De l’usage de la réparation cosmétique post-mastectomie

Société
De l’usage de la réparation cosmétique post-mastectomie
Idées
| par Marie-Claude Belzile |

Biais de l’autrice : Une femme blanche de 29 ans, scolarisée, qui a reçu un diagnostic de cancer inflammatoire triple négatif du sein droit en août 2016. Elle a subi une double mastectomie, sans reconstruction. Ce choix était à la fois médical, cosmétique (symétrie du sein controlatéral) et politique (refus de subir les multiples chirurgies nécessaires à une reconstruction pour retrouver l’esthétique socioculturelle de « femme »).

En 2012, la réalisatrice canadienne Léa Pool s’est penchée sur la question de l’industrie très lucrative qui se cache derrière le célèbre ruban rose, emblème du cancer du sein, dans son film Pink Ribbon Inc[i]. Elle y partageait le fruit pourri d’une recherche approfondie sur le commerce et l’antiféminisme reliés à ce cancer touchant 25 000 nouvelles personnes chaque année[ii]. Cependant, une autre facette de cette maladie n’avait pas encore été explorée, qui pourtant soulève des questionnements au sein des regroupements activistes et parmi les femmes atteintes, soit l’imprégnation d’un regard paternaliste dans le processus chirurgical et psychologique entourant la mastectomie.

La mastectomie

D’abord, il y a « des » mastectomies : partielles, totales, unilatérales, bilatérales, radicales ou non. Quand vient le temps de décider quel soin, quelle chirurgie est la plus adaptée pour contrer le cancer du sein, plusieurs options s’offrent, bien que souvent la décision n’en soit pas une de préférence, mais bien d’obligation. Dépendamment de quel type de cancer du sein une personne est atteinte – car oui, il y a plus d’un type – le protocole de soins à administrer variera. Ainsi, certaines femmes n’ont pas réellement le choix de subir une mastectomie totale, alors que d’autres auront « la chance » de conserver en partie leur(s) sein(s). Dans tous les cas, lors d’un cancer du sein, cette partie du corps si fortement chargée de symboles culturels sera atteinte et deviendra le lieu de changements significatifs. Une mastectomie, donc, est l’ablation, partielle ou totale, d’un ou des deux seins[iii].

Le but, en retirant chirurgicalement le sein, est de faire cesser la progression du cancer. Ainsi, après une telle chirurgie, sans compter tous les autres traitements qui viennent se greffer au protocole de soins pour traiter ce cancer, il se peut qu’une femme croie perdre une partie du corps qui porte le poids de l’histoire de son genre et de son sexe, de sa féminité et de son image idéalisée de femme. De plus, pour celles qui désiraient allaiter et pour celles qui avaient une sensibilité érotique de leur sein, les fonctions de cet organe disparaissent en même temps que la mastectomie. C’est alors que plusieurs se demandent comment leur corps sera perçu après la chirurgie. Si cette question se pose, c’est parce qu’il y a une culture sexiste et hétéronormative de l’image de la femme, qui est très uniforme et qui comprend invariablement les seins.

Qu’arrive-t-il donc à une personne lorsque des obligations de santé la forcent à se soustraire à une partie d’elle-même qui porte presque entièrement le construit social et psychologique de sa féminité ? La réponse provenant du corps médical est simple : la reconstruction mammaire ou encore le port de prothèses externes qui imitent les seins sous les vêtements. Il s’agit donc de réparation : il faut redonner à la femme ses seins ou du moins, une image d’elle-même créant l’impression qu’elle a encore des seins. Quand vient le temps de parler de la chirurgie, les infirmiers⸱ères en oncologie à la clinique du sein de l’Hôtel-Dieu offrent d’office une pochette rose comprenant divers feuillets explicatifs sur les types de chirurgies reconstructrices avant même de parler de la mastectomie elle-même[iv]. On vous explique, de l’oncologue à la personne qui s’occupe de la chirurgie esthétique, toutes les techniques possibles pour vous redonner des seins, qu’il s’agisse de prendre les muscles de vos abdominaux ou de votre grand dorsal ou d’utiliser la peau de votre aine pour imiter vos futurs mamelons[v]. La question a été étudiée depuis des années, des spécialistes en font leur expertise ; des seins, peu importe la quantité de peau qu’on vous retirera du ventre ou le nombre de fois où vous serez ensuite en salle opératoire, retrouveront place sur votre poitrine.

