De la démocratie au Moyen-Orient : aux origines de la révolte des Kurdes syrien-ne-s (1/2)

International
De la démocratie au Moyen-Orient : aux origines de la révolte des Kurdes syrien-ne-s (1/2)
Analyses
| par Alexandre Dubé-Belzile |

Les Kurdes sont éparpillé×e×s dans près d’une dizaine de pays au Moyen-Orient, sans compter la diaspora dispersée ailleurs dans le monde. L’initiative entreprise par les révolutionnaires syrien×ne×s du Kurdistan a pour but de combler le vide engendré par l’affaissement du gouvernement central de la Syrie, alors que le pays est plongé dans la guerre civile. Pour pallier l’échec du projet étatique, les militant×e×s kurdes ont donc dû mettre sur pied leurs propres initiatives. Dans ce premier article sur la révolution au Rojava, nous présenterons les conditions socio-historiques et les circonstances ponctuelles qui ont préparé l’émergence du gouvernement autonome créé par le PYD, un vaste projet anti-autoritaire.

Les États-Unis ont soutenu le régime de Saddam Hussein et ont indirectement aidé le tyran de Bagdad à perpétrer le génocide de Halabja contre les Kurdes[1]. L’Union soviétique a, quant à elle, offert son soutien au régime des Assad, qui a également mené des politiques qui défavorisaient les Kurdes en son territoire. En effet, l’État avait mis en place, entre autres, des politiques d’arabisation et de colonisation interne afin de consolider l’« identité arabe »[2]. Dans les deux cas, ces pétrocraties ont adopté un modèle développementaliste aux hydrocarbures soutenu par une dictature militaire qui assurait le contrôle sur la population par une économie centralisée et une police secrète brutale[3].En Syrie, à l’occasion du printemps arabe, des milliers de syrien×ne×s se sont soulevé×e×s contre la dictature de Bachar Al-Assad. Le président avait alors envoyé les soldats pour mener une intervention musclée. Une partie de l’armée a alors déserté, après avoir refusé d’obéir aux ordres de tirer sur la foule. En dépit d’un certain nombre de déserteurs et déserteuses, des milliers de manifestant×e×s ont perdu la vie. Ces déserteurs et déserteuses ont formé l’Armée syrienne libre[4]. D’autres groupes qui se réclamaient d’une idéologie islamique ont profité de la situation pour prendre possession de lambeaux du territoire syrien déchiré. Dans un de ses textes, le sociologue syrien Yasser Munif, professeur au collège Emerson de Boston, a expliqué ce qu’il appelle « l’économie politique du pain [5] ». Il explique comment le régime d’Hafez Al-Assad avait assujetti la population syrienne au moyen d’une économie agroalimentaire centralisée et comment les militant×e×s révolutionnaires ont tenté de s’en affranchir. Pour les Kurdes, les circonstances qui ont entouré le printemps arabe se sont avérées propices à la mise en pratique d’un autre modèle de développement.

La révolution au Rojava

La révolution au Rojava, région désormais autonome au nord de la Syrie, s’inscrit dans une approche de développement communautaire parce qu’elle émane du bas vers le haut, en réponse à la situation du Kurdistan syrien post-printemps arabe, mais aussi devant l’échec désopilant du projet étatique syrien[6]. Uni×e×s non seulement par un sentiment d’appartenance à l’ethnie kurde, mais à toutes les minorités exclues et opprimées, les militant×e×s de cette région ont mis en application un mode de gestion participatif et horizontal[7]. Des initiatives solidaires innovantes ont ainsi pullulé au Kurdistan, lui permettant d’acquérir son autonomie politique. Le professeur Yasser Munif a d’ailleurs décrit comment l’État syrien, même après la révolution et la libération du territoire kurde, avait continué de payer les employé×e×s de ses moulins à grains afin de maintenir le contrôle sur la population. Voyant que cela ne fonctionnait guère, l’armée syrienne s’est mise à bombarder les files d’attente devant les boulangeries d’État pour couper les vivres aux rebelles. Plus tard, les communautés insurgées ont pris le contrôle des moulins pour « décontextualiser » et « déterritorialiser »[8] leur lutte contre l’économie politique du pain imposée par l’État syrien et auto-organiser leur propre initiative de développement. Yasser Munif a également décrit comment, par la suite, des groupes armés « islamistes » ont tenté de prendre possession de ces moulins pour se munir d’une certaine influence sur la population locale. Depuis lors, le territoire a été disputé entre les forces kurdes et les milices des différents mouvements d’inspiration religieuse. À l’instar de ces moulins, la révolution en Syrie et ailleurs dans le monde arabe a subi des tentatives de prise en otage par des mouvements « théofascistes »[9].

 

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CRÉDIT PHOTO: Alberto Hugo Rojas

[1]Zunes, S. (26 octobre 2007). The United States and the Kurds: A Brief History. Récupéré sur Common Dreams : Breaking News & Views for the Progressive Community : http://www.commondreams.org/views/2007/10/26/united-states-and-kurds-bri...

[2]Sharnoff, M. (2009). The Syria-Soviet Alliance. Récupéré sur Jewish Policy Center : https://www.jewishpolicycenter.org/2009/02/28/the-syria-soviet-alliance/

[3]Cemgil, C., & Hoffmann, C. (2016). The 'Rojava Revolution' in Syrian Kurdistan: A Model of Development for the Middle East? Institute of Development Studies Bulletin. Doi : 10.19088/1968-2016.144

[4]Harress, C. (1er octobre 2015). What Is The Free Syrian Army? Russia Targets CIA-Trained Rebels Opposed To Assad Regime. Récupéré sur International Business Times : http://www.ibtimes.com/what-free-syrian-army-russia-targets-cia-trained-...

                O'Bagy, E. (2013). MIDDLE EAST SECURITY REPORT 9 : The Free Syrian Army. Washington D.C. : Institute for the Study of War.

[5]Munif, Y. (2015). The Geography of Bread and an Invisible Revolution. Emerson College, Boston : Manuscrit non publié.

[6]Charbonneau, J. (1998). Lien social et communauté locale : quelques questions préalables. Lien social et Politiques, 115-126.

[7]Dionne, H., Klein, J.-L., & Tremblay, P.-A. (1997). L'action collective et l'idéal communautaire : bases territoriales d'un nouveau type de mouvement social? Dans Collectif, Au-delà du néolibéralisme. (pp. 44-46). Sainte-Foy, Québec: Presses de l'Université du Québec.

[8]Deleuze, G., & Guattari, F. (1972). Capitalisme et schizophrénie. Paris: Éditions de minuit.

                Paquette, J., & Lacassagne, A. (2013). Subterranean subalterns: Territorialisation, deterritorialisation, and the aesthetics of mining. Culture and Organization, 242-260.

[9]Bey, H. (2004). Jihad Revisited. Récupéré sur The Anarchist Library : https://theanarchistlibrary.org/library/hakim-bey-jihad-revisited

 

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