Burkina Faso: bilan d'un coup d'État rejeté par les citoyens-ennes

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Burkina Faso: bilan d'un coup d'État rejeté par les citoyens-ennes
Entrevues
| par Thomas Deshaies |

Le 17 septembre dernier, le général Gilbert Diendéré, à la tête du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), a instauré un gouvernement provisoire par un coup  d’État, le « Conseil national pour la démocratie ». Face à des pressions de la rue, de la communauté internationale et de l’Armée nationale qui s’est déployée autour de la capitale, les putschistes ont finalement déposé les armes et cédé le pouvoir au Conseil national de transition (CNT). Nous avons rencontré le politologue Issiaka Mandé pour faire le point sur ces événements.

Un rapide retour en arrière s’impose pour bien comprendre les récents événements. Les 30 et 31 octobre 2014, des manifestations d’envergure ont eu lieu pour réclamer le départ du président de l’époque, Blaise Compaoré. Celui-ci souhaitait modifier la constitution afin d’être en mesure de se présenter une nouvelle fois aux élections présidentielles. Il avait obtenu le pouvoir en 1987 grâce à un coup d’État ayant mené à l’assassinat du président socialiste de l’époque, Thomas Sankara.

Malgré plusieurs pertes de vies humaines et des destructions matérielles considérables, le dénouement des événements d’octobre 2014 avait surpris les analystes en raison d’un retour au calme relativement rapide et d’un exil sans grande effusion de sang de l’ancien chef d’État, Blaise Compaoré. Les forces en présence avaient alors mis sur pied le Conseil national de transition (CNT), formé de représentant-e-s de différentes sphères de la société civile et des partis politiques. Le parti de Compaoré, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) avait alors été de facto exclu de ce gouvernement provisoire. Michel Kafando fut désigné comme Président intérimaire jusqu’à l’organisation d’élections initialement prévues en octobre 2015, mais qui sont maintenant reportées, compte-tenu de la situation.

De « séquestration » à coup d’État

Le 17 septembre 2015, le RSP séquestre le Président de la transition, le Premier ministre et deux ministres au palais présidentiel de Kosyam. Le RSP exige que son régiment ne soit plus menacé de dissolution.

Ce qui semblait au début n’être qu’une prise d’otages dans le but d’obtenir des gains rapides s’est plutôt avéré être un coup d’État « en règles ». Le matin du 18 septembre, on annonçait la dissolution du CNT et la formation d’un nouveau gouvernement ayant à sa tête le Général Diendéré. Selon le politologue Issiaka Mandé, il est difficile de savoir s’il s’agissait d’un coup d’État réellement planifié : « Est-ce que c’est un coup préparé ou c’est un coup qui a « tourné », été récupéré? Initialement, une des hypothèses, c’est que c’est une simple séquestration en réaction au rapport du Conseil Consultatif sur les réformes politiques qui avaient proposé la dissolution du RSP. » Selon le Groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique (GRILA), qui a réagi par voie de communiqué, il est étrange que les événements se soient déroulés le 17 septembre et ce « à quelques heures de l’audience du juge d’instruction dans l’affaire Sankara. Il avait convoqué le 17 septembre les avocats de la CIJS Campagne Internationale Justice pour Sankara pour leur révéler le résultat de l’expertise balistique et d’ADN. Il est très probable que ceci contribuerait à incriminer le Général Diendéré. Il est notoirement reconnu comme un des membres du peloton d’assassins qui a mis un terme sanglant à l’épisode révolutionnaire du Burkina en 1987. » De pus, le GRILA accuse les membres du RSP de « disposer de confortables rentes dans le secteur minier, le transport et l’immobilier. Ils se sont auparavant enrichis dans les guerres du Sierra Leone et du Libéria, par le contournement des diamants de l’UNITA en Angola, la déstabilisation de la Côte d’Ivoire ou des médiations  ambiguës lors des prises d’otages et l’instrumentalisation terroriste dans le Sahel.»