Sur le site de la Fondation du cancer du sein du Québec, qui est derrière le célèbre « ruban rose », on parle ainsi de la mastectomie : « La mastectomie aboutit à la perte de la totalité du sein. Cette ablation peut être vécue comme une atteinte à la féminité de la patiente, associée à l’estime de soi, à la séduction, à la sexualité et à la maternité[vi]. » De son côté, l’Association des spécialistes en chirurgie plastique et esthétique du Québec décrit la mastectomie comme une « expérience traumatisante [vii]». Finalement, la Société canadienne du cancer parle de la mastectomie en ces termes :

« La mastectomie est une intervention lors de laquelle on enlève tout le sein. On peut faire une chirurgie reconstructive au même moment que la mastectomie ou plus tard […] Une femme peut opter pour la reconstruction mammaire pour : se sentir à nouveau complète physiquement, moins se rappeler le cancer du sein, acquérir un plus grand sentiment de liberté, éviter d’avoir à porter une prothèse mammaire externe, pouvoir porter une plus grande variété de vêtements, et se sentir plus à l’aise dans son corps et plus désirable [viii]».

De ces trois exemples, aucun n’offre une vision positive de la mastectomie, aucun ne propose de la percevoir comme une libération (ne plus avoir l’angoisse d’une récidive, ne plus avoir à porter de brassières et autres sous-vêtements de soutien, ne plus devoir cacher sa poitrine à la plage, etc.), comme une guérison ni comme une expérience de réappropriation de son corps. Ces trois organismes parlent d’abord de la mastectomie comme s’il s’agissait d’une atteinte significative à la vie de la personne, d’une perte à laquelle il faudrait remédier, alors que cette chirurgie représente une partie importante du traitement.

Cette construction sociale autour du sein dans le système médical démontre la difficulté psychologique pour la personne atteinte du cancer du sein de se voir complète, sereine et rassurée après la mastectomie. Pourtant, les chirurgies esthétiques réparatrices occasionnent des problèmes divers : le temps de convalescence après la mastectomie se rallonge ; la patiente a plus de chances de contracter des infections, en plus de devoir subir plusieurs anesthésies générales et de se retrouver, après l’opération, avec de multiples cicatrices liées aux greffes de peau et de muscles ailleurs sur le corps ; cette procédure supplémentaire retarde son retour au travail ou la contraint à prendre davantage de congés de maladie, sans parler du retard avec lequel elle débutera par la suite des traitements adjuvants ou préventifs (chimiothérapies, radiothérapies, etc.)...Il faut aussi mentionner que pendant qu'elles reçoivent ces soins, les patientes n'ont pas toutes nécessairement un suivi psychologique ou de l'assistance socio-psychologique, ce qui serait pourtant approprié dans le but d'assurer une réappropriation de leur image corporelle après le cancer. On prend pour acquis que ce qu’il y a de mieux est qu’elles conservent l’apparence de la femme idéalisée, et cela passe notamment par les seins. Il y a des femmes qui n'osent plus se donner une vie érotique, amoureuse après tout cela, qui craignent de perdre leurs conjoint.es, et c'est ça aussi la réalité. Une personne ne devrait pas n'être qu'une chose fixe dont l'image ne change jamais : on change tous, c'est seulement tabou et il faut tout camoufler. Toute leur vie, les femmes doivent cacher leur poitrine, et quand elles n'ont plus de seins, il faut encore cacher ce qu'elles n'ont plus. C'est un concept presque impossible, une femme sans sein, dans notre culture.

