Financement intact pour une population autochtone grandissante

Canada
Financement intact pour une population autochtone grandissante
Analyses
| par Maude Parent |

La population autochtone, toutes identités confondues, est appelée à connaître une augmentation démographique marquée sur l’ensemble du territoire canadien, mais le financement aux communautés risque d’être inchangé, laissant planer une inquiétude quant aux enjeux auxquels elle doit déjà faire face.

Ils sont minoritaires sur un territoire qu’ils étaient les premiers à occuper. Leur poids politique est maigre. Ils éprouvent de la difficulté à se trouver des emplois en ville ou à se loger dans le confinement de leurs réserves. Un récent rapport de Statistique Canada prévoit une croissance démographique importante de cette population autochtone dans les prochaines années. Selon ces projections, leur poids démographique pourrait passer de 1 502 000 habitants en 2011 à 2 633 000 en 2036 [1].

Le haut taux de natalité serait la cause principale de cette « explosion démographique », d’après le chef régional de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APN), Ghislain Picard. En effet, beaucoup de femmes deviennent mères très jeunes dans les communautés. Cette tendance est également corroborée par Carole Lévesque, directrice du réseau DIALOG de l'Institut national de recherche scientifique (INRS). « Les grossesses chez les adolescentes autochtones sont 18 fois plus élevées que chez les femmes canadiennes », soutient-elle. L’éducation sexuelle n’est pas accessible dans les communautés et les discours sur la contraception sont peu répandus, faute de budget.

D’après la présidente de l’organisation Femmes autochtones du Québec, Viviane Michel, les grossesses chez les adolescentes ne viennent pas uniquement du manque d’éducation à la sexualité ; des manquements dans le foyer familial peuvent jouer eux aussi. Il n’est pas inhabituel de constater des relations familiales fracturées par des enfances difficiles et des environnements peu propices au développement des jeunes. « C’est un héritage qui vient d’un vécu traumatisant dans les pensionnats, explique-t-elle. Les enfants y sont placés sans consentement pendant 15 ans, alors quand ils reviennent dans leur famille, il y a une coupure. Ces relations familiales ne sont pas saines et certaines choses ne se transmettent pas du parent à l’enfant ». Comme l’enfant est longuement privé de vie familiale, il est coupé d’une éducation qui devrait lui être transmise par ses parents. Et ces valeurs manquantes continuent de l’être de génération en génération.

Le recensement de 2011 tient également compte de la réinscription de 45 000 personne au registre des Indiens d’après la loi C-3 entrée en vigueur la même année [2]. Ce sont donc 45 000 personnes de plus qui, à partir de l’adoption de la loi, ont pu bénéficier des avantages relatifs au statut d’Indien. La Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens a permis aux descendances de femmes ayant perdu leur statut d’Indienne suite à un mariage avec un non-Indien d’être dès lors admissible au statut d’Indien. Cette loi a été longuement remise en question par les autochtones des communautés restreintes qui craignaient perdre le peu d’avantages que leur attribuait leur inscription au registre au profit de ces nouvelles inscriptions.

Le tiers monde canadien

Comme ces familles sont nombreuses et que le seuil de pauvreté élevé est un véritable fléau pour elles, se loger devient un problème épineux, particulièrement dans la mesure où les logements adéquats font défaut. Les ménages pourraient être plus nombreux,  « entre 191 000 et 208 000 d’ici 2036 » dans les réserves uniquement, d’après les projections du rapport [1]. Les logements, déjà rares pour une population estimée à 120 000 personnes lors du recensement de 2011 (les prochaines données seront disponibles en 2016), risquent de l’être davantage dans les années à venir. Les communautés sont déjà surpeuplées de sorte que deux familles peuvent s’entasser dans un même logement de taille insuffisante.  D’après Ghislain Picard, pour contrer cette pénurie il faudrait « doubler les logements dès demain », projection irréaliste qui demanderait un grand financement et une volonté des gouvernements fédéraux et provinciaux de répondre à l’aide d’actions concrètes aux problèmes que leur soumettent les chefs des différents groupes autochtones. 100 000 nouveaux logements seraient nécessaires pour pallier au problème de surpopulation [3].

Les effets de cette croissance démographique n’affectent pas que les réserves, mais aussi la proportion d'autochtones qui habitent en milieu urbain. « Plus de 60 % de la population autochtone au Québec ou au Canada vit dans les villes, explique Carole Lévesque. C’est sûr qu’il y a des pénuries de logements et qu’il y a plus de jeunes en âge de travailler qui n’ont pas d’emploi, mais ça implique aussi qu’il va y avoir plus de jeunes qui vont poursuivre des études collégiales ou universitaires. Ça crée une nouvelle classe de professionnels ». Mais à l’intérieur des collectivités des Premières Nations, seulement 35% des autochtones obtiennent un diplôme d’études secondaires [3].

Chaque année, la population autochtone augmenterait de 1,1 % à 2,3 %. Cette hausse démographique est plus importante que celle des populations non autochtones qui augmente de 0,9 % annuellement [1]. Elle a également un effet social important, car avec un poids démographique plus important, les autochtones pourraient obtenir plus d'influence politique. « En Saskatchewan, par exemple, ils représentent 15 % [de la population] donc c’est clair qu’il y a une influence politique », estime le chef régional de l’APN. Mais dans l’ensemble du Canada, les autochtones ne représentent que 4,6 % à 6,1 % de la population des différences provinces. Pour Carole Lévesque, ça reste trop peu pour voir un changement politique concret et global avant plusieurs décennies même avec un taux de croissance plus rapide.

Les enjeux majeurs qui ressortent de cette augmentation sont tous reliés à une seule et même problématique : le manque de financement du fédéral envers les communautés autochtones. Chaque communauté détient un budget pour subvenir à ses besoins. Un budget bien mince qui ne varie pas en fonction du nombre d’individus et qui doit pourtant couvrir les services de santé, les accès aux logements, l’éducation; des services qui sont tous sous-développés. « Le problème, c’est que les communautés vivent déjà en survivance économique, se désole Viviane Michel. Une population croissante va créer une problématique du côté du financement parce que celui-ci reste tel quel même si la population augmente ». D’après elle, ce n’est pas une hausse de population qui aggraverait des enjeux tels que la pénurie de logements, mais bien le sous financement. « Ça ne dérange pas le système s’il y a une plus grande population, affirme-t-elle. Les impacts sont économiques ».

Pour améliorer la situation des autochtones sur le territoire canadien et faire en sorte qu’elle ne s’aggrave pas avec la croissance démographique annoncée, « il va falloir investir davantage, ça prend un bon gouvernement et des mesures concrètes », pense Ghislain Picard. Mais les revendications passent sous le radar parce que le financement vient du fédéral et les communautés ne sont que peu entendues.

 

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