Des milliers de Burkinabés se sont presque instantanément mobilisé-e-s malgré la répression. Partout au pays, des citoyen-e-s ont érigé des barricades et ont bloqué les grandes routes. Une délégation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec à sa tête Macky Sall, président du Sénégal depuis 2012, mais impliqué en politique avec l’ex-président Abdoulaye Wade depuis la fin des années 1980, ont entamé des pourparlers avec les putschistes. Un accord a été proposé afin d’assurer le retour du gouvernement de transition. Cet accord garantit l’amnistie des putschistes, le report des questions reliées au remaniement de l’armée (dissolution du RSP) et la possibilité pour les candidat-e-s du CDP de Compaoré de se présenter de nouveau aux prochaines élections. L’accord du CEDEAO est fortement décrié par la rue, qui considère les propositions comme étant injustifiées.

Durant la nuit du 20 au 21 septembre, plusieurs corps de l’armée nationale sont entrés dans Ouagadougou pour exiger la reddition du RSP. Le mercredi 23 septembre, le Président Michel Kafando a finalement repris du service et les forces du RSP ont déposé les armes.

Entrevue avec Issiaka Mandé, politologue 

Q. Blaise Compaoré, est-ce l’homme derrière le coup d’État?

R. « Le problème c’est que le RSP est toujours redevable à Blaise Compaoré. Est-ce qu’il y a un lien direct avec ce qui se passe? Il y a des informations qui circulent et qui semblent dire que Blaise Compaoré aurait eu une rencontre secrète avec Diendéré à Abidjan, deux semaines avant le coup d’État. Est-ce qu’il aurait effectivement planifié ce coup? On attend de voir, mais pour l’instant, la direction opérationnelle revient quand même à Diendéré. »

Q. Est-ce que la proposition de sortie de crise de la CEDEAO vous semble appropriée? Que pensez-vous de la proposition d’amnistie pour les putschistes et de celle de la réintégration des candidats du CDP, ancien parti de Blaise Compaoré?

R. « Concernant l’amnistie, c’est une demande qui ne peut pas être prise en compte, qui est vouée à l’échec compte-tenu du contexte politique. Sur la prise en compte ou la non-prise en compte des candidats du CDP dans le processus électoral, on peut avoir une lecture de démocrate qui serait de dire « oui, il faut laisser tout le monde compétitionner et que oui, c’est le peuple qui décide en dernier ressort. Mais il faut aussi tenir compte du contexte et là, si on ne se fie pas uniquement à des considérations purement juridiques, mais si on tient compte d’une analyse politique, la raison d’être de la transition est avant tout pour démanteler l’État Blaise Compaoré. De deux, il y a aussi le sentiment de la population qui est que, des gens qui ont voulu cautionner une forfaiture, c’est-à-dire, modifier un élément fondamental de la constitution, ne sont pas crédibles pour défendre cette même constitution. Donc, la dimension, elle, est multiple. Le contexte du coup d’État remet en jeu aussi la chose. Puisque tout le Parti, et tout l’entourage qui était avec Blaise Compaoré ont cautionné le coup d’État à travers leurs déclarations une nouvelle fois. »

Q. Que pensent les juristes de cette exclusion?

R. «Les juristes et les constitutionnalistes aussi ont une opinion similaire. En fait, puisqu’ils (les députés du CDP) ont été démis, et qu’on ne leur a pas permis de se présenter aux élections présidentielles, ils veulent maintenant passer par un coup d’État pour s’imposer ? Si on leur laissait le droit de se présenter et que ces individus ne gagnaient pas les élections, que feraient-ils? Ils vont massacrer toute la population pour pouvoir s’imposer?  Il ne faut pas oublier que dans ce contexte, c’est le Conseil constitutionnel qui les a disqualifiés, alors comment le Conseil national de transition pourrait revenir sur cette décision ? Il y a un réel problème avec l’accord proposé par la CEDEAO. Il y a plusieurs autres problèmes juridiques en fait. Par exemple, on demande l’amnistie, mais celle-ci est supposée être uniquement accordée par le Président. »