Il ne s’agit pas de nier que les seins sont un symbole fort dans notre société, et ce depuis des millénaires d’histoire, si l’on fouille dans les recherches archéologiques de l’iconographie de la femme. Les Vénus du paléolithique, que l’on retrouve de la Méditerranée à la Sibérie, présentent régulièrement un ventre et des seins au volume exagéré, quoique la signification de cet art porte aujourd’hui à débat[ix]. Seules les Amazones de la mythologie grecque offrent une image de femmes sans sein, bien que cette interprétation soit aussi sujette à une nouvelle évaluation aujourd’hui[x]. Bien sûr, plusieurs femmes vivent leur féminité à travers leur apparence et leurs seins font partie de l’image qu’elles projettent, en tant que femmes, dans la société. Les seins sont plus qu’une partie du corps dans notre imaginaire collectif, et cela se reflète dans nos façons d’expérimenter les seins dans l’espace public comme dans l’espace privé. Cependant, le fait de calquer cette culture et ces construits sociaux dans les soins à prodiguer pour la guérison d’un cancer du sein est très contraignant, perturbateur, et souvent maladroit .

L’analyse livrée dans cet article ne propose pas que le personnel médical, ou encore les organismes chargés de venir en aide aux femmes souffrant du cancer du sein, interagissent avec elles de manière inappropriée, ou bien qu’ils aient tort d’agir comme ils le font. Après tout, ce n’est pas de leur faute si le système sexiste dans lequel nous vivons a décrété que le recours à des chirurgies reconstructrices était approprié, voire nécessaire, pour des femmes ayant subi une mastectomie. Il est cependant important de souligner que ces tentatives de recourir absolument à la chirurgie esthétique pour « aider » les patientes démontrent l’absence totale d’un discours féministe au cœur même de cette réalité qu’est le cancer du sein. Et ce discours féministe est primordial, car certaines femmes peuvent éprouver un profond mal-être à la suite du cancer du sein et de la mastectomie et, sans en comprendre les raisons fondamentales, accepteront de subir les multiples chirurgies post-mastectomie dans le seul but d’apaiser cette souffrance, qui est le produit du poids de la culture sur elles.

Cette incompréhension peut même être plus grande quand aucun temps de deuil n’est accordé à la personne : lorsque la reconstruction a lieu en même temps que la mastectomie. Il faut comprendre que les décisions relatives à ces opérations se prennent le plus souvent dans l’urgence, sans qu’un temps de réflexion réel ne soit accordé à la patiente, en l’espace de quelques jours ou de quelques semaines, et pour plusieurs, sans soutien psychologique et sous les conseils d’un⸱e ou de deux praticien⸱ne⸱s. Le temps et les ressources manquent souvent aux patientes pour consulter différent⸱e⸱s chirurgien⸱ne⸱s-oncologues ou psychologues sur la question.

L’expérience de la mastectomie

L’autrice de cet article a eu l’occasion de s’entretenir avec les patientes d’un groupe Facebook fermé, les Si-Fortes. Les 131 femmes admises dans le groupe ont toutes reçu un diagnostic de cancer du sein de stade IIIB et plus (sur un total de quatre stades, dont le quatrième est métastatique, donc incurable[xi]). La majorité d’entre elles ont subi une ou plusieurs chirurgies, dont des mastectomies partielles ou complètes, ainsi que diverses autres opérations liées à la reconstruction. Les discussions portant sur la reconstruction mammaire sont très chargées en émotions et plusieurs ont permis de saisir l’ampleur des impacts que ce soin réparateur laisse dans la vie de chacune d’entre elles. Bien qu’une majorité nous confie avoir pris pour elles-mêmes la décision de procéder à la reconstruction, sans égard à leur conjointe ou conjoint et aux conseils de leur oncologue, celles qui ont répondu à notre questionnaire partagent des expériences qui portent à réfléchir sur la façon dont on perçoit le corps des femmes alors même qu’il est à son point le plus vulnérable.

La perte de contrôle sur son corps, les conseils impératifs des praticien⸱ne⸱s, le regard des membres de la famille et des partenaires, le rappel constant des images de femmes et de seins sur les panneaux et affiches publicitaires, dans les films et dans l’espace public en général : réunis tous ensemble, ces éléments influencent grandement les décisions entourant la reconstruction. Au-delà de la mastectomie, ces éléments jouent aussi de manière plus subtile, mais non moins intense, sur le bien-être des femmes et leur perception d’elles-mêmes. En regard de ce qui vient d’être mentionné, il ne fait aucun doute pour nous qu’un discours féministe pourrait adoucir ces expériences vécues par 6 000 nouvelles Québécoises chaque année[xii].

