnaires plus élevée, ainsi que le besoin d’une plus grande organisation du travail. Certains CPE parviennent à concilier avec ce budget, un exemple d’efficacité que le gouvernement veut soumettre à tout le réseau public. Le budget alloué au réseau a été réduit de plus de 400 millions de dollars depuis 2006.

Le CPE comme réducteur d’inégalités

Le Québec s’est toujours distingué en matière d’éducation des plus jeunes et prône une politique familiale en faveur de l’équité. Les centres de la petite enfance sont instaurés en 1997 par le gouvernement de Lucien Bouchard. Le but est de moderniser en incluant un volet éducatif, tout en le maintenant accessible, le réseau de structures de garde et d’éducation des enfants en bas âge déjà existant. « Pour nous ça ne voulait rien dire, c’est des niaiseries gouvernementales », rit Godefroy Laurendeau, directeur adjoint du CPE Biscuit à Montréal.

« L’histoire du CPE Biscuit est un peu celle du réseau », déclare Godefroy Laurendeau. Le directeur le confesse, le CPE Biscuit propose des services convenables depuis quelques années seulement. « Aucune éducatrice ne mettait ses enfants au CPE Biscuit », rit-il en parlant de la qualité irrégulière des services. Godefroy Laurendeau explique que le progrès s’est réalisé petit à petit, notamment en formant une à une les éducatrices. En 2008, le CPE s’est agrandi de 60 places supplémentaires, à force d’efforts sur la qualité.

Parmi les effets bénéfiques à la mise en place d’un réseau de CPE de qualité, selon Nathalie Bigras, une baisse du taux de pauvreté chez les familles ayant un enfant entre 0 et 5 ans et notamment chez les mères-célibataires. Le taux de pauvreté de ces familles est passé de 35 % en 1996, avant la création des CPE, à 22 % en 2006. « Cela a aussi des bénéfices sur la réduction des inégalités sociales. Les enfants qui partent avec moins de chances dans la vie peuvent compenser par la fréquentation d’un réseau éducatif de qualité », précise la chercheuse. Elle ajoute que les effets sur le développement infantile sont plus marqués sur les enfants issus de milieux plus défavorisés. En plus d’offrir une grande protection pour les plus vulnérables, les CPE sont plus accessibles et plus ancrés dans la communauté, surtout dans les régions plus éloignées.

Seulement, ces impacts positifs ne sont pas automatiques et requièrent des conditions particulières telles que l’environnement et l’universalité de ses services. Cela passe par un programme éducatif convenable, un ratio enfants par éducatrice raisonnable, mais aussi le fait que cette dernière soit formée initialement et de façon continue. L’universalité s’acquiert aussi par une plus haute qualité des services, un prix abordable, les qualifications, ainsi qu’une bonne réglementation pour assurer des conditions de travail convenables. Ces conditions sont plus susceptibles d’être réunies dans un CPE, pour lequel c’est la vocation, que dans une garderie.

Si la mobilisation des professionnels-elles des CPE doit être planifiée et unie, elle doit aussi pouvoir proposer des pistes de solutions. Nathalie Bigras estime qu’il faut revendiquer les premières ambitions des CPE, l’accessibilité et l’universalité. Cela, en développant de nouvelles places en CPE, mais aussi en réduisant la tarification journalière selon elle déjà trop élevée pour les familles les plus pauvres, pour aller vers la gratuité.

« Au pied du mur »

Le gouvernement a fait pression pour qu’une entente soit établie rapidement. Pour ces négociations, le ministre de l’Éducation et de la Famille, Sébastien Proulx, a choisi de ne dialoguer qu’avec quatre de l’ensemble des associations de CPE et de garderies privées existantes. Avant le 23 février, seule l’AQCPE n’avait pas accepté la réforme qui réduit de 120 millions de dollars le financement annuel.

Le 27 janvier 2016, les trois autres ont conclu une entente entraînant des réductions régulières de 120 millions de dollars. Une entente se voulant surtout « efficiente, équitable et viable ». Cet accord réduit en moyenne de 4,5 % les subventions pour les CPE de 60 places et environ de 3,9 % les subventions pour les garderies privées de 65 places.

Alors que l’AQCPE voulait la suppression de toute compression, l’association a finalement accepté la réforme après la promesse de versement d’une allocation de transition de 41,1 millions de dollars aux CPE pour l’année 2016-2017, afin de diminuer la brutalité de la réduction du financement. Si l’AQCPE a finalement accepté l’accord, c’est parce qu’elle était « au pied du mur », explique Brian Naud pour répondre aux critiques que subit l’association. « Ce n’était pas une négociation, mais une discussion. Le gouvernement savait déjà ce qu’il allait faire », précise le directeur général.

Le ministère s’est engagé à ne pas réduire le financement pendant un an, mais n’a pas promis d’augmenter les subventions au fil des ans. L’allocation de transition n’est pas perçue comme une victoire, mais comme une épée de Damoclès.

 


[i] « Les CPE, victimes de leur succès », Radio-Canda, Montréal, le 19 janvier 2016, http://ici.radio-canada.ca

[ii] ibid

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