L'accessibilité aux médicaments d'ordonnance au Québec

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L'accessibilité aux médicaments d'ordonnance au Québec
Analyses
| par Marie-Claude Belzile |

Le 9 janvier dernier était publié dans La Presse l'article de Pierre Pelchat « Régime public d'assurance : des milliers de Québécois se privent de médicaments ». On y apprenait que les gens à faible revenu parvenaient si mal à payer leur médicaments que certains renonçaient à leur prescription, faute d'argent. L'accessibilité aux médicaments au Québec est-elle aussi aisée qu'on le croit? Si la Politique du médicament (2007) (1) prévoit une couverture d'assurance médicaments par son régime public-privé, c'est de toute l'industrie pharmaceutique québécoise dont dépendent les coûts de vente des médicaments d'ordonnance. Qu'en est-il de la réalité d'une personne à faible revenu ayant besoin de médicaments onéreux?

La pauvreté est l'un des plus importants facteurs ayant une influence défavorable sur l'état de santé. Les personnes à faible revenu sont plus susceptibles d'être malades et de prendre des médicaments et les personnes malades, psychologiquement ou physiquement, sont plus susceptibles d'avoir un faible revenu. Dans les deux cas, la composante monétaire pose problème quand vient le temps de se procurer des médicaments. Ainsi, on tombe parfois malade à cause des conséquences de la pauvreté : loyer insalubre, malnutrition et sous-alimentation, stress financier, etc. Il y a aussi plusieurs personnes qui vont chercher de l'aide financière de dernier recours car ils ont développé une maladie. Ces personnes ont pour la plupart besoin d'une médication dans le but de maintenir une santé qui contribuerait à éventuellement les sortir de la pauvreté. Mais comment peuvent-elles recouvrer la santé si elles demeurent inaptes à se procurer les médicaments dont elles ont besoin? Et au regard du système de santé, quelle valeur a cette incapacité d'observer une prescription face au médecin qui l'a prescrite? En 2010, 4,4 % des Québécois déclaraient ne pas avoir respecté leur ordonnance parce qu'ils ne pouvaient en défrayer les coûts. Selon l'Argumentaire économique pour un régime public universel d'assurance médicaments (2), une famille gagnant 20 000 $ par année payait quelque 2 503.90 $ en primes et contributions à la RAMQ, soit 12,5 % de son revenu brut. Selon le rapport sur les audiences de la Coalition Canadienne de la santé relativement au Régime d'assurance médicaments public et universel, « certains n'ont tout simplement pas les ressources financières pour combler leurs besoins essentiels et payer les factures mensuelles de médicaments [...] », par exemple ceux qui se retrouvent au chômage, ceux qui sont trop jeunes pour avoir une prestation de retraite et la couverture d'assurance médicament qui l'accompagne, ceux qui sont payés au salaire minimum et ceux qui travaillent à temps partiel sans régime d'assurance privé. Il y a aussi les personnes handicapées qui, parfois, se retrouvent face à un choix de piètres options : demeurer bénéficiaires de l'aide au revenu ou retourner travailler et perdre leurs assurances. Selon le Réseau d'action pour la santé des femmes du Québec, les femmes ayant un faible revenu ont plus de problèmes de santé que les hommes et ont une espérance de vie moindre. Elles sont aussi plus susceptibles de consommer davantage de médicaments, et les mères monoparentales sembleraient être touchées en plus grand nombre.

Le coût des médicaments au Québec

Au Québec, les médicaments sont pour la plupart plus dispendieux qu'ailleurs au Canada et que dans d'autres pays. Par exemple, un flacon de Captopril (utilisé pour le traitement de l'hypertension artérielle) contenant 500 comprimés de 50 mg se vend 23.00 $CAD aux États-Unis alors qu'il se vend 92.00 $CAD ici. La RAMQ, quant à elle, paye 279.00 $CAD pour la même quantité de ce même produit. Ces différences de prix causeraient des pertes annuelles d'environ 55 à 80 millions de dollars à la RAMQ, qui relègue une partie de ce montant aux contribuables, dont aux 3,2 millions de Québécois parmi les moins fortunés (3). Selon la Politique du médicament, le citoyen est vu ainsi : « [s]a perception générale est que le médicament le plus récent est le meilleur. Le patient souhaite donc qu'il soit accessible » (Politique du médicament, 2007). Pourtant, les nouveaux produits sont plus chers et cette attitude qu'adopte le gouvernement envers ses citoyens les déresponsabilise à l'égard des prescriptions données. Pour comprendre pourquoi les prix des médicaments sont si élevés, nous devons nous tourner vers la Politique du médicament (gouv. du Québec, 2007) et dresser le portrait de l'industrie pharmaceutique au Québec.