Caroline, 35 ans, nous confie que bien qu’elle ait reçu toute l’information nécessaire de la part de ses médecins et qu’elle n’ait d’abord pas opté pour la reconstruction, c’est la difficulté de se « voir autant abîmée » et le regard triste de ses enfants qui l’ont poussée à changer d’idée. Après les premières étapes consistant à étirer tranquillement la peau de sa poitrine à l’aide d’expandeurs, elle a senti que la femme en elle commençait à se reconstruire. Ce qui l’a choquée particulièrement, c’est que plusieurs personnes de son entourage lui ont dit qu’elle était « chanceuse » de pouvoir se faire refaire gratuitement les seins, ce qui la mettait hors d’elle-même à tous les coups. Son oncologue, qui s’avérait être une femme, lui avait conseillé la reconstruction, car son « expérience » lui démontrait que les femmes étaient majoritairement plus heureuses ainsi, et que dans son cas, étant donné son jeune âge, une reconstruction était préférable.

Une autre femme, de 49 ans cette fois et qui désire conserver l’anonymat, nous raconte que la nature de son cancer, inflammatoire et très agressif, l’a obligée à subir une mastectomie totale du sein droit sans reconstruction. Elle a demandé à son oncologue si l’on pouvait aussi enlever le sein gauche afin de lui permettre d’avoir une poitrine symétrique, mais on lui a refusé cette intervention supplémentaire par deux fois. Elle ne comprend toujours pas à ce jour pourquoi on lui a refusé cette chirurgie, esthétique à ses yeux, qui pourtant occasionne moins de complications postopératoires qu’une reconstruction mammaire. Le système de santé permet donc de couvrir les coûts et les soins pour des chirurgies de reconstruction mammaire, mais ne lui offrait aucunement la possibilité, le choix, d’enlever le sein non-atteint pour son propre bien-être psychologique. Cette situation exprime à elle seule à quel point les seins sont cruciaux dans la perception du corps de la femme dans notre société : des oncologues sont prêt⸱e⸱s à effectuer des chirurgies invasives pour redonner des seins à une femme après un cancer du sein, mais elles et ils ne sont pas prêt⸱e⸱s à enlever un seul sein par une chirurgie d’un jour suivie d’une guérison rapide.

L’autrice de cet article, qui a 29 ans, a dû insister très fortement auprès de ses infirmières et de son onco-chirurgien pour avoir droit à l’ablation du sein controlatéral. Diagnostiquée avec un cancer inflammatoire du sein droit, la reconstruction lui était fortement déconseillée. Cependant, dans le but de ne pas vivre l’anxiété liée à la présence de son sein gauche et ayant envie d’avoir une poitrine symétrique[xiii], elle désirait subir une mastectomie bilatérale. Son onco-chirurgien lui répétait qu’étant donné son jeune âge, elle pourrait regretter cette décision, et semblait peu enclin à accepter le choix de sa patiente. C’est en voyant la requête destinée au département de chirurgie, dans les mains de son infirmière, qu’elle a remarqué que sa demande n’était pas conforme à ses volontés : il y avait écrit : « expandeurs mammaires et reconstruction ». C’est choquée qu’elle a dû expliquer en quoi cette décision pourrait avoir des conséquences sur sa santé physique mentale : la reconstruction en cas de cancer inflammatoire est déconseillée, et elle n’avait pas non plus envie d’avoir un seul sein. Ce n’est qu’au bout d’une semaine que cette requête a pu être modifiée afin de lui offrir le soin désiré. Il ne faisait aucun sens pour elle de subir des chirurgies supplémentaires si elle pouvait guérir rapidement après une chirurgie d’un jour.