Q. Pourquoi la CEDEAO a-t-elle proposé un accord qui semble aussi « favorable » pour les putschistes?

R. « Selon Macky Sall, qui est l’architecte de cet accord, c’était pour éviter un bain de sang, pour des raisons humanitaires et puis aussi, pour favoriser la cohésion de la société burkinabè. Dans les faits, c’est plutôt l’effet contraire que cela a produit. Cet accord est à l’encontre de tous les principes édictés par l’Union africaine, tous les principes même de la CEDEAO. L’autre interprétation, d’un certain nombre d’analystes, voire de la population burkinabè, c’est que les chefs d’État de la CEDEAO ont peur de la rue, parce que là, c’est la rue qui dit « non ». C’est quand même surprenant de la part d’un démocrate comme Macky Sall. Cet accord bancal, c’est un accord qui remet en cause l’architecture du Comité national de transition, qui remet en cause tout le travail qui a été élaboré et avec des éléments qui ne tiennent pas au niveau juridique. Même la dernière position de la CEDEAO, sortie de la réunion d’Abuja, c’est un recul. Le problème d’amnistie a été remis en cause, le problème de l’inclusion de ces gens, c’est à rediscuter. Ce qu’il faut aussi dire avec la position de la CEDEAO, c’est que ce n’est pas la première fois. La CEDEAO n’a jamais compris la situation du Burkina. À croire qu’il n’y a pas d’analystes au niveau des organisations internationales, parce que déjà, en 2014, quand il y a eu l’insurrection populaire et que le Burkina a demandé l’intervention de la CEDEAO, c’était également des décisions totalement « à côté de la plaque ».»

Q. Est-ce que sans la mobilisation massive des citoyens, le coup d’État aurait pu être un succès?

R. « Le principe même d’un coup d’État en Afrique est quelque chose qui est remis en cause globalement. Les coups d’États ne sont plus réellement « acceptés » par les instances africaines. De deux, la population elle-même, n’est pas prête à accepter les coups d’États. Le besoin de démocratie est quelque chose d’important et surtout quand on sort d’un régime oppressif, tel que cela a été le cas du Burkina avec Blaise Compaoré. D’autant plus que, c’est un coup d’État conduit par une garde prétorienne, il ne faut pas l’oublier. »

Q. L’Armée nationale n’est intervenue que plusieurs jours plus tard, pourquoi?

R. « Ce « discrédit » de ne pas intervenir vient aussi des populations. Est-ce qu’on a affaire à une armée nationale ou à une « armée de majorettes » ? Dans ce cas, il faudrait changer les tenues de cette armée… C’est un peu ça la question qui est posée. Si c’est une armée d’apparat, bien il faut aussi clairement le dire. L’autre chose, c’est qu’il ne faut pas oublier que l’armée est un corps social comme tout autre, qui est traversé par les tensions qui existent à travers la société burkinabè. Les analystes sur le Burkina le disent très clairement aussi. À l’intérieur de l’armée, il y a des jeunes officiers qui veulent aussi le changement. Même si Diendéré se fait un malin plaisir de dire que les Chefs de corps sont tous des amis, qu’ils sont tous des promotionnaires, certes, mais les jeunes officiers et sous-officiers et les hommes de rang, ils ont d’autres aspirations. Ce sont aussi leurs amis qui sont dans les rues. Quand je discute avec mes amis qui sont dans l’armée et que je leur pose la question à savoir s’ils auraient tiré sur la foule lors du soulèvement d’octobre 2014, Ils me répondent que de tirer sur la foule, c’est comme de tirer sur des copains avec qui on sort boire de la bière le soir. Ils savent qu’ils sont sur les barricades. Il y a aussi cet élément qu’il faut prendre en compte. Au Burkina Faso, nous avons affaire à une population jeune moins âgée que le temps de Blaise Compaoré au pouvoir. C’est une population très jeune, et une population avec un avenir plus ou moins sombre, donc on est dans un contexte où ils veulent du changement. »

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