La Politique du médicament

La Politique du médicament passe par l'Institut national d'excellence en santé et services sociaux (INESSS), lequel agit à titre de conseiller auprès du ministère de la Santé et des services sociaux quant aux médicaments à inscrire à la Liste des médicaments couverts par les régimes publics et privés. L'INESSS, en plus de conseiller, propose le développement et la mise en œuvre de stratégies de formation, d'information et de sensibilisation auprès des professionnels de la santé. L'Institut recommande aussi au ministre l'établissement et la modification du prix des médicaments, bien que le dernier mot soit accordé au ministre. Dans le document de la Politique du médicament, on peut lire que malgré une tentative de soumettre des commentaires au ministre de la Santé et des services sociaux, des citoyens, des médecins, des groupes de patients et d'autres experts ont été négligés et n'ont pu transmettre leurs demandes, qui concernaient l'accessibilité ou le prix de certains médicaments. Ces demandes ont été déposées en vain car elles auraient été soumises trop tard, c’est-à-dire après la prise de décision de l'INESSS. C'est cependant à cause de la nature opaque des prises de décisions de l’organisme que les requérants n'ont pu soumettre leurs commentaires plus tôt. Cette situation démontre un profond problème de communication et de transparence entre l'INESSS et la population. La Politique du médicament, dans sa version de 2007, s'articule autour de quatre grands axes principaux : 1) l'accessibilité aux médicaments, 2) leur prix juste et raisonnable, 3) leur utilisation optimale et 4) le maintien d'une industrie pharmaceutique dynamique au Québec. Il faut savoir ici que le prix juste et raisonnable d’un médicament est habituellement fixé après une comparaison de son prix de vente dans d'autres pays. Le prix de vente doit toujours être plus élevé que celui négocié entre les compagnies pharmaceutiques et le gouvernement. Ces ententes sont d'ailleurs confidentielles, donc inconnues du public. Ceci, est-il rapporté dans la Politique, contredit le principe d'équité à l'accès aux médicaments à cause de la non-transparence de l'économie réalisée. Cet état de fait enlève à tous une possibilité de mieux accéder aux médicaments d'ordonnance. L'accès aux médicaments est influencé par la Liste des médicaments, aussi régie par l'INESS, qui est une mesure de contrôle des coûts pour que tous les médicaments ne soient pas remboursables. « Ce contrôle vise à ne rembourser que [les médicaments] considérés comme étant « coût-efficace » et dont l'impact budgétaire est prévisible [...] ». Cette évaluation exclut de la liste les médicaments qui n'ont pas une efficacité démontrée ou encore qui sont coûteux et dont le nombre d’usagers potentiels est imprévisible. L'objectif est de ne pas créer de dépenses budgétaires trop importantes. C'est d'ailleurs pour cette raison que de nombreux médicaments contre le cancer sont trop chers et inaccessibles au public. « [L]'industrie pharmaceutique constitue l’un des secteurs prioritaires de la stratégie de développement du gouvernement », dit la Politique.

L'accès au marché [des médicaments nouveaux] représente un enjeu déterminant pour les compagnies pharmaceutiques […] Cependant, l'accès au marché subit grandement l'influence des conditions de remboursement des médicaments prévus dans les régimes publics provinciaux. Au Québec, l'inscription d'un médicament à la Liste des médicaments du RGAM a un impact direct sur les revenus des compagnies [...]. (Politique du médicament, 2007)

Cette vision des choses défavorise les citoyens au profit des compagnies. Selon cette politique, un autre facteur contribue à l'augmentation et au maintien du prix élevé des médicaments, soit la règle de 15 ans. Cette règle garantit le remboursement intégral des produits des fabricants en 15 ans à partir du moment où le médicament est inscrit sur la Liste des médicaments et ce, même si le brevet est échu ou qu'il existe un équivalent générique moins cher. Finalement, autre bémol à cette politique pour les personnes à faible revenu : l'objectif de cette politique a été, entre autres, de mettre fin au gel des prix des médicaments au Québec –et de veiller de près à leur hausse.