En plus du sexisme, une forme d’âgisme transparaissait également dans l’approche médicale : « Vous êtes si jeune, vous aurez encore plusieurs années devant vous! ». Alors qu’est-il proposé aux femmes plus âgées qui doivent subir une mastectomie ? Qu’advient-il des femmes qui ont probablement moins d’années devant elles car elles sont au stade 4, réputé « incurable » ? Nous savons qu’aujourd’hui, les soins médicaux peuvent permettre aux femmes ayant un cancer du sein de stade 4 de vivre plusieurs années encore. Une femme de 53 ans, de Québec, toujours du groupe Facebook Si-Fortes, nous partage la tristesse qu’elle vit depuis sa mastectomie, car on ne lui jamais offert de reconstruction, puisque son cancer s’est propagé. Pourtant, avec les traitements actuels, plusieurs femmes des Si-Fortes atteintes d’un cancer de stade 4 vivent encore (de 5 à 12 ans depuis le diagnostic).

Il est à se demander pourquoi cette disparité existe encore entre les traitements offerts. Qu’est-ce qui justifie ces iniquités entre les patientes ? Une femme de 53 ans est-elle moins féminine ? Est-il moins important qu’une femme de 53 ans ayant un cancer de stade avancé ait des seins ? Quel message envoie-t-on sur l’image des femmes et sur la part d’arbitraire qui intervient dans le choix des traitements qui leur sont offerts ? Faut-il absolument opter pour une reconstruction lorsqu’on est jeune et que l’on subit une mastectomie ? Faut-il absolument être jeune pour avoir droit à une reconstruction ? Ces questions expliquent en partie, aussi, pourquoi il est plus que temps qu’un discours féministe intègre le domaine du cancer du sein.

En attendant, la principale forme de réappropriation du corps de la femme après un cancer du sein s’inscrit dans un discours patriarcal populaire : on conquiert le cancer du sein, on est des guerrières, on fait face au combat, on est fortes, etc. Ces mots, devenus des idéaux du comment-être devant le cancer, s’inscrivent dans le langage vernaculaire depuis environ une vingtaine d’années et semblent avoir pris de l’ampleur avec les publicités « roses » dont la première nous est donnée par Ford et ses mustangs roses pour les « guerrières en rose [xiv]».

Ce que dit le discours féministe à propos du cancer du sein

Le cancer du sein ne se vit pas aujourd’hui comme il se vivait il y a à peine deux décennies. Auparavant, les femmes atteintes de ce cancer le subissaient plus ou moins en solitaires, cachées, et obtenaient peu de soutien social, psychologique et communautaire. Aujourd’hui, au Québec, cette maladie n’est plus taboue et divers organismes[xv] viennent en aide aux patientes touchées par le cancer du sein. Les femmes développent des solidarités, fondent des groupes sociaux en ligne, deviennent activistes ou militantes pour la cause, etc. Cependant, malgré toute cette présence et ces efforts, le cancer le plus important chez les femmes demeure teinté d’une hétéronormativité incontestable. Peu d’études[xvi] réalisées à son sujet développent une réflexion anthropologique sur la question et ce manque se fait cruellement sentir alors que les genres, les sexualités et les corps se transforment et sont devenus multiples. L’idée est simple : toutes les femmes ne sont pas « femmes » pareillement. La reconstruction mammaire permet à certaines de faire la paix avec leur corps, mais cette paix est tributaire d’une image idéalisée de ce qu’est et doit être le corps d’une femme en Occident. Dans notre monde binaire où l’économie dépend de la stabilité d’une patriarchie mercantile qui a besoin que les femmes portent et encensent leurs seins, que ces derniers soient naturels ou reconstruits, peu de liberté réelle existe quant au choix à faire lorsqu’on fait face au cancer du sein et ses traitements :

« Bien que plusieurs assertions soient données à propos des bénéfices psychologiques de la reconstruction mammaire dans le milieu médical (Ceradini et Levine, 2008), il existe peu d’études bien contrôlées et bien élaborées dans lesquelles seraient évaluées des comparaisons entre femmes ayant ou non subi une reconstruction post-mastectomie [...] Le cancer du sein a le potentiel de déstabiliser certaines idées aujourd’hui prises pour acquis en ce qui concerne le genre, la sexualité et l’identité corporelle (Sedgwick, 1994). Peut-être alors, pour cette raison, le cancer du sein est devenu un contexte social dans lequel le genre est à la fois “produit et contrôlé”, considérant “l’hyper et l’hétéro sexualisation” de ce cancer maintenant omniprésent (Jain, 2007, p.506) » (traduction libre)