L'industrie pharmaceutique québécoise

Au Québec, l'industrie pharmaceutique s'est d'abord développée par la fabrication de médicaments génériques mais, depuis les années 1990 et avec la Règle de 15 ans, c'est principalement l'industrie du médicament breveté qui prospère. Le marché du médicament au Québec est évalué à plus de 4 milliards de dollars, soit 25 % du marché canadien (4). Le Québec compte près de 30 sièges sociaux de compagnies pharmaceutiques et six des sept groupes de recherche fondamentale de multinationales pharmaceutiques du Canada. Près de 400 millions sont dépensés annuellement par le gouvernement en recherche et développement (R&D) pharmaceutique, ce qui est 50 % plus élevé qu'en Ontario si on fait le rapport per capita. Il y a 148 firmes installées au Québec qui font travailler plus de 13 600 personnes dont le salaire moyen hebdomadaire est de 900.00 $CAD. Cependant, 43 % de ces emplois ne sont pas consacré à la recherche mais au marketing et à la publicité. On calcule aussi que 68 % des brevets canadiens de médicaments sont détenus par des compagnies siégeant au Québec. Selon le ministère du Développement économique régional et de la Recherche, « l'industrie pharmaceutique constitue l’un des secteurs prioritaires de [sa] stratégie de développement. Parmi les facteurs qui influencent les décisions d'investissement, les conditions d'accès au marché arrivent au premier rang. Les politiques de santé et celle du médicament peuvent donc nuire au développement de cette industrie ». Cette dernière est-elle donc priorisée avant le bien-être des citoyens? Notons que les fabricants peuvent faire pression sur les politiciens en faisant valoir les emplois qu'ils génèrent dans la province. Pour les compagnies pharmaceutiques, il est très intéressant de s'établir au Québec, particulièrement pour l'industrie du médicament breveté. Le Canada a les crédits d'impôts les plus généreux au monde et le Québec est la province qui arrive au premier rang avec son offre de crédit d'impôt à 37,5 %. En plus, d'autres crédits peuvent s'ajouter à ceux-ci : crédit pour la recherche précompétitive en partenariat privé, visa pour les consortiums de recherche précompétitive, congé fiscal pour les chercheurs et experts étrangers, etc. (5). Tous ces avantages donnés aux compagnies permettent de faire diminuer leur facture de 15 à 40 % des coûts initiaux tout en désavantageant le système d'assurance-médicaments. Le Canada est le quatrième pays où les médicaments brevetés sont les plus chers. Au Québec, on a davantage recours à ces derniers qu'aux médicaments génériques. En fait, le Québec paie en moyenne 3 % de plus per capita que dans toutes les autres provinces.

Le rôle des pharmaciens

Les pharmaciens sont le passage obligé vers lequel doit se diriger toute personne qui a besoin de médicaments au Québec. Cet intermédiaire dans le système de santé occasionne des coûts qui sont absorbés par ceux qui ont besoin de médicaments. Pourtant, alors que les coûts demeurent élevés dans les pharmacies, des pharmaciens bénéficient de ristournes et de rabais divers de la part des fabricants pour qu'ils vendent leur produit plutôt qu'un autre. On estime que les fabricants donnent environ 500 millions chaque année en ristournes aux pharmaciens, procédures qui sont toutefois illégales (6). Ces cadeaux, qui deviennent des sources de revenus supplémentaires pour les pharmaciens, font en sorte que les prix ne baissent pas à la vente. Les bannières telles Jean Coutu et Pharmaprix centralisent même leurs ristournes afin d'en profiter davantage, parfois même pour en faire bénéficier leurs sièges sociaux situés à l'extérieur de la province ou du pays. Ces ristournes signifient aussi que la RAMQ paie des prix artificiellement gonflés. Par exemple, le prix de production d'un médicament générique pour le fabricant ne représente que 10 % de son prix de vente à la Régie. Ces activités illégales ne se justifient que très difficilement aux yeux des contribuables quand vient le temps de payer leur prime d'assurance annuelle ou leur franchise mensuelle (7). Ces exemples démontrent un réel problème de l'industrie pharmaceutique sur le territoire du Québec lorsqu'une décision doit être prise quant au prix des médicaments.

Des solutions potentielles

Marc-André Gagnon, politologue et économiste à l'Université de Carleton, croit que c'est la multiplicité des régimes d'assurance médicaments (publics et privés) qui empêche la réalisation d'économies importantes dans le système et pour les citoyens. Pour lui, la situation financière d'une personne est directement liée à son accès aux médicaments. M. Gagnon a calculé quels seraient les bénéfices financiers de passer à un régime public universel tout en conservant les politiques actuelles concernant l'industrie pharmaceutique. Il estime qu'au Canada, 2 947 millions de dollars canadiens pourraient être économisés sur les dépenses actuelles du présent régime, qui sont de 25 141 millions $CAD (8). Un sondage de l'Institut EOS effectué en 2013 indique que 78 % des Canadiens sont en faveur de l'établissement d'un régime public universel. De son côté, l'organisme Approvisionnement Montréal suggère, comme il le fait lui-même à Montréal, de procéder par des achats de médicaments groupés pour qu'il en coûte moins cher à l'unité. L'organisme considère qu'ainsi le gouvernement ferait des économies substantielles. L'organisme octroie ses contrats d'achat au plus bas soumissionnaire et parvient à obtenir des prix très avantageux. Ce type d'achat regroupé permettrait de faire des économies annuelles d’environ 2,7 milliards $CAD . Ces solutions ne sont que partielles et ne prétendent pas résoudre toutes les lacunes et incohérences du système actuel régissant l'accessibilité aux médicaments au Québec. Elles permettent cependant d'ouvrir des pistes nouvelles afin d'offrir à la population un accès plus juste aux médicaments.

Au-delà de l'accessibilité : les prescriptions

Les enjeux autour du médicament au Québec sont d'une importance souvent méconnue du grand public. Pourtant, ils occasionnent des hausses de prix et permettent le maintien de prix trop élevés pour des médicaments, dont certains sont cruciaux pour la santé des individus. Malheureusement, peu de personnes à faible revenu parviennent à se procurer les médicaments desquels ils dépendent pour bien vivre. Il y a donc un fossé dans le système qui se crée dans les échanges entre gouvernement et compagnies pharmaceutiques et entre pharmaciens et fabricants de médicaments. Au final, c'est l'individu qui paie. Par ailleurs, si l'industrie pharmaceutique est si bien ancrée au Québec, il faut aussi savoir que notre province a l’un des taux les plus élevés de prescriptions de médicaments. D'une part, on a donc un système qui rend difficilement accessible les médicaments et d'autre part, on prescrit trop de médicaments. Il faudrait, à notre sens, trouver des solutions plus cohérentes et moins dispendieuses pour résoudre la problématique de l'accessibilité aux médicaments. L'achat regroupé et l'implantation d'un régime public universel peuvent être des pistes à suivre, alors qu'une prise de responsabilité des médecins quant à leurs habitudes de prescription serait souhaitable. Mais les médecins aussi sont approchés par les représentants des compagnies pharmaceutiques et le taux de prescription varie, entre autres, en fonction de leur influence sur les médecins. La question du médicament au Québec est particulière et n'apporte pas encore de solution viable aux personnes qui ont un réel besoin de leurs médicaments mais qui n'ont pas les moyens de se les payer. Les solutions existent, mais sont-elles socialement applicables dans le contexte actuel, où l'on soustrait du domaine public les services de santé et les services sociaux en les reléguant au secteur privé ou simplement aux oubliettes?  

 
(1)     Politique du médicament du Québec, La direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux, Gouvernement du Québec, 2007. (2)   Marc-André Gagnon, Argumentaire économique pour un régime universel d'assurance médicaments, Institut de recherche et d'informations socio-économiques, Marc-André Gagnon, 2010. (3)   André Noël, Dossier :Médicaments génériques, La Presse, 2003.  http://uniondesconsommateurs.ca/docu/sante/21oct/UC21oct2010-ANoel-dossierRXgeneriques.pdf (4)   Pomey, Le régime général d'assurance médicaments du Québec, Journal d'économie médicale, vol 25, n° 5-6, 2007 (5)    Marc-André Gagnon, L'aide financière à l'industrie pharmaceutique québécoise : le jeu en vaut-il la chandelle?, revue Interventions économiques, vol. 44, 2012. (6)   André Noël, Dossier :Médicaments génériques, La Presse, 2003.  http://uniondesconsommateurs.ca/docu/sante/21oct/UC21oct2010-ANoel-dossierRXgeneriques.pdf (7)  idem (8) Marc-André Gagnon, L'assurance-médicaments relancerait l'économie, Le Droit, 8 décembre 2014.http://www.lapresse.ca/le-droit/opinions/votre-opinion/201412/08/01-4826233-lassurance-medicaments-relancerait-leconomie.php  

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