Je crois qu’il est possible de vivre le cancer du sein autrement, de manière moins pénible. Cela implique que l’on envisage les patientes en dehors de l’idée préconçue de ce que doit être une femme, et que l’on se permette d’imaginer des patientes bien dans leur peau après une mastectomie. Cela implique également que l’on puisse parler d’une sexualité accomplie au-delà des seins et que l’on puisse considérer une maternité autrement que par l’allaitement. Bref, cela implique de s’ouvrir à la possibilité qu’un être humain soit plus d’une chose et que sa beauté et son bien-être dépendent de multiples facteurs.

Il ne s’agit pas de dire que ce cancer est sans blessure, sans deuil, sans difficulté et « tout rose » comme certains peuvent le faire croire. Un cancer est un cancer, jamais il ne s’agira d’une maladie bénigne. Néanmoins, nous possédons les connaissances suffisantes aujourd’hui pour faire une analyse différente, féministe, de ce cancer et de sa réalité.

     

CRÉDIT PHOTO: Paul Falard 

[i]     2012, Léa POOL. Pink ribbon inc. https://www.onf.ca/film/industrie_du_ruban_rose/

[ii]    Fondation du cancer su sein du Québec : https://rubanrose.org/cancer-du-sein/comprendre/statistiques

[iii]   Mastectomies : https://rubanrose.org/cancer-du-sein/traitements/chirurgie-mastectomie-t... et http://www.cancer.ca/fr-ca/cancer-information/cancer-type/breast/treatme...

[iv]   Clinique du sein du CHUM à l'Hôtel-Dieu : http://www.chumontreal.qc.ca/patients-et-soins/departements-et-services/...

[v]    Reconstructions mammaires, Centre universitaire de l'Université de Montréal : http://www.chumontreal.qc.ca/sites/default/files//documents/Votre_sante/...

[vi]   Fondation du cancer du sein du Québec : https://rubanrose.org/cancer-du-sein/traitements/chirurgie-mastectomie-t...

[vii]  Association des spécialistes en chirurgie plastique et esthétique du Québec : http://www.ascpeq.org/Contenu_accueil.asp?CATEGORIE_CODE=364&CONTENU_COD...

[viii] Société canadienne du cancer : http://www.cancer.ca/fr-ca/cancer-information/cancer-type/breast/support... = il faut revérifier ce link, cela dit : page non trouvée

[ix]   https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%A9nus_pal%C3%A9olithique

[x]    http://www.cndp.fr/archive-musagora/amazones/fichiers/nom_amazo2.htm

[xi]   http://www.cancer.ca/fr-ca/cancer-information/cancer-type/breast/staging...

[xii]  Fondation du cancer su sein du Québec : https://rubanrose.org/cancer-du-sein/comprendre/statistiques

[xiii] Nous considérons que la difficulté des femmes à vivre avec un seul sein est encore plus grande, étant donné que nous vivons dans un monde binaire où la possibilité des zones grises sont peu présentes et représentées.

[xiv] Warriors in pink de Ford Mustang : www.warriorsinpink.ford.com

[xv]  Belle et bien dans sa peau : www.lgfb.ca/fr/propos-de-nous/: idem pour ce lien (« page not found »)

            Action cancer du sein du Québec : http://www.bcam.qc.ca/fr

            Fondation du cancer du sein du Québec : www.rubanrose.org

[xvi] Une étude intéressante qui en englobe d’autres :

            Lisa R. Rubin et Molly Tanenbaum, “Does That Make Me A Woman ? : Breast Cancer,             Mastectomy, and Breast Reconstruction Decisions Among Sexual Minority Women”,               Psychology of Women Quarterly, vol. XXXV, nº 3, 2011, p. 401-414.

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